En cette période de déboulonnage des statues, travailler sur le conquistador Cortès n'a pas que des avantages, on peut le craindre. Est-ce que l’honnêteté intellectuelle, la distance prise d'emblée (car je n'ai pas eu besoin que se pose le débat, pour aborder la question du colonialisme occidental), l'appel aux sources diverses, nous épargneront les critiques ? C'est d'autant moins sûr que, le récit se déroulant sur deux albums, il faudrait que les lecteurs les plus sensibles à ce sujet, attendent la parution de l'ensemble (soit deux ans) pour saisir l'équilibre que je propose. Car c'est surtout dans le second volet que la vision de l'histoire par les peuples conquis est la plus patente, le premier se focalisant sur l'élan de la conquête espagnole et la figure de Cortès. Aucune hagiographie, je le promets, mais le spectacle fascinant d'hommes venus d'ailleurs, de marchands et soldats sûrs de leur bon droit, se voyant offrir un empire qu'a priori, ils ne désiraient pas (c'est le plus délicat à faire passer : la nuance apprise des faits). De même, ne pas traiter Moctezuma et les Aztèques comme des victimes, mais comme d'autres conquérants, pas meilleurs que les Européens, ce qui sera la cause de leur chute, semblera incorrect politiquement, mais se défendra historiquement. Quelle réception pour ce travail sincère et rigoureux ? J'espère que les lecteurs seront eux aussi, sincères et rigoureux.
BD
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Pendant le siège de Tenochtitlan, les Mexicas voient bien que leur cause est perdue. Toute retraite est coupée, la ville est conquise peu à peu, le lac est sous le contrôle de Cortés et la maladie et les privations font une hécatombe. Pourtant, face à eux, les Espagnols et leurs alliés sont gagnés par le doute : ils manquent de munitions, ils s'épuisent, la résistance de leurs adversaires est acharnée et chaque rue, chaque maison doit être disputée. Ce qui achèvera l'empire aztèque ? Il me semble que c’est une chose assez floue, difficile à exposer : la dynamique de l'Histoire, la fatigue qu'une civilisation a d'elle-même, une sorte de fatalité. Une notion que j'ai essayé de distiller à plusieurs moments, comme ici, au début du deuxième album, lors d'un échange privé (imaginaire, voire impossible) entre Moctezuma, le roi aztèque, et Marina (ou Ce-Malina, en nahuatl), la fameuse interprète et amante de Cortés :
1- Moctezuma : « J'ai frémi, c'est vrai, quand j'ai vu un de leurs casques de métal, il ressemblait... »
2- Marina : « Je me souviens : ils voulaient que vous le remplissiez d'or. » Moctezuma : « Oui, ce casque qu'on m'a apporté. Il ressemblait à la coiffure de Quetzalcoatl. Cela m'a terrifié d'abord. »
3- Moctezuma : « Et puis, les rapports de mes espions ont dit cela : on pouvait tuer les étrangers, ils aimaient l'or, ils puaient. Est-ce que les dieux sont cupides, est-ce que les dieux puent ? Que fais-tu avec eux, Ce-Malina ? »
Marina : « Moi ? Je suis avec Cortés. »4- Moctezuma : « Tu l'as conseillé, tu l'as guidé. Par haine contre nous. »
Marina : « Mexicas… Tout le mal que vous avez fait, tous ces peuples sous votre contrainte… J'ai pu croire, comme vous, que la haine me conduisait. Ce n'est pas sûr. »5- Moctezuma : « L'amour, alors ? Ton amour pour Cortés ? »
Marina : « Je ne peux même pas affirmer que nous nous aimons. Je porte son enfant, et pourtant… Non, ni l'amour, ni la haine. »6- Moctezuma : « C'est affreux. Je suis prisonnier dans ma propre capitale, je vais sans doute mourir ici, mon pays est divisé, et tout cela sans aucune raison ? »
7- Marina : « Quand ils sont arrivés, que j'ai vu leur puissance, j'ai su que votre vieux monde devait céder la place. Je ne suis qu'un instrument du destin, Uey Tlatoani. »
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On puise dans la documentation plus de péripéties et d'anecdotes qu'il n'en faut pour faire vivre une histoire. Il faut donc choisir. Or, le tri ne se fait pas en fonction de l'esthétique, de l'exemplarité ou du spectaculaire d'une scène, il doit répondre à une nécessité : le sens que les événements permettent d'induire. Un acte de bravoure, une bataille anonyme, un renversement, un retournement, une défaite… N'exploiter dans ce matériau que ce qui va enrichir les personnages, clarifier une situation, sans négliger la dynamique générale du récit. Cette contrainte ne vient pas compliquer les choses, elle filtre efficacement les scories. Par contre, admettons qu'une certaine expérience n'est pas inutile pour reconnaître ce qui va faire sens et contribuer à l'histoire.Par exemple, les notes (un peu « nettoyées » déjà) pour la prise de Tenochtitlan :
Le 28 avril 1521. 86 chevaux, 118 arquebusiers et arbalétriers, 700 fantassins, 3 gros canons de fer, 15 pièces de bronze et dix quintaux de poudre.
Courriers aux trois provinces dont Texcala et Cholula pour des renforts, l'assaut final. Il les attendra dix jours. Il en arrive très vite 50 000 de Texcala.
Il divise son armée en trois garnisons, une pour chaque ville entourant Mexico : un corps commandé par Alvarado pour Tacuba, un corps commandé par Cristobal de Oli pour Culuacan ; un corps par Gaonzalo de Sandoval pour détruire Istapalapa, rejoindre Culuan sous la protection des brigantins en passant par une des chaussées,
pour chaque brigantin, 25 espagnols, un capitaine, un pilote, et 6 arquebusiers et arbalétriers.
Cortés ne les mobilisera contre la capitale que quand les autres auront assuré leurs positions.
Cortés est dans un brigantin, il y a une première bataille sur un piton entouré d'eau.
Cri de guerre de Cortés : « Santiago ! »
Ils massacrent tout le monde (cf, pdf 200) mais l'alerte a été donnée depuis le piton et les aztèques affluent en acali. Cortés rejoint les brigantins. Un vent de terre s'élève, favorable aux Espagnols. Les brigantins foncent sur les acali et les massacrent, les poursuivent jusque dans les rues de Mexico. Ils sont rejoints par la garnison de Culua (de Oli) qui emprunte une des voies de terre en luttant contre une foule de mexicas. Cortés fait débarquer des canons (ils sont aussitôt assaillis mais repoussent les courageux attaquants) puis tire sur les ennemis amassés sur une digue.
Ils passent la nuit dans un temple, au sommet d'une pyramide. Il a envoyé des messagers pour que les gens de Culuacan le rejoigne le lendemain.
Ils sont attaqués à minuit par la chaussée et par le le lac. Tirs depuis les brigantins et depuis le temple par les arbalétriers et les arquebusiers. Attaque repoussée. Reste de la nuit tranquille. Au matin, les renforts arrivent alors que Cortés est en pleine bataille. Les brigantins entrent dans la ville par certains canaux.
Tlapaltecatlopochtzin, un guerrier aztèque, s'illustre particulièrement par sa bravoure et sa force. Les texcaltèques le redoutent, et les Espagols aussi. Son nom devient célèbre dans les rangs aztèques. Cuauthemoc l'apprend.
Sandoval blessé au pied.
Les maisons incendiées.
Les Espagnols parviennent à détruire toutes les chaussées qui permettraient une retraite.
Cortés décide de s'enfoncer encore plus dans la ville, les autres armées convergent. Ils emportent une barricade avec fossé noyé qu'ils franchissent à la nage.
La place est reprise par les Mexicas, acharnés. Puis reprise par Cortés, puis perdue à nouveau.
Deux jours plus tard, « Don Fernando » envoie 30 000 guerriers en renfort.
Pendant le répit, les fossés comblés etc. ont été à nouveau détruits. « Ils ne se rendront pas. Ils vont au massacre. Tant pis. » Ils tirent tellement qu'ils risquent de manquer de balles et de poudre.
Cortés décide d'en finir. Ils s'enfoncent loin dans la ville, jusqu'à la grande place, il brûle le palais où ils avaient vécu, naguère.
Alvarado essuie une défaite, par enthousiasme, en allant trop vite vers le marché, par orgueil, pour devancer Cortés. Des hommes sont fait prisonniers.
Cortés reprend l'assaut (le lendemain ?), remonte au nord jusqu'au marché de Tlatelolco. Mais ça se passe mal, il est repoussé. Cortés se retrouve piégé dans Mexico, les digues coupées derrière lui. Sa garde rapprochée parvient à l'extraire, blessé. Nombre d'Espagnols sont faits prisonniers lors de ce revers. Ils seront sacrifiés.
Cuauthemoc et ses lieutenants.
Il les encourage à résister jusqu'au bout. Ils doivent accepter de mourir pour le Mexique...
Il convoque Tlapaltecatlopochtzin et le faire couvrir des armes de Quetzalcoatl, censées faire fuir les ennemis « elles ont appartenu à mon père, tu vas t'en revêtir et marcher au combat avec elles. On te confie aussi l'arc et la flèche de Uitzilopchjtli, reliques sacrées gardées au temple.
Cortés sait qu'un de ses lieutenants et le jeune chef Texcalan Xicotencatl fomentent un complot contre lui. Il les fait pendre en public tous les deux, et se dote d'une garde rapprochée de 6 hommes absolument sûrs.
Cuauthemoc a envoyé dans les villages des messagers avec les têtes des chevaux pris comme preuve de sa grande victoire.
Expédition dans une ville reprise par les Mexcicas. Un des capitaines Texcaltèques, Chichimecatl, emporte sans l'aide des Espagnols, une barricade.
On le presse d'en finir. De prendre coûte que coûte le marché, à partir duquel toute la ville tombera. Mais Cortés voit que les Mexicains se sont puissamment retranchés et sont résolus à mourir. Chaque maison devient une forteresse entourée d'eau.
Cortés a failli être emporté, sans le sacrifice d'un jeune soldat, d'un de ses pages, Cristobal, de plusieurs chevaux. Il est blessé à la jambe. 40 Espagnols tués ou emportés. On les sacrifie à la vue des combattants.
« désastre permis par Dieu, pour nos péchés. »
Dans la troupe, on se désespère. La situation est critique, d'autant plus qu'il faut porter secours à des villages extérieurs, alliés menacés.
Depuis leurs postes, les soldats doivent assister le lendemain au sacrifice de leurs compagnons, cœurs arrachés, membres découpés, têtes tranchées balancées depuis les barricades…
Les pluies tropicales se mettent à tomber, donnant de l'eau aux assiégés. Cortés envoie des messages pour exhorter à ses rendre. Rien n'y fait.
Tlapaltecatlopochtzin réussit à mettre en fuite quelques Espagnols, récupérer des larcins en haut d'un temple. Puis on en n'entend plus parler.
Cortés décide de détruire la ville, maison par maison, pour éviter d'en faire des fortins à la moindre retraite. Les Mexciains se moquent d'eux : « Allez-y, détruisez, de toute façon, même si nous mourons, les Espagnols vous les feront rebâtir. »
Cortés : « Tu te souviens, Alvarado ? De notre éblouissement quand nous avons vu, au loin, cette immense capitale, flottant au dessus du lac ? Peuplée, riche, colorée… Nous en étions muets d'admiration. »
La situation est intenable. Cuauthemoc, qui avait promis de mourir avec ses hommes, est surpris fuyant la capitale à bord d'une petite embarcation avec sa famille. Une autre version est qu'il s'est rendu de lui-même, en grand apparat, à Cortés.
Fin juillet, Mexico est reconquise.
Mexico est livrée après 3 mois de siège. Le sac de la ville est horrible. On viole, on pille, on marque les indiens au fer rouge, aux armes de Charles Quint.
Que fait Cortés, à ce moment-là ? Il est dépassé par cette conclusion pourtant prévisible, mais ne peut rien faire pour calmer la fureur de ses hommes et leur désir de vengeance.
Tlatelolco. La délégation espagnole avance parmi les monceaux de cadavres dans une puanteur épouvantable.
Sous un dais aménagé, Cortés et Marina reçoivent les dignitaires, en tenue d'apparat ; Cuauthemoc pour Mexico et d'autres rois et conseillers. Ils déposent tous les trésors qu'ils possèdent. Cortés : « C’est tout ? Et l'or que vous nous avez repris pendant notre fuite ? Tout le trésor de Moctezuma, où est-il ? »
« Nous n'avons que cela. Nous pensions que vous aviez conservé l'or. »
« Réunissez tout ! Il me faut l'or tout entier. »
« Si quelqu'un a repris ce trésor, nous vous l'apporterons, mais pour l'heure, c’est tout ce que nous avons. »Etc .
Autre contrainte, puisque nous sommes dans une BD : la pagination. Je me suis donné 8 planches pour raconter le siège. C'est relativement confortable, mais si vous connaissez un peu ce médium, vous savez que les scènes d'action (si on les détaille et qu'on ne se contente pas d'une illustration légendée, genre : « la bataille dura trois jours... ») sont particulièrement gourmandes.
Ce que je dois retenir (et je vais vous laisser avec ça, parce que ce billet est déraisonnablement long), c'est, a minima :
1- la dynamique du récit. En l'occurrence : Les deux albums conduisent à cette fin, cette apocalypse. Ces pages sont l'accélération finale pour chaque individu et pour les forces en présence. Elles doivent entrer dans le mouvement global du récit, en être à la fois le paroxysme et préparer la conclusion (nous sommes dans les pages 34 à 41, pour un album de 45 planches).
2- La dramaturgie intime des personnages principaux : Cortés, Marina, Cuauthemoc, Alvarado, Diaz.
3- Le point de vue plus général sur ce qui a motivé tout le projet de la BD : la finalité de tout ça. Comment penser désastre et victoire quand on sait l'avenir ? Quelle lecture s'autoriser, quelle leçon tirer de ces événements ?Voilà, c’est un peu comme ça que j'avance mes machins. C'était pour vous laisser jeter un œil en coulisses.
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Tenochtitlan est tombée au terme de plus de trois mois de siège, après une héroïque défense des Mexicains, aiguillonnés par leur chef Cuauthemoc. Cortés raconte comment les derniers résistants pleurent derrière leurs barricades : ils préféreraient se rendre, mais leur Uey Tlatoani, leur Orateur Vénéré, leur roi (lui-même poussé dans cette impasse par les religieux, selon Bernal Diaz), le leur interdit. Quelques semaines encore et, en août 1521, c'est la débandade. Les Aztèques, décimés par la variole, la soif, la faim, les combats incessants, abandonnent. Et là, les récits divergent : dans celui de Sahagun, écrit d'après les témoignages faits en nahuatl, la langue aztèque, Cuauthemoc se rend de son propre chef, en costume d'apparat, à Cortés. Dans celui de Cortés, un capitaine de brigantin (un gros bateau construit pour naviguer sur le lac), découvre le roi avec ses dignitaires, en train d'essayer de se carapater honteusement sur une pirogue, au milieu des milliers d'embarcations de civils qui fuient (mais Cortés ne se permet pas de parler de fuite, il relate seulement ces faits en précisant le nom du capitaine qui capture le roi). Bernal Diaz ajoute, à un récit encore plus détaillé de cette prise, une anecdote crédible : la brouille du capitaine avec son commandant Sandoval pour savoir à qui revient le mérite de ce fait d'armes décisif (et donc la récompense afférente).
Dans ce passage, comme dans d'autres qui racontent la conquête du Mexique, la version espagnole est souvent considérée comme suspecte car l'histoire est écrite par les vainqueurs, on le sait bien. Cependant, dans la plupart des cas, au fil de l'écriture du scénario que je suis en train d'achever, je dois admettre que, si je suis pourtant attentif aux versions des vaincus, je reviens presque toujours aux versions espagnoles. Pourquoi ? D'abord parce que, souvent, les textes nahuatl n'apportent guère d'informations intéressantes (ils ont obstrué tel passage, un tel a revêtu tel costume sacré pour combattre). Ensuite et tout simplement parce que Diaz ou Cortés ont vécu ces moments, tandis que, hélas (puisque cela dit aussi l'immense hécatombe de ce peuple), les témoignages aztèques sont rares, et sont des recensements par ouï-dire. Il n'y a pas de témoin direct, et je vous assure que cela se sent, à la lecture. Ce qui n'empêche pas de rester prudent : si Cortés en rajoute sur sa bonne volonté, sa magnanimité envers ses ennemis, Diaz ne le loupe pas sur certains aspects peu glorieux de sa personnalité : sa cupidité, sa cruauté parfois, son côté roublard, ses promesses à peu de frais, son impétuosité qui fait prendre des risques inconsidérés. Je veux dire, en conclusion, qu'il peut arriver que les textes des vainqueurs soient plus fiables que ceux des vaincus.
Quant à l'hypothèse que Diaz et Cortés soient la même personne, selon la brillante démonstration de Christophe Duverger, les nombreuses lectures que j'ai faites des deux relations m'interdisent d'y croire. -
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En avant-première, un extrait du scénario de la BD "Cortés" pour Glénat. Dessin Cédric Fernandez, couleurs Franck Perrot. Histoire de montrer, en coulisses, comment c'est fait, un scénar de BD (en tout cas, comment je les écris, moi). Quand Cédric aura avancé sur la première planche, je reviendrai montrer les différentes étapes de réalisation, avec son accord. En attendant qu'on mette sur pied un site dédié. Les [] indique une vignette facultative (parce que le découpage est dense, ici).
Planche 3Légende : San Juan de Baracoa, Cuba. 1517.
Intérieur jour. Chambre de Leonor. Le soleil irradie un rideau de drap blanc, tendu devant une fenêtre. Quelques éléments précieux aux murs, tableau et tenture, des coffres sur le plancher, ouverts sur des robes pliées aux motifs complexes. Le reste est assez sobre.
1- Leonor (belle femme de type indien : c'est une Taïno de Cuba) nue étendue sur un lit défait. Elle fait jouer entre ses doigts un collier superbe : « Hernan… tu es complètement fou. » Un homme est assis près d'elle, il se rhabille. Il est à contre-jour sur l'écran de la fenêtre. C'est Cortés (il a 32 ans) : « Ne l'ébruite pas. On me croit le plus sage des hommes. »
2- Leonor : « Je suis sûre que tu offres les mêmes bijoux à ta femme. Exactement les mêmes. »
Cortés : « Tu es jalouse ? »
Leonor, moqueuse : « Non, je m'interroge sur ton sens moral. »3- Cortés : « Catalina me fatigue en ce moment. Elle veut me retenir. »
Leonor : « Si je t'aimais vraiment, moi aussi, je t'empêcherais de partir. »[4- Cortés : « Heureusement que tu ne m'aimes pas vraiment. »
Leonor : « Heureusement. Je serais folle d'inquiétude. »]5- Cortés : « Léonor… Je n'ai pas le choix. La proposition de Diego Velasquez ne se refuse pas. Une expédition à la gloire de la Couronne... »
6- Léonor : « Allons ! Je te connais. Tu ne peux pas résister à l'appel de l'aventure. Sinon, tu serais resté en Espagne. Un courtisan en vue, un ministre du roi, qui sait ? Rusé comme tu es. Avec le sens moral qui est le tien... »
Cortés : « Mon sens moral te préoccupe beaucoup, décidément... »7- Leonor : « … Mais son absence, chez toi, me rassure, hi hi. Allons, je sais bien que ton encomienda de San Juan n'est pas assez grande pour toi, ni La Havane, ni Cuba, ni l'Espagne. »
8- Cortés se regarde dans un miroir : « Je ferai mieux que Grijalva ou Cordoba. Je prendrai langue avec les autochtones, je marchanderai, je bâtirai un pays nouveau, avec eux. Je serai riche, affranchi de tous les gouverneurs et empereurs. Et alors, tu me rejoindras, avec notre fille. » Leonor : « … Et ta femme ? Aha, ton sens moral, Hernando, ton sens moral ! »
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Hier soir, nous célébrions l'ouverture d'un chantier d'importance qui va, Cédric Fernandez (au dessin), Franck Perrot (à la couleur) et moi (au scénario), nous embarquer pour une collaboration de deux ans, au bas mot : la réalisation, pour Glénat, d'une BD en deux volumes sur la conquête du Mexique par Hernan Cortés. Un projet lancé il y a une dizaine d'années sous l'impulsion de Cédric, et qui a mis tout ce temps pour trouver un éditeur.
Hier, avant de déboucher le champagne, tandis que je transférais de la documentation sur mon ordinateur, Cédric et moi nous amusions du nombre de fichiers contenus dans le dossier qui, par thésaurisation, résume notre collaboration : 11 titres. Et tous d'un bon niveau, je vous assure. De la piraterie fantaisiste à l'adaptation littéraire, d'un récit d'histoire contemporaine à un drame shakespearien ayant pour cadre la Scandinavie du VIIIe siècle en passant par la mythologie grecque, nous avons exploré tous les thèmes qui nous interpellaient. Le plus étonnant, encore, est la durée que l'ensemble symbolise : une vingtaine d'années. Dire que nous sommes têtus serait un euphémisme, vous l'avez compris, mais est-ce bien cet entêtement qui s'est révélé payant ? En partie seulement : le facteur déterminant est que Cédric et Franck assurent depuis pas mal d'années des réalisations qui font des succès de librairie (Saint-Exupéry, Les forêts d'Opale, Les Faucheurs de vent, bientôt Notre-Dame de Paris) et que les éditeurs leur font confiance, désormais. Je ne suis donc qu'un invité, reconnaissant de la chance qui lui échoie. Sans Cédric, je sais que j'aurais pu m'échiner encore des années sans le moindre résultat. L'aventure commence donc, et nous entrevoyons l'énormité du défi. La reconstitution d'une histoire aussi exotique et lointaine, la richesse graphique que nous voulons atteindre, l'ambition du récit, nous font considérer ce diptyque comme un enjeu particulier. Pour le reste, si vous lisez ce billet comme un hommage à mon ami dessinateur qui a si fidèlement tenté de me faire intégrer ce milieu pendant tout ce temps sans rien lâcher, vous avez raison. -
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Ici, au Cem-Anahuac Tlali Yoloco, menacé par le ueyquin ayquic, je pose mon tepuli sur le Cuauhxicalli souillé par le sang des xochimiqui, et je commence : « Oc ye nechca... »
Disons que je commence à me familiariser avec le nahuatl… Il faudra que je vous parle un jour de Cortés, de Moctezuma, de la Malinche, et de la collection Explora, chez Glénat… Oui. -
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La septième, déjà ! Sept ans que la médiathèque de Gilly sur Isère, dans la foulée des sélections de Lettre-frontières, m'offre cette délicieuse parenthèse : inviter un auteur, un artiste, un musicien.
C'est à 18h30, ce soir, que j'aurai le plaisir de donner la parole au dessinateur Thibaut Mazoyer, dont j'ai scénarisé l'album : "A la droite du Diable". Bande-dessinée produite grâce à un financement participatif auquel la médiathèque a prêté son concours. Merci Marielle (message perso).
Nous évoquerons les articulations Scénario/dessin, la narration, la conception des personnages et des décors, les thèmes qui nous sont chers... Les rencontres à Gilly sont toujours de beaux moments.
Le lendemain matin, Thibaut et moi serons à la librairie Accrolivres, à Albertville, pour une séance de dédicaces.
Venez. Nombreux, ce serait mieux, mais venez.
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Nous sommes en avril 2019. Je réalise ce fait anodin, en me levant. Et s'impose soudain un constat : il y a maintenant plus de cinq ans que, soutenu par ma douce, j'ai pu quitter mon travail pour me consacrer à l'écriture, exclusivement. Ai-je été à la hauteur du pari, ce que j'ai produit depuis valait-il tous ces sacrifices ? Voyons, faisons un point.
Les romans, d'abord, publiés ou refusés, je les ai tout de même écrits :
Les Nefs de Pangée (sortie septembre 2015, Éditions Mnémos). Prix des blogueurs SF 2016.
La Vie volée de Martin Sourire (sortie janvier 2017 chez Phébus) Bourse d'écriture DRAC 2015. Coup de cœur Prix Claude Fauriel, finaliste prix du roman historique magazine Historia.
Les Provinciales
Cryptes
Le Radical Hennelier (reprise et réécriture puis prolongement d'un court roman d'abord publié sur Kronix, cette version n'a plus aucun rapport, hors les premières pages)Pieds nus sur les ronces
Mado
Les Inconsolables
Noire Canicule (titre provisoire. A paraître premier semestre 2020 chez Phébus)
Demain, les origines. Vol.1. (en cours de lecture chez Mnémos)
Théâtre :
Pasiphaé, création premier trimestre 2015. Deuxième version en 2016.
Minotaure. Création 2017
Le sort dans la bouteille. (la pièce sera créée par François Frapier en 2019).
Courage. Pièce écrite pour une classe de 2de au lycée Jean-Puy, à Roanne.Nouvelles :
La Joyeuse. Editions Le Réalgar (2014)
Ma life
Nulle part, tout le temps (2016, in Un Tremplin pour l'Utopie. Sélection Prix Rosny-Aîné 2017)
Etrangères (éditions Les Petits Moulins, 2018)Poésie :
Nos Futurs et Lucifer Elégie. Ed. Sang d'encre, 2014.L'Exacte Joie. Livre pauvre, 2019. Illustré par Jean-Marc Dublé.
Textes divers :
Voir Grandir (mise en chanson par Jérôme Bodon-Clair. Sur scène en 2015)
Paloma Courbeau pour revue Brasika Folio (2015)
Où Roanne, Quand Roanne, Quelle Roanne ? (Colloque, avril 2015)
A l'aplomb de la chair - texte pour Winfried Veit (avril-mai 2015)
Portraits de Mémoire(s). Création 2016-2017. Articles pour le site et textes des chansons.
Lettres-frontière 2016. Eté 2016.
Winfried Veit, éclaireur infatigable (juillet 2016)
La Messe d'or (pour le site patrimonial Lectura + Juillet 2016)
20 ans Médiathèque Mably. Septembre 2016.
Lettre Ouverte à l'autre que j'étais. Editions Le Réalgar, mars 2017.
Salammbô, raté, comme un chef-d'oeuvre. Préface pour la co-édition « Merveilleux Flaubert » Mnémos- Les Moutons électriques. Juin 2017.
Conférence : Art abstrait, retour aux signes. 2017.
Conférence : Scènes de batailles ; Master Class 2017.
L'avis de l'auteur (article pour le magazine Pages, avril 2018)
Rives, Mines et Minotaure (texte écrit pendant la résidence Saint-Etienne. Publication prochaine par Le Réalgar)Contes :
Le crocodile rouge. Pour l'illustratrice Maud Liénard. Inédit.
Le vilain petit ballon ovale et La lubie de Monsieur Balèze. Pour le dessinateur Sarujin. Publication en juin 2019.Scénario de film :
Joseph Déchelette précurseur de l'archéologie, 2017. Projet de réalisation pour 2019-2020.Scenarii de Bandes-dessinées :
- Pour le dessinateur Cédric Fernandez :
Cortés : trois albums.
Les Mange-Failles : deux albums
Complaintes des Terres du Nord : trois albums.
Et des synopsis sur 14-18, Alexis de Toqueville, Che Guevarra, les Nefs de Basal. Le début d'un roman graphique pour le dessinateur Philippe Pellet, etc.
- Pour le dessinateur Thibaut Mazoyer :
A la droite du diable.Et un peu plus de mille notes de blog, je dirais. Voilà. Je crois que c'est tout. Bon...
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Voilà, c'est quand j'écris des scènes comme ça qu'on comprend mieux pourquoi j'ai un jour préféré le travail de scénariste à celui de dessinateur :
Planche VI1- Plan général. Extérieur, orage, foudre et pluie. Les grandes plaines chaotiques du nord. Arbres déracinés ou calcinés, larges fossés, failles dans la terre, geysers. Dumor, jeune, armé et casqué, ses soldats en ligne derrière lui, sur une hauteur. Texte : Il faudrait d’abord parler d’une dette première : celle du dieu Balder envers son plus précieux soldat, le roi Dumor.
2- Plan large. Zoom arrière. La colline où sont amassés les soldats paraît au fond. Au premier plan, le sol de la plaine craque, se soulève et se fend, sous la pression d’une force formidable. Texte : Il faudrait revenir au temps de jeunesse du seigneur, quand les forces de l'Autre Monde tentèrent la Grande Invasion.
3- Plan d’ensemble. Dans un jaillissement tellurique accompagné de jets de vapeur, une forme surgit, encore indistincte.
4- Plan moyen. Sur la colline, Caroc, jeune druide alors, mais également armé, montre une direction au roi. Les hommes dégainent leur épée, assurent les lances dans les mains, serrent les mâchoires.
5- Gros plan. D’une faille nouvelle, surgit un énorme sanglier, illuminé par le flamboiement infernal du magma, sous lui.
6- Vue générale de la plaine. Des centaines de sangliers noirs identiques sortent du sol.
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Fête du livre ou salon des éditeurs stéphanois ? J'irai de ci de là, signer sur le stand G15 l'anthologie "Regards sur Roanne" de l'ami Pierre-Julien Brunet entre 1à et 12 heures, rencontrer mes nombreux ami(e)s dessinateur(trice)s et soutenir Laurent Cachard, rue de la République.
Et puis, retour à la maison pour me remettre à l'ouvrage. "Demain, les origines" progresse, mais je suis encore loin, bien loin, de l'arrivée.
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A la Droite du Diable est un projet tenu depuis longtemps, souvent remis, repris, toujours conservé par Thibaut et moi comme un rendez-vous important qu'il ne faudrait pas manquer. Les choses auraient pu ainsi traîner et, peut-être, s'éteindre. Mais, bon sang, c'est que j'y tiens, à cette histoire ! 2016-2017 ont été des années décisives, avec notre décision commune, le dessinateur et moi, d'en venir à bout, une fois pour toutes. Il faut ajouter l'apport essentiel, au niveau du story-board, d'Olivier Paire, alias Petelus, dessinateur original, ayant créé sa propre maison d'édition pour publier ses récits singuliers. La contribution d'Olivier a été déterminante, elle a donné l'élan nécessaire qui nous permet, aujourd'hui, de proposer notre album à la contribution de souscripteurs, via la plate-forme de financement participatif ULULE.
L'histoire de A la Droite du Diable est située dans un pays imaginaire d'Europe. Le vieux tyran Spathül vit à l'écart de son propre pays, dans son immense palais construit tout à sa gloire. En apparence, tout semble se dérouler, autour de lui, comme depuis son accession au pouvoir, il y a des années. Spathül mène domestiques et ministres avec dureté. Capricieux, colérique, dépressif, il peut basculer soudainement d'un état euphorique à la fureur meurtrière, et connaît des accès de mélancolie et de désarroi. Le jeune Renzo - protégé par une femme de pouvoir trouble et ambiguë, amie de Spathül : Eva Krant- entre au service du tyran. Elle exige de lui qu'il trahisse son nouveau maître, alors que le garçon a des sentiments partagés sur Spathül. Sentant la fin proche, le tyran lui dicte ses mémoires tandis que chacun s'active pour opérer un basculement politique déjà amorcé en secret.
On commence le récit avec des anecdotes plutôt grotesques, présentant le régime de Spathül sous un jour particulièrement ubuesque. Petit à petit, comprenant la comédie qui se joue autour de lui, et comme les sentiments de Renzo évoluent, le lecteur pourra ressentir lui aussi, toute l'ambiguïté des relations entre un valet, élevé au rang de confident, et son maître. On dit qu'il n'y a pas de grands hommes pour son majordome ; probable qu'il n'y a pas non plus de monstre pour ceux qui les côtoient. A qui doit-on fidélité ?Je vous reparlerai évidemment de ce projet pour en évoquer la genèse et quelques références dont le récit s'est nourri.
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Dans quelques jours, je me permettrai de promouvoir un album de BD, financé par une campagne de crow-funding. Dessiné et colorisé par Thibaut Mazoyer, story-boardé par Olivier Paire, c'est un projet assez ancien, basé sur un de mes scénarios. L'album s'intitulera A la Droite du Diable, titre qui fut celui de Mausolées avant que diverses considérations ne me fassent changer d'avis. A la droite du Diable est la chronique, en un album de 52 pages, des derniers jours d'un dictateur, auxquels assiste un candide : Renzo, embauché pour diverses tâches, dont celle d'écrire les authentiques mémoires de Florimont Spathül (le dictateur), sous sa dictée. Une relation étrange se crée entre ces deux hommes, faite de confiance fragile, de trahison assumée, du sentiment partagé de la dérision de la vie. C'est une histoire sombre, grotesque, terrible, drôle, avec complots et intrigues de palais. Je suis très heureux que ce scénario, auquel je tiens particulièrement, trouve enfin sa forme définitive. Les années écoulées avant que le chantier soit enfin pris à bras-le-corps l'ont été pour le bien du projet : entre temps, le trait de Thibaut s'est affirmé, ainsi que la sensibilité de ses couleurs (que nous verrons dans un autre extrait). Son style singulier souligne l'étrangeté de cette histoire. Selon moi, il convient parfaitement. Nous en reparlerons donc.
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Beaucoup la découvriront avec cet album, mais Léah Touitou ne débarque pas de nulle part. A 30 ans juste passés, elle a suivi un parcours personnel, exigeant, exemplaire, une traversée en solitaire avec pour seules armes son talent et son infatigable attention aux autres. Entrée dans le milieu professionnel avec des illustrations, des albums pour enfants, des films d'animation, le mode d'expression qui lui permet le mieux de faire connaître son univers, reste la BD qui lui avait valu d'être publiée dès l'âge de 16 ans. Aujourd'hui la « petite pousse » des éditions Ikon & Imago est devenue une auteure reconnue, éditée par Jarjille, excellente maison aux racines stéphanoises, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Le premier album de ce qui pourrait être un diptyque, voire un triptyque, s'intitule Café Touba. En 2011, Léah imagine et conçoit un parcours artistique en Afrique, dont elle connaît déjà le Cameroun. Cette fois, de nombreux pays de l'ouest du continent seront traversés, chaque escale donnant lieu à des ateliers de dessin, de BD, de fresques, de films d'animation, etc. Pour Léah, tout d'abord, l'odyssée est affaire collective, impensable en solo. Elle se démène, contacte associations, institutions, particuliers et professionnels... Un vif enthousiasme accompagne d'abord « Caravane d'images », le nom de son projet. Beaucoup d'encouragements, de soutiens inconditionnels, d'accolades à la vie à la mort (enfin, j'imagine ce genre de chaleur très superficielle) sauf que, de dizaines d'aventuriers prêts à s'envoler pour l'Afrique, la veille du départ, Léah se retrouve bel et bien seule. Elle ne renonce pas (ce serait mal la connaître) et, la peur au ventre de se lancer dans une telle 'performance', elle atterrit à Dakar, au Sénégal, sa première étape. Son travail sur place, les trajets, les rencontres dans les villages, les écoles, chez l'habitant, loin du Sénégal touristique (et des « mamans cadeaux » européennes qui viennent chercher sur ses plages la chair athlétique des garçons pauvres du pays), est le sujet de ces 110 planches en noir et niveaux de gris. Et c'est un régal, une jubilation, une déambulation étonnée, drôle et tendre, au contact d'inconnus dont on se ferait facilement de grands amis. Léah Touitou restitue la langue, les attitudes, les expressions au plus juste. Elle n'est pas la « toubab », la blanche qui observe et juge, elle est de son temps, notre toubab, elle ne croit pas détenir la vérité occidentale. Pétrie d'auto-dérision, toujours en retrait, simple invitée au service d'un projet, (collectif cette fois : tout le monde, y compris une vieille femme du village, participe à la réalisation d'une fresque élaborée avec les enfants d'une école), elle ne sort de sa réserve que si on la pousse à participer à un jeu ou à une fête. Femme accueillie dans un monde différent, ses hôtes la guident et lui expliquent l'histoire ignorée des Européens, la grande histoire africaine, les puissants et vastes empires d'antan, « Est-ce que, parce que ce n'est pas écrit dans vos livres de blancs, c'est faux ? » Le lecteur partagera quelques leçons de vie aussi, dont chaque vrai voyage intime est prodigue, quand un homme dit, parce que notre voyageuse s'impatiente d'attendre une voiture : « Hé, en Europe vous avez la montre, nous on a le temps » ou quand elle remarque une élève métisse et que le professeur de l'école prononce : « Les enfants métis sont toujours beaux. La preuve que Dieu aime les mélanges ». Les carnets de l'auteure, croquis pris sur le vif, détails annotés à la façon des cahiers d'explorateurs, ponctuent et enrichissent la narration, ne sont jamais gratuits. Vous saisit aussi, au détour d'une anecdote qui trouve sa conclusion à la toute fin de l'album, l'émotion, celle qui étreint, vous noue la gorge soudain, et vous réconcilie avec l'humanité. La BD de Léah Touitou, comme le café Touba du titre, aux grains de café grillés, c'est fort et ça donne de l'énergie pour la journée (au moins).
N.B. : Léah Touitou sera à la médiathèque Tarentaize de Saint-Etienne le 2 juin pour un atelier autour de la BD.
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Oh my GASH !
Gash est un projet de série d'animation, inspiré d'une BD du grand Petelus, que j'avais chroniquée ici. Nul doute que le propos minimaliste d'origine s'est quelque peu étoffé et le nombre de protagonistes multiplié pour accoucher d'un argument assez ample pour motiver toute une série.
Les deux créateurs du projet, Lionel Quéroub et Olivier Paire (alias Petelus), ont bossé comme des dingues pour mener à bien la première phase de réalisation : un appel à financement via la plate-forme Kikstarter. Le lien ICI. Ils ont réussi, pour convaincre leurs futurs fans, à mettre en scène l'univers de la série dans un teaser superbe et alléchant. Cette première étape consiste à financer une véritable bande-annonce, plus riche et longue que ce bref aperçu, un "trailer" nécessaire pour intéresser des producteurs et chaînes de télé, et qui devra déboucher sur le financement (encore une étape de ce long processus), sur le pilote de la série. Nous sommes nombreux à y croire, mais le temps est compté : le financement participatif sera clos le 20 avril. Il est vital pour un tel projet, que le financement débute vite et fort. Bon, si vous ne me trouvez pas, là, dans les tout premiers contributeurs de ce projet magnifique, c'est simplement parce que ma douce est partie ce matin avec ma carte bancaire. Passé ce détail, dès ce ce soir, je participe. Vous me connaissez, n'est-ce pas ? Je ne vous solliciterais pas sur Kronix pour une œuvre dérisoire ou passable. Gash sera un événement dans l'histoire de l'animation hexagonale. Voici l'occasion de participer à l'histoire artistique de notre pays. Rien de moins.
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Dans une semaine exactement, à 20 heures, je serai à la bibliothèque de Lentigny. Interviewé par le complice Olivier Paire, alias Petelus, nous allons évoquer les relations de mon univers avec celui de la BD, mais pas seulement. Je ne sais pas si ce sera instructif, mais je vous promets que ce sera un bon moment.
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Allez, vite fait, un petit panorama rétrospectif de l'année qui vient de s'évanouir. Elle a existé, c'est ainsi, personne ne pourra nous enlever ce que nous y avons fait, ni nous absoudre de ce que nous n'aurions pas dû y faire. Je vous épargne les soucis que chacun traverse dans sa vie de tous les jours (par contre, je ne vous épargne pas mes réalisations, c’est mon blog, vous êtes assez grands pour passer à autre chose, je vous fais confiance).
Côté écriture, beaucoup de travail pour pas mal de déception (voire d'ébranlements). Deux pièces de théâtre. L'une, acceptée, mais dont la production est repoussée à une date indéfinie : « Le sort dans la bouteille » (titre provisoire, je vous rassure). Une autre, née d'une initiative passionnante : « Courage », écrite pour une classe de Seconde au lycée Jean-Puy, à Roanne. Nous verrons cela mis en scène par une professionnelle et interprété par les élèves (et pourquoi pas, aussi, par des profs audacieux) avant la fin de l'année scolaire, logiquement. Il y eut aussi cette belle expérience autour des témoignages des tisserands de Charlieu et environs : « Portraits de Mémoire ». Un site, des photos et vidéos de Marc Bonnetin et des musiques de Jérôme Bodon-Clair. Ajoutons deux scénarios inédits : l'un de Bande-Dessinée, pour l'ami Thibaut Mazoyer en recherche d'éditeur, et un de documentaire : « Joseph Déchelette précurseur de l'archéologie ».
Hors les romans avortés (il y en a eu deux, abandonnés cette année : « Cryptes » et « Mado »), j'ai achevé deux manuscrits, l'un pour Mnémos, l'autre pour Phébus. Les deux ont été rejetés, ou plutôt... pas acceptés en l'état. Des ratés, quoi. Plus d'un an d'écriture pour rien, si l'on veut voir le verre à moitié vide (ce qui est ma nature, hélas). Tout reprendre, tout refaire, tout reconsidérer, sans garantie de faire mieux. Bon. Encore sous le coup de cette double perplexité de mes éditeurs, je n'ai pas écrit plus d'une page ou deux, depuis. Ces échecs m'ont atteint plus que je ne saurais le dire, plus que je ne croyais en tout cas. Combien de temps peut-on se prétendre écrivain quand on n'est plus publié ? Dans le même temps, j'ai vu tant d'amis auteurs bien « implantés », réputés, sûrs, dont les manuscrits sont refusés… Je ne me plains donc pas. Je préfère qu'un éditeur me refuse des textes faibles plutôt qu'il les accepte pour de mauvaises raisons (même l'amitié serait une mauvaise raison). Je vais donc tenter de travailler mieux, avec encore plus d'exigence. Dès que je serai remis de ce double uppercut.
Côté publication, l'année a commencé avec clairons et tambours (en fanfare, quoi), par la sortie de « La vie volée de Martin Sourire » chez Phébus. Réception variable, mais plutôt bonne en général, une presse assez attentive à ce qu'elle considère comme mon deuxième roman (la presse ignore ma veine « imaginaire » et mes romans précédents, éditions trop confidentielles pour lui être parvenues). Des lecteurs nombreux, des retours, des fidélités qui se dessinent. Quelques prix ou sélections, de nombreuses rencontres, de nouvelles librairies qui commencent à s'intéresser à mon travail. Pour la première fois, avec ce titre, des éditions simultanées pour « clubs de lecture » : France-Loisirs, Le Grand livre du Mois… dont des libraires et amis me disent que c'est dévalorisant. C'est possible. Il faut que je vous dise, ici, qu'on ne me demande pas mon avis. Mon éditeur me prévient seulement que mon roman va être publié chez un tel ou un tel, point. Dans le cas contraire, m'y opposerais-je ? Je ne crois pas : je vis toujours le syndrome de l'auteur immensément reconnaissant (et un peu incrédule, même) qu'un éditeur veuille bien dépenser des sommes extravagantes en pariant sur ses écrits. Alors, si l'éditeur peut rentabiliser son investissement, et bien, ma posture d'auteur trop au dessus de la mêlée pour confier ses si belles réalisations aux communs, me paraîtrait à la fois méprisante et vaniteuse.
2018, année aussi des sorties en poche de deux romans : « L'Affaire des Vivants » et « Les Nefs de Pangée ». Deux versions dont je suis assez fier. La couverture du poche de « L'Affaire des Vivants » enfin, belle ! comme j'aurais souhaité que celle du grand format le fût. Une seconde vie pour ces deux romans. Je n'ai pas encore les chiffres (il faut attendre plus d'un an), mais j'ai vu les livres bien diffusés, longtemps. Notons pour « L'Affaire » une diffusion particulière sous la forme « Mybookbox », une jolie formule et un contact chaleureux avec les inventeurs de cette formule.
Côté publication, toujours, un grand merci aux Éditions Le Réalgar d'avoir accepté un texte singulier : « Lettre Ouverte à l'autre que j'étais », et aux éditeurs associés pour l'occasion : Mnémos et Les Moutons électriques, d'avoir élevé au statut de préface un article spécialement écrit pour l'occasion de la réédition de « Salammbô » de Flaubert. Une manière de se réapproprier ce monument et de le revendiquer comme l'ancêtre, le précurseur, du genre Fantasy. Vision à laquelle j'adhère totalement, d'où ma participation avec un long texte intitulé : « Salammbô, raté, comme un chef-d’œuvre ». Enfin, une publication confidentielle, prévue en 2017, ne sortira qu'en début de cette année : « Étrangères » aux éditions Les Petits Moulins.
2017 aura été riche en commandes. Une conférence sur l'histoire de l'Art abstrait : « Retour aux signes » et une « masterclass » autour des scènes de batailles. Beaucoup de travail pour les préparer, je n'ai pas fait les choses à moitié, je vous assure. La récompense étant, par les réactions venues ensuite, de constater qu'on a pu apporter aux autres.
Et puis un grand nombre de rencontres en librairies, en bibliothèques, dans des classes en collèges ou lycées, ou dans des salons du livre. Cette année, j'ai choisi avec plus de rigueur qu'autrefois ceux auxquels j'étais invité : Salon du livre de mer de Noirmoutiers (pour « Les Nefs de Pangée »), Fête du livre de Saint-Etienne, Salon du livre de Ménétrol et surtout le festival de littérature itinérant « Les Petites Fugues » en Franche-Comté, dont je ne cesse de vanter les mérites autour de moi. Je distingue l'expérience de la rencontre au « Hibou Diplômé », petite librairie de ma région, car elle avait la particularité d'être inspirée par un lecteur. Il se reconnaîtra, qu'il soit ici remercié.
2018 s'ouvre avec la perspective d'une résidence d'auteur. Dès la semaine prochaine, je serai à Saint-Etienne, par la grâce d'un jury qui m'a proposé. Je ne vous accable pas de mes expressions émues. Sachez seulement que, parmi les membres dudit jury, il y a deux écrivains que je vénère (sans parler d'un éditeur et d'un bibliothécaire bienveillants). Je ne sais pas encore si Kronix sera le relais quotidien de cette expérience prometteuse mais je vous signalerai les rendez-vous publics qui vont ponctuer trois mois d 'installation dans la préfecture de la Loire.
Assez parlé bilan, l'année 2018 s'ouvre sur de belles promesses. J'essaierai d'en être digne.
Bonne année à vous aussi. -
3229
Longtemps, chaque évocation du Viet-Cong a été pour moi étrangement imbriquée au souvenir de l’éclaircissement de l'expression « à foison ». Comment expliquer ce rapprochement ? J'ai le souvenir précis du moment où j'ai appris certains mots ou certaines expressions. Pour « à foison », j'étais chez ma grand-mère paternelle. Nous y faisions une halte après l'école, mon frère et moi. J'ai moins de dix ans, peut-être à peine neuf. Elle nous fournit en bandes-dessinées. C'était avant Strange, Marvel et consorts. Nous lisons alors les BD des éditions Monjournal, productions de qualité erratique pleines de Zembla, de Yulma, Akim et autres Blek le roc. Là, il s'agit de G.I. enfoncés dans la jungle dans laquelle se trouvent des 'Viets' "à foison". Ma grand-mère explique, tout en faisant le ménage : « ça veut dire qu'il y en a beaucoup ». Et oui.
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3205
Planche 39.
Extérieur nuit.
1- La ruine d'un petit édifice envahi de ronces, au fond du parc. Tout près, le petit véhicule électrique qui a permis le transport. Au centre de la ruine, un puits, la grille qui le ferme est basculée. Renzo et Spathül balancent un cadavre dans le puits.
2- Spathül se penche pour saisir le corps de la femme, resté par terre. Renzo ne bouge pas.
3- Spathül : « Bon, alors, tu attends quoi ? »
4- Renzo est bouleversé. Spathül se redresse, mains sur les hanches : « Quoi ? »
5- Plan d'ensemble. Le puits, le corps de la femme, Renzo et Spathül. Spathül : « C'est comme ça, il faut t'y faire... » Renzo : « Monsieur... »
6- Renzo se met à vomir. Spathül : « Eh ! tu me connais maintenant, non ? Tu sais de quoi je suis capable, à force d'écouter mon histoire. Quelle sensiblerie ! »
7- Renzo, en pleurs : « Je comprends maintenant, ce qui reste, une fois la trace évaporée. » Spathül : « Ah ? »
8- Renzo : « Je suis maudit ! A cause de vous, je suis maudit. Les mots sont incrustés en moi à jamais. Vous m'avez empoisonné l'esprit. Même si on brûle tout, votre histoire fait partie de ma chair. »
9- Renzo s'agenouille, en pleurs. Spathül : « Ouais, bon. Aide-moi. »
10- Renzo : « Non, j'en ai assez, c'est horrible ! » Spathül, se précipitant sur lui : « Hein ? »
11- Spathül saisit Renzo par le col : « C'est ainsi que ça se termine, mon gars ! J'use le pouvoir jusqu'à sa dernière goutte. Cherche des rebelles autour de toi. Aucun qui me vaille. Je suis le dernier romantique. Aide-moi ou tu les rejoins. »Extrait du scénario d'une BD en cours de réalisation. Dessins Thibaut Mazoyer.
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Teuk Shadow (2 volumes)
Petelus
Ed. Chabert united
Citons d'abord les accroches qui résument la ligne éditoriale de cette série épatante : « Moustache, ninja et philosophie expéditive. » « Teuk Shadow, les baffes qui font réfléchir. » Tout est dit, mais tentons tout de même de vous situer argument et univers.
En prison, Teuk Shadow, « un vieux ninja un peu foutraque », lit Épicure, et s'il veut bien admettre que « La mort ne nous concerne pas. Quand on est là elle n'y est pas ; quand elle est là on n'y est plus », son expérience l'amène cependant à compléter le raisonnement par la notion du seuil entre ces deux pôles ; la BD de Petelus lui donne l'occasion de l'illustrer par l'exemple.
On ne saurait reprocher à un ninja de s'attendrir sur son passé et sur les temps perdus de la douceur. Il connaît la violence mieux que beaucoup et, pratiquant de haut-vol, sait la nécessité du répit, du contraste, de la douceur pour mieux affronter le temps du combat. La douceur comme but, la douceur pour élargir le seuil qui subsiste, quoi qu'en dise Épicure, entre la vie et la mort, dont il est très douteux qu'elle ne nous concerne pas. Elle concerne en tout cas les victimes de ses anciens compagnons d'armes, elle concerne aussi les traîtres à la nation ninja qui, comme lui, se fondent dans une forêt tropicale du futur qui a englouti des villes entières, pour se venger ou se sauver. Deux autres pôles essentiels qui sont toute la posture et le projet de vie d'un vieux ninja. La mort concerne enfin ses bourreaux et ses adversaires, quand Teuk Shadow referme ses livres (Épicure ou le rappeur Rocé) et s'anime soudain, sabre et poings fulgurants. On retrouve alors le talent de Petelus pour la représentation de la vitesse, de l'énergie, de la violence. N'oublions pas que l'auteur a pratiqué l'animation, et sa science du mouvement en fait un maître des scènes de combat.
Le ninja est la figure emblématique du Nanar. Petelus connaît du film du ninja tous les procédés et les poncifs, et s'amuse à de rares citations (le pastiche n'est pas sa tasse de thé, il a l'intelligence de ménager ses clins d'œil, ce qui les rend plus savoureux quand on les croise). Seconds couteaux du Bis, héros du Z, les ninjas à moustache, occidentaux égarés parmi une population de guerriers asiatiques (souvent dénigrés mais épices incontournables des productions de Godfrey Ho), sont réhabilités par le savoir-faire unique de Petelus. L'auteur a choisi un élégant gris-crayon (technique qu'on avait déjà vue chez lui, dans Gash la Rage), pour plonger le lecteur dans une jungle pluvieuse et fantomatique qui rappelle celle de Prédator.
La merde « désigne » tout l'univers du ninja, selon Petelus. Elle est aussi, par les multiples métaphores qu'elle autorise, le mode de l'explication du monde par le vieux ninja. Las de tous les discours (sauf des siens, qu'il aime prononcer pour ses victimes après leur mort, c’est plus prudent), Teuk Shadow hausse les épaules et ferme la porte des toilettes. Il va chier. Les ninjas ne sont pas si différents du commun des mortels.
Tournesol, le ninja pousse bien mieux, s'élève à partir de la lie des bourreaux pour se tourner vers le soleil. Mais enfin, le soleil, sous la grisaille battante des pages, tarde à venir, on sent que la quête de Teuk Shadow peut se poursuivre longtemps ; pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.
Un mot sur la politique des éditions Chabert united : Petelus a tiré la conclusion de son observation des mœurs de l'édition bédéesque française. Son univers est trop singulier pour qu'il s'y exprime librement (ou même que ses projets soient validés, déjà). Il a donc décidé de pratiquer le circuit court, à l'imitation de l'agriculture bio, directe du producteur au consommateur, et s'en trouve fort bien ainsi. Au bon endroit et avec un peu de chance, vous pouvez le trouver sur un marché. Sinon, le contact est sur le net, ici.