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  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    "Parfois contemplatif, voire mystique, Christian Chavassieux s’interroge sur son univers, et le nôtre, dans cette chasse à la baleine blanche à l’échelle d’un monde. Complexe, étendu, chaque parcelle du récit s’enchâsse parfaitement dans l’histoire de Pangée pour dévoiler un monde d’une richesse infinie décrit avec poésie et violence.
    Une grande œuvre pour une grande histoire, exigeante et sublime."

    Excellent résumé, belle critique. Mine de rien, vous savez, on écrit aussi pour rencontrer la sympathie des lecteurs. Ce n'est pas rien, la reconnaissance du plaisir qu'on a pu donner. C'est tout récent, et c'est sur le blog  un dernier livre. sous la plume d'une certaine Marcelline, que je remercie vivement.

     

  • 2780

    Jour de Congé
    Christian Degoutte
    Thoba's éditions.

    degoutte.jpgUne femme, qu'on imagine jeune (« tendre cycliste, juste vêtue des particules de la vitesse … les cuisses … dans le fourreau d'abeilles de la lumière ») profite d'un jour de congé pour se promener en vélo, « sous un soleil massif ». On suppose un été dans le sud de la France, Tarn, Ardèche ou canal du Midi... la jeune cycliste traverse le paysage. Sous la lumière, sa robe oscille entre le vert et le bleu. On est à son rythme, elle prend des photos, cueille l'eau d'une cascade entre ses paumes, s'attarde sur les insectes qui sont autant de petits dieux, fait une sieste dans l'herbe, s'attable au hasard et mord dans une pizza « grande comme sa figure », s'étend au bord d'un lac pour goûter « cette presqu'île du temps qui s'étire sous l'herbe souple », longe un canal, sa course est alors une corde fine « c'est du Bach au clavecin ». Elle va ainsi « à peine plus audible qu'une abeille chargée de pollen », jusqu'au soir où elle rêvera, accoudée à son balcon au dessus de la nuit citadine, revivant le souvenir de sa promenade. Le chemin, les enfants qui s'ébattaient dans la rivière au fond d'une gorge, les familles chargées de glacières qui s'installaient, les préparatifs d'une fête de village qui sonnaient dans l'air (« tubes d'acier ... gong sous les platanes »).  
    Comme souvent (toujours ?) chez Christian Degoutte, la vie est sensuelle, tout respire et tout bat, la chair est partout sous le soleil : « les mamelles de bruyère » ; « une fillette sur une balançoire, échevelée jusqu'au sexe » ; « les cailloux gardent mémoire de la sueur » ; « le temps est un animal qu'elle caresse contre sa cuisse » ; mais c'est comme ces vanités où la corruption guettait la rondeur charnue des fruits. La cycliste se sait minuscule, elle connaît la fragilité des choses, ou bien est-ce l'auteur qui ne peut s'empêcher de la lui rappeler ? Il sait, lui, que sa belle photo prise au dessus d'un ravin, est ratée, que les roues sont passées innocentes, « entre les larves qui boulangent la terre » ; que « la graine qui a élu le bord du ravin » est devenue un pin tordu ; que le vent n'a pas plus de visage que « le bassin de couleurs » d'un écran de télévision ; et que les idées qui naissent pendant la promenade ne changent rien à la prétention de vivre : « comme si penser lentement allongeait la vie » !
    Le texte de Christian Degoutte est accompagné, dans cette belle édition à l'italienne, des œuvres de Jean-Marc Dublé. L'artiste a choisi le mode étonnant du « mail-art » pour apporter ses couleurs au poème. La lecture est rythmée par les reproductions d'enveloppes peintes envoyées à des amis. Echo chaleureux des lettres de vacances, du voyage, du parcours, de toute une vie qui reste scellée dans le secret du papier. Jean-Marc Dublé a travaillé graphiquement les notions de boucles, de circuits, la succession cinétique des verticales, évocation de la déformation des éléments du paysage, autour de notre cycliste.
    Une réussite manifeste que je vous invite à découvrir. Christian Degoutte sera mon invité, avec Emmanuel Merle, à Gilly-sur-Isère, le 3 juin. Et je sais que Jean-Marc Dublé sera présent. Comme le monde est bon de produire infatigablement des êtres aussi précieux !

    « Ton seul chemin, c'est ton corps, dit-elle en tapant
    du pied sur le goudron, file ! En un rien de temps
    le vipéreau se mélange à l'herbe. »

  • 2779

    Quelques Roses sauvages
    Alexandre Bergamini
    chez arléa.


    arton987.jpgL'auteur doit sentir encore la présence de son ami défunt quand il marche dans Berlin, sur les dalles façonnées par les prisonniers des camps nazis, il a probablement encore en tête le suicide de son frère quand il entre dans le Musée du mémorial et se trouve face à une photographie étrange : deux jeunes rescapés des camps descendent un boulevard et fixent l'objectif en souriant. La légende précise la date : été 1945 ; l'origine du premier : juif hollandais ; le camp où il était prisonnier : Sachsenhausen, et les noms des deux amis dont il imagine aussitôt qu'ils sont homosexuels (étant homosexuel lui-même, sa vision est possiblement orientée). Oui, l'auteur est dans le deuil quand il amorce l'enquête que lui inspire le cliché. Aussi, le vide, la perte, le trou noir de la mort, soutiennent tout le récit d'Alexandre Bergamini, et expliquent peut-être qu'il était essentiel pour lui de l'écrire.
    A la fois échappée, bataille, enquête, rencontres (avec l'administration allemande, pas toujours amène, avec de jeunes couples allemands, avec un des hommes de la photo, par téléphone, qui ne dit rien, meurt quelques jours plus tard, et avec une vieille dame accablée par une faute qu'elle n'a pas commise), essai criblé de chiffres, d'anecdotes, de citations et de témoignages pour comprendre, comprendre, comprendre... Quelques roses sauvages mêle sans s'emmêler, les réflexions nées des rencontres, des confrontations avec les lieux, avec la mauvaise conscience d'une civilisation qui s'est condamnée là. On réalise que l'univers des camps de la mort, la logique qui les a fait naître, est en nous, désormais, que cette logique est parente de celle qui règle nos vies, le tourisme de masse, l'élevage de masse, l'industrie et l'asservissement des masses, la chosification des corps, la marchandisation de tout et de l'art. Ces thèmes universels s'ajoutent à la démarche intime de l'auteur. On notera d'ailleurs que l'un des hommes de la photo, sur les traces duquel il est lancé, est nommé par ses initiales : A. B., qui sont aussi les initiales de l'auteur, Alexandre Bergamini. Dès lors, questionnement personnel et recherche sur l'extermination dans les camps de la mort, sont inextricables. On côtoie dans sa démarche, le fils d'un père qui refuse toute responsabilité dans la mort de son autre fils, les enfants de bourreaux qui portent le poids de la culpabilité des pères, tout s'imbrique au fil des pages, sans que rien n'accouche d'une morale ou que la pédagogie de l'Histoire et des chiffres ne constituent les clés définitives qui permettent de la dépasser.
    L'enquête de l'auteur le mènera jusqu'à la fille du responsable du camp hollandais à partir duquel les juifs, homosexuels, résistants politiques, étaient envoyés dans les camps de la mort. Scène bouleversante où la compassion prend la place, où le répit est offert au lecteur, à la vieille dame qui ne retient plus ses pleurs, à l'auteur qui a ce pouvoir immense d'offrir sa sollicitude, parente du pardon.

    NB : au mois de mars, Actes Sud publiera un roman de Daniel Arsand sur un homosexuel survivant d'un camp de la mort. Son titre : Je suis en vie et tu ne m'entends pas. Je vous en parlerai, parce que je crois que c'est un coup de maître.

  • 2778

    Le Réalgar poursuit son travail obstiné d'édition de textes subtils, gracieux, étonnants. Kronix a déjà eu le plaisir d'évoquer plusieurs titres parus dans cette maison stéphanoise, tout entière portée par Daniel Damart, également galeriste dans la même ville. On doit à son goût pour la peinture cette importance de l'illustration, en couverture et à l'intérieur des livres. Je parle d'illustration par convention, car les œuvres choisies ne sont jamais serviles, à raconter le texte d'une autre manière ; nous voyons s'élaborer au fil des pages et des publications de véritables dialogues. Il arrive aussi que la peinture et/ou le peintre soit le sujet du texte. On l'a vu avec l'excellent Icecolor d'Emmanuel Ruben à partir du travail de Per Kirkeby, on en trouve encore un exemple avec l'une des dernières productions du Réalgar : La petite aquarelle de Bruno Duborgel, qui appuie son discours sur une œuvre de Zoran Music.
    couv-LPA-page001.jpgLa petite aquarelle du titre est un paysage rocheux peint sur un papier de format modeste. L'image semble une sorte de mosaïque ou de concrétion de prismes hétérogènes, enchâssés dans une gangue blanchâtre (on pressent que la reproduction d'une aquarelle aux teintes aussi délicates dans le livre ne peut être qu'une approximation, aussi scrupuleux puissent être le travail de l'imprimeur et la vigilance de l'éditeur). Duborgel ausculte ce dessin de la façon la plus précise, allant jusqu'à remarquer (et ne pas omettre de décrire), de minuscules trous d'épingle, détail à partir duquel il imagine une exposition prolongée à la lumière de l'atelier, qui explique un certain jaunissement du papier.
    Le paysage (ce mot que le peintre a « désenclavé de son usage étriqué ») choisi par l'auteur date de 1978, il fait partie d'une série intitulée également Paysages rocheux. Pour Duborgel, la petite aquarelle est le viatique de tous les départs pour l'appréhension d'une œuvre riche et puissante. Elle rejoue le parcours de l'artiste dans son art, son passage par l'abstraction dans laquelle il pense s'être fourvoyé un temps et son retour, après ce filtre, à une figuration débarrassée d'anecdotes ; elle dit aussi l'âpreté et la sécheresse de paysages de son enfance quand, entre 4 ou 5 ans, le petit Zoran traversait en train « les pentes et plateaux calcaires nus du Karst » ; le blanc du calcaire, la sécheresse lumineuse qui s'en dégage, évoque des amas de cadavres, dit quelque chose du « givre mortifère » qui nappait Dachau, le camp de l'horreur dont l'artiste est revenu ; même le format réduit de l'aquarelle (19X28 cm.) constitue un enjeu dans l'œuvre de Music : le recours fréquent à de petits formats affirme la nécessité de proposer une image « rassemblée, dépouillée » pour mieux ouvrir sur « des espaces d'interrogations fondamentales, universelles ».
    A petits pas bienveillants, prenant à l'épaule le lecteur comme pour une visite parmi les tableaux, Bruno Duborgel affine et rehausse à chaque ligne les niveaux de compréhension d'une œuvre. La démarche pourrait s'appliquer à d'autres, mais on sent une connivence, une évidence, une clarté d'aquarelle dans la manière dont l'auteur aborde sa déambulation, qui fait de ce texte une de ces belles passerelles qui sont jetées parfois entre écrit et peinture.


    couvSentiments.jpgOn me pardonnera (peut-être) ce lien audacieux, mais il y a chez Jean-Noël Blanc une qualité de l'image et du portrait qui en aurait fait, en plus de l'écrivain admirable, un peintre précis, s'il avait ajouté les pinceaux à sa plume (houlàlà...). Le Réalgar publie trois nouvelles de cet auteur dans un recueil intitulé de façon plaisante Avec mes meilleurs sentiments. Il y a souvent de l'humour chez Jean-Noël Blanc, il permet de cueillir le lecteur au moment où il l'a désarmé. Ce n'est pas un procédé, entendez bien : c'est une occasion de jouissance. On jubile beaucoup chez Jean-Noël Blanc. Son talent de nouvelliste n’est plus à démontrer (s'il est à découvrir pour vous, saisissez-vous au plus tôt, par exemple, de ce bijou qu'est Esperluette et Cie). Les trois nouvelles du recueil ne forment pas un « tout » manifeste mais elles égrènent de passionnantes tranches de vie, plus ou moins longues.
    Ce que c’est que le printemps nous place aux côtés du vieux paysan Victorien qui assiste aux derniers râles de sa vieille Roberte. Des gémissements qui rythment le texte, donc le quotidien, des râles si forts qu'il faut un orage pour les assourdir. Si Victorien se fout bien de la dignité, c'est qu'il n'a rien à sauver, aucune apparence à accrocher en boutonnière. Il n'y aura pas de miracle, aucune rémission. C'est le moment, « c'est le moment où tu tombes. Peu importe que ce soit moi ou un autre. Les hommes tombent, voilà tout. » Victorien va faire ce qu'il faut. J'ajoute que les peintures d'Elzévir, artiste choisi par Le Réalgar pour accompagner ces nouvelles, sont ici le prolongement idéal du texte. Les objets du quotidien, les silhouettes ternies par l'âge, créent une gamme complémentaire de sensations, absolument bienvenue.
    Madame Veuve, la nouvelle suivante, est un portrait de femme, Yvonne, qui a appris la couture à l'école du Sacré Cœur de Jésus. Une trajectoire bien installée sur des rails, des évidences : ne pas se fier aux paroles des hommes ; « regarde d'abord leurs pieds. Tel pied, tel homme. » ça ne se discute pas, de même que « les études, c'est pour les garçons » (on vous parle d'un temps, d'un temps où l'on plume les volailles chez soi, où l'on tricote en écoutant la TSF, un temps où les femmes sont recluses en cuisine et tout va bien). Yvonne va travailler à la ville comme couturière, taisant ses regrets pour les yeux d'un Amédée à qui elle n'a rien dit et qui s'est marié avec une autre. Dans l'atelier où elle travaille maintenant, les ouvrières lui apprennent que pour jauger un homme c'est ni les pieds, ni les yeux, ni les paroles : c’est les fesses. Et les chansons populaires ponctuent la vie. Les couplets évoquent le temps qui passe, les années, leurs paroles sentimentales se font l'écho des émotions et des tragédies vécues. Cuisses écartées, allongée sur une toile cirée, aiguille à tricoter, les problèmes qui s'en suivent, l'hôpital, la dureté des autres, l'absence de compassion, des autres femmes même... les rituels de ce temps. Les ambitions étaient minces, elles se réduisent encore. Maréchal nous voilà est passé, on en est à comme un p'tit coquelicot mon âme quand Yvonne finit par s'installer avec Félix. Oh, pas l'amour, pensez bien, « disons, l'existence en couple » et ce sera déjà pas mal. On est vite veuve, en ce temps-là, veuve de riche ne signifie pas riche soi-même, la famille veille, les yeux fatigués d'Yvonne retournent à la couture. Et la fin de cette nouvelle, bon sang, la fin, c'est bien sa vie, c'est bien la vie de ces femmes, tout est là, dans ce précipité de désespoir, cette contraction ultime au bout de la perspective d'une vie longue et dérisoire. Comment se résoudre à ce médiocre bilan ? La condition humaine. Jean-Noël Blanc au plus juste, ça vous remue, que dire de plus ?
    Bonjour Mademoiselle clôt la trilogie avec un monologue à la fois cruel et drôle mais, lue dans la foulée des autres, on ne peut s'empêcher d'avoir au cœur le serrement des existences qu'on vient de croiser, et ça grince toujours, malgré l'humour.

  • 2777

    Dans ce monde parallèle, Kronix est génial chaque jour. C'est un autre monde, bien sûr.

  • 2776

    Dans ce monde parallèle, un réalisateur a réussi à filmer la conversation de deux fantômes. C'est spectaculaire et frustrant, car le film est muet. Des gens qui lisent sur les lèvres ont étudié le document et ont conclu que les spectres comparaient la qualité de certains types de revêtements pour casserole.

    Dans ce monde parallèle, le réalisateur de films de fantômes a tourné ses enregistreurs vers le fond de la mer. Il prétend avoir déchiffré le monologue d'un poulpe. Il s'agit d'interminables considérations sur la consistance des excréments relativement à la salinité de l'eau. Une pétition demande au réalisateur de changer de boulot ou de s'occuper de choses sérieuses, maintenant.

  • 2775

    Dans ce monde parallèle, l'araignée qui sossote commande une mousse. Et puis, comme on se moque d'elle, elle prend un ver comme tout le monde.

  • Rencontre Lettres-Frontière

    Amis Genevois ! Ce soir, à 19 heures, la médiathèque municipale Minoteries, à Genève nous reçoit, Xochitl Borel et moi, tous deux heureux lauréats du Prix Lettres-Frontière, pour une rencontre, la première de l'année, animée par Sita Pottacheruva (que j'avais eu le plaisir de découvrir en 2009, pour le Baiser de la Nourrice et qui fait le merveilleux métier de "guide cyclo-littéraire !). Autant d'occasions d'être heureux.

  • 2773

    - Comment l'authentifier ?

    - Autant t'y fier...

  • 2772

    Dans ce monde parallèle, ma douce n'existe pas. De grands moyens sont mis en œuvre pour l'inventer.

  • 2771

    Dans ce monde parallèle, on se souhaite des Allahou Akbar-Mitsvah.

  • 2770

    Dans ce monde parallèle, les frères Lumière sont peintres. Ils ont produit en commun un tableau intitulé « Sortie des Usines Lumière ». C'est pas mal, mais il manque quelque chose, un je-ne-sais-quoi... un peu de couleur, du mouvement ?

  • 2769

    Chers lecteurs de Kronix. Je ne vous ai pas prévenus parce que j'en fais seulement le constat : Kronix a sournoisement abandonné sa discipline quotidienne. Voyez le nombre de billets ci-dessus et comprenez que je fatigue.

    Cette pause (en tout cas, ce ralentissement dans la fréquence) sera l'occasion de réfléchir à la fonction et à la pertinence d'un blog.

    Merci de votre fidélité et de votre compréhension.

    A bientôt.

  • 2768

    Tellement attentiste que ses opinions prenaient de la mousse, côté nord.

  • 2767

    Khan fixait le jeune homme avec une intensité inhabituelle, où se lisait un désir d’adhésion totale. Kargo ne la lui refusa pas. Il promit de continuer l’œuvre, dans la mesure de ses moyens. Il renonça à tricher, à dire : « mais nous n’en sommes pas encore là, tu as de nombreuses années devant toi, tu poursuivras toi-même ce travail, et toi seul… », toutes ces formules qui seraient ridicules à cet instant. Lui revinrent les mots de Jhilat, quelque chose d’étrange à propos des hirondelles et du sens de l’Odyssée. Un propos autour « du sens des choses et du sens des livres… » Khan opina, il connaissait l’histoire : « Je me souviens, oui. À la fin de l’Odyssée, Ulysse, déguisé en mendiant, caché même à sa femme, participe à l’épreuve que Pénélope a imposée à ses prétendants. Il s’agit de bander son arc. Aucun prétendant n’y parvient. Ils font chauffer le bois au feu, ils essayent chacun leur tour, impossible. Il faut être un héros de l’Iliade pour réussir, apparemment. Quand le mendiant propose d’essayer on le moque d’abord, mais finalement on le laisse faire. C’est Ulysse, il a assez de force pour courber le bois à sa volonté et parvient à placer la corde (il mima les gestes). Ainsi fait, pour vérifier la tension de la corde, Ulysse la fait vibrer. Dis-moi, Léo, as-tu déjà entendu le cri d’une hirondelle ? » Kargo rappela qu’elles avaient disparu bien avant sa naissance, et Pavel conclut : « Voilà. La corde de l’arc d’Ulysse répond à la tension en émettant le cri de l’hirondelle, dit Homère. Nous ne savons donc plus, aujourd’hui, quel son faisait la corde de l’arc d’Ulysse. Si les choses qui donnent le sens d’un livre disparaissent, l’une après l’autre, est-ce que ce livre a encore un sens ? Voilà ce qui obsédait Iradj, et qui le rendait insensible à mon amour des livres. »

     

    Extrait de Mausolées. Editions Mnémos, 2013.

  • 2766

    Hier, j'annonçais triomphalement avoir mis un point final à La Grande Sauvage. Précisons qu'il s'agit du point final de la version alpha du roman. Mes manuscrits connaissent en général plusieurs étapes de réécriture qui mènent à une version delta, acceptable pour l'éditeur (avant que celui-ci, éventuellement, propose des aménagements pour le bien du livre). Cependant, la version alpha est une étape décisive (je vous fais rentrer dans la cuisine, ne faites pas attention au désordre, merci), parce qu'elle permet enfin de posséder une vision de toute l'architecture du livre, d'en percevoir à partir de là, les faiblesses, les parties à réduire ou à renforcer, des scènes à supprimer ou à ajouter, des personnages à enrichir. Pour chacune de ces phases, je cisèle le vocabulaire, approfondis les notions qui seraient trop esquissées, ou allège les morceaux trop explicites ou pédagogiques (ce qui est souvent le défaut d'un roman historique). Il y aura aussi le problème particulier des dialogues. Il est impossible de « faire parler » des personnages du XVIIIe dans leur véritable langue. D'abord parce que, malgré la multiplicité des documents, rien n'est sûr et, en tout cas, pas forcément utilisable. Par exemple, nous avons des lettres de soldats, des documents donc, issus du petit peuple, écrivant à leur famille. Lettres farcies de formules propres et de fautes. Mes personnages du peuple pourraient parler de cette manière, mais l'effet serait par trop exotique, semblerait plus factice qu'une forme que je vais élaborer à partir de ce français dégradé. Je ne peux pas non plus multiplier les occurrences du vocabulaire d'époque, parce que les dialogues seraient illisibles. Des choix vont s'opérer, des compromis qui donneront un effet naturaliste, obtenu par des procédés tout-à-fait spécieux et fautifs. Un roman historique n’est pas une machine à remonter le temps. Il faut que l'auteur et le lecteur aient bien conscience de cette impossibilité et des artifices qu'elle implique. Voilà les problèmes auxquels je vais maintenant me consacrer. Je vais aussi travailler sur un glossaire et un appareil de notes que j'espère divertissantes.
    Je voulais par ce billet, vous faire prendre la mesure de la relativité de l'expression « point final » pour un roman.

  • 2765

    Tu vois les mots, là-bas ? Tout là-bas ? « Les femmes ne pouvaient se retenir de le pincer aux joues et de l'embrasser. » ? Eh bien ce sont les premiers du roman. C'est loin, n'est-ce pas ? Et tu vois, là, ce point ? Ce point, ici. C’est le point final. Voilà, c'est fait. J'ai fini La Grande Sauvage.

  • 2764

    Monsieur,

    Malgré tout son intérêt, nous avons le regret de refuser votre candidature. L'étude de votre dossier montre en effet une grande dissymétrie entre l'ampleur des moyens mis en œuvre et le nombre modeste de victimes.

    Bien à vous,

    M. El Bagdhadi.


    (Lettre de refus de Daesh à la candidature spontanée du commandant du Costa Concordia)

  • 2763

    Mobilisons-nous pour sauver la figure du sale con, menacée par le politiquement correct qui voudrait le remplacer par celle du pervers narcissique, ce qui est lui faire beaucoup d'honneur.

  • 2762

    Le problème, avec la Révolution française, c'est qu'on croise des personnages de roman à chaque coin de rue (et sur les toits, sur l'eau, dans les champs, derrière le moindre bosquet). Et je n'ai qu'un roman à écrire.