Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Commençons par les journaux, ce sera plus simple

    Dans un début de roman que je vous offrais il y a peu, je prédisais l'avènement d'un ordinateur écrivain, Hugo 01.

    Je suis persuadé qu'il ne s'agit nullement d'un délire, mais d'un futur plausible. D'ailleurs, l'entreprise est en route, pour l'instant avec des formes simples, comme le journalisme sportif, mais demain, si un écrivain désire participer à l'expérience, oeuvrer en collaboration avec une firme genre infolab pour "éduquer" un ordinateur, lui apprendre son style, sa forme de pensée, ses tournures et lui donner des sujets, je pense que nous y serons. On y vient, en tout cas.

  • Portrait d'une héroïne

    Sabine restera belle, mais négligeable malheureusement. Elle paye le prix de son indépendance et de son égoïsme. Personne n'entre assez longtemps dans sa vie pour qu'elle compte pour autrui. Elle pourrait puiser de la force dans sa nature rebelle aux attaches, mais se morfond, s'interroge, s'adore et se déteste. Seule, elle souffre continûment, adopte chaque nouvelle technique promettant le bien-être -massages, sophrologie, mouvements des yeux, cri primal, je ne sais quoi- se réjouit brièvement du résultat, se pense heureuse, se voit en femme heureuse puis, seule chez elle à nouveau, renonce et désespère, jusqu'à la prochaine méthode-miracle. Comment lui dire qu'elle est seulement accablée de paresse à l'idée d'aimer quelqu'un, à la perspective des efforts nécessaires pour être généreuse et confiante. Sabine n'attire que les bites et les imbéciles, les unes précédant souvent les autres. Autrement, elle chante bien.

  • Notes pour "Peindre" - 2

    Même principe qu'énoncé précédemment.

    "Ce n'est pourtant pas sacré. Il n'y a pourtant pas d'extase, pas de lumière divine, ou d'inspiration mystique. Mais il reste un mystère. Je viens, je viens à ma toile, nous commençons une danse, elle et moi, et nous ne cesserons de danser que lorsque la musique s'arrêtera. Aucune fatigue, aucune soif ne pourrait distraire notre ronde complice. Seulement la fin de la partition que personne ne joue. Au bout d'un temps imprévisible, nous sommes convaincus elle et moi, qu'il faut nous séparer, nous assoir au bord de la piste, reprendre souffle et nous sourire. Nous savons que la musique reprendra. Mais il y a toujours ce mystère un peu agaçant : où est ce fichu orchestre ?

    Je ne sais pas comment ça commence, je ne sais même pas pourquoi. J'ai beau chercher, j'ai beau deviner des bribes d'enfance, des joies anciennes ou des peurs primitives, ce ne sont que des tons, des notes, des accidents. Il y a autre chose. Une urgence. Une impossibilité. Je suis incapable de ne pas peindre."

  • Notes pour "Peindre"

    En ce moment, je délaisse mon roman pour travailler sur un scénario de bande dessinée, une série d'albums. Mais il faut bien aussi que j'avance sur l'écriture préparatoire de notre pièce : "Peindre". Mise en scène par François Podetti, mise en musique et son par Jérôme Bodon-Clair, mise en images par Marc Bonnetin, cette pièce est normalement programmée (on attend une confirmation offcielle) pour avril 2011. En avril 2010, c'est-à-dire dans un mois, nous allons rencontrer des peintres de la région, des artistes dont le travail est inspirant, et avec le matériau collecté nous allons commencer l'écriture et les improvisations à partir des pistes que nous aurons dégagées. Une démarche à part, un peu casse-gueule, mais stimulante. Je laisse ici un extrait de mes notes, écrites l'an dernier, dès les premiers jours où François et moi avons échangé sur le sujet. Si jamais elles sont utilisées pour la pièce, il peut être intéressant de découvrir, pour un spectateur éventuel, comment tel thème est retravaillé, épuré, assimilé dans un autre ou joué sur un silence, et comment l'écriture de notes devient une écriture théâtrale.

    "Si je mets de côté le mystère initial, tout cela pourrait se résumer par la plongée dans le travail. Une aspiration dans le temps. La toile est un gouffre, un ciel, je suis élevé, enfoncé, noyé dedans. C'est comme un saut depuis la stratosphère. C'est interminable. Elle me regarde aussi. Ou bien je l'ouvre, ou bien je discute avec, elle est bonne fille. Elle écoute. Ou bien c'est moi qui écoute ce qu'elle a à me dire ; ce qu'elle veut que je lui fasse dire. Ensuite, je travaille. Je ne travaille pas. Je suis, je suis, je suis enfoncé noyé, enterré, enseveli, immergé, dans le travail ou dans la marche inconsciente de ma main sur la toile. On appelle ça un temps de travail par commodité, on cherche à traduire pour les autres qui ne connaîtraient pas cette plongée, on donne ce mot, « travail » pour tenter une approximation, un à-peu-près qui ferait sens, mais en fait. En fait, c'est plus que du travail, c'est autre chose, ce n'est pénible que si l'on sent qu'on travaille, autrement, au meilleur du temps, quand tout s'enchaîne, que tout est fluide sous la main, sans verbe, sans égards sans reflets, lucide, éternel, quand tout va vers la toile, tout, quand je vais tout entier vers la toile, alors c'est plus que du travail, c'est du temps absorbé du temps délivré, inscrit là autour de moi, ça n'a pas de sens, tout se déploie, se déplie se replie se chevauche, le temps la vie les gens, je suis entier dans le geste, dans la couleur, je n'entends plus, tout s'abîme et s'éclaire, disparaît et se révèle. Nous connaissons de tels moments, nous connaissons cela, je pense que chacun peut en avoir éprouvé une parcelle, un écho fugace, dans le sentiment de l'accomplissement."

  • La même eau, le même ciel

    Nous voici à la place fréquentée par notre enfance. Nous venions sous la pluie ramasser le cresson, puiser l'eau de la fontaine. C'est grand soleil aujourd'hui. Quel effet cela fait-il ? C'est voir la photo d'un lieu commun, pris au grand angle. Sa déformation curieuse, cette distance. Cet artifice. Nous étions là et nos fantômes ont quitté la fontaine, le cresson a poussé sans nous. Nous étions là, nous sommes là. A peine partis dans la vie, que déjà revenus et désarmés sous l'oeil impassible du temps. La même eau, le même ciel, Héraclite est dans l'erreur. Rien ne bouge, pas même nous. Nous ne faisons qu'une vaste boucle. Mais le soleil, sa lumière éphémère.

  • Frère M. 2/2

    Le frère M. était désolé de tous côtés. Une désolation que nos cerveaux d'adolescents attardés ne pouvaient concevoir et qu'il me faut une analyse adulte pour enfin la mesurer. Nous étions absolument vivants ; il était noyé dans l'encaustique des bancs d'église. Nous étions des chansons et des farces ; il pistait des scélératesses et des perversions. Pas Frolo ni Savonarole, certainement pas, pas assez romantique ou assez cérébral pour cela, mais un prescripteur confit, dressé par des générations de peurs bigotes et malheureux -mais curieux- des vices de ces temps, déversés débordant bouillonnant autour de nous, de nos lectures et de nos jeux. Pas obsédé, pas taré, pas malsain, mais étriqué, dépassé, désolé en somme, disais-je. Il avait pour moi l'attention incrédule qu'on a pour les cas. J'étais un cas. Nul autant que c'était possible, je me révélais par exemple, dans un exposé sur l'origine de l'univers, l'astronomie, l'histoire de la terre, la préhistoire, embrassée d'un coup d'aile en une démonstration, ou bien au catéchisme, que les autres subissaient servilement, tandis que j'y buvais un nectar semblable à celui de toutes les mythologies où je puisais mon catalogue d'histoires, mes scénarii de films ou de BD. Il y eut une année, particulièrement, où le frère M. m'adora.
    Décidé à être absolument conforme à ma réputation de cancre, j'avais abandonné toute velléité d'améliorer mes notes. Elles n'étaient peut-être pas mauvaises dans certains domaines, mais c'est qu'alors, sans effort, je parvenais à m'y maintenir. Pour le reste, mon classement dévalait une pente apparemment insondable. Il y avait le problème des soirs d'étude. A l'internat, sous le regard sourcilleux de frère M., il fallait bien que je trouve une occupation, un loisir, que je pourrais pratiquer au détriment de mes devoirs mais qui ne me vaudrait aucune remontrance. Je ne sais comment la solution se présenta ; elle fut sans doute immédiatement évidente. Au fond de la salle, il y avait une petite bibliothèque. J'avais déjà consommé « la case de l'oncle Tom », « les lettres de mon moulin », les Pagnol, tous les « Signes de piste » et les souvenirs de madame de Sévigné (étrange voisinage), les soirs au dortoir ou les mercredis après-midi. Il restait la Bible. J'ai dû d'abord l'ouvrir par curiosité, conscient tout de même du manège de frère M., qui circulait entre nos rangs studieux. Il dut lever un sourcil, sourire peut-être, reprendre sa déambulation, le cœur bousculé par quelque certitude. J'étais bien sûr le seul à lire la Bible. Chaque soir, toute la semaine, toute l'année, j'ai lu tout l'ancien testament, avec un sérieux de théologien. Aucun besoin de révision, de travail, de rattrapage en  mathématique, en physique, en tout, en rien. Une paix royale. Il me suffisait d'ouvrir le Livre, et frère M. passait en souriant. Je n'ai pas fait, croyez-moi, semblant de lire ; je me régalais. Page après page, je découvrais le montage hallucinant, que, coutumier de la fiction, averti des ressorts de la dramaturgie, de la fabrication des héros, des artifices de la construction des récits, je connaissais pour les pratiquer constamment. Je voyais, à travers la solennité biblique, les écrivains au travail, les fabricants de récits à la tâche, je sentais la sueur des fonctionnaires commandités, et pas toujours adroits, d'ailleurs. Dans le souffle du récit, je vis nettement, mais quel âge avais-je ?, les maladresses concernant le héros principal : Dieu. Personnage raté, indécis, branlant, capricieux, adouci ou furieux, injuste toujours. Un imbécile pris au piège de ses propres décisions, les exemples abondent. Il n'y a rien de tel qu'une lecture assidue des textes religieux pour, sinon devenir athée, en tout cas, deviner l'entreprise de fiction sous l'œuvre monumentale et intimidante, l'humain sous le canonique et par là, leur dénier une quelconque transmission divine. Le doute commence par là. A la fin de l'année, j'abordais le nouveau testament, nettement moins rigolo que l'ancien, et déjà enseigné au catéchisme. J'arrêtais là. Les cours s'étiolaient dans une bénévolence de début d'été, les martinets se croisaient dans le ciel, les vacances approchaient. On m'annonça d'autres décisions quant à mon avenir qui, de toute façon, ne m'appartenait plus depuis longtemps. Mais ce fut sûrement l'année où j'avais appris la chose la plus intéressante de ma carrière d'élève. Penser par moi-même.

  • Frère M. 1/2

    On avait pris pour moi des décisions radicales. J'avais été médiocre et distrait, au lycée. On soupçonna des complices néfastes, des influences dont il fallait me délivrer. On me plaça dans une institution religieuse. Un endroit où, véritablement, la bêtise cléricale triompherait de mes tendances à déborder des cours par l'imagination. Je laissai du même coup celle que j'aimais tellement que nulle déclaration n'avait franchi mes lèvres et qui, donc, n'a jamais su. L'internat qui désormais, m'interdirait la semaine le retour à ma chambre douillette, ses livres et ses jeux, avait des allures de cataclysme, et mon arrivée là-bas, un goût d'exil. L'institution, fleuron de l'architecture religieuse du XVIIIème, présentait d'abord aux condamnés une monumentale gueule de pierre, garnie d'une grille forgée dans les temps bibliques par Tubalcaïn. Pour l'ouvrir, le gardien pliait l'échine, plantait ses talons dans l'allée de terre, et repoussait le monstrueux battant en soufflant. L'hiver venu, il imposerait la manœuvre aux jeunes forçats, exigeant en se frottant les paumes, qu'on aille plus vite.
    Derrière la grille, s'ouvrait une cour de gravier renouvelé chaque année. La cour était flanquée d'un bâtiment des années 50, béton greffé sans âme à la superbe bâtisse de pierre d'origine. Le corps initial de l'institution était ce monument magnifiquement proportionné, que composaient quatre étages vertigineux, sur lesquels se hissait encore une toiture d'ardoises extrêmement pentue. Les simples élèves que nous étions, pourtant totalement incultes en architecture, passions de longs moments à admirer la sobre puissance de la bâtisse, à nous interroger sur sa construction, le tour de force dont elle témoignait. A l'intérieur, les salles de classe présentaient la même austérité pieuse, les mêmes proportions écrasantes. Pas un plafond à moins de trois mètres au delà de nos doigts tendus, d'immenses fenêtres pénétrées de froid, d'interminables couloirs carrelés et deux énormes escaliers aux extrémités du bâtiment. A leur sommet, au prix d'une ascension de pèlerin, les internes essoufflés déposaient leur cartable et regagnaient leur couche.
    A mes yeux, des têtes nouvelles flottaient dans les limbes des premières journées. Des visages, peu de sourires, des noms qui me deviendraient familiers. Une alternance de la lumière, le basculement du soleil par dessus le grand toit. La petite statue d'une sainte, plâtre niais exposé sur un muret bien en vue, la distribution de goûters et l'odeur de cire des escaliers énormes. J'apprenais, comme les autres nouveaux, à dormir dans la promiscuité de gosses plus crades que moi, d'enfants trop petits qui pleurent plusieurs jours de suite et de quelques somnambules. J'apprenais les déambulations sournoises du frère M. au milieu de la nuit. J'apprenais la fixité des jours semblables, qui paraissent ne pas se succéder. J'attendais, accroché immobile à une paroi sans fin. Les jours tombaient dans l'abîme, m'écorchaient au passage. Je me fis des amis -ou plutôt des copains. Aucun qui partageât ma passion pour le surfer d'argent mais plein de types épatés par mes connaissances en mythologie.
    Le froid, dur et tenace comme un étau, avait le même effet mécanique sur nous. Il nous rentrait la tête dans les épaules. Nous étions tous plus ou moins diminués de quelques centimètres dès que nous quittions le tiède refuge du dortoir pour descendre à la cantine. Puis nos vertèbres se tassaient encore lorsque nous sortions dans la cour. Entre les murs, la bise s'insinuait, mauvaise et pénétrante. Nos épaules se soulevaient d'un cran, nos visages disparaissaient d'autant plus pour certains que d'énormes écharpes avalaient comme un prépuce le gland de leur tête. La cour ressemblait alors à une bizarre fourmilière d'insectes étêtés. Frère M. déambulait au milieu de cette agitation, hautain et lent, le béret petit et l'écharpe ajustée. Seul pour contenir la cinquantaine d'insoumis que nous étions censés être, il avait la bénédiction de ses supérieurs et des parents eux-mêmes pour nous discipliner. Je le trouvais stupide et cruel. Je pense maintenant qu'il était seulement obéissant. Religieusement obéissant. Ce qui confine pour moi à la sottise, mais n'en est pas l'inévitable corollaire. Frère M. ne plaisantait jamais, il était de ces régressifs auxquels on n'a pas su dire que tout n'est pas forcément sérieux. Sous sa férule, les internes les plus timides s'aplatissaient davantage et, bien sûr, les plus retors faisaient exactement ce qu'ils voulaient. A qui présentait le visage lisse des chérubins, tout était possible.

  • 24 heures avant la journée de la femme

    Lu sur Mediapart

    Je vous livre l'info sans commentaire.

     

    2007 : Sarkozy prépare son élection

     

    « Je veux être le Président de la France des droits de l'homme. Chaque fois qu'une femme est martyrisée dans le monde, la France doit se porter à ses côtés. La France, [...] sera aux côtés de la malheureuse qu'on oblige à prendre un mari qu'on lui a choisi, aux côtés de celle à laquelle son frère interdit de se mettre en jupe. »

     

    Nicolas SARKOZY, 14 janvier 2007

     

    «  À chaque femme martyrisée dans le monde je veux que la France offre sa protection, en lui offrant la possibilité de devenir française. »

     

    Nicolas SARKOZY, avril 2007

     

     

    2010 : Sarkozy prépare la journée de la femme

    Najlae a 19 ans. Elle est élève au lycée professionnel Dolto à Olivet (Loiret). Elle a été expulsée samedi 20 février vers le Maroc.

     

    En 2005, pour échapper à un mariage décidé par son père, elle part chez son frère en France.

     

    Ce frère la maltraite régulièrement. Mardi 16 février, les violences atteignent un degré extrême et Najlae se réfugie chez la mère d'une amie d'internat.

     

    Le jeudi 18 février, Najlae dépose au commissariat de Montargis une main courante afin de signaler qu'elle a été à plusieurs reprises frappée par le frère avec qui elle vit. Elle a un gros hématome à l'œil, le nez enflé, des hématomes importants sur le dos, l'épaule, la cuisse, la main. Elle présente un certificat médical avec une Incapacité Totale de Travail de 8 jours.

     

    Le vendredi 19 février au matin, elle se décide à porter plainte contre son frère à la gendarmerie de Châteaurenard. Les gendarmes lui conseillent de récupérer ses affaires chez son frère et l'y accompagnent un peu plus tard. Ils en profitent pour prendre son passeport et la placent en garde à vue à 15 h 30. Vers 23 h, elle est transférée à la gendarmerie de Montargis. A ses amis inquiets, les gendarmes ne veulent même pas dire à quel endroit elle se trouve.

     

    C'est à 4 heures du matin que Najlae appelle ses amis pour leur apprendre qu'elle prendra l'avion pour Casablanca à 7 h 35 où elle arrive en fin de matinée.

    Najlae ne veut pas retrouver sa famille au Maroc car elle sait qu'elle est destinée à être mariée de force à un cousin.

  • Les chants plaintifs

    Ici était repris un essai d'écriture rapide sur « la symphonie des chants plaintifs » de Gorecki.

    Ce texte est en cours de négociation auprès d'un éditeur. je vous en dirai plus plus tard.

    Merci de votre compréhension.

     

  • Glou glou

    "Il faut construire dans les zones inondables", disait-il naguère, avant de ravaler ses bonnes idées devant les récentes catastrophes en Vendée. Une vidéo instructive.

    Bien sûr, les propos de Nicolas Ier sont sortis de leur contexte (il parlait du projet du "Grand Paris"), mais ils résument bien sa philosophie ultralibérale dans tous les domaines. Ici, il prône un urbanisme sauvage, au mépris de la nature et de ses lois, au mépris de la sagesse la plus élémentaire.

    Et comme pour l'économie, après coup, quand ce genre de politique scandaleuse a causé les dégâts que l'on sait, il revient, sans scrupule, sans remords, déclarer exactement le contraire.

  • L'absent

    A la mort de maman, j’avais des tas d’ennuis. Je venais de quitter mon boulot et François (puisque le deuxième me fournissait le premier) ; pareil pour l’appart’ où nous vivions ensemble, vu que c’était le sien. La mort soudaine de ma mère est venue en point d’orgue sur cette cascade d’emmerdes.
    D’ailleurs, j’ai la poisse, de façon générale. Mon père est mort quand j’avais seize ans ; mon frère adoré, qui avait vingt ans à l’époque, s’est barré de la maison deux mois plus tard, après une ultime dispute avec maman. Faut dire qu’elle était devenue insupportable. Depuis, plus jamais de nouvelles. C’était il y a longtemps, mais la blessure est toujours vive au fond de moi. Maman aussi a eu du mal. En fait, plus rien n’a jamais été comme avant. Elle s’est enfermée dans le silence, ne voyait plus personne. Je n’ai pas attendu la majorité pour aller respirer ailleurs. Dès que j’ai trouvé un type assez cool pour me prendre avec lui, je me suis barrée. Maman avait l’air aussi soulagée que moi de me voir partir. Ça aussi, ça m’a fait du mal : je me suis rendue compte qu’en dehors de Seb -mon frère- personne ne comptait pour elle. Après sa disparition, plus rien n’avait d’intérêt à ses yeux. On se voyait peu, je lui téléphonais de temps en temps. Jamais elle ne m’appelait.
    Et voilà, j’ai hérité de cette maison où elle a vécu seule pendant vingt ans.
    J’avais essayé de la vendre, mais beaucoup de gens reculaient devant le mauvais état de la villa. Et puis dedans, il y avait tout ce bordel que je n’avais eu ni le temps, ni le courage de débarrasser. Je suis comme ça, faut pas se mentir : une feignante. Finalement, la maison me servirait de dortoir en attendant de retrouver un boulot, de prendre un nouvel appart’. Deux-trois mois à vivre au milieu du passé, je pense que c’est jouable. La chambre de Seb était restée inviolée comme une tombe, tout était en place, du poster défraîchi aux bouquins poussiéreux. Pas envie de dormir dans son ombre. Ma mère avait réquisitionné ma chambre pour entasser des vieux meubles, des bouteilles de gaz, tout et n’importe quoi. Je n’y étais pas rentrée depuis mon départ.

    Je me souvins de l’ambiance terrible des derniers temps, quand j’entendais ma mère cogner sa tête contre la cloison, longuement, comme une folle. Je gueulais, elle s’excusait, mais elle disait que ça la calmait.
    Il n’y avait plus que sa chambre. J’ai tout de même viré le matelas du lit pour coucher dans le salon. Dormir dans le lit où elle était morte, entourée de photos de Seb, ça me foutait les jetons.
    J’ai eu du mal à dormir le premier soir, le mausolée à la gloire de mon frère, ces dizaines de photos de toutes les tailles, partout dans la maison, ça me hantait. Je me suis endormie dès que j’ai pris la résolution de tout ranger le lendemain matin. Après le petit déjeuner (je vous passe les détails : l’eau n’était pas rétablie, il a fallu que j’aille acheter des bouteilles à la supérette, à un kilomètre de là), j’ai ouvert en grand les fenêtres partout. J’ai aéré la chambre à la grande surprise des acariens qui n’avaient pas dû voir le jour depuis des années, et j’ai commencé à ranger. Les fringues sentaient le moisi, de la crasse noire s’était développée sur les vitres, j’avais envie de foutre le feu tellement c’était crade. J’ai remisé les photos du vénéré Seb dans des cartons trouvés à la cave.
    La cave, là c’était le sommet (enfin, en bas, mais un sommet tout de même), un bric-à-brac monstrueux, commencé du temps de papa qui ne jetait jamais rien, prolongé et multiplié par maman, d’une façon maladive. Vingt ans de récupération de roues de vélos, de paniers crevés, de chaises cassées et de moteur de frigos. Là, je me suis décidée à foutre le feu. J’ai entassé dans le jardin tous les trucs susceptibles de brûler sans trop de fumée. C’était crevant, mais magnifiquement exutoire ! Je me suis juste arrêtée un moment pour manger, en contemplant ce feu de la Saint-Jean que j’avais organisé pour moi seule.
    Je n’avais rien de mieux à faire, le chômage assurait le minimum, vivre ici m’économisait un loyer… Je me suis concentrée sur le nettoyage de la maison. La cave se vidait, les pièces du haut reprenaient un peu de couleurs, j’avais arraché les vieilles tapisseries… Enfin, il y a eu cette grosse armoire découverte derrière le capharnaüm de la cave. C’est là que j’ai trouvé les lettres de maman. Des lettres adressées à Seb, où elle lui disait de lui pardonner. Des lettres jamais envoyées, puisque le destinataire n’avait pas donné d’adresse. Il y avait peu de dates, sauf une : quelques mois après la disparition de mon frère. Peut-être la première de la série. Mais aucune indication sur ce qu’elle voulait se faire pardonner. C’était très vague, un peu délirant même. « Tu t’obstines à ne pas me répondre… », « Tu refuses de me regarder, ça me met en colère », « tu devrais manger mieux… » ; comme si Seb était resté avec elle. D’un coup, la solitude de maman, dans cette maison abandonnée, cernée par les photos d’un fils fantomatique, m’est apparue dans toute son horreur. Elle était devenue folle. Et je n’en savais rien. J’essayais de me remémorer nos conversations. Elle semblait normale, triste mais saine d’esprit. Elle faisait ses courses comme tout le monde, payait ses impôts, était suivie médicalement… Pas vraiment sociable, mais pas non plus marginale. Juste une femme mûre qui fume trop et se méfie des étrangers. Si j’allais la voir, elle ne me parlait pas de Seb, moi j’évitais le sujet, et elle restait muette à boire son thé face à moi, jusqu’à ce que je me décide à partir. Elle ne me jetait pas, mais elle ne me retenait pas.

    L’autre jour, François est passé me voir, mine de rien. Je ne suis pas prête du tout à envisager l’avenir avec lui, mais il essaie de me la jouer « soyons amis tout de même ». Il y a tellement de boulot dans cette baraque, que pour la première fois de ma vie je me vois franchement cynique. Je lui ai suavement demandé de venir me donner un coup de main pour, au moins, débarrasser l’armoire monumentale dans la cave. Tout content, il était.
    On a décollé l’armoire du mur. « Tu savais qu’il y avait une pièce, là derrière ? ». En effet, c’était muré grossièrement avec du ciment mal lissé, mais on voyait bien une porte condamnée. J’ai serré le bras de François, j’avais peur soudain. Il m’a regardée, d’un regard qui voulait dire : « Tu veux vraiment savoir ? » J’ai acquiescé sans réaliser. Il est allé chercher une masse et a commencé à défoncer les moellons.
    Quand le trou a été assez grand, François a braqué un faisceau de lampe torche de l’autre côté. Mon cœur s’est arrêté. Il y avait une masse grise par terre ; j’ai su tout de suite ce que c’était. Qui c’était.
    Seb. Ma mère l’avait enfermé là, des années auparavant, et l’avait laissé mourir. Pour qu’il ne la quitte jamais je suppose. Et moi, j’ai réalisé soudain que ce n’était pas ma mère qui cognait sa tête contre la cloison de ma chambre, autrefois. C’était Seb qui appelait sa sœur au secours.

  • Poisson noir

    Il m’avait fallu choisir à l’époque entre ces deux galeristes. C’est idiot, j’aurais pu ne pas le faire, mais je m’y sentais obligé, comme quand un couple d’amis se sépare ; et c’était un peu le cas. Associés d’abord, Marc et D. se disputèrent et Marc créa sa propre galerie, tout près de celle qu’il partageait avec D. auparavant, manifestant ainsi une volonté d’en découdre -par delà la soudaine inimitié- sur le terrain économique. J’étais un ami de longue date de Marc, je choisis de continuer d’exposer chez lui. Mais mon histoire n’est pas celle-ci.

    J’ai toujours passé d’agréables moments avec Marc et avec Gaby, son épouse. Ils formaient un couple attentif, accueillant et sûr en affaires ce qui, pour un artiste incessamment en délicatesse avec les forces de l’argent : banques, commerces et fisc, n’est pas négligeable. Les discussions du soir, une fois les matières économiques rapidement passées en revue, s’attardaient sur les autres artistes, l’art en général, la vie et la mort.

    Marc perdit son père et nous fûmes quelques semaines sans nous voir. Et puis, Gaby m’appela pour m’inviter chez eux. Elle répondait ainsi aux lettres de sympathie que j’avais adressées à Marc, quelque temps avant. Marc n’allait pas mal ; il se remettait. Il m’apprit que, la veille du décès de son père, il avait fait un rêve où ils étaient ensemble à la pêche, au bord d’une rivière qu’ils fréquentaient pendant son enfance. Le rêve avait basculé dans le cauchemar quand son père saisit quelque chose, et retira de l’eau un lourd poisson informe, monstrueux, à la fois noir et comme cuirassé. Marc se réveilla sur cette vision affreuse qui le laissa angoissé la journée entière. Le soir, on lui apprenait que son père allait très mal. Quand il arriva à l’hôpital, distant d’une centaine de kilomètres, il était trop tard.

    La vie reprit son cours. La galerie de Marc proposait infatigablement une demi-douzaine d’expositions par an. De l’extérieur, il semblait que tout allait bien. Même moi, l’un de leurs proches, censément au fait de leur train de vie, j’étais dans l’illusion d’un couple à qui tout réussi, qui voyage et multiplie les bonnes affaires. Ils lancèrent une galerie à New York. Un fétu de paille. Les difficultés commencèrent à se faire sentir ; les artistes eurent de plus en plus de mal à se faire payer. Pour moi, il se trouve que j’étais passé à autre chose et, par chance, je n’exposais plus, ce qui m’évita de me fâcher avec Marc. Il y eut des rumeurs de ruine. Le galeriste voisin et ancien associé, D., se comporta de façon correcte. Il ne jeta pas d’huile sur le feu, énonçait sans amertume des regrets quant à leur mésentente qui avait nui à tous deux, et finirait par emporter le moins pertinent, à savoir Marc.

    Un soir, revenant de chez un de ses artistes, Marc manqua un virage et se tua. On parla, compte tenu des problèmes financiers bien connus, de suicide. J’étais persuadé qu’il n’en était rien et, par la suite, j’essayai de protéger Gaby de telles insinuations. Malgré tout, il fallut fermer la galerie et je vins plusieurs fois lui donner un coup de main. Elle était épuisée, effondrée bien sûr, mais Gaby tenait le coup. Je me rendis compte que je n’avais pas mesuré la force de ce petit bout de femme, tant elle vivait dans l’ombre de son mari. Un soir, tandis que nous classions des dessins, je découvris une grande mine de plomb. Gaby était à côté de moi à ce moment. Cela représentait un énorme poisson, monstrueux, difforme et noir, gueule ouverte sur une sorte de cri. Une force terrible. J’en étais abasourdi. Gaby m’expliqua : « C’est ce dessin que Marc est allé chercher le jour de l’accident. »

    (d’après une histoire vraie).

  • C'est un peu court

    Je me doute que les petites phrases qui font le quotidien de Kronix depuis quelque temps, vous laissent un peu sur votre faim (votre faim, votre soif, votre avidité de lecteurs). C'est que j'ai manqué" de temps, voyez-vous. A partir de demain, je vous offre quelques petites nouvelles. Enfin un peu de lecture !

    J'espère qu'elle vous plairont.

  • A l'exemple des héros de papier

    On est bien désarmé face au désarroi de ses proches amis. J'en connais un qui m'appelle et patiente pour un moment où l'on pourrait un peu se parler. Un dont la culture  (immense, exquise) est peut-être la chance. Car je me dis dans de tels cas, que la culture, l'extrême qualité de la culture d'un homme meurtri, est une aide comparable à la foi, en ce qu'elle recèle de prévention contre la vanité de ses propres souffrances. Elle nous enseigne peut-être que tant d'autres ont connu de telles affres. elle nous martèle un appel à la modestie et nous reporte aux exemples de nos lectures. C'est très semblable au modèle des souffrances christiques, quand une crucifixion disait au démuni ou à l'agonisant : "Lui aussi, vous comme Lui, vous comme les autres".

  • La machine

    Ludivine présenta, hier soir, ce modèle étonnant, dont l'avant présente une sorte de flanc qu'on peut aussi bien prendre pour l'arrière qu'on ne distingue d'ailleurs que difficilement du dessous. Outre la compréhension du fonctionnement de l'engin, sa manipulation est rendue plus délicate par son poids de cent-vingt kilos et son envergure de treize mètres, son absence de anses, de prises, de moteur et de roues. L'objet sent très mauvais si on ne le lave pas deux fois par jour. Il est aussi dangereux de ne pas replier chaque soir les tubes qui en sortent aléatoirement, et il ne faut pas le laisser dehors car il se déforme et fonctionne moins longtemps. Cependant, cinq adhérentes sont reparties avec un modèle (le vert à diodes vertes a été choisi par toutes, au détriment de l'orange à diodes bleues), dans le but de faire un essai, et convaincre leur époux de vendre la maison pour l'acquisition définitive de l'objet. Rappelons que le gouvernement angolais, les égyptologues du CNRS et les grands sites de forage de la mer du Nord ont été les premiers à disposer de l'appareil et l'ont définitivement adopté. Le fabricant rappelle toutefois qu'il n'a effectué aucun test de son produit dans aucun domaine et prévient donc toute attaque en justice qui voudrait le rendre responsable d'une quelconque insatisfaction dans le résultat escompté.

  • Trop dur

    Au salon de thé, deux dames parlaient fort :

    - « Hier soir, il y avait les fraises sauvages, de Bergman. Qu'est ce que c'est dur ! »

    - « Oui, Bergman... »

    - "...Tellement dur de lire ces sous-titres en jaune, j'ai abandonné »