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  • Sus aux oisifs

    Les autorités commencèrent à trouver très exagéré que les hommes puissent se permettre de ne rien faire pendant tout l'hiver. On mit sur pied une religion qui exigeait qu'on dressât des menhirs. Des gros menhirs, de quoi occuper toutes les périodes d'oisiveté.

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    Les autorités commencèrent à trouver très exagéré que les hommes puissent se permettre de ne rien faire pendant que le Nil inondait les champs. On mit sur pied une religion qui exigeait qu'on élevât des pyramides. Des grosses pyramides, de quoi occuper toutes les périodes d'oisiveté.

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    Les autorités commencèrent à trouver très exagéré que les hommes puissent se permettre de ne rien faire pendant leur chômage. On mit sur pied une politique qui exigeait qu'on subisse des emmerdements. Des gros emmerdements, de quoi pourrir toutes les périodes d'oisiveté.

  • Dans la nuit

    Dans la nuit, une pensée s'est évanouie. Une vie.

    C'était quelqu'un de bien.

  • Entretien avec Laurent Cachard

    Plutôt que de faire une critique littéraire de plus (et de peu de valeur, car j'ai peu de compétences dans le domaine), Kronix a proposé à Laurent Cachard de répondre à quelques questions à propos de son dernier ouvrage : « Le Poignet d'Alain Larrouquis ».
    C'est le troisième roman de cet auteur révélé par la sélection Lettres-frontière en 2009, après « Tébessa, 1956 » et « La partie de cache-cache » et selon moi, le plus ambitieux, le plus riche. J'ai voulu le faire parler ici de choses qui hantent son travail depuis le début : Paul Nizan, les étranges relations des hommes et des femmes, la grande Histoire au-dessus des histoires de l'intime et bien sûr, l'écriture.

    Un bref rappel : « le Poignet d'Alain Larrouquis » raconte le cheminement d'un journaliste, Paul Herfray, qui « jouait pas mal au basket » dans sa jeunesse, et qui prend pour lui le tir raté du basketteur professionnel Alain Larrouquis. L'image du duel qui a initié ce désastre existentiel, figée encadrée dans sa chambre, revient dans ses souvenirs avec autorité pour lui rappeler que femmes, amitié ou métier, tous les choix de la vie sont suspendus, tout le temps. La vie n'est qu'une incessante suite d'hésitations. Les décisions en sont-elles vraiment ? Il n'y a bien que la grâce, dans l'amour, l'écriture ou le geste du sportif, qui fasse le tri. Pour le reste, croire qu'on a le contrôle est un leurre. On ne choisit pas le ballon qu'on vous passe, on détermine à peine ce qu'on doit en faire ; il n'y a que le ballon arrivé dans le panier qui confirme que vous avez fait le bon choix. A condition de ne pas tirer contre son propre camp.

    Interview, donc :

    Kronix : Dans tous tes romans (l'exception de « la partie de cache-cache » est un leurre, puisqu'initialement l'histoire du pays y était développée je crois, avant que tu fasses le choix de resserrer l'intrigue sur les enfants), il y a un rapport à l'Histoire (et à l'effort documentaire qui en est le corolaire) et je sais que tes projets vont amplifier ce phénomène. Après tout, Paul Herfray aurait pu se contenter, au col de Somosierra, de « déterrer » à sa manière le manuscrit de Paul Nizan, mais il se confronte d'abord à l'histoire des nations. J'y vois une manière de ne pas laisser tes personnages dans un présent où manquent les repères, de les arrimer à une genèse. Sans l'Histoire, ils seraient plus perdus qu'ils ne le sont.

    Laurent Cachard : C’est vrai. Peut-être parce que la question de la pertinence d’un livre s’est très vite posée à moi, même si je dois concéder quelques manuscrits inutiles qui m’ont pourtant aidé à savoir ce qu’il ne fallait surtout pas faire. Quand je m’attaque (le mot est juste, quand il s’agit d’un pan de l’Histoire) à ce qui deviendra « Tébessa, 1956 », je sais que je dois faire preuve d’une rigueur morale et documentaire que je ne m’étais encore jamais fixée. C’est une façon, aussi, de libérer le lecteur du simple intérêt (ou pas) de la petite histoire puisqu’il peut l’inscrire dans la Grande. J’imagine que ça détermine les personnages… Quant à Paul Herfray, il n’aurait pas pu déterrer, même métaphoriquement, « la soirée de Somosierra », justement à cause du postulat éthique : puisqu’il n’a jamais été retrouvé, il ne doit pas l’être. C’est un impératif catégorique. Ce qui ne m’a pas empêché d’en écrire une, de « soirée à Somosierra ». Mais elle fait partie de ces manuscrits inutiles dont je parlais. Auxquels on s’attache mais qu’on ne livre pas à la lecture.

    Kronix : Sur les conseils de Margot, Paul écrit un livre. Elle sait peut-être une chose : les écrivains ont ce pouvoir -et peut-être est-ce là leur seule force ou leur unique fonction- celle de faire du deuil (des êtres et des illusions) de la littérature. Est-ce que la vie n'est utile, pour un écrivain, que pour servir à produire de la littérature ?

    Laurent Cachard : C’est une vraie question problématique : elle appelle davantage de questionnement qu’elle apportera de réponses… Je dirais comme ça que je ne sais pas plus ce que c’est qu’un écrivain que ce que c’est que la vie : ce sont deux trucs qui me sont un peu tombés dessus, à vrai dire. Paul écrit un livre par accident, au sens phénoménologique : il ne l’aurait pas fait s’il ne s’était pas passé cet enchaînement de circonstances. Il n’éprouve pas la nécessité que j’éprouve moi de le faire. Quant aux deuils auxquels la vie nous confronte, aux renoncements, je dois prendre ma revanche sur eux en suspendant le temps, en conscience, le temps d’un livre. Je sais qu’il va gagner, au final, mais c’est ma revanche, oui. Une vanité parmi d’autres, mais qui ne manque pas de panache.

    Kronix : Je note le surgissement de l'érotisme dans "le Poignet...". D'ailleurs, je trouve ton héros, Paul, singulièrement vivant quand il raconte la chair. Le reste de sa vie, les échecs (qui ne sont pas si patents à mon sens) ou les réussites me le font paraître autrement dans une sorte d'engourdissement, de cocon.

    Laurent Cachard : Ça a été un vrai point d’achoppement avec mon éditeur. Dans sa première version manuscrite, écrite – il faut le savoir – alors que j’avais arrêté, irrévocablement, l’écriture de « la partie de cache-cache », les scènes érotiques avaient marqué les premiers lecteurs, dont un m’avait dit, à l’époque, qu’elles étaient encore trop cérébrales. Je les ai donc densifiées : après tout, je lis des scènes de ce genre un peu partout, et le PAL était prévu, initialement, pour que j’écrive autrement que comme j’avais déjà écrit. A la relecture de travail, l’éditeur m’a demandé de les « euphémiser » - c’était son mot. Mais il fallait bien que le lecteur sache quelle bête de sexe était Solène, et quelle amoureuse était Margot, qu’il les distingue. On a retravaillé, jusqu’à l’équilibre. Pour ce qui est de Paul, cet engourdissement, le mot est juste, cette espèce d’abandon de soi, de nausée, vient de ce qu’il pense être une damnation. Le fil rouge de mes romans. Est-il un raté ? Pas tant que ça, effectivement. Il est comme Larrouquis, en fait, puisque c’est l’idée : un perdant magnifique qu’on destine à l’oubli.

    Kronix : Que penses-tu de Paul, en tant qu'homme ? Moi, je le vois se complaire dans un échec tout relatif, chercher des réponses auprès d'un psy fuyant, se laisser aller au désir d'une Solène et laisser à une autre, Margot, la démarche de l'édition et même la décision d'écrire. Est-ce que tu me comprends si je te dis qu'il m'agace ?

    Laurent cachard : La complaisance est un mot fort, auquel j’ai été confronté dans ma vie d’homme et que j’ai souvent récusé. Comme je suis pugnace, j’ai montré que l’état que je voulais restituer est un état au-delà de la complaisance, là où on n’aurait pas idée d’aller reprocher à Baudelaire d’avoir écrit « le Voyage ». C’est immodeste mais c’est l’idée. Même récemment, quelqu’un m’a écrit que les écrits sur mon blog la troublaient jusqu’à ce qu’elle en saisisse la clé, enfin une des clés. Que Paul t’agace, oui, je le comprends : de bonnes âmes diront qu’il tergiverse et qu’il s’écoute parler. Mais ces bonnes âmes ne sont pas toujours, et même rarement, à la hauteur des engagements qu’elles prennent. Comme le psy, à qui j’ai donné le nom du cinéaste qui a le mieux, pour moi, restitué l’univers de la bourgeoisie, Michel Deville. Dans les adaptations des romans de Belletto, notamment. Pour moi, Paul est au-delà, encore une fois. Sauf que c’est Margot qui lui permet de se sortir de sa condition. Il lui fallait un tuteur pour la vraie vie, après avoir soumis la sienne, très jeune, au tir et à l’image de Larrouquis. Et pour arriver jusqu’à Margot, il lui fallait passer par Solène, au risque de perdre Margot : de l’initiation simple. Bon, pour continuer dans le ciné, Melvil Poupaud qui joue au volley-ball en se tenant le menton dans « Conte d’été », ça doit t’agacer aussi. Autant que Jean-Pierre Léaud*** ?

    Kronix : C'est l'indécision (au basket ou dans les choix intimes) qui prépare les défaites ?

    Laurent Cachard : Je suis à la fois l’acteur de ma vie et son spectateur, parfois effaré. Les défaites, j’en ai connu, j’en vois d’autres arriver : dans l’édition, la reconnaissance de mon travail. Pourtant, je ne pense pas être indécis, en tout cas, je le suis beaucoup moins qu’avant. Mais j’ai le travers des vrais sceptiques : toute direction pour moi se prend dans la conscience de son contraire, c’est pour ça que j’avance lentement. Au basket-ball, les grands joueurs ne doutent jamais, c’est un cliché qu’on entend tout le temps. Le sport collectif est un bon miroir de la place qu’on aura dans une société, « le fils du père » dans le roman en est un meilleur exemple encore que Paul. Je sais juste qu’au basket comme dans ma vie, si j’ai réussi quelque chose, c’est sur un plan esthétique, encore une fois. Et à mon âge, on commence à se dire que c’est déjà pas mal.

    Kronix : Est-ce que tu as renoncé, un jour, à écrire « Les Amours de septembre » ? Et cette frustration n'est-elle pas la source de tes récits (mon côté romantique) ?

    Laurent Cachard : J’adore ouvrir ce roman et voir que j’y ai accolé pour ma propre éternité le nom de Paul Nizan et de cette partie disparue de son œuvre. Je suis un post-romantique dépité, selon mon éditeur, qui a pourtant édité « Ouessant », mon poème en huit tableaux. Septembre est un bon mois pour les amours d’auteur, par ailleurs, nous à qui la plage convient peu, il faut le dire. J’ai bien peur que la vie me réserve bien plus de frustrations à l’avenir que je n’en ai connu jusque là. J’ai vécu, j’ai aimé, en être si imparfait et si affreux. J’ai des facilités dans certains domaines qui m’ont fait briller un peu, jusqu’à ce que je me rende compte, heureusement, qu’il fallait que je les fuisse. Alors oui, dans le PAL, (abréviatioj pratique de "Le Poignet d'Alain Larrouquis" -note de Kronix) il y a des histoires que j’aurais voulu vivre dans la vraie vie, mais j’ai appris, par terreur autofictionnelle, à distinguer les deux, ou à en jouer sur le mode de la fausse piste. Je n’écrirai jamais les amours de septembre nizaniennes, j’ai déjà dit que je ne m’en sentais pas le droit. Mais je ne renonce pas à vivre les miennes : après tout, septembre, c’est le début de l’automne, c’est à peu près là où j’en suis dans ma vie. Quand j’aurai fini « Aurélia* » et que ma « Camille** » sera éditée, je pourrai affronter mon hiver. Un peu moins frustré, alors ?

    * « Aurelia Kreit », histoire de l’exil d’une famille ukrainienne en 1905, sa traversée de l’Europe en ébullition.
    ** « Valse-Claudel », une nouvelle doublée d’un morceau éléctro-poétique.

    *** Laurent fait ici référence à mon agacement viscéral pour Jean-Pierre Léaud, qui a inspiré ce billet, ainsi que son commentaire, à lire.

  • N'habite plus à l'adresse indiquée

    Le facteur de Tchernobyl met au feu, la mort dans l'âme, toutes ces lettres angoissées qui n'ont plus de destinataires.

  • Les bienfaits du cartilage de requin*

    Dans la revue de "la boutique du bien-vivre", Marcel Amont témoigne : « Tous les jours, je ressens des améliorations depuis que je prends votre cartilage de requin... » et Jean-Paul Rouland renchérit : « Quand j'ai reçu le Biopiezo, je souffrais, après quelques applications, mes douleurs ont commencé à s'atténuer, jusqu'à disparaître complètement ! », affirmations assorties de leurs trombines et des photos des machins, bien sûr. Je veux vivre encore assez pour connaître les produits que nous conseilleront Claire Chazal ou Benjamin Biolay.

     

    * ce titre putassier n'a pour seule ambition que de faire grimper le nombre de pages lues de ce blog.

  • J'y lis

    C'est à Gilly, Gilly sur Isère, qu'une équipe formidable, menée avec bonne humeur par Marielle Gillard, s'efforce de démontrer que la lecture est non seulement un bienfait (comme la thérapie de groupe, l'acupuncture ou la pilule du lendemain), mais un plaisir.

     

    Saluons la naissance de leur blog, et puis, à l'occasion, allons les voir.

    Vous pouvez y aller de ma part.

  • Belle comme un camion

    L'idée d'épouser son tracteur avait valu au paysan une fugace médiatisation. A présent que les journalistes étaient partis et que le village avait retrouvé son calme, il devait bien s'avouer que les formes trapues de son Massey Ferguson 8600 ne méritaient peut-être pas cet accès d'enthousiasme.

  • Ceux et celles qui veillent

    Cependant, il se courbe sur son mal. Son corps se réduit et s'amenuise, mais sa conscience en éveil sans doute halète sous la douleur. Et l'on se dit : tiens bon en pensant immédiatement : laisse, abandonne. Et je pense au cauchemar de ceux et celles qui veillent, près du lit ou près d'un téléphone.

  • Rire agricole

    J'imagine le vieux malade solitaire qui paye ses courses avec un chèque du Crédit Agricole, illustré de la photo d'un beau couple qui se bécote. Bien que tremblante, la griffe s'élargit plus que de coutume, et passe rageusement sur la dentition éclatante des deux jeunes effrontés.

  • La grande bouffe

    Cette semaine-là, son plus beau coup avait été de subtiliser une crotte du chat dans la litière, d'y déposer un étron de sa confection, et d'appeler sa femme pour attester, devant ce spectacle étonnant, qu'elle donnait vraiment trop de croquettes à Doudou.

  • Trop facile

    Les chevaliers se faisaient face. La lutte promettait d'être terrible. Quand l'un d'eux utilisa un anachronisme et dégaina son Browning. « C'est pas du jeu... » gémit l'autre en tombant de cheval.

  • Lire, devant tous

    Il est admis que Bouvard et Pécuchet sont des symboles de la bêtise. Pour ma part, je ne les ai jamais trouvé  bêtes, mais enthousiastes. Ce qui est peut-être la même chose aux yeux de Flaubert. Pourtant, dans l'océan de morne savoir qu'ils compulsent inlassablement, les compères me semblent rachetés par leur envie de « se faire une idée », les doutes qu'ils émettent sur tout (après une adhésion sincère), tandis qu'ils sont entourés de gens qui sont pétris de certitudes. Sont-ils les plus bêtes, alors ?

    Vous êtes invités à la lecture du texte plaisant de Flaubert : BOUVARD et PECUCHET (extraits) au Musée Alice Taverne à Ambierle, ce dimanche 2 octobre 2011  de 15h à 17h  par l'association Demain dès l'aube.

    Entrée et présence libres.