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  • Hoouu 3

    Son premier lecteur, décidément, n'était pas convaincu, et Shakespeare tentait de comprendre.
    « Qu'est-ce qui ne va pas dans ma pièce ? »
    « Je ne sais pas, je trouve qu'il manque quelque chose. »
    « Mais quoi, enfin ? »
    « Difficile à dire. Je crois qu'il faudrait un questionnaire à choix multiple, dans la première scène, à l'aube. »
    « Rien que ça ? »
    « Non : il faudrait aussi que ce questionnaire permette de montrer la pièce grâce aux motifs de ces mailles. »
    « Hein ? »
    « Ben oui : QCM levant tricote la tempête. »

     

    Je ne demande aucune indulgence. Je suis Caliban le maudit, Mwouaahaha.

  • La fin

    Je ne sais comment l'évoquer sans en dire trop, mais voici que le dernier chapitre de mon roman lui donne enfin un sens. En tout cas, me révèle quel en était le sujet. Plusieurs années que j'accompagne ces personnages, que je les fais vivre dans un vaste décor qui déroule quelque 70 années d'histoire et qu'ils essayent de me dire quelque chose que je voulais, mais ne savais pas. Quelque chose que je devinais, qui était tout le socle de leurs vies, mais qui ne parvenait pas au niveau de ma propre compréhension. Tout s'est réalisé hier quand, prenant des notes pour préparer la scène que je vais écrire aujourd'hui (là, dès ce matin, après avoir posté ce billet), tout s'est révélé, emboîté,  cristallisé. Pourquoi avais-je choisi cette scène finale ? Et bien, le roman me le dit. Que dit le roman ? La scène finale me le dit. Hier, j'ai vécu un moment extraordinaire dans la fabrication de l'écriture. Je ne sais que faire de cette joie qui m'a bouleversé. Dans le chapitre précédent, des soldats sont emmenés loin du front. Ils regardent la mer et méditent : « Cela blessait l'âme d'une reconnaissance envers quelque chose qui les dépassait. » Me voici comme eux, reconnaissant envers cette chose qui me dépasse.
    Et pardon pour le retard du billet de ce matin, j'ai très mal dormi, remuant ce bouleversement toute la nuit.

  • En attendant la fin

    Je suis en train de finir mon dernier roman. Encore quelques pages, un chapitre, sans doute un épilogue, et voilà. La première version sera bouclée dans quelques jours. Ensuite, les retours de mes premiers lecteurs-tests m'aideront à reprendre des passages, en sacrifier certains, tenter d'améliorer l'ensemble. Quand je parviens ainsi à l'échéance, je reprends ma note d'intention initiale. Ici, je redécouvre que le chantier a débuté en janvier 2009. Bien sûr, il y a eu la coupure d'un an et demi de « J'habitais Roanne », des scenarii de BD, l'écriture des « chants plaintifs », et de deux pièces de théâtre pendant ce laps. Je n'ai pas chômé, mais la distance est grande entre ce qui a motivé le projet et les sentiments qui président à sa conclusion. J'ai changé, moi aussi, probablement. L'idée clairement établie dans ma note d'intention s'est modifiée. Les personnages ont bougé. Aujourd'hui que le texte trouve son terme, je ne sais toujours pas de quoi parle ce roman. L'une des missions de mes premiers lecteurs va être de m'en donner une idée. Les pauvres. Et de trouver un titre. Assez logiquement, aucun ne me convient.

  • La délicatesse

    Dans J'habitais Roanne, il y a un passage où je dis, des mains de mon père : « De la corne s'y amassait dans le frottement des manches d'outil ; elles restaient fragiles pourtant. Au contact de la terre mouillée, dans le refouillement constant des sols et l'essartage des broussailles, dans la lutte incessante de ces temps où la nature était considérée comme devant être soumise au génie humain, ses paumes se fendaient, la peau des articulations éclatait, le jus noir de l'humus y entrait, l'acide des fumures y faisait des ravages. Les lourdes mains prenaient l'aspect de la pierre en hiver, du bois creusé par le temps. »
    Hier soir, Béa, une amie, photographe amateur, est passée nous voir. Elle m'a offert une photo en noir et blanc. Un très gros plan des mains de son père, disparu. Des mains également scarifiées par le jardinage obstiné. Des mains rugueuses aux ongles éclatés par l'hostilité des sols. Ces mains que mon récit lui a rappelées. C'est un des cadeaux les plus touchants qu'on m'ait faits, et le retour le plus émouvant que j'ai eu de mon livre.

  • Hou 2

    Son premier lecteur, encore une fois, n'était pas convaincu, et Shakespeare tentait toujours de comprendre.
    « Qu'est-ce qui ne va pas dans ma pièce ? »
    « Je ne sais pas, je trouve qu'il manque quelque chose. »
    « Mais quoi, enfin ? »
    « Difficile à dire. Je crois qu'il faudrait préciser la provenance de ton héros. »
    « Mon héros ? Othello ? D'où il vient ? Mais je n'en sais rien »
    « Si, il vient d'Alisk. »
    « D'Alix ? »
    « Alisk. Othello d'Alisk. »

  • Toi, le monde... un de ces jours !

    Je n'aime pas que le monde fasse du mal à mes petits. Car il arrive que le monde s'acharne sur ces créatures innocentes. Non pas que le monde ait quelque intention de nuire, ou que mes enfants soient cernés par des envieux et des méchants. Non. Mais les circonstances, les aléas de la vie, les accidents, les incidents les imprévus qui s'accumulent, déjà regrettables quand ils arrivent à des tiers que je ne connais pas, sont absolument intolérables, d'une injustice sans nom, quand mes petits en sont les victimes. Je trouve alors au monde une gueule patibulaire, une cruauté de bourreau, je voudrais lui mettre une beigne, au monde, lui en faire voir, le faire rendre gorge. Et puis, que voulez-vous, je ne peux que tenter de calmer leurs sanglots, leur dire ce n'est pas grave, ça va aller, de toute façon je suis là, vous savez bien, mes tendres chéris, mes tout petits tellement désarmés. N'empêche, toi le monde, je te garde un chien de ma chienne.

     

    Et c'était la 1400è note.

  • Souriez

    Sur les murs de ce musée, la photo du personnel d'une usine des années 20. Curieusement, le groupe s'est figé sous les consignes du photographe devant un coin de fabrique anonyme, plutôt que vers la porte où la marque triomphante auréolerait les employés. Alignés, des ouvrières essentiellement et quelques jeunes gars, encadrés par des messieurs à col de cellulose qui font des balises éclatantes dans le camaïeu sépia. Les cadres ont la mine sévère des professionnels qui se déjugeraient en souriant ; les femmes ont un visage d'une tristesse affreuse. Toute joie s'évapore à les observer l'une après l'autre. Leurs visages sont étrangement asiates, mongols, leur peau cuivrée. Elles sont de contrées ou l'on cuit au soleil pour arracher à la terre de quoi ne pas mourir. Elles sont de la montagne austère, où il n'était pas déjà fréquent de rire. Mais sur la photo, les faces rangées sont plombées par une indifférence à la vie, un accablement définitif. Une humanité qui ne sait que la double malédiction du travail et de la mort, fratrie indissociable. Aucun espoir, jamais, le labeur constamment et la disparition dans les limbes au terme du trajet. Pas étonnant qu'il ait fallu lui promettre le paradis, après, pour enchaîner ce peuple à sa géhenne.

  • Hors cadre

    Ce jour, autour de moi, ciel ponctué des nuages de Richter, grand pré parsemé de coquelicots de Monet, et des bergers de Poussin, interrogeant une tombe. On ne sait qui imite qui, de la nature ou de l'art..

  • Houuu !

    Son premier lecteur, cette fois, n'était pas convaincu, et Shakespeare tentait de comprendre.
    - « Qu'est-ce qui ne va pas dans ma pièce ? »
    - « Je ne sais pas, je trouve qu'il manque quelque chose. »
    - « Mais quoi, enfin ? »
    - « Difficile à dire. Je crois qu'il faudrait une touche originale, introduire un élément neuf. Une invention. »
    - « Une invention ? »
    - « Oui, je ne sais pas. Quelque chose qui n'a pas encore été inventé : le pneu par exemple. »
    - « Le... pneu ? »
    - « Oui. Pour moi, on ne fait pas d'Hamlet sans caser des pneus. »

  • Bad

    L'autre jour, au bureau, le téléphone sonne (ce qui lui arrive de temps en temps, assez naturellement). C'était une erreur. On m'appelle « Monsieur Garnier ? » et va savoir pourquoi, je réponds : « Oui ». Alors le type se lance dans une explication sur un rendez-vous important qu'il veut absolument obtenir de moi (enfin, de ce monsieur Garnier qu'il croit tenir au bout du fil). Je ne le détrompe pas, j'acquiesce à tout. Mon interlocuteur est ravi. Nous prenons rendez-vous, quelque part dans la région de Lyon, non loin du bureau où est censé travailler Monsieur Garnier. Mon inconnu vient de Bordeaux, s'assure des horaires tandis que nous bavardons. Ce sera un long trajet pour lui, mais c'est tellement important, je sens que Monsieur Garnier peut décider de l'avenir de mon infortuné interlocuteur. Il me remercie du fond du coeur. Je lui dis cruellement : « à mardi, soyez à l'heure », il dit oui oui bien sûr, faites-moi confiance et raccroche sur un ultime remerciement mêlé de crainte.

     

    Et voilà, si vous avez cru une seconde que j'étais capable de faire une blague comme ça, c'est que vous me connaissez mal. N'empêche, on l'a faite à un ancien collègue que j'aimais bien, et il a eu le bon goût d'en rire énormément. Après une demi-journée de train, arrivé à destination mais ne trouvant personne, il a fini par appeler son « monsieur Garnier » à lui, en faisant cette-fois le bon numéro et a découvert un type tout étonné, niant absolument avoir pris ce rendez-vous et se proposant, puisqu'il avait fait le déplacement, de se voir malgré tout. Quel numéro avait-il fait, sur quel délicieux enfoiré mon collègue était-il tombé ? On est partagé entre l'hommage et l'opprobre. Disons que j'adorerais avoir l'à-propos de faire une blague comme ça, mais que j'en aurais de tels remords qu'ils m'empêcheraient longtemps de dormir.

  • Des nombres et des lettrés

    Le monde politique tremble : l'imposant parti des écrivains amateurs a décidé de boycotter les élections. Heureusement, le très nombreux parti des non-lecteurs a appelé à réagir par un vote citoyen. Mais la grande famille des écrivains qui ne lisent pas menace de créer sa propre formation et là, plus personne ne rigole.