Sur le site allociné, une rubrique plaisante s'intitule « ma scène préférée ». Des gens de cinéma y décrivent lors d'une interview, la scène qu'ils préfèrent dans toute l'histoire du cinéma. Je me suis souvent interrogé à ce sujet, sans trouver de réponse. Impossible : tant de scènes marquantes, tant de plans inoubliables, de films magistraux, comment sélectionner une seule scène ? Ou seulement faire un premier tri ? J'admire la faculté des interviewés à répondre, apparemment de façon improvisée, à une question aussi complexe. Une récente nuit d'insomnie m'a donné l'occasion de mûrir le sujet. Impossible de ne retenir qu'une scène, mais plusieurs se détachent.
Dans « Andreï Roublev », la scène où, après des mois de travail, une nouvelle cloche est inaugurée avec toute la pompe et la foi du moyen-âge russe. Sauf que, le très jeune garçon (un enfant presque), qui a conduit les travaux n'est absolument pas sûr du résultat. Et le madrier est balancé contre le flanc de la cloche énorme. Il approche, millimètre par millimètre, il va la frapper...
« Les dix commandements ». La scène Hénaurme de l'érection d'une obélisque (tiens ? Encore des travaux ! Un fétichisme du chantier se dessinerait-il chez moi ?)
« Spartacus », Kirk Douglas découvre le corps d'une femme, l'esclave Varinia, dans son cachot. Magnifique moment sur la musique devenue célèbre d'Alex North. Dans le même film, la scène de leurs retrouvailles m'arrache des larmes (si je suis tout seul).
« Les possédés ». Deux jeunes réalisateurs imaginent comment ils vont pouvoir réaliser un film point trop honteux avec très peu de budget et un scénario débile. Ils cherchent... et trouvent : ce qui fait peur, c'est le noir. Autour d'une simple lampe de bureau, les scènes-clés du film rêvé se mettent en place.
« A history of violence ». Le visage de Mortensen, qui vient de tuer. Plan fixe, pas un mot. L'horreur pure.
De Spielberg, les fameuses vingt premières minutes du soldat Ryan. Au cinéma, la première fois, je crevais de trouille.
Du même, dans « minority report », le monologue de la précog qui raconte aux deux jeunes parents, le futur « possible » (mais qui n'est pas advenu), de leur enfant mort.
Dans « Le Guépard », le dialogue entre le comte Salina et un envoyé du tout nouveau gouvernement italien. Un dialogue, confiné dans un bureau. Un échange d'une grande intelligence, empreint de respect, et qui verse dans le poétique.
« Fellini Roma ». Des archéologues pénètrent dans une crypte que les travaux du métro ont découvert. Là, des fresques somptueuses s'offrent à leur émerveillement. Et puis, en quelques secondes, l'air pollué de la capitale, efface tout sous leurs yeux effarés et impuissants.
« Good morning Babylonia ». Les frères Taviani mettent en scène deux frères italiens, maçons, artistes restaurateurs d'églises romanes, obligés de migrer en Amérique. A Hollywood, ils sont pris à partie par un petit directeur de plateau quelconque, qui leur envoie son mépris aux visages. « De qui es-tu le fils ? » lui répond l'un des frères. « Nous sommes les fils de Leonardo, Raphaello, Michelangelo. Et toi, de qui es-tu le fils ? » C'est lyrique, tragique, monumental. Bouleversant.
« Home », premier film d'une réalisatrice belge. La mère a conduit toute la famille à partager sa folie et à emmitoufler la maison dans un cocon matelassé. La famille s'enfonce dans le silence, la nuit, l'étouffement. On s'achemine vers une mort anesthésiée. Et puis, un jour, la mère défonce un mur, et libère son monde de ce ventre délétère. C'est un moment d'une absolue poésie et d'une grande force visuelle.
« Le conte des contes » Youri Norstein. Les scènes qui racontent la paix. Un minotaure joue à la corde à sauter avec une petite fille, un pêcheur rentre, un poète passe. Dans le même film, la terrible scène du bal pendant la guerre. Les époux décédés s'échappent d'un coup des bras de leur cavalière.
Frédéric Bach « L'homme qui plantait des arbres ». Encore un film d'animation. Les mots de Giono, la voix de Noiret, les pastels qui ont demandé cinq ans de travail et qui racontent cette histoire magnifique. A un moment, un ami du narrateur dit simplement que le paysan Elzéar (l'homme qui plante les arbres) a « trouvé un sacré moyen d'être heureux ». A chaque vision, sur ces mots, ma gorge se noue.
« Le vieil homme et la mer », film d'animation de Petrov. La scène du bras de fer dans la taverne. Une prouesse technique autant qu'un moment admirable d'émotion.
« La règle du jeu » de Renoir. Tant de scènes... Mais l'enchaînement magistral de la course-poursuite dans le château entre le garde-chasse et le braconnier promu domestique, alors que tout bascule dans le chaos.
« les rapaces » l'uniforme immaculé de Von Stroheim, balancé sans ménagement dans une ignoble bouche d'égout.
Les longs plans vides de la lente poursuite de « vertigo » dans les rues de San-Francisco.
Le dernier plan de « A serious man » des frères Cohen.
Bon j'arrête là. Il y en a tant, je capitule.