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  • Casse-cou

    J'ai failli ne pas dépasser les dix ans :

    1/ quand j'ai décidé d'imiter ces mecs en moto qui bondissaient en prenant appui sur un tremplin. Dans le pré, en contrebas, il y avait un rocher dont la ligne ressemblait à ces tremplins. Je n'avais pas de moto, mais n'est-ce pas... J'ai foncé, foncé, et mon vélo a suivi la verticale du rocher, tout naturellement. Je ne sais pas comment je m'en suis sorti indemne, mais le vélo est mort, lui.

    2/ quand, me prenant pour Panoramix, je fabriquais des potions magiques avec tout ce que je trouvais, plantes en tout genre, macérées pendant des jours dans une boîte de conserve rouillée. Cela produisait un jus noir avec des taches irisées, que je buvais. J'ai survécu. Je n'ai jamais été malade de ma vie. La force acquise des anticorps, je suppose.

    3/ quand je fonçais dans les murs tête la première, pour éprouver cet intéressant vertige qui accompagne le choc. Je me demande si mes problèmes de cervicales ne viendraient pas un peu de là.

  • Et peluche si affinités

    Seuls visiteurs sûrement depuis des lustres, nous entrons chez ce petit homme solitaire. Connaissant notre amour des livres, il a décidé de nous montrer sa bibliothèque. Une bibliothèque exclusivement consacrée aux sciences, dans tous les domaines. Ma douce et moi nous frottons les mains par anticipation depuis que l'invitation a été lancée : cela fait des années et des années, quarante ans de professorat, qu'il achète régulièrement des ouvrages sur la biologie, l'astronomie, la physique, la géologie, les mathématiques, la paléontologie. Quelle merveille ce doit être !
    Nous voici dans le salon comble de rayonnages. Quelle surprise ! Nous ne voyons d'abord qu'une invraisemblable collection de peluches. Les rayons présentent des dizaines d'oursons musiciens, plâtriers, garçons de café ou docteurs, un orang-outang est juché sur l'ordinateur et une énorme girafe encombre le passage. Les livres ? Oui, on les devine, bien là, mais tapis, discrets, remisés derrière les bibelots, inaccessibles, invisibles, dévorés par un peuple de douceur figée, une foule de créatures endormies dans les limbes de la vénération enfantine.
    Nous apprenons qu'il s'agit d'une collection achetée pour sa mère, disparue depuis peu. Ce n'est pas une bibliothèque, mais deux mausolées confondus, que nous visitons. Une vie célibataire vouée aux deux amours de son existence, sa maman et la science. Et l'une des deux a triomphé de l'autre, l'a confinée, masquée, réduite, rendue à la thésaurisation d'un savoir stérile. Le petit homme n'est pas malheureux, non, il a concilié ces deux dévorations et y a consacré sa vie. L'appariement insolite des deux collections, tellement opposées dans leur caractère, entre érudition pointue et décoration poussiéreuse, forme le manifeste d'une solitude irréparable.
    Nous repartons, convaincus davantage qu'une bibliothèque est un patrimoine vivant qui se partage.

  • Plus de pression

    Depuis quelque temps, mon éditeur me transmet les éloges et enthousiasmes de libraires, de journalistes (notamment d'un bord politique opposé à mes convictions), d'écrivains, à propos de mon dernier roman. Les invitations affluent, pour des salons du livre, des rencontres, des invitations privées même, à la table d'auteurs prestigieux. Je devrais m'en réjouir, évidemment, mais l'angoisse de telles perspectives dépasse de loin la satisfaction que je pourrais en retirer. La peur horrible de décevoir, que des esprits plus fins que le mien découvrent une imposture, s'exclament, désolés : « le roi est nu ». Et d'ailleurs, de roi, il n' y a pas.

  • Préhistoire

    Travaillant sur la période révolutionnaire, je découvre au fil de mes recherches que je fouille incidemment les vestiges du passé des protagonistes de mon « Affaire des Vivants », située un siècle plus tard. Ce qui les explique, en fin de compte, et que j'ignorais moi-même. C'est troublant.

    Et, une fois de plus, le bonheur incroyable de disposer d'une bonne bibliothèque domestique. Dans la minute, une vingtaine de livres, présents, dociles, offerts, sur le sujet. Une bénédiction.

  • La raison du plus fort

    Cela faisait plus d'une heure que le gringalet contredisait le colosse accoudé au comptoir, avec un aplomb et une condescendance agaçants. Quand soudain, le géant se répandit en larmes en disant "Oui, j'ai tort, c'est vrai, tu as raison !", les clients du café eurent collectivement une sorte de soupir dans lequel on pouvait deviner un vague regret.

  • Cela dit, sans prétention aucune

    C’est un mystère, ça, tout de même. Comment, dans un cerveau à peu près normé tel que le mien, peuvent s’échapper des formes qui me dépassent, qui m’enseignent des idées, neuves pour moi-même ? S’il y a une réponse, je serais tenté de la trouver tout simplement dans le temps de maturation extraordinaire qu’est celui d’un texte littéraire. A force de se pencher sur chaque virgule, de réfléchir à l’attitude du moindre personnage, d’entrer dans sa vie et dans ses émotions, à force de revenir et revenir sur une idée, jour et nuit (blanche), des heures et des heures sur une phrase parfois, sur une bribe, un embryon d’idée qui vient de nous traverser, il me semble que nous finissons par produire une pensée plus élaborée que celle qui, d’habitude, nous sert à communiquer avec les autres. C’est peut-être pour cela aussi, qu’un auteur n’a pas toujours les clés pour expliquer son œuvre. Parce qu’elle est issue d’un autre, meilleur que lui-même.

  • Questions de temps

    Il fait chaud ou il fait froid, ou il fait lourd. Quel besoin avons-nous de consulter le thermomètre ou le baromètre ou un outil de cette nature pour connaître la température ou la pression atmosphérique, c'est-à-dire combien il fait chaud, combien il fait lourd ? C’est humain, sans doute.

    Comme cette histoire de température ressentie : comment s'y prend-on ? On fait un sondage ? Monsieur Machin, pour vous, là, il fait combien ? Madame Truc, à votre avis ? Y a-t-il un outil scientifique de mesure du ressenti ?

  • A l'origine

    Kronix est en vacances. Il ressort les bains de soleil et aère les fonds de tiroir.


    Il ne vous aura pas échappé que, contrairement à la hutte primitive ou à la grotte, la maison d'habitation toute en lignes droites, est absolument contraire aux formes de l'homme. Ne cherchez pas plus loin la source de notre mal de vivre.

  • Coup de tête

    Kronix est en vacances. Il ressort les bains de soleil et aère les fonds de tiroir.


    La première tentative pour jouer simultanément au même endroit avec le même orchestre : le chant des partisans, ça plane pour moi, l'allegro de la neuvième de Beethoven, un menuet de Lulli et Night Train de Glass, se solda par un échec. Quand l'émeute fut calmée, on interrogea les organisateurs pour savoir ce qu'ils avaient voulu tenter là. Aucun ne sut expliquer ce qui les avait poussés à vouloir pareille expérience. A peine l'un d'entre eux crut-il se rappeler que, le jour de la mise au point du programme, ils avaient un peu bu, mais c'est tout.

  • Zoo

    Kronix est en vacances. Il ressort les bains de soleil et aère les fonds de tiroir.

    Si cela faisait rire les enfants, les parents trouvaient très pénibles les efforts de l'éléphant pour se déconstiper avec sa trompe.

  • Le grand jeu

    Kronix est en vacances. Il ressort les bains de soleil et aère les fonds de tiroir.

     

    Faute de moyen, le directeur du parc avait dû renoncer au Grand-Huit pour se payer tout de même un Grand-Cinq, mais il projetait déjà la construction d'un Grand-Six pour la saison prochaine.

  • Polysémie

    Le travail sur Pasiphaé est lancé, concrètement cette fois. Décors et costumes sont en cours de conception, le choix des comédiens sera confirmé en septembre et les répétitions pourront commencer à la fin de l'année pour les premières représentations en janvier 2015.
    C'est un étrange destin pour cette pièce, déjà vieille de quatre ans, dont l'écriture était alors imprégnée de l'écho du ou des printemps arabes, avec cet enthousiasme iréniste que fait naître toute aspiration populaire à plus de liberté, à plus de jeunesse, à plus d'oxygène. Puis sont survenues, plus proches, les manifestations « pour tous », le fourre-tout des bonnets rouges, etc. Un questionnement sur la légitimité des populations à réclamer tout et n'importe quoi, a peu à peu corrompu les teintes de mon tableau. Une autre lecture s'impose. Et je m'aperçois avec satisfaction que la pièce autorise de telles nuances, que le propos est entre les mains du metteur en scène qui pourra, selon le moment, la synthèse qu'il aura faite de l'histoire récente, traduire un sentiment actuel sur les revendications populaires. Aucune raison que ce ne soit plus le cas dans dix, ou vingt ans. Ce qui signifie, en ce qui me concerne, qu'au moins un des aspects de la pièce est réussi.

  • Aperçu

    "Ce n'est que cela, c’est cela tout de même, les dorures, c'est cela, des mots lui reviennent, qui disent l'endroit, les tapisseries, les meubles, les tentures, c'est cela mais est-ce bien ce grand pan à motifs de soldats qui s'enlacent, une tapisserie ? est-ce bien cette énorme image de roi juché en haut d'un escalier au milieu d'une foule chahutée de couleurs, un tableau ? Les échos de ses pas dans le palais, plus loin, le silence des lieux, le frottement de ses semelles sur le parquet, les vitres brisées, le vent qui entre. Personne. Et puis quelques fantômes dépoudrés, sans livrées, mal réveillés, blafards."

     

    Le reste, ce qui précède, ce qui suit, dans cinq ans. Ehé.

  • Le temps trouvé

    Quand j'ai quitté mon emploi, je pensais que j'aurai enfin du temps pour écrire. Je me trompais : j'ai enfin du temps pour ne pas écrire. C'est-à-dire du temps où rêver l'écriture.

  • Punctum

    Je n'aime pas l'histoire, je déteste le travail de la phase documentaire, je dois surmonter une paresse énorme pour compulser les dizaines d'ouvrages nécessaires pour me faire une petite idée du temps que j'explore. Moi, tout ce que je veux, bon sang, c'est écrire. Pourquoi alors une telle entreprise ? Peut-être que je sais ce qui se profile là-bas, au terme de la recherche : un plaisir démultiplié de me coltiner à une langue, un monde, un ailleurs qui m'oblige à penser, écrire de façon neuve. Oui, je suppose que c'est cela, l'enjeu véritable.

  • Au fond

    On a beau s'être déjà tenu maintes fois, bras ballants, devant un rectangle creusé dans la terre, on ressent comme neuve l'impression que c'est tout de même vertigineux, la somme de toutes ces années, résumée à une caisse de bois. C'est de cela dont nous sommes inconsolables.

  • Homme et humus

    L’homme s’est longtemps considéré -étant seul juge- comme l’aboutissement de la création, et les mots témoignent de cette ambition. Revenons dans le passé lointain pour dépoussiérer la racine indo-européenne Ghiom, la terre. Les Grecs y puisent le mot khtôn de même sens, qu’on retrouvera dans chtonien et autochtone. Les latins fabriquent un « homo », littéralement « né de la terre » (idem pour l’Adam hébreu, issu également du sol), dont on retrouve la facture terrienne dans l’humus et aussi, souvenons-nous en, dans l’humilité. Le genre humain, lui, est entièrement représenté, le savez-vous, quand vous dites ou écrivez « on ». Car dans « on » il y a l’ « homme ».
    Grecs et latins ont puisé dans le Ghiom indo-européen (terre), leur khtôn et homo (voir plus haut). La logique inverse est possible : le Wiro indo-européen qui désigne l’homme en tant que principe masculin, a abouti au world anglais et au welt allemand : le monde. Il reste encore un peu de l’humain wiro dans le werewolf (le loup-garou anglais), dans la virilité, la virago et même la vertu (du latin virtus, courage, force). Enfin, une autre racine : Ner, le guerrier, a donné les préfixes andro et anthro, et les prénoms André (viril) et Alexandre (qui protège les hommes).

  • Panique

    Et d'ailleurs, comment on commence un roman, comment ça s'écrit, qu'est-ce qu'il faut faire ? C'est la première fois que je ne suis plus dans l'évidence de l'écriture, de la première phrase qui entraîne toutes les autres. C'est la première fois que je connais l'impuissance. C'est très désagréable.

  • La langue du temps

    J'ai commencé un voyage vers le XVIIIe siècle. Cadre d'un nouveau roman qui, comme « L'Affaire des vivants » (ou comme le livre tant attendu de certain confrère), va me demander quelques années de travail. Bien sûr, j'aimerais que d'autres romans soient publiés entre ces deux ouvrages pour ne pas être catalogué comme romancier « historique » mais, vous savez, les lois de l'édition...
    En attendant, j'ai imaginé approcher de ce passé par le seul moteur de la langue, des mots qui servaient à dire le monde à l'époque. Déjà, des petits bijoux s'exhaussent de la terre que je refouille. Quant au sujet, il est trop tôt pour l'évoquer, mais je peux vous assurer que jamais la Révolution française n'aura été décrite de cette manière. Le meilleur moyen d'être sûr de parvenir au bout d'une machine de cette ampleur, est encore d'être excité par l'enjeu littéraire qui l'a inspirée. C'est le cas. Dans un an, pas avant, je vous donnerai quelques clés de ce nouvel opus.

  • Dans la nuit

    Viens que je te console, viens contre moi, ma douce. Ma douce orpheline.