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  • Fumant

    Qui avait jamais goûté son sens de l'humour ? En tout cas pas nous, qui prenions connaissance de son testament où il disait vouloir « être incinéré et donner [ses] organes » à condition que ce soit « dans cet ordre-là ».

  • La main sur le téléphone

    Trois manuscrits chez les éditeurs. Autant de fois l'attente et une sorte de dépression qui mord. Persuadé d'avoir osé proposer le pire, de ne pas avoir assez travaillé, qu'un retard d'une journée dans la réponse augure d'un refus embarrassé. Ça fait aussi partie du métier. Et c'est le plus pénible.

  • Amnesty local

    De quoi ne me suis-je pas indigné aujourd'hui ? Mes ancêtres s'indignaient-ils pareillement ? Le fait d'ignorer les souffrances lointaines rend-il insensible aux drames impalpables ou exagère-t-il les contrariétés proches et tangibles ? Les souffrances anonymes relayées par des voix vigilantes sont-elles des abstractions et alors, pourquoi ajouter ma propre voix au concert des protestations ? Et si je fatigue, si je ne m'indigne pas aujourd'hui, si je ne pétitionne pas pour telle cause, quelle est la raison de cette paresse, de cette démobilisation ? En quoi la souffrance de ce condamné m'est-elle plus intolérable que celle de cette journaliste ? Quel est mon droit, où se situe mon devoir ? Il faut parfois s'appliquer à soi-même un moment d'amnistie.

  • Géo-stratégie

    Il nous révéla que les côtes du Finistère avaient été dynamitées pour leur donner ce profil de fourchette (« un peu ratée » admit-il), et signaler ainsi aux voyageurs venus de l'ouest la terre de gastronomie où ils débarquaient. Quelle chance nous avions d'avoir un tel professeur !

     

    (Le genre de billet qui surgit dans la nuit, entre les rêves, et dont je suis persuadé alors qu'ils sont excellents. Le matin, j'en suis moins sûr. Mais bon.)

  • Juste à temps

    Nous lui confions notre manière de vivre, le pain que je fais, les lectures que nous nous faisons l'un à l'autre, nos alanguissements en bord de Loire. Elle éclate de rire : « Mais c'est le XIXe siècle ! » Il me semble pourtant que nous sommes parfaitement modernes, voire un peu en avance.

  • Note sur "Mausolées"

    Une note de Marielle Gillard, responsable de la Médiathèque de Gilly (bon, d'accord, aussi quelqu'un de généralement bienveillant à l'égard de mon travail, mais enfin qui n'est pas du genre à faire des courbettes pour autant), sur Mausolées:

    Nous sommes en Europe, après « les conflits » en lutte contre les mafias et où un tiers de l’humanité a disparu. A quelle époque ? Libre au lecteur, selon son optimisme, à situer l’histoire dans ce siècle ou non. Léo Kargo, jeune écrivain, débarque à Sargonne, commune libre de cette Europe ralliée, sur la demande du richissime et controversé Pavel Adenito Khan, grand héros nés des conflits. La mission de Léo Kargo, dont il s’étonne lui-même : s’occuper de l’immense collection de livres de l’une des dernières bibliothèques au monde. Monde où l’on reproche aux livres de trahir et la littérature de ne servir à rien. Monde où les enfants sont en voie de disparition et où beaucoup d’adultes ont contacté la maladie des conflits, un vieillissement prématuré. Léo comprend vite que sa mission ne doit rien au hasard, au fil de ses rencontres improbables : un veilleur de nuit coprolalique, des femmes envoutantes, un expert et conseiller intrigant, une énigmatique créature mi-femme-mi-machine …

    Roman de science-fiction ? Polar ? Roman d’aventure ? Roman hors genre ? Hors normes ? Je me risque malgré tout, sans vouloir l’enfermer, à le nommer roman épique. Parce qu’au-delà de l’histoire à rebondissements qui nous emmène jusqu’à nous perdre, ce roman a une dimension fondatrice essentielle. « miroir de notre époque troublée » nous dit la quatrième de couverture ; nous pourrions ajouter « miroir de nous-mêmes » : Le lecteur, pris au piège, pourrait faire partie intégrante de la galerie de personnages qui peuplent ce roman… Personnages nés du chaos, monolithiques ou thérianthropes, impressionnants ou troublants, prisonniers de leurs corps, effrayants ou magnifiques, aux noms qui convoquent notre imaginaire et nos sens …Tous sont décrits avec minutie, sauf Léo Kargo, reliés à chacun d’eux, personnage fil rouge, fil d’Ariane, fil de l’histoire, fil tendu entre les siècles au hasard de ses découvertes livresques…Tissage méticuleux, allégorie de ce que pourrait être une bibliothèque idéale.

    « Mausolées » est un roman gigogne, labyrinthique, où la vérité, le bien, le mal s’opacifient au rythmes des trahisons, des morts impromptues…leurres et

    illusions font le terreau de l’histoire et on a hâte de découvrir le dénouement… de découvrir la vérité, tangible . Mais existe-t-elle ?

    Roman visionnaire dont la lecture nous glace ou nous révolte, nous interroge et nous préviens d’un possible : le chaos. La date charnière de « mai …16 » , la paralysie du monde suite à un virus informatique, arme de guerre, la barbarie qu’elle engendre , fait froid dans le dos …

    Roman graphique où l’esthétique architecturale s’accorde avec l’histoire, les personnages : dédales baroques où l’on se perd. Rues sans issues, cours des miracles, bâtiments mégalomanes. Fac-similés. Bibliothèque, lieu refuge ou de perdition. Architecture vivante : ressort poétique du récit.

    Roman mathématique, aux équations insolubles : intelligence, barbarie, culture, médiocrité, humanisme… Doubles jeux, sur l’échiquier du « palais des fous » et des relations humaines…

    Roman sensuel, où les corps se jaugent, se mêlent, appellent à la vie.

    Roman mythologique qui convoque le minotaure, Ariane, Ulysse, et Europe. L’auteur, familier des mythes, doit s’être délecté…

    Roman philosophique qui questionne notre rapport au temps, notre place dans le monde, notre légitimité de démiurge face à la science, et où la quête du « sens » (livres, littérature, existence) est obsessionnelle ; On pense à Camus, Sisyphe et la phrase sibylline du « pont de Ran Mositar » de Franck Pavloff : « le monde est illisible ».

    Enfin, comme une échappée possible pour nous lecteurs, une mise à distance, ce roman emprunte au théâtre ses coups, ses actes, ses monologues, ses apartés, son quatrième mur et le rideau qui tombe à la fin. Mais l’auteur n’entendra pas nos applaudissements muets, car nos bras, comme ceux de lilith, femme tronc, nous seront tombés…

    Un roman riche, puissant, d’une grande maitrise, indispensable mausolée de nos certitudes : Et si c’était ça la littérature ?

  • Battre des mains

    Je vais vous dire ce qui ne va plus : qu'on perde ou qu'on gagne, les gens ont cette détestable manie d'applaudir. Comme si les oppositions n'étaient que de parade. Certes, on applaudit la victoire dans un cas, et le combat livré malgré tout dans l'autre, mais au fond, on applaudit quoi ?

  • Languide du routard

    D'aussi loin qu'il parte, aussi loin qu'il aille, le voyageur ne rencontre jamais que deux catégories d'individus : d'autres voyageurs, qui ne lui apprennent rien, et des gens immobiles, restés fixés à leur terre, et qui lui disent ce que son voisin aurait pu lui confier.

     

  • Restons simples

    La réception commencera par un rappel de vos crimes, puis il y aura le témoignage d'une de vos victimes et, après une visite des camps et des charniers, la soirée s'achèvera par un son et lumières des ruines de la dernière ville que vous avez bombardée. « Mouais, je ne sais pas... » maugréa le dictateur, qui n'aimait pas les hommages trop ostensibles, même pour son anniversaire.

  • Bougel en chasse-patate

    Chaque année désormais, l'équipe de la médiathèque de Gilly-sur-Isère me laisse carte blanche pour inviter un auteur. En 2013, Laurent Cachard avait essuyé (fort bien) les plâtres. Pour 2014, ma première idée était de présenter des éditeurs, car les rencontres public/éditeurs sont rares en médiathèque, tandis que les venues d'auteurs sont (presque) monnaie courante. J'avais imaginé présenter le beau travail de deux maisons de la région grenobloise : La petite fabrique et Pré#carré. La première ne pouvait pas se libérer à cette période. Focus, donc, sur Pré#Carré (ne pas oublier le dièse, qui forme, dit son fondateur Hervé Bougel, un carré qui se prolonge). Entre-temps, Hervé Bougel a le bonheur d'être édité à La Table Ronde, prestigieuse maison qui fait partie de la non moins prestigieuse maison Gallimard, et nous avons donc choisi de nous attarder davantage sur l'auteur que sur l'éditeur.
    Rappelons tout de même que Pré#Carré est née il y a plus de dix-sept ans, Hervé Bougel reprenant le flambeau laissé par Roland Tixier, poète et éditeur également, fondateur d'un mythique Pré de l'Âge dont Bougel fut le dernier auteur publié, justement. Depuis, Pré#Carré fonctionne principalement sur abonnement et produit quatre fois l'an un de ces précieux recueils aux couvertures somptueuses, réceptacles d'une poésie souvent débarrassée des séductions et effets propres au genre (« on va pouvoir dire 'il neige', quand il neige » dit l'un des auteurs, ce qui résume bien l'intention). Mais c'est donc plutôt l'auteur que le public de Gilly a écouté vendredi soir. Après un rappel de ses ouvrages précédents, dont je ne connaissais que les derniers sortis : « Travails » et « Les Pommarins », Nous avons pu évoquer ensemble « Tombeau pour Luis Ocaña », tout juste sorti ce mois-ci. Le récit en 71 chapitres courts (71 comme 1971, l'année de la chute, puisqu'il s'agit du récit d'une chute) de la vie du champion cycliste. Bougel a choisi de saisir « L'Espagnol » au dernier jour de sa vie, en 1994, dans ses vignes, un flingue à la main. De lui faire raconter enfance, épreuves, triomphes et chute, depuis ce moment et à la première personne. Point épineux, ce choix de la première personne. Gonflé. Il a fallu des années de réflexion à l'auteur pour tourner autour de l'idée et finir par décider que c'était la seule solution. Une décision logique car Hervé Bougel admet que, finalement, ce Tombeau est son livre le plus personnel et que, d'une certaine manière, il entre pleinement dans un projet autobiographique mis en chantier depuis peut-être « Osram Osram » et de plus en plus évident avec les ouvrages précédents, dont je parlais plus haut.
    Bougel sait de quoi il parle. Cycliste lui-même, la montée d'un col a inscrit dans sa chair, définitivement, ce qu'il y a de souffrance et de dépassement de soi dans l'épreuve, et rend sèche et vraie l'évocation de la dureté de la route, des poings fermés sur le guidon, le goût du sang. Il n'est pas nécessaire de connaître ce sport pour apprécier ce livre, j'en témoigne, et le récit est celui d'un homme autant que d'un champion. D'un homme, fils de l'homme, héritier d'un sang, d'une fierté, d'un orgueil, arrogante. Un homme marqué par le destin, décidé très tôt à la vue d'une de ces magnifiques machines, émerveillement de l'enfance, avec laquelle il fera corps et qui, abandonnée un jour, laissera une chair sans vraie colonne, démunie de ce qui le faisait se tenir fier.
    A Gilly, le Théâtre du Sycomore a entonné avec conviction et à deux voix les mots venus du Tombeau, paroles de spectre toujours incarné, orgueil encore une fois, regrets, pardon... Lecture émouvante qui ôtera les mots des lèvres de leur auteur ce qui, de son propre aveu, est exceptionnel.

    La rencontre à Gilly se clôt toujours par un repas convivial entre participants. Il faut tout de même que je précise le joli prologue que Marielle, responsable de la Médiathèque, avait imaginé : déçue (comme moi), de l'absence de Mausolées dans la dernière sélection Lettres frontière, elle m'avait préparé une petite surprise. Je peux me vanter d'être le seul auteur lauréat du pris « Pomme », « le fruit le plus populaire à la chair élégante », dans l'idée qu'il me porte chance « sur le long et laborieux chemin de l'écriture ». Si je n'ai pas d'autres pépins, ma foi, c'est tout le bien que je nous souhaite. Le prix était concrétisé par une très jolie pomme découpée dans des pages balzaciennes et trône actuellement sur une étagère de la bibliothèque du bureau. Merci à celle qui l'a réalisé. Je suis très touché (et conscient du privilège).
    Je publierai dans les jours qui viennent le ressenti de Marielle sur Mausolées.

    Le titre de cette chronique est inspiré d'une revue publiée par Pré#Carré, dont le nom est une expression du milieu cycliste. Se trouver "en chasse-patate", c'est être trop loin derrière les premiers pour les rattraper et trop loin devant le peloton pour bénéficier de son élan. Isolé ainsi, le cycliste prend tout le vent, rame et rumine. La destinée du poète ?

  • Retour à Gilly

    J'arrive un peu tard pour en parler (un retard qui ne doit rien à la SNCF, mais à une invitation supplémentaire que j'ai voulu honorer), mais demain, je publierai un aperçu de la soirée du 20 juin, à la Médiathèque de Gilly-sur-Isère. C'était, comme d'habitude, chaleureux et authentique, et Hervé Bougel a été impeccable.

  • Carte blanche

    Ce soir, à partir de 18h30, vous êtes cordialement invités à nous rejoindre pour une soirée riche en événements, avec : la présentation des 10 heureux élus de la 21e sélection Lettres Frontière, la séance de rattrapage sur Mausolées, qui n'a pas franchi la barre ultime mais tant pis, et la venue en chair et en voix d'Hervé Bougel, éditeur (le Pré#Carré éditions) et auteur (pour son dernier ouvrage « Tombeau pour Luis Ocana »). C'est à la Médiathèque de Gilly-sur-Isère que ça se passe et tout cela en excellente compagnie, je vous assure.

  • Avant, après

    Petit à petit, par cercles concentriques allant du plus large (la majorité de la population) au plus étroit (les fameux 0,001 % de possédants), la paupérisation gagnera avec l'accentuation de la pénurie des ressources. Le travail ne sera plus un droit, mais un luxe, exercé par des familles patriciennes. Le reste de la population sera une masse grandissante de survivants, en général désespérés, violents et suicidaires. Les États seront anémiés et relayés par des pouvoirs de baronnies. Après un pic démographique dans les années 2050 où la concentration urbaine aura connu son maximum, la baisse drastique de la natalité pour des raisons économiques et la stérilité humaine feront sentir leurs effets de façon de plus en plus patente. Les élites auront, un temps encore, la capacité de recourir à des procédés artificiels, mais cela concernera si peu de gens que la tendance générale ne s'en trouvera évidemment pas inversée. Tout sera pollué, l'air, les mers, les rivières, les plantes, absolument tout. Il ne sera plus possible de trouver de la nourriture saine, même pour les plus riches. Les grandes épidémies réapparaîtront et la majorité de la population sera atteinte d'une variété inédite de cancers. Les malades sans moyens, les handicapés, les vieux et les attardés seront rendus coupables de coûter cher et on les encouragera à l'euthanasie, dans un premier temps. Les crises économiques à répétition, les mafias, les grands mouvements migratoires et les guerres civiles auront eu raison des démocraties. Le totalitarisme sera la règle et l'on vivra dans une guerre permanente. Le post-humanisme triomphant donnera les clés théoriques pour autoriser de nouveaux génocides, des massacres préventifs, répercutés de cercle en cercle dans le même mouvement que la paupérisation, avec un léger décalage cependant. On tuera à l'arme blanche ou à la main, la pénurie rendant coûteux un armement plus efficace. Les espoirs qu'on avait placé dans les nanotechnologies, l'espace, l'intelligence artificielle, les énergies renouvelables, seront réduits à néant par les effets de la pénurie de ressources citée plus haut et dont l'ampleur n'aura été prise en compte par personne, par aveuglement ou peur peut-être, mais surtout parce qu'elle est inconcevable pour des esprits construits sur l'idée d'une flèche du progrès, aucun recyclage n'aura permis d'inverser la tendance.

    Ce qui nous fera un joli cadre pour planter l'action de la préquelle de Mausolées.

  • Des mots pour l'avenir

    "La démocratie, c'est bien, mais sans élections, c'est plus sûr". Korjakov à Boris Eltsine, cité par Emmanuel Carrère dans "Limonov". Excellent bouquin.

  • Un peu d'autosatisfaction

    Lucifer-Elegie.JPGC'était la jolie surprise de l'an dernier, quand Jackie Platevoet, responsable des éditions Sang d'Encre et poète elle-même, me demanda si j'avais des textes pour elle. C'est toujours une grande émotion d'être voulu, sollicité, apprécié au point qu'on veuille des textes de vous. Au cadeau initial, s'ajouta celui de la participation de Corie Bizouard. L'artiste ne s'est pas contentée de sortir quelques images de ses fonds de tiroir (nous sommes dans une économie de la petite édition, et c'est tout ce que Jackie pouvait oser proposer), mais elle a pris les sujets à bras le corps, a élaboré une belle série de dessins et peintures, expressément dédiés à « Lucifer Elégie » et à « Nos Futurs », pour cette belle édition. Beau papier, format agréable, jolie mise en pages, typographie classieuse, reproductions de bonne qualité.
    Voilà, c'est arrivé, c'est là, et c'est un fleuron supplémentaire dans mon parcours. Je suis très heureux.

    Sauf incident, un petit événement (exposition, musique, lecture) aura lieu à la Médiathèque de Roanne en septembre pour présenter cet opus. Je vous tiens au courant, bien sûr.

  • Ce que je n'oublie pas

    Un repas paysan dans « La grande Beune » de Pierre Michon.

    Michon encore, jeune, récitant « La Ballade des pendus » au chevet de sa mère juste décédée. Dans « Corps du Roi ».
     
    Le début de « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf
     
    « L'obscurité du dehors » de Mc Carty, une scène proche de la fin, impossible à raconter, même en résumé. 
     
    Le repas des mercenaires, dans Salammbô. Embarquement immédiat pour l'antiquité fantasmée de Flaubert. Sons, couleurs, odeurs. Dépaysement garanti dès la première phrase. Un modèle d'entrée dans une fiction.
     
    A Villequier, de Hugo ; le père Totor en flagrant délit de sincérité. Le meilleur de sa force et, enfin, un peu de simplicité.
     
    La fin de Lorenzaccio, de Musset. La lucidité d'un auteur de 24 ans !
     
    La scène du récital de piano dans « trois hommes dans un bateau ». Et un fou-rire inextinguible, qui rendit presque impossible la lecture à haute-voix que j'avais entreprise pour ma femme, à l'époque. 
     
    La scène du choeur des russes dans l'usine, chez Cavanna dans « les Russkofs ».
     
    La mort d'Emma dans « Madame Bovary » (tiens, encore Flaubert).
     
    Le premier repas chez Mme Verdurin, dans « la recherche », ou une bagarre de Saint-Loup avec un homme, à la sortie d'une réception. La drôlerie de Proust, qu'on ne dit pas assez. Ou sa curiosité pour les abîmes, évidente dans ce passage où un homme est l'objet de tortures mentales de la part de sa fille lesbienne et de sa jeune amie. Je crois que c'est dans « du côté de chez Swann » mais je ne suis plus sûr. Enfin, sa lucidité, tout entière résumée par la dernière phrase de « Du côté de chez Swann ». Là, je suis sûr.

    Conan en bateau, remontant un fleuve couleur pourpre au sein de la jungle émeraude.

    La ruse insensée de Cortés dans un village où il a retenu des dignitaires aztèques, et joue sur au moins trois tableaux différents, simultanément. Un culot incroyable, à se taper le front d'incrédulité. Et pourtant. C'est dans « La Conquête du Mexique » de Bernal Diaz del Castillo.

    Delphine de Vigan entrant chez sa mère, évitant de comprendre qu'elle vient de se suicider, dans « Rien ne s'oppose à la nuit ».

    La scène finale du « Pendule de Foucault » d'Umberto Ecco.

    La visite au musée dans « Ladivine » de Marie N'Diaye, quand la réalité perd pied, que décidément quelque chose ne va pas.

    La première nouvelle de Pierre Péju dans « Naissances ». Trop dure à raconter.

    L'interrogatoire sous sérum de vérité de « La question » d'Henri Alleg

    L'angoisse des prisonniers dès le premier étage de « Enfer vertical en approche rapide » de Brussolo

    Dans le fourgon, Perry se met à raconter la nuit du massacre de la famille Clutter. Les mots simples de l'horreur, dans « De sang froid » de Truman Capote.

    L'accouchement de la sœur de Colette dans « La maison de Claudine » écoutée à distance par sa mère, qui se tord les mains, souffrant par procuration.

    Ugolin raconte à Dante comment, emprisonné avec ses enfants, il a dû se résoudre à les dévorer. C'est « L'Enfer », en effet.

    Une scène de « Truismes » de Marie Darrieussecq. (Non, je déconne)


    Bon, j'arrête là. Marre. Il y en a tant.

  • Faire le métier

    TombeaupourLuisOcana.jpgIl y a 20 ans, le champion cycliste Luis Ocaña se donnait la mort. Je dois avouer que je n'en ai rien su, car je me tenais à l'écart (à l'époque et encore aujourd'hui) de tout ce qui peut ressembler à un vélo. Comme dirait l'homme qui choisit sa fin au milieu de ses vignes, « j'en demande le pardon ». En tout cas, grâce à Hervé Bougel, le champion espagnol revient au jour, cara el sol, marche un peu sous le ciel de Caupenne-d'Armagnac, médite et remâche triomphes et chutes à la première personne.
    Un Tombeau est un hommage. Voici un bel hommage, « or-ga-ni-sé » en 71 courts chapitres, clé mathématique qui se réfère à l'année de la chute du champion dans un fossé de boue noire, sous un orage d'apocalypse, chute qui l'empêcha de gagner le Tour de France cette année-là. Il gagna celui de 1973, ouf. Je suis rassuré. Beaucoup plus tard, Luis dépose le vélo, sort les pieds des cale-pieds, décroche le dossard, c’est fini, il n'en peut plus, il n'est plus champion depuis longtemps mais son corps a semble-t-il décidé d'arrêter la course. L'arme au poing, Luis contemple ses vignes, se revoit, enfant, découvrant un garçon sur une bicyclette d'un gris étincelant. Il est alors saisi par l'élégance et la souplesse du jeune coureur, et plus encore, ébloui par la beauté de sa monture. Un choc esthétique peut-il décider d'un destin ?
    Le petit bûcheron qui suit les traces de son père, échappé au franquisme, qui est tellement de son sang, pareillement dur au mal, devient un champion. Et, champion cycliste, courbe son corps comme la tilda qui couronne son N et arpente les routes de l'épreuve-reine de cette discipline : Le Tour de France. Un monstre l'attend, Merckx, le Belge, le monstre, le grand con, la bête à abattre. Du mépris pour cet adversaire de haut vol ? Probable qu'il en a eu, puisqu'il a donné son nom à son chien. Mais de cela, comme d'autres broutilles, Ocaña demandera le pardon en cet ultime jour de 1994.
    Le duel, les duels Merckx-Ocana, le Belge jamais nommé contre celui qui restera dans le cœur des foules, « L'Espagnol », donnent d'ailleurs le meilleur du livre, on sent la rage. Bougel excelle dans la description physique de la hargne. C'est un énervé, Hervé. La lutte est âpre, on s'observe par en dessous, roue à roue, dos raidi, tension du regard, tension des rayons, le paysage devient fluide, et le vent est cet élément « dans lequel il faut s'engager », Luis s'engage en course comme Hervé en poésie, c’est un combat aux poings, c'est comme ça qu'on le voit, qu'on le ressent, ça va saigner. Le routier Ocaña est à sa place, il « fait le métier » et on pourrait se dire que voilà l'obsession de cet auteur, le thème sur lequel il revient sans cesse, en O.S. qui peaufine l'ouvrage : le métier, la langue du labeur, le vocabulaire des corps coltinés au travail. Je remarque, je n'en suis pas sûr, mais il me semble bien, qu'il y a chez Hervé Bougel, un incessant désir (mais un effroi aussi, sans doute) du retour à l'atelier. Ce n'est pas que la moindre pièce ait un défaut, mais il n'a de cesse de réviser l'ouvrage, en maniaque.


    Nous tenterons d'éclaircir ce point, et d'autres, d'évoquer le parcours de cet écrivain singulier, de son travail d'éditeur, le vendredi 20 juin à partir de 18h30, à la Médiathèque de Gilly-sur-Isère, dans le cadre des « cartes blanches » dont cet établissement m'honore depuis maintenant trois ans.


    Tombeau pour Luis Ocaña, Hervé Bougel, La table Ronde, 100 pages (à peu près, riche idée de ne pas folioter, merci !), 12 euros.

  • L'insécurité, c'est maintenant.

    Dans ma ville, la peur règne. Des types se promènent impunément dans les rues avec des armes mortelles. Que ces types soient des policiers municipaux ne me rassure absolument pas.

  • Flippant

    Le port du masque de plongée, incompatible avec celui des lunettes de vue, est la cause de maintes méprises. Car autant le dauphin tolère caresses et chatouillis sous le ventre, autant le requin les abhorre.

  • Frontière du rêve

    L'orage cette nuit, un vaste marteau qui assomme la terre. La maison dans mon demi-sommeil, un cube compact, résistant sous la force de cette averse de plomb. L'idée vague d'un ensevelissement sous la poitrine noire d'un colosse absurde.