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  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 6

    Dans la journée qui a suivi notre visite à Terret, Katrine avait trouvé une solution. Elle m'a présentée au petit peuple qui hante l'incroyable maison où l'on a pu m'héberger. Malvoisie. Un manoir, un château, en tout cas une énorme bâtisse hybride (médiévale, baroque, plus tous les styles intermédiaires) de cinq ou six étages avec enceinte crénelée et coiffe d'ardoise. Depuis que je suis là, je découvre des pièces chaque jour. Il m'arrive de me perdre. Vu de l'extérieur, l'ensemble est un délire avec tourelles d'opérette, lions modelés en ciment campés sur le perron, grande porte à double battant en chêne et ferrures larges comme la main. À l'intérieur les murs sont tapissés de livres, et l'architecture reproduit le délire du dehors, escalier monumental et hall de marbre avec copies de statues antiques. C'est le Xanadu de Citizen Kane, le palais de Howard Hugues, la villa Hadriana, le Neunschwanstein de Louis II, enfin une fantaisie de parvenu d'un mauvais goût tellement extravagant qu'il s'en dégage une esthétique, un gothique de cinéma outrageusement mis en scène, qui m'a fait éclater de rire à la première vision. Quand nous sommes arrivées au terme d'un long trajet, comme accouchées d'une forêt tout en broussailles (non, d'abord parler de la grille : démesurée ; avec des volutes forgées qui dessinent des grotesques, le vantail droit dégondé, basculé vers l'arrière comme enfoncé par un bélier du temps des assauts en cotte de maille, les deux vantaux totalisant la surface d'un appartement, l'appartement que j'habitais à Richeterre par exemple et ce n'était pas petit), quand nous sommes arrivées au bout de l'allée, que la forêt a lâché prise, un grand mur de grisaille et de lierre s'est avancé vers nous, ça occupait tout l'écran du pare-brise, Katrine m'a fait « Hein ? » avec la fierté de qui accomplit le rêve de l'autre. J'en étais bouche bée, je me suis tournée vers elle avec une mine incrédule et sûrement une forme de gourmandise, tandis que la façade nous happait dans son ombre. À cet instant, oui, comme Katrine quand elle a trouvé ce lieu, j'ai cru que tout serait facile désormais. Un endroit pareil, une telle outrance, assez d'exotisme pour faire le deuil de l'abbaye, de quoi me nourrir. Oui mais voilà, pas si simple. Pas si simple. Je m'étais documentée sur l'abbaye de Terret, j'avais étudié son histoire, sa fondation, la vie de ses concepteurs, ses plans, des photos, des estampes, des tableaux la représentant, j'avais conçu déplacements et personnages (des carnets entiers remplis de biographèmes à leur sujet) à partir d'elle et de la campagne autour. Sans jamais m'y rendre d'ailleurs. Cela faisait partie du défi. Tout concevoir sur le papier avant de confronter mon imaginaire avec la réalité du lieu. Mais voilà : plus d'abbaye, plus de lieu, plus de récit. Les personnages de mon roman vont rester entre leurs parois de papier.
        Malvoisie est habitée, hantée ai-je envie de dire, par une communauté permanente. Il y a Alexandre Cot, héritier de cet énorme machin, un vieillard silencieux dans son fauteuil roulant haute-technologie qu'il conduit à toute vitesse dans les couloirs interminables. À bord de ce véhicule bourré de gadgets et monté sur de grosses roues larges, il cabote parmi les statues et les guéridons en chantant, navigue dans le labyrinthe du rez-de-chaussée (les escaliers qui mènent aux autres étages ne sont pas équipés). Heureuse nature ? Pas vraiment, ce sont des chants sinistres, et il s'enferme souvent dans sa bibliothèque. Il y a plusieurs bibliothèques dans la maison, mais la bibliothèque où il passe des heures à travailler est la plus grande ; le centre du château il me semble (le point de gravité, le nombril ?). J'en reparlerai. Des infirmières viennent à tour de rôle trois fois par jour s'occuper de lui, le matin avant le petit déjeuner, en début d'après-midi et enfin le soir après le repas, pour le mettre au lit (je crois que monsieur Cot porte des couches). Plusieurs femmes donc, mais une infirmière plus souvent que les autres, on voit qu'elle a ses habitudes, elle claironne son arrivée, se déplace vite, file sans hésiter dans la bonne direction, les autres demandent leur chemin, on les retrouve dans un cul-de-sac, devant une porte condamnée ou fausse (il y  a des fausses portes à certains endroits, des moulures et panneaux, plaqués contre le mur, avec un loquet, une serrure, mais tout cela est collé à la cloison). Je n'ai croisé qu'une fois cette infirmière, un soir. Une trentenaire quelconque, petite blonde souriante à la voix douce, cheveux coupés au carré, habillée modestement. Il y a Madame Cruchen, Arbane Cruchen, quinquagénaire encore belle ma foi. Chignon argent, vêtue avec goût, sobre sans tristesse, jupes droites assorties à ses tailleurs clairs, des couleurs de brumes et de lacs, d'herbe sous le givre, peu de bijoux. Discrète, très racée, gestes de ballerine ou de geisha, enfin mouvements étudiés, mesurés, délicats, j'adore la regarder tourner une page ou soulever et plier une serviette. Régler une horloge. L'horloge Empire dans le vestibule qui relie le salon à la grande salle à manger, surtout. Madame Cruchen passe, glisse, ne s'arrête pas ou à peine, imperceptiblement, le temps d'un soupir, fait basculer la loupe de verre qui protège le cadran tandis que son poignet rapidement tourné lui dit l'heure de sa montre, elle pousse une aiguille du bout d'un ongle, replace la loupe et glisse plus loin, oui glisse. Cela ne prend pas plus de deux secondes. Une fugace chorégraphie. J'aimerais me cacher pour épier ce rituel. Je ne suis pas certaine du rôle tenu par madame Cruchen à Malvoisie, elle ne semble pas avoir de parenté avec le propriétaire, n'est pas non plus son employée ou une simple locataire ; il y a une complicité ancienne entre eux, c'est manifeste. Je l'ai vue ricaner à une phrase un peu confuse de monsieur Alexandre. Une familiarité surprenante. Le pauvre a rougi. Je l'ai trouvée cruelle alors, mais elle a incliné son visage, a souri gentiment au vieillard qui s'est immédiatement rasséréné, et toute tension s'est évanouie. Elle a une aura évidente, beaucoup de charme, a dû faire des ravages naguère. Elle organise le quotidien, gère les petits problèmes (et les plus conséquents, j'imagine), distribue le travail au couple de gardiens qui vit dans une dépendance, comme autrefois. Les gardiens, plus très jeunes mais robustes, durs à la peine. Je ne connais pas leurs noms ; madame Cruchen donne du « Lucien » et du « Mina » avant de préciser la tâche qui attend la personne désignée. Mina est une métisse qui mêle les traits caucasiens et asiates, toute petite et silencieuse, concentrée. Lucien est un grand costaud bavard aux mains épaisses et aux longs favoris blancs. Si je parais autour de la maison et qu'il me voit, il suspend immédiatement son ouvrage pour m'expliquer en quoi il consiste et me faire partager son expérience en matière de fumures ou de greffes. Il a vite saisi mon oisiveté chronique et tient là une auditrice dévouée, qui prend le temps. Et puis. Et puis il y a Joël Klevner.

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 5

    Prière de refermer la porte. Syrrha pousse l'inscription et découvre une nouvelle pièce. Une salle de bains étroite et haute, sonore. La troisième. Et comme les deux précédentes, celle-ci n'a pas été utilisée depuis des années. Il y traîne une odeur fade, entre salpêtre et poussière. Tout est recouvert d'une écume charbonneuse. Sous les écailles d'une vieille peinture jaune percent les vestiges d'un violet rompu où elle reconnaît une tentative d'imitation du porphyre. Les pellicules de l'enduit sont tombées dans la baignoire. Syrrha veut tirer le rideau de douche mais le plastique ancien casse au niveau des attaches. Hors de portée, une lucarne graisseuse donne un peu de jour. Un système aurait permis de l'ouvrir mais le câble est rompu à l'amorce de la mécanique. Elle sort de la pièce et referme, saisit le crayon qu'elle garde sur l'oreille et fait une petite croix sur la porte pour se souvenir qu'elle l'a déjà explorée. Sur son carnet, elle trace une croix similaire en bordure du rectangle qui figure le couloir où elle se trouve. Elle note Salle de bain jaune. Ensuite, elle renonce à aller plus loin et rebrousse chemin.
        Elle retrouve le grand escalier qui distribue les étages sur toute la hauteur de ce côté de la bâtisse. Passe sur chacun des quatre paliers devant une verrière à décor religieux en camaïeu verdâtre. Au pied de l'escalier dont la largeur est ici doublée par la confluence de la volée jumelle qui dessert une autre aile, elle s'engage au fond du vaste hall, dans le couloir qui s'ouvre sur sa gauche, et le fait résonner sur toute sa longueur avant de pénétrer dans un vestibule, où s'empoussièrent de grandes cages à oiseaux désertées. Là, elle pousse la porte du salon encombré de chinoiseries, paravents défleuris et vases aux ventres de bronze, qu'elle traverse pour atteindre la salle à manger, de l'autre côté d'un nouveau petit vestibule. La salle à manger est sans doute la plus grande pièce de Malvoisie. C'est un vaste rectangle qu'une énorme cheminée ouvre sur la moitié d'un pan. La hauteur extravagante des murs est rompue par une cimaise élevée à niveau de bassin, imitant le marbre, le reste est couvert d'un semis de fleurs pâlies, estompées au point de se fondre dans la couleur bleu délavé de l'enduit. Des blasons peints a fresco ornent les parties dégagées, entre des tapisseries fanées. Le plafond à la française, caissons ouvragés et poutres décorées de chevrons et de rinceaux alambiqués, en rajoute sur le pittoresque. On croirait un décor. C'est d'ailleurs en partie le cas, apprendra-t-elle.
        Syrrha est attendue. C'est l'heure du petit-déjeuner. Autour d'une table ronde, désolidarisée de l'interminable table du déjeuner qui longe la cheminée, ses hôtes sont là. Syrrha prend place face à madame Cruchen, comme chaque matin depuis qu'elle est ici. On prend vite des habitudes. À sa droite, monsieur Alexandre. Il appuie son bonjour d'un petit mouvement de tête, une révérence en réduction, puis, ratatiné souriant minuscule au fond de son énorme fauteuil roulant, il tend une grande serviette sur sa poitrine et se penche sur son bol. Syrrha remarque que la place de Joël est restée vide et que son couvert n'est pas dressé. « Monsieur Klevner ne descend pas aujourd'hui. Il travaille » dit madame Cruchen tandis que le vieillard aspire sa première goulée de thé. « Et vous, chère amie, que projetez-vous de faire aujourd'hui ? » J'aimerais travailler aussi, murmure Syrrah, elle murmure car aussitôt les mots jetés comme ça lui semblent sacrilèges, elle sait qu'elle ne pourra pas. Elle n'y arrive pas. Une semaine et demie ici, et pas une ligne, des journées stériles. Elle n'ajoute rien, se sent de mauvaise humeur, ça ne va pas, tout ce qu'elle avait conçu en relation avec l'abbaye ne fonctionne plus. Elle en avait eu l'intuition immédiate, mais surtout, malgré le décor invraisemblable de ce château qui devrait l'inspirer, elle se voit incapable de s'adapter à cette nouvelle donne et cela la rend furieuse. Qu'un autre écrivain, ici, à un autre étage mais pas si loin, puisse se plonger sans le moindre effort dans l'écriture, lui fait ressentir une pique de jalousie. C'est stupide et mesquin, elle se trouve laide d'être livrée à ce sentiment dégradant.

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 4

    C'est de force qu'ils sont entrés, ont débordé le peu de résistance que le personnel pouvait leur opposer. Combien étaient-ils ? Quels moyens avaient-ils ? Comment un groupe armé de sa seule colère peut-il causer de tels dégâts ? Je n'en reviens pas. Depuis la route, de loin, les effets de l'attaque sont spectaculaires. La célèbre silhouette de Terret est mutilée de la moitié de sa hauteur. Son toit de tuiles vernissées a disparu, les modillons blancs du sommet et la charpente millénaire qui les dressaient au dessus des champs, ont été précipités dans l'incendie. La grande bâtisse a des allures de dent cariée, parois d'ivoire, cœur noir et fétide. Je n'ai pas de mots devant ce désastre. Qu'un serrement de gorge, inaudible à Katrine qui a accepté de me conduire à l'abbaye saccagée. Le monument est entouré de barrières dérisoires mais des vigiles éloignent les curieux, et dans les prés autour des décombres, des hommes en tenue s'affairent, récoltent des débris dans l'herbe ou les broussailles. « On a trouvé le corps d'un des leurs, dans la nuit. Sont tellement excités qu'ils finissent par s’entre-tuer, ces malades », commente Katrine. Elle est toujours élégante, a enfilé de petites bottes de caoutchouc en descendant de voiture. Un homme approche. C'est un type quelconque, long d'ossature et brun, plutôt beau dans sa fatigue. J'ai un faible pour les hommes abandonnés à leur fatigue. Je leur trouve une majesté lasse, une noble désinvolture qui me séduit. Il vient saluer Katrine, qui nous présente. Sef est un enquêteur dépêché par la Mairie pour évaluer les dégâts. Il connaît bien le site, y a conduit des travaux, naguère, « C'est un crève-cœur. Il y avait des fresques, du mobilier sacré, le toit était classé. Ils ont tout démoli. » Son visage est défait, il est sincèrement affecté et évite de nous regarder, revient sans cesse vers les ruines, convaincu au fond que tout cela n’est qu'une illusion née de peurs anciennes mais que tout est là en vérité, sous-jacent, indemne. « Nous n'avons pas assez protégé cet endroit. Il n'y avait eu aucune menace. La police patrouillait de temps en temps. Un artiste invité est mort, vous savez ? » La question s'adresse à moi. Il a plongé son regard dans le mien brusquement, en prononçant vous savez ? Je sais : Katrine m'a parlé de la victime. Un plasticien, un artiste non-européen. Jeune inconnu prometteur, comme sont censés l'être tous les résidents de Terret. D'autres sont à l'hôpital. Le reste – il y avait une demi-douzaine d'invités – est reparti. La violence des agresseurs a démoralisé tout le monde. « Sans l'incendie, vous arriviez à l'abbaye en pleine bataille. » Katrine tente de délivrer son angoisse ; s'ils ont attaqué l'abbaye, pourquoi pas la Mairie ou un quartier de Malbec ? Nos visages se ferment et Sef incline le menton sur sa poitrine. Nous partageons un bref moment de crainte et de recueillement. Je crois que Sef a murmuré une prière.

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 3

     

    Dormir, dormir dans un bon lit, une chambre silencieuse et fraîche. Divin, se dit Syrrha. Elle se douche, elle dort, première urgence, et dort sans rêve. Au réveil, elle se sent capable de dévorer n'importe quoi d'épais et de sanguin. L'après-midi est bien entamé mais un repas l'attend, grâce à la prévoyance de Katrine et l'obligeance de l'hôtel. Après la régénération du sommeil, celle de la satiété ; elle sent son corps recouvrer sa vigueur. Elle a par contre la sensation que les aliments ont tous un goût de fumée, et ses cheveux bien qu'ils sont propres, et sa peau malgré la douche sous laquelle, selon son habitude, elle s'est étrillée, lui semblent avoir conservé un effluve de bois brûlé. Elle s'étrille parce que depuis toujours quelque chose d'infect revient sur elle, qu'elle ne finit pas de laver.
        Le reste de la journée passe en repos dans l'hôtel et son parc, quelques coups de téléphone, un peu de lecture, du sommeil encore à l'ombre des arbres, sur un banc. L'été scintille parmi les feuillages, c’est apaisant ; longtemps qu'elle ne s'est pas détendue de cette façon. Pas de quoi effacer les piliers de fumée dans le ciel, les foules sur les quais, l'acidité de la peur, mais enfin un peu de calme pour se reprendre, mettre les idées en ordre, penser à son travail, ce pour quoi elle est ici, à Malbec. Sa première résidence d'écrivain. Le processus existe encore quand toute la société paraît se déliter. Quelque part, des gens instruits ont dû considérer que c'était vital, contre l'avis de tous, ça ne va pas durer, les bonnes volontés, les actes amicaux, les choix de l'intelligence sont dénoncés chaque jour comme de la sensiblerie contre-productive. Un luxe, elle en est consciente, trois mois rémunérés pour ouvrir le chantier de son prochain livre, avec la promesse d'une publication soutenue par un éditeur prestigieux. Elle a pu grâce à cela, tirer un trait sur les ateliers d'écriture chronophages, les piges peu satisfaisantes et les interventions en milieu scolaire pour lesquelles, manifestement, elle n'est pas faite. Cette résidence à Terret, c'est l'opportunité inespérée de revenir à ce qu'elle pense savoir faire, sa seule fonction en ce monde : écrire. Dans la perspective de son travail, le lieu était essentiel. L'abbaye de Terret est une merveille architecturale et Syrrha avait pensé la construction de son roman en fonction de ce site. Elle se réjouissait d'y œuvrer dans la concentration, entourée d'autres artistes et écrivains. Il lui semble que plus rien de son projet ne tient maintenant. Mentalement, elle reprend ses notes, les intentions, les références, tout lui semble stérile sans l'architecture de l'abbaye, source de ce matériau. Tout est à repenser et Syrrha connaît un moment d'angoisse à ce constat. Elle ne se sent pas assez de force.

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 2

     

    Terminus. La gare de Malbec au petit matin, vaste gueule vide. Je débarque lourde de fatigue et je traîne ma valise avec son tambour infernal de roulettes à travers le silence du hall, qu'importe, il n'y a personne, le roulement me fait exister après la dilution de mon corps dans la foule. Sur l'arrêt-minute dehors, il n'y a qu'une voiture ; une femme en talon, bras croisés, y appuie ses fesses. Elle est trop bien habillée pour une heure si neuve, silhouette faite au moule, longue chevelure châtain aux reflets cuivre. Face à ce scandale, je me sens encore plus sale et défaite. Avec la fatigue, ça me cloue sur place et le fracas des roulettes est coupé net. La fille approche. Sourire gaîné de rouge (non, vraiment. À quelle heure faut-il se lever pour s'habiller, se maquiller, se coiffer ainsi ? Je recense toutes les occasions de me faire belle au cours de ma vie, n'en relève aucune qui m'ait obligée à sortir du lit avant l'aube). La voici, c'est bien elle, Katrine Viognier. Merci d'avoir prévenu de votre retard. Mais de rien voyons, c'est l'incendie, en ce moment... Elle sait, oui oui, nous nous sommes doutés tout de suite que cela allait occasionner des soucis (des soucis ? : j'ai vu l'apocalypse !) Katrine soupire, ses cheveux de mannequin font un mouvement gracieux, elle ajoute je suis confuse mais il y a un autre problème. Je sens ma dernière pile d'énergie entamer sa descente, s'il y a encore un retard, une paperasse à régler ou quoi que ce soit, je ne réponds plus de mes nerfs. Katrine explique tandis qu'elle m'emmène à l'hôtel : l'abbaye de Terret où je devais être hébergée pendant trois mois vient d'être saccagée, les résidents accueillis là ont été pris à partie, molestés, un artiste étranger a même été tué. Les dégâts sont impressionnants, il n’est plus possible d'héberger qui que ce soit dans l'abbaye. Katrine est désolée, ça s'est passé dans la nuit ; elle vient de l'apprendre. Elle va trouver une solution mais en attendant ce sera l'hôtel. Je ne dis rien, ou une phrase affectée qui semble s'extraire de ma gorge avec une lenteur de cloporte, je me laisse guider sans rien penser, vidée. J'aurai des émotions plus tard, de la peur et de la pitié pour cet artiste qui s'est fait tuer. Mais d'abord, dormir.

  • Le feuilleton de l'été

    Pieds nus sur les ronces - 1

         Du livre, surgit l'image d'un train. L'histoire qui commençait avec ce train. Le train grattait la nuit, filait couinant long sur la couture des rails. Il allait comme hier sans doute et toujours au même pareil, il allait mais il allait comme on décampe, la mort aux trousses, allait mais semblait fuir. À l'autre bout des rails, au cul, là-bas, des flammes grimpaient jusqu'aux étoiles. Par les vitres de la cabine, Syrrha regardait l'incendie couché sur la moitié de l'horizon. Ça faisait un coup de sabre dans les ténèbres, peau noire fendue sur des entrailles rouges. Dans les gares traversées, le train stoppait dans un cri fer contre fer – comme hier sans doute mais plus au même pareil : longtemps, trop longtemps – des réfugiés s'agglutinaient contre les portes, ça se tassait, ça gueulait, ça pleurait, l'angoisse poussait des remugles sous les narines. On avait d'abord accepté d'accueillir les fugitifs venus des régions les plus touchées et puis, le danger s'éloignant, la blessure au ventre de l'horizon là-bas réduite et mesurable d'une main, on repoussait à présent les foules épouvantées qui tentaient de se sauver du désastre – d'abord de la peur du désastre, de la peur panique que le feu déborde la blessure. Un service d'ordre contenait la cohue, des officiers hurlaient des consignes, les populations bâtées et sales – pas comme celles des premières villes, d'ocre et de fumée enduites, non : sales de frousse, bâtées de fringues jetées sur les épaules, de bouffe et d'objets pris en hâte – fonçaient en rugissant contre des barrières montées vite, ou contre des rangées d'uniformes. Depuis l'abri des voitures bondées, on voyait cette crue enfler, compacte, s'écraser contre les obstacles et refluer, toujours menaçante. Dans les gares suivantes le train ne s'arrêta plus du tout, les vitres crasseuses passaient devant des faces gommées par la vitesse.
        Syrrha était debout contre une fenêtre, parmi les hommes et les femmes muets de fatigue. Elle avait laissé sa place à un couple et leur nourrisson. Ils avaient eu des mots de reconnaissance, mais pas un sourire. À bout, à peine capables de parler, ils s'étaient effondrés sur la banquette. La femme son bébé contre elle, avait eu encore la force de vérifier l'agencement des couvertures autour du petit corps, et tous trois, créatures apeurées mimétiques, couleurs et odeurs d'exode prises au peuple du wagon, étaient tombés immédiatement dans le sommeil, soudés les uns aux autres. Et tout le peuple du wagon échangeait des regards insondables. Le train roulait, l'humanité serrée entre les plis de son armure, échappée hors d'haleine. Le train roulait. L'éclat de l'incendie s'affaiblissait là-bas, la plaie paraissait refermée ; on cherchait à le croire. Et puis le jour s'annonça sur le flanc opposé de la terre ; une autre clarté, pâle et limpide, qui redonnait espoir, et le train se précipitait vers ce sourire. À présent, les quais aperçus étaient déserts dans l'aube, les rues qu'on discernait n'étaient plus engorgées de panique. Une vie tranquille les animait. La catastrophe était loin. À l'arrêt suivant, les voitures se vidèrent d'un coup, sur un élan sans mot d'ordre, une décision tacite d'en finir là, aussi brusque et primitive que la peur qui avait aspiré cette foule quelques heures plus tôt. Ils descendirent, hébétés d'être si loin de chez eux, stupides à se demander, maintenant que le danger était passé, où aller, à qui s'adresser, que faire ? Syrrha n'était pas encore arrivée à destination et elle put s'asseoir à nouveau. Elle était éprouvée par l'accablement général dont elle avait été témoin et les heures passées debout, jambes engourdies par les spasmes du rail. Elle s'endormit jusqu'au terminus.

  • 2583

    Pas de Kronix aujourd'hui. On verra demain. Je vous embrasse.

  • 2582

    L'orage cette nuit-là, un vaste marteau qui assomme la terre. La maison dans mon demi-sommeil, un cube compact, résistant sous la force de cette averse de plomb. L'idée vague d'un ensevelissement sous la poitrine noire d'un colosse absurde.

     

    Sinon, il a plu, et c'était bien pour les salades.

  • 2581

    L'enjeu (un des enjeux majeurs), c'est que La Grande Sauvage, ne raconte pas la Révolution Française de la même façon que les autres. Le style, bien sûr, l'angle pris, les thèmes, mais aussi les personnages, ne seront pas ceux des autres récits. Un indice, ICI.

  • 2580

    A la limite, pisser dans un violon, oui. Pour emmerder un luthier.

  • 2579

    Des avis de lecteurs de "Mausolées", qui poursuit son petit bonhomme de chemin.

  • 2578

    Ce soir, à 21h, au jardin des Ruines ancien Passage Secret à Saint-Haon-le-Châtel (Loire) (le village où la lecture est aimée), l'association Demain dès l'Aube, lira des œuvres de Maupassant. Le lieu est magique, qu'il fasse bon ou qu'il pleuve, et Maupassant, eh bien... vous savez déjà à quel point ses nouvelles sont savoureuses.

    Je suis chargé, quant à moi, de lire "Un Normand", extrait des Contes de la Bécasse. Je vais tenter d'en faire passer la drôlerie émouvante.