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  • 3231

    Avril sous les cris d'hirondelles, avait éclairé le jardin de promesses, les cerisiers coiffés de fleurs, les muguets en avance, les bosquets criblés de bourgeons, tout resplendissait. Et puis le gel franc en deux aubes, et puis la grêle d'un soir, avaient abattu ces plaisirs à venir. Il n'y aurait pas de cerises cette année, elles étaient éparpillées dans l'herbe, vertes et avortées, minuscules, sous la coupe du feuillage haché prématurément. Mai venu claironna un solo cuivré de thermidor cette année-là. On ne travaillait dehors qu'à la fraîche, on préférait à midi manger dans la pénombre des maisons mais on dînait dans le jardin bien sûr, on s'attardait avec les amis dans l'obscurité en riant, on laissait le soir mourir sur les épaules, on ne se couvrait pas. Les nuits furent clémentes. Mado et Léo, quand ils étaient seuls, s'offraient des heures également alanguies, leurs paroles, voix feutrées sous les arbres, tournées vers le couchant. Voix assourdies au point que les verdiers excités submergeaient leur échange. « On est heureux » se disaient-ils. La phrase revenait souvent, et souvent après un long silence, pas pour le rompre car ils n'en étaient nullement gênés, mais comme une réponse à leur bonheur incrédule. Ils se faisaient un devoir de se rappeler combien était précieux leur mode de vie. Ils vivaient dans le luxe de ceux qui ont renoncé à l'abondance pour savourer le temps.

     

    Extrait de Mado. Roman en cours d'écriture.

  • 3230

    Revenir au cœur des hommes
    où les secrets patientent
    Et opérer sans anesthésie

  • 3229

    Longtemps, chaque évocation du Viet-Cong a été pour moi étrangement imbriquée au souvenir de l’éclaircissement de l'expression « à foison ». Comment expliquer ce rapprochement ? J'ai le souvenir précis du moment où j'ai appris certains mots ou certaines expressions. Pour « à foison », j'étais chez ma grand-mère paternelle. Nous y faisions une halte après l'école, mon frère et moi. J'ai moins de dix ans, peut-être à peine neuf. Elle nous fournit en bandes-dessinées. C'était avant Strange, Marvel et consorts. Nous lisons alors les BD des éditions Monjournal, productions de qualité erratique pleines de Zembla, de Yulma, Akim et autres Blek le roc. Là, il s'agit de G.I. enfoncés dans la jungle dans laquelle se trouvent des 'Viets' "à foison". Ma grand-mère explique, tout en faisant le ménage : « ça veut dire qu'il y en a beaucoup ». Et oui.

  • 3228

    Dans le jardin, autour d'eux, la terre berçait le flanc de fantômes légers. La bonne vieille chienne des parents de Mado, ronde, sédentaire, polissonne, riante, gourmande, un peu veule, amicale avec les chats domestiques, achevée par dose létale, endormie soulagée du mal qui l'étouffait. Couchée sous la bignone, mufle tourné vers la maison et vers l'ouest, vers la Loire, une perspective où porte le regard, comme un lointain désirable à hauteur de truffe. La bonne vieille chatte des parents de Mado, mécanique alentie jusqu'à l'enrayement final, trouvée endormie pour toujours, en rond dans une corbeille. Ensevelie au plus près de sa vieille copine, dans la posture que la mort imprima. Les deux très gros et très vieux chats de Mado, dont elle ne supporterait pas de raconter la fin, présents quelque part sous les lilas, en des places choisies, tombes aplanies, invisibles au regard, inoubliables pourtant.

     

    Extrait de Mado. Roman. Écriture en cours.

  • 3227

    J'ai passé une journée entière en compagnie du chien lubrique de nos invités. Tout le monde faisait mine d'ignorer la cour assidue dont la bestiole me rendait l'exclusif hommage. Sous la table, il s'agrippait à ma jambe ; si j'allais chercher du pain il me collait aux mollets ; si je m'isolais aux toilettes, il patientait à la porte, bave aux lèvres pour me sauter dessus à la sortie. A la fin de la journée, quelle ne fut pas ma joie de le voir me délaisser pour entreprendre la chienne des voisins et la violer considérablement, malgré les protestations et interventions des invités, soudain décillés.

  • 3226

    Traverser en train le dos tourné des villes avec leurs omoplates de tôle, de murs dépareillés.

  • 3225

    Tous promeneurs, avec la mort agriffée aux épaules. Au début, tant qu'on a de la force vive, on ne la sent pas ; elle est plus fine et légère qu'un voile de mariée. On n'y pense même pas. Et puis, avec le temps et les méchancetés qui s'accumulent, elle grossit, elle s'épaissit. Elle est là, enflée, lourde, ses dents plantées dans la gorge, sa langue mouillée de peur qui vous lèche la nuque. Alors, on commence à fléchir sous ce poids. On est cassé en deux, nez en avant sur son ombre. On fatigue ; elle grandit encore. Elle attend son heure. Des fois, les meurtriers prennent les devants. Et ça fait de la mort orpheline, qui cherche une autre vie. D'autres épaules à quoi se greffer. Reprendre l'attente, se remplumer, se refaire, éternellement. C'est de là que ça vient, la dureté de nos existences. J'ai fini par comprendre ça. Je la devinais sur nos épaules. (...) Les autres passaient sans rien comprendre, mais moi, je voyais ; les gestes des petits sont déjà embarrassés de cette présence, je le sais. Ils l'ignorent, mais je l'ai vue, la mort, posée comme un châle sur les épaules des enfants, déjà affairée à se nourrir de tout le mal qui nous entoure. Je la voyais lentement nous broyer. Et ça rend mauvais, ça. Parce qu'on ne sait pas, on ne comprend pas ce qui gêne ainsi nos moindres gestes ; on ne s'habitue jamais à porter ce fardeau. Et la colère et la rage qui nous font trembler de la tête aux pieds, c'est notre manière de secouer l'engeance de la mort pour s'en débarrasser. Nos vies sont faites de ces constantes ruades. Inutiles.

     

    Le sort dans la bouteille. Théâtre, 2017. Extrait.

  • 3224

    S'effacent les signes sur le clavier, érodés par l'infatigable épreuve de la saisie. Les lettres devenues indiscernables, les touches usées jusqu'à l'abstraction, les mots nés de cette fragmentation partis ailleurs, sur l'écran ou dans le papier, échange naturel, un évanouissement sous mes doigts pour une apparition sous les yeux d'un autre, un peu de matière plastique pour un peu de lecture. Le troc digital à la source des textes.

  • 3223

    Un salon du livre, c'est l'occasion donnée aux visiteurs de pouvoir enfin raconter leur vie. Que les auteurs ne soient pas là spécialement pour les écouter pourra les étonner, mais ne les découragera pas.

  • 3222

    Amis lecteurs, chères lectrices, Kronix suspend son activité (déjà erratique ces derniers temps) jusqu'à lundi. Je suis ce week-end au Salon du Livre de Villeneuve-sur-Lot, en très bonne compagnie.

    Ce jour, je vous suggère d'aller rencontrer Paola Pigani à la librairie Le Carnet à Spirales, à Charlieu. C'est à partir de 16h45, et je sais que ce sera bien (j'enrage de ne pas me trouver là, mais impossible de me diviser).

     

  • 3221

    Comment dit-on à son père : « maman est morte » ? On le dit ainsi, sur le ton qu'on voudra, il n'y a pas de bonne manière, il n'y en a pas de mauvaise. Les existences, dans cette histoire, éprouvent les drames en mode mineur. « Oh, elle est morte ? » Mado expliqua, ses paroles lui semblèrent étranges, elles décrivaient une scène à laquelle elle ne comprenait toujours rien, à laquelle il lui semblait n'avoir peut-être pas assisté. Le père ne réagit pas tout de suite. Son visage s'inclina, ses mains sur la couverture firent un geste de fatalité. Les pleurs viendraient plus tard, toute lumière éteinte. L'encombrement du souffle retint d'éventuelles effusions. Le père observa la salle où il passait ses journées, la télévision qui palpitait devant lui, l'obscurité triomphante du soir par les fenêtres. Il pensa Cette fois, c'est mon tour. Il commença à mesurer l'écrasante solitude qui saisit les derniers vivants. Il vécut un an après ce jour.

     

    Extrait de Mado. Roman en cours d'écriture.

  • 3220

    La clé des champs ouvre les portes dérobées.

  • 3219

    LECTURA+ est un portail numérique qui permet d'accéder aux fonds patrimoniaux écrits et graphiques des médiathèques de la région Rhône-Alpes-Auvergne. Nous sommes quelques auteurs à avoir été invités à produire un texte inspiré d'un document conservé dans un de ces fonds. Chaque texte est lu par un comédien ou une comédienne, à écouter sur la page dédiée : "Les Flashbacks du patrimoine". Les lectures sont accompagnées d'une version numérisée du document et d'une interview de l'auteur. La première mise en ligne est la lecture d'un texte de Viviane Perret sur History of the indian tribes of North America de Thomas Mc Kenney. Trois superbes volumes illustrés présents à la bibliothèque municipale de Grenoble.

    Suivront Alexis Jenni, Lionel Bourg, Emmanuelle Pagano, Carine Fernandez et Jérôme Leroy. Quant à moi, je vous signalerai quand mon texte sera en ligne. J'ai travaillé sur un document de la Médiathèque de Roanne : "Le balet comique de la Royne" (oui, balet avec un seul "l", la graphie du XVIe siècle).

  • 3218

    Je n'ai jamais connu le vertige de la page blanche, jusqu'à aujourd'hui. Je n'arrive pas à écrire en ce moment. Mes incipit s'exténuent après quelques pages. Expérience plus étrange qu'angoissante. Une des causes de cette impuissance réside dans la pratique de l'écriture elle-même. Pendant des mois, j'ai produit des textes dans le cadre d'un travail de rencontres, d'interviews, que je devais écrire assez vite. Des formes plus proches de l'article de magazine que du processus littéraire comme je l'entends quand j'entreprends un roman. Pour résumer, je crois que j'ai pris de mauvais habitudes. Par « mauvaises habitudes », je veux dire syntaxe peu imaginative, vocabulaire courant, moindre souci de la musicalité des phrases. Non par paresse, mais parce que ce mode sobre et lisible, direct, était le plus approprié aux contraintes objectives. Aujourd'hui, après l'équivalent de la production d'un court roman, décliné en portraits, en articles de fond, en pédagogie de l'histoire économique, élaborer un récit au fil de phrases dont chacune porte sa propre mélodie, son rythme, dont chaque mot est mesuré à l'aune double du sens et de la musicalité, est un exercice à réinventer. J'ai l'impression de repartir de rien. C'est extrêmement pénible. La solution, pensé-je : relire mes stylistes favoris. Réapprendre. Reconquérir le terrain perdu. Et se résoudre à éviter d'en perdre désormais.

  • 3217

    Je suis à partir de ce soir et tout la journée de samedi, l'invité du festival de théâtre de Riorges, dit "les malyssiennes", du nom de la Malysscompagnie qui organise ces rencontres. Il s'agit de la quatrième édition et j'y serai membre du jury.

    Merci les amis. On commence ce soir avec Antigone (version Jean Anouilh). Autant dire que ça commence bien ! (et ambitieux)

    2017 FESTIVAL Les Rencontres Malyssiennes.jpg

  • 3216

    Je suis une presqu'île, et les liens qui me rattachent à la terre des autres sont quotidiennement menacés de submersion par des marées de rage, de honte ou d'accablements.

  • 3215

    Bras repliés, songes, vertèbres soudées, pelures de craie, menthe, sabre, organdi, jade, solstice, poterne, calice, nourrague, pestilence, murailles, jacinthe, antimoine, acrotère, aiguière de vermeil, samba, labile, forceps, émonder, colibri, pente, négligente manière, parade, ombre salie de neige, génuflexion, sabir, orgues basaltiques, délire, taillis d'aiguilles pourpres. La palette des encres, l'encre chatoyante des mots sous le doigt de l'écrivant, L'ivoire des canines refermées sur la nuit, le soubresaut. La terre appuyée sous le talon. Une tache solaire, la main retournée, une cavité moulée dans l'épaisseur de l'âme, un tranchant d'obsidienne et le cœur sur les braises, une lampe sous la main, des cris, des balades, une gelée, un matin les pieds dans l'eau froide, la peau hérissée de bleu, un geste bleu, le spectre des doigts sur le mur, le jeu des rayons sur la pierre, le givre sur le verre, la pâleur du gisant, les phalanges repliées sur un insecte, des marbres étoilés, une figure dressée contre le ciel, un bras, une boucle, des miroirs, un drap, une peur, un pas sur le seuil, la nuit ouverte et franche, l'ombre de mon salut avalée par une flaque, le fantôme surgi de la bouche, un frisson, le bois, l'odeur de la cire, le parfum du lin, la joue tiède, les rideaux, les persiennes fermées, les jouets sous le lit. Les récits, les luttes, les agneaux égorgés. L'empreinte de la semelle sur la terre appuyée. Le temps entravé qui rampe sur le parquet.

     

    Et pas un chapeau de vendu.

  • 3214

    À l'écart de la nausée, les exilés se reconnaissent et survivent, dressent l'un pour l'autre des étais de sourires et de complicité, des contreforts de calme et de travail silencieux. Ce n'est pas qu'ils sont meilleurs, les exilés, ce n'est pas qu'ils sont plus forts ou plus perspicaces, mais une vie pareille à celle des autres leur est interdite. À la réflexion, elle leur serait permise qu'ils y renonceraient. Ils vont comme ça, à côté du monde. Leurs jours ont, par leur seule volonté, une régularité qui semble la suspension éternelle du temps, sur l'Olympe. Ce sont des dieux anonymes qui devront mourir et se sont fait à l'idée.

     

    Début de "Mado", roman. Écriture en cours.