Le smiley est devenu le masque sous lequel glisser les phrases les plus fielleuses. Une forme nouvelle de lâcheté.
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2947
« Mirvel, aconte mun pèr, fut ville médite. Qunq temps, heul'soil vint pu dssu là, ne radia les genss, claira les arbes nonque. Rin ! C'tait grand jour beute tot' virait de noc. C'tait laube beute tot' de bscur and'froid. Els asters seu Mirvel cantaient des voix heud'glass. Els hums épeurés arcquaient dssou, san rin sachant. Al'meur l'vait sun mur de noc, tot' de beau, tot' de nar gercé d'asters. Même de feu qu'duns fesaient, que tassaient tant de boud'arbes, tant de feu ne clarait qu'seu deux marches. Heul'rest 'tait tot' de glass and'noc. Car l'meur montait dssou terr vec heud'gémissans, and'épeur glassait l'sang. Al'meur fesait de noc tote al'terr. C't'un temps que tomuche de vies pu d'beaut n'était. Heul'beaut'est dans l'rare. » Les changeurs méditaient. Il y eut donc un temps où l'humanité fut si nombreuse que la vie n'en eut plus de valeur. Et qu'on put se permettre de gaspiller les existences. Les anciens avaient été généreux de la mort des autres. « L'viet monde, c't'ainsi, de beauté, heud'vie, heud'mour, nonque. » Ils avaient la chance d'être nés dans un monde où la vie comptait.
Cryptes (titre provisoire). Prochain roman à paraître chez Mnémos. En cours d'écriture. (va encore être facile à vendre, çui-là, tiens).
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2946
Je vais lire dans le jardin. Sur le chemin, des marcheurs vont d'un pas rapide. Je me réfugie sur la terrasse d'où je vois la Loire. Sur le fleuve, des kayakistes pagaient avec allant. Dans le bureau je pense être tranquille. Par la fenêtre, des cyclistes foncent. Infatigables, inlassables, de l'aube au soir. Comme si la vie ne leur offrait pas déjà matière à épuisement.
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2945
- Je ne veux plus que tu me serves de viandes grillées, c'est compris ?
- Toi alors, ce que tu as changé depuis Hiroshima... -
"Un jour, je serai un bel idiot heureux et je n'écrirai plus."
Alexandre Bergamini n'est pas un auteur dont on aborde l’œuvre dans l'insouciance, en se disant qu'on va passer un joli moment de détente entre une tarte aux fraises et la sieste qui suivra. Avec lui, c'est notre exigence (de citoyen, de lecteur, d'auteur) qui est convoquée. L'interview qui suit a été imaginée à partir d'une rencontre et des lectures de trois ouvrages seulement (dont l'un a été chroniqué ici), cités à répétition dans les questions. Votre serviteur ne saurait trop vous inviter à aller plus loin, comme il le fait lui-même.
Grand merci à l'auteur pour sa patience et sa gentillesse.
Kronix: Votre production alterne poèmes et textes en prose, parfois au sein du même livre, vers libres et prose se succèdent. Qu'est-ce que la poésie peut exprimer, qu'une autre forme littéraire ne peut pas ; qu'est-ce que la prose permet de dire que la poésie ne permet pas ?
Alexandre Bergamini : La poésie me donne la liberté que je ne trouve pas dans la prose. Elle permet d'être, et de comprendre, sans se faire comprendre. Quand la prose implique le besoin et la nécessité de se faire comprendre et très rapidement. (Sinon votre lecteur vous a lâché au bout d'une page ou moins). Cette nécessité de compréhension est aliénante. J'aime la liberté elliptique de la poésie, sa force révélatrice du monde. Une compréhension tacite, imaginaire, sensible, laisse au lecteur la possibilité d'être non plus en face mais à côté, dans un sens qu'il croit identique et partagé. Vain certes, mais qui déplace le lecteur de mon côté. Frank Smith, un auteur que j'apprécie, m'a écrit « ce que vous dites jamais ne recouvre ou n’enferme, au contraire.» Il dit aussi que je ne demande pas au lecteur de faire comme moi mais « de faire avec moi ». Je trouve cela très juste. Le lecteur devra faire avec moi. Ou pas.
Je ne demande aucun pacte de croyance, comme on peut le demander (tacitement) pour une fiction. J'en parle dans Quelques roses sauvages : « Je préfère appeler le lecteur à la vigilance, contre mon propre livre et ses limites, contre moi-même, que de faire appel à sa crédulité, à son désir de crédulité. L’artifice littéraire n’est pas ce qui rapproche le plus de la vérité de l’expérience humaine ; pas dans le cas des massacres, des génocides et des pertes. Cela fait partie de la légende et du mythe de la littérature de laisser croire qu’elle se rapproche du vrai en annonçant et en utilisant le faux. Pour dire la vérité, il n’y a que la vérité, rien d’autre. La vérité avec sa violence, ses manques et ses traces. »
J'essaye d'être à ma place, avec ce que je suis. Je ne parle à la place de personne. Je ne propose donc pas un pacte de croyance, mais un pacte de présence. Et la poésie accorde une forme de présence immédiate et brute, un peu folle, directement reliée à soi-même, qui passe par la langue mais au-delà du langage. La poésie n'est pas un jeu de langage scolaire. Elle est l'expression pure de la vie avant même la venue du langage. Elle me permet de me connecter rapidement à mes sensations, à mes émotions, avec ce que je suis quand je ne suis pas défini, lorsque je ne suis rien à mes propres yeux (la plupart du temps). J'espère qu'il en est de même pour le lecteur. Je le pense. Je l'espère encore.
K : Cargo Mélancolie, un voyage sous des latitudes froides puis brûlantes. Il faut vivre ainsi, se confronter aux extrêmes ?
A. B. : Froides puis brûlantes puis polaires (qui associent le froid et la brûlure). Dans les pays brûlants se sont dévoilés des rapports économiques glaçants, et dans le froid polaire, les retrouvailles et la chaleur du frère perdu. C'est comme cela que tout a commencé, en vrai, dans la vie. Ce que j'écris n'est jamais loin de ce que je vis. Ayant une vie intérieure intense, et à fleur de peau, le moindre événement anodin -en apparence- a de multiples répercutions. Donc imaginez le suicide d'un frère, un père tyrannique et une maladie qui frappe...
Mais je suis écrivain et non romancier. J'ai donc -peut-être- devant moi quelques livres à écrire. Une dizaine, guère plus. Étant séropositif, le temps m'est compté. Cela me va parfaitement. Je suis déjà un survivant. Je n'ai aucun problème avec mon temps de vie. Je n'ai qu'un problème d'espace. Où vivre alors que tout espace me convient? Pourquoi suis-je ici alors que je pourrais vivre là-bas ? Nue India parle de cela je crois aussi. Il faut être en soi-même, partout. Parce que nous ne sommes nulle part chez nous.
Conjuguer la chaleur humaine dans les extrêmes me ressemble. J'aime les livres à la fois glaciaux et brûlants. Distants et très intimes (sans être familiers). Verticaux et profonds. Le grand froid vous brûle, vous consume. C'est un paradoxe. Mais la vie est comme cela pour tous, non? Nous désirons aimer la vie et nous faisons face à la mort, nous désirons avec tant d'ardeur l'amour et nous rencontrons la perte. Et si nous voulons nous protéger de la mort et de la perte, de la vie et de l'amour, et bien nous n'aurons rien. Absolument rien. Ce sont des forces qui ne sont pas opposées mais complémentaires, qui fonctionnent en ogive. Forces dont nous tirons notre survie. Puisque nous sommes tous des survivants de notre propre vie, n'est ce pas ?
K : Sang damné est hanté par le suicide de votre frère et cet événement est aussi à l'amorce de Quelques roses sauvages. S'ajoute dans les deux cas un règlement de compte avec la figure de votre père. La colère semble être un excellent carburant de l'écriture chez vous (et peut-être aussi chez les auteurs que vous aimez ?)
A. B. : Au-delà de la colère, il y a un sentiment de perte et d'absence qui est une source plus profonde de l'écriture. Mon frère et sa disparition sous-tendent tous mes livres.
Il y a des choses irrésolues et qui le resteront. Mon père a une responsabilité dans la mort de mon frère, responsabilité qu'il nie. Son déni violent est une violence faite au frère suicidé.
Le monde est violent. La vie aussi. Il faut de l'énergie pour écrire. La colère et l'injustice sont un formidable mélange d'énergies.
J'écris sans doute pour que plus personne ne meurt sous mes yeux.
Une illusion fondamentale.
K : Où situeriez-vous Sang Damné ? On a parfois affaire à une vision documentaire (et nécessaire). Pourquoi ne nommez-vous pas les responsables politiques de l'affaire du sang contaminé ?
A. B. : C'est ce qu'on appelle un récit documenté. Mélange de récit intime et de documents réels. Rapport entre l'intime et le politique qui nourrit mon travail et ma vie, en strates d'écriture, en couches verticales... Le politique au cœur de notre sexualité. La cité au cœur de l'intime. Dans Quelques rose sauvages il s'agit de l'inverse, comment notre histoire personnelle et intime présente, est déjà inscrite -en réalité- au cœur de la grande Histoire passée, sans que nous le sachions, sans que nous en ayons conscience.
Sang Damné est un livre où j'ai pris le lecteur pour un punching-ball. Dans son coin, je ne lui laisse que peu de temps de répit. Et quand il pense qu'il peut s'en tirer, je le coince dans les cordes. Je voulais qu'il se sente cerné, de tous côtés. Ce que nous sommes en réalité.
Les responsables politiques sont tous là. Tous indirectement décrits et reconnaissables. Je ne voulais pas, étant moi-même séropositif, que l'on me reproche une quelconque bataille d'égo avec des noms cités, tous responsables. Des personnes qui me font penser à Eichmann. Et nous (l'éditeur et moi) voulions éviter des procès en diffamation trop faciles. Le livre a été relu 3 fois par des avocats. Je décris un système. Comme le système nazi, où chacun est le maillon plus ou moins conscient d'une chaîne destructrice mais dont il se veut irresponsable et surtout déresponsabilisé. Je fais un lien entre ce système administratif et économique du sang contaminé et le processus de la contamination du sida en France (et dans le monde) qui ont amené au désastre que nous connaissons. Depuis nous comprenons mieux les enjeux des laboratoires. J'espère y avoir contribué...
J'ai proposé dans un blog une analyse complète de l'affaire du sang contaminé. La seule analyse effectuée du début jusqu'à la fin, sur plus de vingt cinq ans de cette affaire d'Etat. Certains journalistes s'en servent toujours...
Je vous invite à le visiter. (Cliquer sur le lien. NdK : ) http://sangdamne-alexandrebergamini.blogspot.fr/
K : Dans Quelques roses sauvages, notamment, (mais c'est aussi abordé dans Sang damné), vous posez le constat d'une société de consommation dévorante, de son goût pour l'accumulation industrielle, le nombre, la massification des hommes et des bêtes, la chosification des êtres, et tout cela, si je vous ai bien lu, découlerait en partie de la logique des camps de la mort. Nous en sommes là ?
A. B. : Oui sans aucun doute. Nous sommes des poulets en batterie. (Nous-mêmes écrivains sommes les esclaves les plus pauvres de l'Economie du livre). La planète entière est devenue un immense camp. Qui aujourd'hui peut nier l'état d'exploitation de l'humanité à l'échelle de la planète ? Ceux qui veulent avoir toujours raison contre le réel ? Il suffit de bien ouvrir les yeux, de bien se nettoyer les oreilles.
K : Vous avez été comédien de théâtre. Vous avez confié un jour que vous aviez arrêté cette « carrière »*, parce que vous vous étiez rendu compte que l'état de grâce dans lequel vous étiez allait disparaître. Vous êtes-vous imaginé qu'il pourrait en être de même pour l'écriture, un jour ?
A. B. : L'état de Grâce avait disparu et le désir du Théâtre s'est arrêté. C'est gentil de supposer que je puisse être dans un état de grâce en écrivant, ce qui n'est pas du tout le cas. Je travaille et je me bats. Je ne suis pas carriériste, ni stratège, ni virtuose. La fleur du secret de Zéami, la grâce du moment, n'existe pas en littérature pour moi. Écrire est un long chemin et un écrivain arrive à maturité après un certain nombre de livres, non ? Pas de grâce, mais du travail d'écriture en ce qui me concerne. Et un chemin difficile. Cette difficulté que je reconnais comme chemin. Peut-être Autopsie du sauvage échappe à cela par ses maladresses. Mais je ne parlerai pas de Grâce mais d'urgence, de souffle, de brûlure...
J'écris, je passe mon temps de présence au monde à écrire, je ne fais rien d'autre de ma vie. C'est un choix et un combat permanent. Je fais partie des boxeurs plutôt que des acrobates. Les moments où je n'écris pas, je continue de vouloir écrire ou de penser à l'écriture ou de penser à détruire cette langue de la nation qui m'empêche d'écrire et à détruire toute une partie de la littérature que je trouve prétentieuse, inconsistante et qui se répand.
J'aime la littérature si elle est vitale. Si elle est capable de me sauver de moi-même. Sang damné a sauvé une vie au moins, je le sais, j'ai rencontré celui qu'il a sauvé.
Nous sommes vivants, parce que nous sommes fragiles. Nous sommes vulnérables parce que nous sommes en vie. Écrire est une nécessité qui me tient le nez au vent et me remplit de vitalité. Le combat n'est pas encore fini. J'arrêterai avec plaisir lorsque je serai tout à fait heureux. Vaincu ou vainqueur. Je me suis fait cette promesse : Un jour, je serai un bel idiot heureux et je n'écrirai plus.(* J'aurais dû parler de parcours. Ah, les mots et leurs pièges !)
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2943
"L'enfant avait marché dans la poussière au milieu d'un vaste désert rouge. Il avait croisé des gens qui ne lui parlaient pas, tous étaient couverts de poussière. Tellement couverts de poussière qu'ils semblaient des statues en marche. Marche lente, un pas, puis un autre. Ils semblaient avoir marché depuis un autre temps, depuis d'autres générations, une préhistoire commencée avant l'horizon. Ils étaient nombreux, avançaient par petits groupes dispersés. L'enfant en avait croisés tellement et depuis si longtemps qu'il n'y prêtait plus attention. La nuit ne tombait pas et ça n'étonnait pas l'enfant parce qu'avant d'arriver dans ce grand désert rouge, quand il était encore dans son pays, il s'endormait avant que la nuit tombe et il s'éveillait quand le soleil était déjà haut. Alors, il n'avait toujours connu que le jour. Ceux qu'il croisait venaient de la nuit, il le sentait bien. Il le voyait dans leurs regards. Au milieu de leur visage de latérite, leurs yeux ressemblaient à des galets noirs qui brillent. Brillent de fatigue et d'épouvante. Un jour – mais « un jour » ne veut rien dire ici – un enfant de son âge s'arrêta. Ses yeux de galets noirs fixés sur les siens. « D'où viens-tu ? » dit l'enfant couvert de poussière. L'enfant lui montra la direction de l'horizon, là d'où il venait. Et l'enfant rouge aux yeux noirs reprit sa route sans un mot, il allait dans la direction indiquée par l'enfant. L'enfant le vit s'éloigner. Il savait qu'ils ne se reverraient plus. Ce n'était pas grave et pourtant, cette image de l'enfant, de dos, maigre et couvert de poussière, qui reprenait sa marche obstinée, l'emplit d'une tristesse insupportable. Alors, l'enfant tourna les talons, se joignit à l'interminable colonne des voyageurs et marcha comme eux, à pas lents. La poussière soulevée le recouvrit. Il y avait un voile obscur au dessus du paysage, posé sur l'horizon."
Minotaure (extrait).
Cette pièce qui ne sera peut-être jamais jouée.
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Les petites phrases de JMD
" Il ne ferait pas de mal à une mouche si l'on considère la sodomie comme un bien"
Ce n'est pas de moi, mais de l'ami JMD, qui se porta déjà au secours de Kronix. Pour connaître ses autres participations, tapez "JMD" dans la recherche (je veux dire : pas chez Proust, dans ce blog).
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Les Nefs de Pangée - Critique
Une de plus, et figurez-vous que je ne m'en lasse pas. Quand on a un égo plus ou moins en miettes, que l'on quête constamment l'intérêt (sinon l'amour) des autres, on ne néglige aucun message positif. On voit là que j'ai toujours peur de ne pas paraître légitime, rien à faire, ça ne passe pas. Alors, l'accumulation d'éloges est un moyen comme un autre d'épaissir l'armure. Et puis, je pense aux heures passées sur ce livre, au manque de sommeil, aux derniers mois d'écriture, aux tensions avec mon éditrice, ma chère Stéphanie, à ma douce qui s'inquiétait et s'épuisait à me rassurer. Quand je pense à ce que ce roman m'a coûté d'énergie et de travail, merde, je me dis que j'ai bien le droit de récolter les louanges, et puis, personne n'est obligé de lire les articles en lien, non plus. (Pourquoi est-ce que je me défends comme ça ?)
"Magistral, un monument ! " titre ce joli billet. Merci à Choin de Senscritique.
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2940
Je ne sais pas si je vais continuer à me laisser traiter de grosse vache, comme ça, chaque matin, par ce miroir.
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Contes horrifiques
Elle est dans une cabine d'ascenseur à l'arrêt, dont les portes refusent de se refermer. Elle tape sur le clavier en vain. L'ascenseur reste ouvert sur un couloir dont on ne voit -la caméra étant en hauteur- qu'un trapèze lumineux. La vidéo muette déroule froidement ces cinq minutes de la vie de la jeune femme. Cinq minutes pendant lesquelles elle s'agite, passe une tête dans le couloir, rentre, n'ose sortir, tente de se cacher dans un angle, essaye encore de faire repartir l'ascenseur. Manifestement, il y a quelqu'un dans le couloir, que la caméra ne peut pas voir. Enfin, elle tente une sortie, on la voit debout dans le couloir, s'adressant à une personne, hors-champ. Elle est, buste en avant, à faire des gestes dont on pourrait penser qu'ils sont de négociation. Et puis, ses mains en s'agitant, prennent un angle bizarre, comme si elles étaient montées à l'envers sur les poignets. Les portes de l'ascenseur se referment sur cette image dérangeante.
On a retrouvé son corps nu dans un réservoir, au sommet de l'hôtel. Parce que tout le monde se plaignait du goût ignoble de l'eau.
L'affaire date de quelques années, reste inexpliquée, et la vidéo est visible quelque part sur le net, pour ceux qui n'ont pas peur des insomnies. -
2938
Mal habillé et hypersensible, ses collègues cheminots l'avaient surnommé la loque émotive.