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    La taille des mains de la taupe trahit son métier de fouisseuse, autant que l'extrémité de son museau sa nature de fouineuse. Si l'on ajoute la myopie, serait l'idéale mascotte d'un journal.

  • 2691

    Comme vous le savez peut-être, L'Affaire des Vivants, mon livre paru l'an dernier chez Phébus, fait partie de la 22e sélection Lettres Frontière. J'en suis très honoré, et heureux surtout parce que cette sélection a du sens pour moi.  Le Baiser de la Nourrice, mon premier roman, avait été pareillement distingué, et les rencontres que cette distinction suscita furent fécondes en amitié, et essentielles pour accepter l'idée que, oui, bon, j'étais un écrivain. Ce n'est pas rien. Une sorte de baptême.
    Budget limité oblige, je n'ai pu m'autoriser que la découverte des auteurs rhônalpins. À la lecture des ouvrages de mes quatre confrères, je dois dire que je ne sais pas comment va faire le jury pour resserrer son choix sur une seule œuvre « coup de cœur ». Je lui souhaite bien du plaisir. Débats houleux en perspective.


    Comment j'ai mangé mon estomac. Si l'humour est la politesse du désespoir, c’en est aussi un des vaccins les plus efficaces. Atteint d'un cancer, tandis que celui de sa femme s'est déjà déclaré, Jacques A. Bertrand nous fait vivre le parcours bien balisé des soins, des salles d'attente, des sondes humiliantes, des chimios et des radios, des rencontres avec des docteur Bo, professeur Po ou docteur No, sans nous infliger de pathos complaisant, ni d'épiphanie finale, alors que tout cela serait légitime. Sa grand-mère disait souvent « ça me fait souci » quand un problème pointait son nez, Bertrand renverse les vapeurs coutumières en sous-entendant « ça me fait écrire ». Et voici bien la capacité de transmutation qu'on demande à un écrivain. Parce que, quand l'œuvre est accomplie, elle l'est pour le bien de tous. Si on ne craignait pas d'énoncer quelque lourdeur à propos d'un livre si alerte, on pourrait même parler de leçon de vie. Mais chut...

    Tristesse de la terre. D'abord, d'abord, pour un amoureux des stylistes comme moi, le plaisir de retrouver la belle et puissante écriture d'Eric Vuillard, que j'avais personnellement adorée à la lecture de Conquistadors (2009, déjà ?). Et puis ce thème, prometteur : l'histoire de William Cody, plus connu sous son pseudonyme (effarant et grotesque, quand on y pense) de Buffalo Bill, à partir de son fameux Wild West Show. J'ai lu ce livre assez tôt, avant de savoir qu'il était sélectionné pour Lettre-Frontières, et le souvenir s'en est en partie effacé. Essayons tout de même. Parce que, justement, je me souviens d'un beau moment de lecture, d'une série de surprises, de la tristesse éprouvée pour Sitting Bull, jouant son propre rôle dans le show, des rapports plus ambigus que j'imaginais (l'histoire ne m'était pas inconnue) entre Buffalo Bill et le chef indien. Il me reste de tout cela une vague nausée, une tristesse en effet, l'impression d'au moins un mystère qui résiste à l'auteur lui-même (volontairement, j'imagine, on ne résout rien sans dommages pour la littérature) : qui était William Cody ? L'autre mystère semble le véritable sujet du livre, en tout cas son approche essentielle : quel est ce monde paradoxal qui dévore les faibles pour ensuite en admirer une représentation indécente et rabaissée ? La fascination de l'occident pour ce qu'il ne peut se retenir de détruire.


    Le collier rouge. Ruffin, toujours parfait. Un roman court qui pourrait presque inspirer une pièce de théâtre, puisque l'essentiel du livre est soutenu par deux protagonistes qui dialoguent : Lantier, juge venu enquêter sur l'acte de provocation d'un héros de guerre, et Morlac, le héros en question. Il y a aussi un chien mystérieux, souvent hors-champ mais dont les aboiements occupent toutes les pensées. Le moment le plus fort du roman, les quelques lignes qui permettent au récit de l'élever au dessus des considérations habituelles sur la guerre, est le bilan terrible de Morlac sur le vrai héros de guerre : ce chien qui aboie là-bas, qui était avec lui sur le champ de bataille. Normal qu'un chien soit un héros, il est le soldat idéal, parce qu'il est, intrinsèquement, in-humain. La misère du soldat, et sa possible révolte, viennent du fait qu'il est humain, désespérément, et malgré tout. Pour les lecteurs que le sujet pourrait rebuter, qu'ils se rassurent : ça se termine bien pour tout le monde.


    Le mal que l'on se fait. Je l'admets, je ne connaissais pas Christophe Fourvel, publié régulièrement chez La Fosse aux Ours et à qui je voue désormais une admiration profonde. Le mal que l'on se fait aurait pu s'intituler L'Etranger, mais c'était déjà pris. Le personnage principal est approché par bribes, au fil d'une déambulation dans deux villes où il va séjourner plusieurs mois, en Amérique latine et en Turquie, avant de revenir en France. Les raisons de son périple et de son retour, nous seront connues dans la troisième et dernière partie, alors que le « il » initial s'est insensiblement mué en « tu », et donc, a fait traverser le lecteur, par cercles concentriques, de l'enveloppe d'un être jusqu'au plus juste de son intimité.
    Des récits d'âmes désamarrées, de solitude paumée dans un ailleurs, la littérature en est obèse. Sauf que là, l'errance n'en est pas une, les pas modestes que fait cet homme (comme font tous les hommes, rappelle l'auteur : « Un homme ne peut pas grand chose, il accomplit de petits pas ») le rapprochent d'un enjeu essentiel auquel il doit se confronter, qu'il doit affronter. La pénitence, double, voire triple, tant l'intolérance de ce salaud a provoqué de malheurs. Notre étranger n'a peut-être pas vécu « trois minutes intenses » depuis des années, et cela vaut peut-être mieux : prendre vraiment conscience de l'ampleur du mal qu'il a causé serait insupportable. Et pourtant, après une ultime rencontre, nécessaire et terrible, par laquelle il espérait partager la responsabilité du drame qui l'a lancé dans son périple, il revient au salaud la tâche d'accepter le désastre. L'errance reprend, il n'ira pas loin. De toute façon, pour ceux qui restent, il y a un avenir, et ça, ils n'y peuvent rien opposer.
    Le mal que l'on se fait est d'abord un texte, pardonnez ce truisme, je veux dire : il est ce que je cherche dans un livre, une voix, une langue au plus près, l'incessant questionnement des mots pour disséquer ce qui ne nous épargne pas. Bref, un texte. Oserais-je dire que c'est le meilleur livre de la sélection ? Non, ça ne se fait pas, hein ?


    De la sélection suisse, je n'ai lu que Le Miel de Slobodan Despot, parce que c'est avec cet auteur que je partagerai une heure de rencontre le 14 novembre, à Genève, dans le cadre de l'Usage des Mots, la manifestation organisée par Lettres Frontière. Je me permettrai de n'évoquer mon ressenti qu'après, de façon à tenir compte de ce que je pourrais apprendre alors.

    Pour plus d'information sur les livres et la sélection, rendez-vous sur le site de Lettres Frontière.

  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    J'adore celle-ci. Je ne connaissais pas "L'ours Inculte", mais le ton, les illustrations et l'à-propos de la critique sont un régal.

    "Une des particularités de ce roman est son échelle, au niveau du temps comme de la géographie. Il se déroule sur des dizaines d’années et s’étend sur des milliers de kilomètres et pourtant on ne sent jamais que l’intrigue s’éparpille, tout est cohérent, tout se tient et on ne perd jamais le fil"

  • 2689

    Tu n'es pas dans ma maison, tu n'es pas dans ma rue, tu n'es pas dans mes champs, tu n'es pas dans mon atelier, tu n'es pas dans mon livre, tu n'es pas sur les berges de mon fleuve, tu n'es pas dans mon ciel, tu n'es pas dans mon jour ni dans ma nuit. Ma vie est trouée de ton absence. Je t'ai laissé derrière le mur. Je refuse de t'entendre gémir, je refuse d'entendre parler de toi, je refuse de trouver le goût de ta plainte dans le fruit que je mange, je refuse de voir ton visage dans mon miroir, je refuse de connaître ta souffrance et ta mort. Je sais qu'un jour tu rempliras ma rue, mon ciel et les berges de mon fleuve. Je sais qu'un jour ton visage effacera le mien dans le miroir. Mais en attendant, je mange le fruit creusé de ton absence.

     

    Extrait de Minotaure. Pièce en cours d'écriture.

  • 2688

    Le sage regarde son doigt, la lune lui demande s'il a vu le fou, le sage dit que oui, qu'il est au bout de son doigt. Sur ces paroles énigmatiques, la lune s'éclipse.

     

    (et puis, d'accord, j'arrête cette série, ça devient vraiment trop débile)

  • 2686

    Le sage montre la lune, l'autre sage dit : « oui, et alors ? »

    Le fou montre son doigt, le sage regarde la lune et dit : « Il va faire froid, demain »

    Le sage montre la lune, le fou regarde la lune, et le sage en profite pour lui piquer son porte-monnaie.

  • Rencontre

    M_Vuillermet.jpgC'est demain, à la bibliothèque de Fleury-la-Montagne.

    Maryse Vuillermet évoquera bien sûr "Pars! travaille!" (dont Kronix parlait ici), son dernier livre paru à la Rumeur Libre, mais aussi ses opus précédents, de ses racines, de ce milieu modeste qui l'a construite et lui impose, livre après livre, de relayer la parole des humbles.

     

    Venez nombreux, je vous garantis que ce sera très bien.

  • 2685

    Le sage montre la croquette, le chat regarde le doigt.

  • 2684

    74_1_w1000h600.jpgMartin adore le vertige que lui procure ce dessin. C'est un prodige qu'il ne parvient pas à s'expliquer. Comment, sur cette feuille de papier, sur cette surface plane qui tient entre ces bras ouverts, l'Architecte a-t-il pu rendre la sensation de l'immensité ? Et chaque dessin de l'Architecte procure le même effet. Depuis trois mois qu'il vit ici avec Marianne, et surtout depuis les deux dernières semaines, depuis que l'Architecte est parti en leur laissant la jouissance et la surveillance de son logis, Martin profite de ses longues heures d'oisiveté, pour entrer dans le bureau aussi discrètement que si le maître était présent, sortir délicatement un dessin du meuble de classement, et le contempler longuement, avec concentration, à s'y perdre.

     

    Extrait de "La Grande Sauvage". Ecriture en cours.

    Image : projet pour la bibliothèque royale, rue de Richelieu. E-L Boullée, 1785.

  • 2683

    etienne-louis-boulc3a9e-1784-cc3a9notaphe-de-newton.jpgÀ son grand étonnement, le dessin immobile se met à raconter l'histoire de ces visiteurs, la majesté du monument amorce une fable, quelque chose d'aussi vaste que les légendes du Christ qu'on lui enseignait naguère. Quelque chose qui le dépasse, comme le dépassent les dimensions de la sphère, son globe qui se dresse comme une lune descendue sur la terre, immense, qui développe ses courbes loin au dessus des minuscules créatures à ses pieds. Comment ces fourmis pourraient-elles faire plus que rêver pareil délire ?

     

    Extrait de "La Grande Sauvage". Roman en cours d'écriture.

    Image : Le cénotaphe de Newton, par Etienne-Louis Boullée (1728-1799).

  • 2682

    Un ami homo me confie son journal inédit. Grand honneur. L'une des années se conclut avec une scène affreuse où une voisine lui défend de seulement regarder ses enfants, en le traitant avec rage de pédé, faisant la confusion que les imbéciles font classiquement entre cette orientation sexuelle et une perversion, la pédophilie. Mon ami, bouleversé, met des mois à s'en remettre (la lente réparation de cette blessure se lit au fil de son journal). Lisant cela, je réalise que c'est une expérience pratiquement intransmissible, je n'ai pas d'équivalent pour juger de son traumatisme. On n'a jamais cherché à me faire du mal de cette façon. La pire insulte que je crois avoir reçue a été « philosophe », par le plumitif de l'hebdo local, qui voyait dans ce qualificatif le sommet de la veulerie bien-pensante. Ça m'a surpris, ça m'a fait rire, mais je dois avouer que ça ne m'a pas blessé. Ou alors, si légèrement...

  • 2681

    Souvenir...

     

    Atrée : « Décidément ! Quatre cartes ! Quand tu fais un nombre supérieur à cinq tu multiplies ton chiffre par deux si c'est un nombre impair, par deux et demi s'il est pair, sauf si ton adversaire précédent a posé un sept de contre sur la case de Guignol : là tu retires le nombre de cartes données par les dés moins une. Moins une encore, puisque tu joues pour la première fois. Quatre ! Pas compliqué. »

     

    Extrait de Le Rire du Limule. Création (2012?)

  • 2680

    On le sait, la démocratie désigne le commandement (kratein) par le peuple (dêmos), inspiré du fonctionnement politique de l'antique Athènes. Une démocratie toute relative puisqu'alors ne pouvaient voter que ceux qui subvenaient à leurs besoins. Esclaves, pauvres et femmes étaient exclus du système. C'était il y a 2500 ans. Souvenons-nous que l'abolition de l'esclavage date en France de 1794 et le droit de vote pour les femmes de 1944, et rappelons que Tocqueville, de voyage an Amérique, s'offusquait de cette démocratie américaine tellement libérale qu'elle admettait qu'un vulgaire trappeur soit élu sénateur (il s'agissait de Davy Crockett).
    La tentation persiste de se croire mieux instruit qu'un autre de la complexité du monde et par là, de penser que son vote est plus légitime que celui d'un autre. La démocratie est d'abord affaire d'humilité.