Bon, ça suffit maintenant cette histoire de taupes. Je ne veux pas qu'on y revienne. Mais le paysan dont j'ai défoncé les champs pour remonter la trace du taupodonte ne l'entend pas de cette oreille, et il tire la mienne pour me montrer les dégâts. « va falloir tout reboucher », il dit « parce que les vaches se foulent les pattes e'd'dans ! » j'ai beau protester, désigner la science là-haut qui réclame ce faible sacrifice et n'a cure des contraintes agricoles, rien à faire, le gars me file une pelle dans les mains et un coup de pied aux fesses. Tandis que je rebouche les trous, je médite sur mon sort et tente de me souvenir comment tout ça a commencé.
Bois-en mieux - Page 41
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Taupe finale
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Le bout du tunnel
Depuis le pré du voisin, en remontant le trajet taupe à taupe selon le principe formulé précédemment, la plus ancienne galerie perceptible débouche dans l'enceinte de l'abbaye de la Chalade vers Les-Islettes, en Lorraine. Ensuite, les sillons sont moins évidents, ils s'amenuisent et se perdent. Mes correspondants allemands ont relayé l'enquête. Ils ont établi une cartographie géologique qui, en tenant compte de la période de construction de l'abbaye et de la consistance du sol privilégiée par les ancêtres de la taupe de Saint-Nizier (chez nous, quoi), permet de simuler un trajet idéal. Selon eux, les taupes seraient venues des plaines de l'Asie centrale, dans l'élan des grands invasions germaniques (mais avec un peu de retard, la taupe étant un peu moins rapide que le cheval mongol).
Quelles merveilleuses histoires la science nous révèle ainsi ! Comme c'est bon de se sentir moins con !
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Guerre souterraine
Si l'on considère la densité des terrains que traverse la taupe, sur une longueur moyenne, le petit animal a une force de pénétration plus grande que l'obus à tête au lithium dans l'épaisseur des blindages lourds du char Leclerc. Ce qui fait de la taupe le missile perforant le plus performant de l'histoire de la balistique. Seule une véhémente protestation de la SPA, relayée par les terribles images de tests glanées par Greenpeace, a pu mettre fin à l'utilisation de la taupe comme rockett pour bazooka, pratique ô combien barbare.
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Taupe toujours
Une taupe, ça creuse droit, a priori. Tout droit. Il faut un rocher ou un piège ou un éboulement, pour que l'animal se détourne de son cap. C'est pour cela qu'il n'y a pas de taupes en Espagne, par exemple, ou en Italie. Incapables de franchir les massifs montagneux. De très rares arrivent jusqu'à la mer et se noient. Très rares. Excessivement rares. Pour ainsi dire pas. D'ailleurs, le seul poisson qui se nourrissait de taupes a disparu. Mort de faim.
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Pas aidées
Et d'abord, comment font monsieur et madame Taupe pour se rencontrer ? Voyez la taille de ces bestioles et les immenses surfaces qu'elles sont obligées de creuser à l'aveuglette dans le mince espoir statistique de tomber nez à nez avec le futur (si tant est qu'ils se plaisent, en plus. Sinon, c'est demi-tour et on se retape tout le pré. Pauvres bêtes !). Enfin, je suppose qu'arrivées là, elles ne font pas les difficiles.
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Taupe ou encore
Pour en revenir à la taupe et à ses amours. Le pelage de cet animal est tellement doux et sensuel que la bestiole, à son contact permanent, est la proie d'une incessante auto-érotisation qui l'épuise, ce qui explique en partie la faible fécondité de l'espèce. Il fallait rappeler ce point.
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On ne nous dit pas tout
Je pose juste la question : quand deux taupes se rencontrent, elles sont nez à nez. Comment font-elles, dans leurs fichues galeries étroites, pour se retourner et s'accoupler, hein ?
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Le rouquin des urgences
Que fait cet orang-outang aux urgences ? Personne ne s’étonne (ou bien est-ce un enfant exceptionnellement velu, disproportionné à l’excès par une maladie génétique ?, mais non, non : c’est bien un orang-outang, je ne suis pas fou). Il est assis, saisit Paris-Match sur la table basse de la salle d’attente. Il soupire. Nous sommes quelques uns à tenter comme lui de prendre notre mal en patience. J’ai apporté un livre, je le lis, je le referme. « Mais enfin, m’insurgé-je brusquement, c’est bien un orang-outang, non ? » Tout le monde m’observe. Les autres patients dévisagent celui que j’ai désigné, réfléchissent. Un monsieur se frotte le menton. Une dame, à côté de lui murmure qu’elle n’est pas sûre. Je m’insurge derechef : « Pas sûre ? Le poil orange comme ça, des bras trop longs, une moue ennuyée… Ne me dites pas que c’est –je ne sais pas- un chimpanzé par exemple ? ». La dame s’agace : « Ce n’est pas poli de montrer du doigt et puis il fait ce qu’il veut, non ? ». Le monsieur pas loin sort de son mutisme : « Moi, je suis d’accord avec monsieur. C’est un orang-outang et il n’a rien à faire ici. » Ah, triomphé-je, tandis que l’homme ajoute : « Voilà à quoi sert notre argent. On s’occupe de tout le monde, et les Français passent en second » Je m'insurgé-je encore mais sur le côté : « Attendez : ce n'est pas ce que je voulais dire ! » la dame s’énerve carrément : « C’est honteux ce que vous dites, monsieur ! » J’abonde : « Absolument ! Les orangs-outangs sont des humains comme les autres ! ». Un vieux pas loin bougonne que dans le temps, des gens comme ça, ben, on les envoyait dans les tranchées picétou. L'orang-outang reste d'un calme olympien alors que la dame et moi, solidaires, essayons de dire la morale et l'humanisme. Sur mon rappel un peu aléatoire parce qu'énervé, des lois de la République et de l'histoire de l'esclavage, l'ourang-outang enfin pose son magazine. Et s'adresse à nous « Je ne suis pas un voleur, je ne suis pas un criminel, je suis venu aux urgences sous un prétexte fallacieux pour passer une nuit au chaud. Je veux simplement quelques euros pour améliorer l'ordinaire. Je vais maintenant passer parmi vous, et je vous remercie par avance de ne pas jouer les rapiats, parce que j'ai une bonne droite. » Il passe, on paie, il part en nous faisant un bras d'honneur. La dame râle un peu, c'est elle qui a donné le plus: "Ces rouquins..."
Je sais. Mais si vous avez une idée de chute pour une histoire pareille, je suis preneur.
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Ohé Ohé
Le thème du bal masqué était « concepts philosophiques », ce n'est pas très original, mais nous nous plions volontiers à ces amusements. Je voulais m'habiller en syllogisme mais j'étais sûr que Laurent Cachard viendrait costumé en enthymème et là, je ne pourrais pas lutter. J'ai opté finalement pour une tenue de noumène et ma douce avait gardé son costume de transcendance, qui lui va toujours à merveille et puis ça fait des économies. Laurent était là en effet, Régis Debray était à poil, toujours pour faire l'intéressant (pourtant, c'est plus de son âge), Onfray n'est pas venu. Dommage. Bref, on s'est quand même bien marré. A minuit, BHL est arrivé en tenue de symbole et tout le monde est parti.
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Quand ça veut pas...
La mort d'une dizaine de touristes partis en croisière, dans le naufrage du « Titan of the sea », a frappé de stupeur le petit village de Mouillechou dont ils étaient tous originaires.
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Le car qui emmenait le conseil municipal de Mouillechou sur les lieux de la tragédie du « Titan of the sea » pour une cérémonie en hommage à leurs concitoyens, est tombé, la nuit dernière, dans un précipice. Il n'y a malheureusement aucun survivant. Mouillechou est à nouveau en deuil.
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L'Airbus affrété par le gouvernement pour transporter les familles endeuillées de Mouillechou sur le lieu de l'accident de car dans lequel a péri tout le conseil municipal de ce petit village, s'est crashé dans la nuit, sur les hauteurs de Vilstruva.***
Interrogé par notre correspondant, le dernier survivant de Mouillechou, Monsieur Michel Plutard, a déclaré vouloir rester chez lui pour observer une minute de silence à la mémoire du village. -
Monologue
Ce n'est peut-être qu'une impression, mais je me demande si ce type qui m'insulte copieusement depuis dix minutes ne tire pas profit de sa taille et de sa force musculaire, manifestement supérieures à la mienne.
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Sûrs de nous
De toute façon, notre choix est fait. On va arrêter de s'angoisser en regardant la télé, en écoutant la radio et en suivant les analyses de chacun. Nous n'irons pas voir Cloclo, et puis c'est tout.
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Imprévu
Il n'avait ni les moyens ni le courage de construire un abri anti-atomique comme ses voisins. Enfin, ce n'était pas si grave : on annonçait un tsunami et, à l'air contrarié de tout le monde, on voyait bien que les bunkers n'étaient pas prévus pour ça.
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Face à face
Du jour au lendemain, une personne qui jusque là s'acharnait à écrire dans la solitude, est publiée, propulsée en tête de liste des ventes, traduite en plusieurs langues. Désormais on la regarde différemment. Elle est pourtant toujours la même.
Je suis assis en face de Carole Martinez. Elle sourit. Je lui dis « Ce doit être étrange pour un être normal d'être vu comme une bête curieuse ? » Elle ne répond rien, déploie ses ailes et disparaît. -
Vie minuscule
Je relis la note des courses : ce n'est pas la mienne ! Je regarde autour de moi : je ne suis pas dans le bon supermarché et d'ailleurs, me souviens-je, je ne vais jamais dans les supermarchés. Je paie cependant, un peu abasourdi, et je fonce vers le parking de cette ville que je ne connais pas, poussant devant moi un caddie plein de fournitures pour la robinetterie, moi qui ne suis pas bricoleur. A côté du véhicule patiente une femme inconnue, une petite dame replète, un peu vulgaire, avec des cheveux trop rouges et un accent parigot, qui me houspille et nous rejoignons une grosse maison à la décoration déplorable. Je découvre que j'ai beaucoup de grands enfants qui m'appellent pour me demander de l'argent, qu'il n'y a pas de vin à table et que mes analyses ont révélé un affreux cancer du colon. A la fin d'une journée terriblement ennuyeuse, je reçois un diplôme : « Félicitations. Vous avez vécu une journée de Nicolas Sarkozy en 2040. »
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Sur une musique de John Williams
J'ai quelque regret à le dire, mais il faut se faire une raison : Hollywood ne produira jamais de biopic sur moi.
Imagine : la vie du type qui prend le car chaque jour pour compter des vieilles gravures, mange chez sa maman à midi et rentre le soir s'installer devant son écran pour écrire des romans que personne ne lit.
Faudrait un sacré talent pour rendre ça supportable plus de cinq minutes.
Mais soudain, il rentre et... Oh, un chat miaule ! Un autre non loin réclame pitance. Quelle action, quel suspens !Non, décidément, Hollywood est trop loin.
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En attendant
Drôle de période, hein ? On continue de travailler, de faire des projets, d'accepter des demandes, tandis qu'une ombre couvre tout, avance sa nuit, tonne au loin. Papillons oublieux de l'orage à venir, nous folâtrons, une vague angoisse tout de même, faisant trembler nos ailes.
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Esprit d'entreprise
Nouvel échec professionnel, nouvelle reconversion. Il abandonna l'élevage ruineux du gnou, inadapté aux alpages, pour se consacrer à la culture du genêt, prolifique sur les plateaux d'Ardèche. Pourtant les restaurateurs haut-de-gamme à qui il destinait sa production, renâclaient. Mais que veulent-ils à la fin ? Se lamentait l'entrepreneur, dépassé. Son fidèle ami Dédé haussait les épaules, également impuissant. « Allons, retroussons les manches, à coeur vaillant, etc. Nous n'avons pas dit notre dernier mot. Cette fois sera la bonne ! » On venait de lui apprendre que tout un lot de minitels était à vendre pour une bouchée de pain. La fortune lui souriait enfin.
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Simple
Si l'on s'en tenait à la simple logique, on devrait tirer toutes les conséquences du fait que, statistiquement, les voitures sont très majoritairement accidentées sur les routes, et on roulerait donc dans les champs, sur les trottoirs, parmi les forêts et les canyons, en toute sécurité.
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Desireless
La valise a pris en main le voyageur. Elle le conduit, vaguement hébété, dans les couloirs de l'aéroport. Un peu inquiète, elle devra le laisser tout seul sur un fauteuil tandis qu'elle rejoindra ses amis pour faire le trajet dans la soute. Elle songera au débarquement, ennuyée d'avance de tourner en rond longtemps avant de remettre la main sur son porteur, qu'elle s'abstiendra de morigéner pour sa lenteur. Car elle sait combien l'avion le stresse.