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choses vues - Page 17

  • Les goûts et les couleurs

    Une petite faim
    Oh, un restau !
    On regarde la carte, on lit :
    « Salade bleu marine »
    On repart.

    Plus faim.

  • Le 11

    Il y a six mois, je déposai sur le bureau de mes supérieurs les clés de mon travail et partis. Six mois déjà. Je savais, nous savions ma douce et moi, que tout cela passerait très vite. Plus que deux ans et six mois à présent pour consolider mon entrée dans le milieu littéraire, pour produire encore et trouver de quoi survivre. Je savais, nous savions que ça irait vite mais là, c'est le passage de la foudre. Qui laisse abasourdi et interroge sur la réalité de ce qui vient de se produire. Et cela risque de se résumer à ça, au terme des trois ans : Nous étions heureux ? C'était bien ? C'était quand ? C'est fini ?

  • Le piège

    Accablé de prix célébrant son écriture chantournée et laborieuse, loué pour l'apparente moralité de ses propos et l'élévation de ses thèmes, cerné par de vieux érudits satisfaits de voir en lui le dernier représentant d'une veine romanesque vouée à disparaître, l'écrivain sauta sur la table du salon du livre et se mit à hurler : « Je ne suis pas mort ! »

  • Bomber le torse

    Bon, après le coup de blues de l'autre jour à l'issue des Mots Doubs, les désillusions de certains partenaires (et d'autres petites choses, mais passons), ces tout derniers jours ont été une suite de retours rassérénant. Des personnes que je connais ou pas, des mails, des lettres ou des témoignages, des mots venus de libraires, qui assurent que "L'Affaire des Vivants" s'accroche, prend ses marques, existe parmi le grand Tohu-Bohu de la rentrée littéraire et qu'il "sera un vrai livre de fond, sans grosse médiatisation, mais qui survivra,(...) et qui par le bouche à oreille sera un succès de librairie...et de cœur!". En fait, selon mon éditeur, il y a les libraires qui l'ont lu et le défendent, et les autres.

    Je vous livre ce témoignage d'une amie, du genre qui allège les doutes et permet tout de même d'y croire : "Je suis allée commander le dernier livre auprès de ma petite librairie ..., inutile de commander m'a-t-elle dit, ils sont en rayons, ils s'arrachent, ce n'est pas par un que je commande mais par 25 ! (Là, j'ai des doutes). Devant tout le monde, elle a parlé de son coup de cœur, de la belle langue. Une cliente a acheté juste après moi. (...) J'étais un peu abasourdie, et contente, elle ne me connait pas et je ne lui ai pas dit que je te connaissais, ainsi c'est spontané..."

    Bon, bon bon... Il y a donc de la place pour autre chose que les nouvelles délayées et inconsistantes.

  • Vieille connaissance

    Tiens, te voilà ? Salut, ça faisait longtemps. On va faire un bout de route ensemble, on va se causer, se tenir compagnie jusqu'à l'aube. Je ne sais pas si je suis vraiment content de te revoir, mais enfin, je me disais bien que tu ne resterais pas sans me donner de tes nouvelles, tôt ou tard. Installe-toi là, près de moi, ma vieille insomnie.

  • Au Mots Doubs, le temps dure - 2

    Le lendemain, je reprends mon poste de travail. Je salue gentiment le staff de vendeuses qui ne me propose toujours pas de café mais ce n'est pas grave. Bougel apparaît, me demande ce que je suis devenu, hier, il m'a cherché partout entre les plateaux de toasts, a vérifié sous les tables, pas de Chavassieux. Je lui explique sinon mon agacement, en tout cas, ma préférence pour les pizzerias exilées. Bougel s'étonne que je sois peut-être moins mondain que lui, ce qui serait remarquable.

    Une femme s'arrête devant ma table, demande si j'ai « des romans d'amour » ; je ne m'attarde pas à lui dire que, peut-être, tous les romans sont des romans d'amour et la dirige vers mon voisin de gauche, dont le livre peut entrer dans cette catégorie. Le garçon se fend d'un début de pitch mais la dame l'interrompt après cinq secondes : « ça ne me plaira pas » et tourne les talons brusquement. Nous éclatons de rire. Un moment complice.

    Au téléphone, comme la veille, ma douce se désole pour moi. Je considère surtout ce précieux week-end, autant de temps d'écriture, jeté aux orties.

    Et puis, comme je m'obstine à griffonner sur mon calepin, s'approche une jeune femme. Elle m'annonce d'emblée qu'elle a crevé son budget aujourd'hui et qu'elle ne pourra pas acheter mon livre, mais que me voir écrire à la main l'a touchée. Je la rassure sur le fait qu'aujourd'hui pas plus qu'hier, il ne m'est paru urgent de vendre mes livres. Nous entamons un échange qui va ensoleiller ma journée. Les réponses que je fais à ses questions, ce que je lui dis de l'écriture, de mes choix de vie, les mots que je mets derrière le titre de mon livre, tout cela la bouleverse, et elle fond en larmes. Je crois que je ne suis pas loin d'être aussi bouleversé qu'elle. Elle décide finalement d'aggraver son dépassement de budget et achète deux livres, que je lui dédie avec une sincère émotion. L'un est pour un oncle et sur l'autre, j'ose déclarer que sa venue a expliqué la mienne, et que j'ai bien fait de venir. C’est un peu mélo mais le contexte, la beauté de ce partage, peuvent pardonner cet élan. La jeune femme repart, mes voisins sont silencieux, ils ont assisté à l'échange et sont remués eux aussi.

    Je note dans mon calepin que je pense à ceux que j'aime, à cet instant.

    Après le repas, je traîne pieds nus dans la pelouse du parc, le long du Doubs aux eaux transparentes. J'aime ce contact, je m'y livre dès que je peux, où que je sois. Je m'allonge dans l'herbe. Des nuages d'orage accumulent leur masse sur la moitié du ciel. La rencontre de tout à l'heure m'a rasséréné. Sur le stand, mon rentable voisin est parti. Je fais un sondage dans son ouvrage. Ma brève lecture est une confirmation. L'orage crève, la pluie gronde sur le toit de toile, le chapiteau fait chambre d'écho. L'effet hypnotique que produit sur une personne assise, la noria des visiteurs, est décuplée par le grondement qui enveloppe les lieux. Je flotte dans un éther blanc, coloré de silhouettes qui défilent.

    Corinne Desies-Dalloz, la charmante libraire de la Nouvelle libraire de Poligny a fait le chemin (pour la deuxième fois, apprends-je) pour me rencontrer. Elle veut me recevoir en novembre (nous avons choisi le 12 de ce mois, ce sera la saint Christian et pourquoi pas), et nous discutons un peu. Ce qu'elle me dit de sa librairie et sa façon de la conduire m'évoque irrésistiblement celle de ma douce. Corinne sera reçue dans quelques heures par France Bleu pour parler de « L'Affaire des Vivants » avec mon éditeur, Lionel Besnier, revenu expressément dans ce but. Lorsqu'ils seront au micro tous les deux, je serai dans le train. J'aime bien l'idée qu'un livre soit « défendu » autrement que par son auteur, qui n'est pas forcément le plus légitime pour ce faire.

    Sur le stand, Jeanne Labrune ne tient pas en place, je la vois sortir sans arrêt de son poste, marcher rapidement dans les allées puis revenir derrière ses livres.

    Une maman approche, tenant sa fillette devant elle. « Elle voudrait vous poser une question ». La petite qui doit avoir dix ans, prononce timidement une phrase que je ne saisis pas dans le brouhaha. Sa mère traduit : « Elle veut écrire un roman et elle aimerait avoir des conseils ». Pourquoi est-elle venue s'adresser à moi ? Je dois être le seul auteur désœuvré, je suppose. « Est-ce que vous travaillez tous les jours ? » je lui dis que oui, justement, pour écrire un roman, c'est la formule que j'ai choisie. « Mais même si tu n'écris pas, mets-toi au travail quotidiennement, ne serait-ce que pour relire ce que tu as écrit la veille, avec un esprit critique. Interroge chaque ligne, chaque mot que tu as écrit. » Après quelques conseils du même tonneau « fais lire ton travail, sois humble, accepte les critiques, enrichis ton vocabulaire, enlève les doigts de ton nez », ponctués d'encouragements, j'énonce un principe fort répandu : « Et surtout, lis, lis beaucoup. » Ce qui me vaut les remerciements de l'auteur-éditeur-agent littéraire à côté de moi, qui voit constamment s'adresser à lui de jeunes écrivains qui écarquillent les yeux quand il ose leur demander ce qu'ils lisent, ce qu'ils aiment lire, quel livre ils ont lu récemment. « Lire, pourquoi faire ? »

    Oui.

  • Aux Mots Doubs, le temps dure - 1

    Je suis à Besançon, au festival des Mots Doubs, devenue une institution en 13 ans d'existence. Comme toutes les fêtes du livre, c’est pour les auteurs l'occasion de montrer leur mufle aux passants qui n'en voient pas souvent et leur tâtent la croupe, les flattent, leur disent des gentillesses, s'étonnent de la taille de l'un, de l'âge de l'autre, qu'un tel soit encore vivant. L'occasion pour les visiteurs surtout, de voir en vrai les gens qu'ils ont vu à la télé. On y trouve aussi des écrivains et des lecteurs.

    Je rends d'abord visite à mon pote Bougel, tout gracieux et souriant (si si), tellement un salon avec des vraies gens et des écrivains qui ne se prennent pas pour des génies incompris, le change des cercles poétiques qu'il pratique depuis trop longtemps.

    Je prends ma place sur mon stand. Je suis entre, à ma gauche, un jeune auteur qui a commis un best-seller traduit en trente langues après avoir fait un stage pour apprendre à écrire un roman de 120 pages écrites en caractères 20 et, à ma droite, un malicieux et paisible auteur, éditeur et agent littéraire (la première fois que j'en rencontre un), tous gens de bonne compagnie par ailleurs.

    Je vois assez vite que j'aurai du temps devant moi et entame le synopsis d'une BD sur les pirates, demandé par un copain.

    A ma gauche, le futur Marc Lévy livre à ses lectrices une combinaison de platitudes qu'elles reçoivent en gloussant et en achetant. A ma droite, le malicieux auteur-éditeur-agent littéraire me glisse sa carte.

    Les piles de mes bouquins, devant moi, font sur la foule le même effet que la proue des brise-glace sur la banquise : elles semblent la partager régulièrement en deux, un flot se dirigeant à babord vers le type qui a produit un livre « qui fait du bien » et un flot vers tribord et les productions décentes de mon voisin.

    L'après-midi passe plus lentement que les badauds. Parfois, un visiteur bloqué dans la foule soulève un de mes bouquins pour se donner une contenance, puis reprend le fil de sa promenade. Inconsciemment ou pas, le staff de vendeuses ne propose un café qu'aux écrivains qui vendent. Pour me remonter le moral, je lis les lettres d'Alice Ferney et de Christian Degoutte, qui sont agrafées dans le calepin sur lequel, après le synopsis de mon histoire de pirates, j'écris quelques vers de « Voir Grandir », production future en collaboration avec Jérôme Bodon-Clair.

    En fin d'après-midi, mon éditeur vient me voir. Il habite dans la région, a eu la gentillesse de sacrifier son temps familial pour venir voir son auteur, non plus grincheux, mais assez déprimé. L'occasion de mieux se connaître, de parler de son parcours. Je me vois confirmer l'impression première que j'ai la chance d'être tombé sur un type bien.

    Sur le stand retrouvé, une dame qui fait partie d'un comité de lecture m'annonce que je fais partie de la sélection du Goncourt des Lycéens. Devant ma surprise, elle s'excuse en bredouillant qu'elle a dû me confondre avec quelqu'un d'autre. Je reviens à mon calepin où je griffonne des lames de couteaux et des viscères qui pendouillent.

    Le soir tombe enfin sur mes piles, absolument intègres. Je découvre mon hôtel, à 5 minutes à pied. Dans l'ascenseur, la voix féminine qui signale les étages est tellement torride qu'on cherche une serrure, un bout de moquette épaisse, un mouchoir, n'importe quoi pour vite se soulager.

    Tout le monde est invité à manger le soir au « restaurant des auteurs ». Docile, je m'y rends. C'est un pince-fesses avec Crémant et petits fours. Autour de moi, j'entends évoquer des succès de signatures impressionnants. Je saisis une coupe et me rencogne près d'un plateau apparemment négligé par la foule, grégarisée au centre du dispositif. Peut-être que quelqu'un a éternué sur le plateau, avant que j'arrive ? M'en fous, je meuble ma mauvaise humeur en raflant la moitié des toasts. Il y a de la viande, tant pis, rien n'a de sens, pas plus le fait de se casser le cul à peaufiner la moindre virgule d'un roman de 300 pages, que de tenir à rester végétarien. Le repas n'est toujours pas servi, je décide de partir.

    La marche est agréable dans la douceur des rues. J'avise une pizzeria qui n'a jamais entendu parler de l'Italie. Je m'installe dans une pénombre à peine désorganisée par des taches de lumière bleue, verte et rose. Tandis que le cuisinier s'active derrière une vitre, en retrait de la salle déserte, je regarde fixement le mur décoré façon Tahiti, en face de moi. Une chanson pop, diffusée par un ordinateur, devient dans le contexte, un magnifique cantique élégiaque discourant de la fin du monde et de la vanité des entreprises humaines. Le cuisinier apporte la pizza. Surprise : elle est merveilleusement bonne, et accompagnée d'une sauce-maison préparée avec amour. En voilà un qui doit se demander comment, malgré tout le soin qu'il met à travailler ses énormes pizzas, les gens peuvent leur préférer des surgelés insipides.

  • Reconnaissance

    Il y a les lecteurs, fidèles ou ponctuels, attirés dès le premier roman, il y a longtemps, ou découvrant un dernier opus avec l'envie immédiate de connaître les précédents, les lisant l'un après l'autre et m'écrivant, me témoignant leur joie. Et puis il y a ceux qui ne m'ont jamais lus, ne me liront sans doute jamais, mais me félicitent pour les articles parus dans la presse nationale. Une de ces deux catégories m'est essentielle.

  • C'était bien

    Lecture_Chez_Christian_2014.jpgHier soir, chez l'ami Christian Degoutte, c'était fête, sympathie, chaleur et bonne humeur. Christian, auteur lui-même, avait invité Alain Crozier et moi-même pour lire des extraits de nos dernières productions. Une trentaine de personnes s'étaient déplacées, tout était de douceur et d'attention, de bienveillance, comme nos hôtes, Christian et Laura. Grand merci à eux.
    Une lecture du même genre s'était déroulée il y a quelques années, ce devait être vers 2006 peut-être, et l'auteure invitée était alors la talentueuse et sincère Nathalie Potain, disparue depuis. Christian a souhaité ouvrir la soirée par un rappel de son passage ici. Il a lu un passage de La Gniac, roman vif et sonore, charnel, poétique. Ce n'était pas un hommage pesant, bien au contraire, cela disait qu'il reste de nous quelque chose. Sur l'herbe, dans la lumière d'un chaud soleil de fin d'été. C'était bien. Vraiment.

     

    Photo Christian Degoutte

  • L'instit'

    L'instituteur a imposé l'achat d'une télévision aux parents de la seule enfant de sa classe qui n'en possédait pas. Il est triomphant : « tu te rends compte, ils n'avaient pas de télévision, à notre époque ». « Pourtant » ajoute-t-il, la gamine est intelligente, hein, elle joue de la flûte traversière, c'est la plus brillante de la classe, elle lit beaucoup... Mais elle était malheureuse par rapport à ses petits camarades, elle se sentait à part. Nous sommes estomaqués : Mais justement, il fallait inverser le propos, démontrer aux autres enfants qu'on peut vivre sans la télé, que peut-être même, c'est cette foutue machine et l'abus d'émissions débiles qui leur embourbent l'intellect. Mais non, l'instit' a préféré le nivellement par le bas, il n'écoute pas nos remarques, il ne perçoit pas notre désolation. Pour lui, l'essentiel, c’est qu'un foyer soit désormais rentré dans la norme civilisée.

  • A propos de Marc Lévy

    Une pièce à verser au dossier de Marc Lévy, par ailleurs conspué en tant qu'auteur, y compris par des gens comme moi. Bref : ma douce fut une libraire appréciée dans ma petite ville, et malgré cela, sa minuscule librairie fut un jour menacée de déposer le bilan. Elle eut la surprise de recevoir un mot de Marc Lévy,  alors célèbre et bestsellerisé depuis longtemps. Prévenu de cette petite tragédie, il lui proposait de venir, à ses frais, signer dans sa boutique pour donner un coup de main. La librairie a hélas fermé entre-temps, mais enfin, l'intention était là, et je suis sûr que la promesse aurait été tenue.
    Vous connaissez combien d'auteurs, gonflant le torse quand il s'agit de défendre les librairies indépendantes, capables de faire un tel geste ?

  • Marche plus vite, connard !

    L’invective est lancée depuis la vitre ouverte d’une voiture qui passe. J’ai le temps de lever le regard et de découvrir un joli minois de jeune femme, hilare, à l’unisson des autres passagers dont je devine la présence à l’arrière, sous la forme d’épaules et de têtes sombres qui tressautent. C’était purement gratuit et inoffensif, bien sûr, et pas dirigé spécialement contre ma petite personne. J’ai pourtant ressenti la brûlure de l’humiliation, quoique brièvement, et j’essaie de me raisonner. Ce n’est rien, c’est idiot, un truc de gamins. N’empêche. Je me demande ce que j’ai fait pour provoquer cette insulte. Et puis je repense au livre que je tiens en main. « Connard » ? Ben oui. Je ne pouvais être qu’un de ces intellectuels, un peu pédé sûrement, un peu marginal, jamais satisfait de rien, un de ceux qui se prennent la tête sur des machineries inutiles, imbus d’eux-mêmes, un de ces intellos qu’on moque à la récré, qu’on évite dans les soirées, à qui on passe la bite au cirage à l’armée. J’ai poursuivi mon chemin en serrant le livre plus fort contre moi.

  • Du passé en préparation

    Avec toi, ma douce, ces longues journées de la fin de l'été où nous partageons notre amour de la littérature, construisent déjà un passé imprégné de joie.

  • Témoins que rien

    Les amis que je connais ne s'enthousiasment généralement pas à la vue d'un couple de témoins de Jéhovah. Au mieux, ils remercient et déclinent toute offre, fut-elle divine ; au pire, ils les envoient se faire bénir ailleurs et claquent la porte. Je ne suis pas d'accord. Quand ces valeureux porteurs de bonne parole débarquent chez moi, c'est la fête. Je les accueille, les enveloppe, les cajole, les invite. Ils entrent, heureux et innocents, peut-être un peu décontenancés par cet enthousiasme inhabituel. Là, je pose une Bible sur la table, et j'attaque par la Genèse. Que pensez-vous du déluge, de la soumission de la femme, de l'interdiction sournoise de Dieu en son jardin, de Sodome et Gomorrhe ? Quelle est cette justice qui avorte des milliers d'enfants innocents, qui éradique une ville entière, etc. ? Je les tiens ainsi jusqu'à ce qu'ils regardent autour d'eux, perdus, cherchant une issue. Je les tiens encore, quand ils se lèvent pour me saluer, me remercier mais il va être l'heure de manger, je les tiens encore sur le seuil, dans la rue, leur propose de revenir c'est dommage on n'a pas fini. Je n'ai malheureusement effectué ce pugilat que trois fois dans ma vie et je manque donc de pratique. Cependant : trois combats, trois KO.

    On peut me trouver cruel et peu charitable, et on pourrait soupçonner une intolérance envers les croyants. Ce n'est pas ça. Ce que je déteste, c'est le prosélytisme. Je ne vais pas frapper aux portes pour expliquer que je détiens la vérité ou que l'athéisme est un bienfait. Donc, quand un de ces braves enchristés vient frapper à ma porte, j'estime que la guerre est déclarée, et je lutte avec mes armes. Ite missa est.

  • Ce qu'on sait déjà

    Certaines expériences de physique simple sont à la portée de tous. Il existe des antagonismes dont nous imaginons les effets, par anticipation. Par exemple, la lecture et le bain sont incompatibles, et un livre de Pierre Jourde coule comme n'importe quel Marc Lévy au fond de l'eau, même parfumée, et ses pages collent l'une à l'autre comme n'importe quel papier. Autre exemple : l'électronique audiovisuelle se remet très lentement d'une aspersion de café matinale. Sans l'avoir expérimenté, on le devine. Et en effet. Ensuite, on peut en déduire des statistiques sur la fréquence des accidents domestiques (pourquoi tout ça en l'espace de quelques heures ?) et sur le handicap d'avoir été créé avec deux mains gauches.

  • Frère M.

    Le frère M. était désolé de tous côtés. Une désolation que nos cerveaux d'adolescents attardés ne pouvaient concevoir et qu'il me faut une analyse adulte pour enfin la mesurer. Nous étions absolument vivants ; il était noyé dans l'encaustique des bancs d'église. Nous étions des chansons et des farces ; il pistait des scélératesses et des perversions. Pas Frolo ni Savonarole, certainement pas, pas assez romantique ou assez cérébral pour cela, mais un prescripteur confit, dressé par des générations de peurs bigotes et malheureux -mais curieux- des vices de ces temps, déversés débordant bouillonnant autour de nous, de nos lectures et de nos jeux. Pas obsédé, pas taré, pas malsain, mais étriqué, dépassé, désolé en somme, disais-je. Il avait pour moi l'attention incrédule qu'on a pour les cas. J'étais un cas. Nul autant que c'était possible, je me révélais par exemple, dans un exposé sur l'origine de l'univers, l'astronomie, l'histoire de la terre, la préhistoire, embrassée d'un coup d'aile en une démonstration, ou bien au catéchisme, que les autres subissaient servilement, tandis que j'y buvais un nectar semblable à celui de toutes les mythologies où je puisais mon catalogue d'histoires, mes scénarii de films ou de BD. Il y eut une année, particulièrement, où le frère M. m'adora.
    Décidé à être absolument conforme à ma réputation de cancre, j'avais abandonné toute velléité d'améliorer mes notes. Elles n'étaient peut-être pas mauvaises dans certains domaines, mais c'est qu'alors, sans effort, je parvenais à m'y maintenir. Pour le reste, mon classement dévalait une pente apparemment insondable. Il y avait le problème des soirs d'étude. A l'internat, sous le regard sourcilleux de frère M., il fallait bien que je trouve une occupation, un loisir, que je pourrais pratiquer au détriment de mes devoirs mais qui ne me vaudrait aucune remontrance. Je ne sais comment la solution se présenta ; elle fut sans doute immédiatement évidente. Au fond de la salle, il y avait une petite bibliothèque. J'avais déjà consommé « la case de l'oncle Tom », « les lettres de mon moulin », les Pagnol, tous les « Signes de piste » et les souvenirs de madame de Sévigné, les soirs au dortoir ou les mercredis après-midi. Il restait la Bible. J'ai dû d'abord l'ouvrir par curiosité, conscient tout de même du manège de frère M., qui circulait entre nos rangs studieux. Il dut lever un sourcil, sourire peut-être, reprendre sa déambulation, le cœur bousculé par quelque certitude. J'étais bien sûr le seul à lire la Bible. Chaque soir, toute la semaine, toute l'année, j'ai lu tout l'ancien testament, avec un sérieux de théologien. Aucun besoin de révision, de travail, de rattrapage en  mathématique, en physique, en tout, en rien. Une paix royale. Il me suffisait d'ouvrir le Livre, et frère M. passait en souriant. Je n'ai pas fait, croyez-moi, semblant de lire ; je me régalais. Page après page, je découvrais le montage hallucinant, que, coutumier de la fiction, averti des ressorts de la dramaturgie, de la fabrication des héros, des artifices de la construction des récits, je connaissais pour les pratiquer constamment. Je voyais, à travers la solennité biblique, les écrivains au travail, les fabricants de récits à la tâche, je sentais la sueur des fonctionnaires commandités, et pas toujours adroits, d'ailleurs. Dans le souffle du récit, je vis nettement, mais quel âge avais-je ?, les maladresses concernant le héros principal : Dieu. Personnage raté, indécis, branlant, capricieux, adouci ou furieux, injuste toujours. Un imbécile pris au piège de ses propres décisions, les exemples abondent. Il n'y a rien de tel qu'une lecture assidue des textes religieux pour, sinon devenir athée, en tout cas, deviner l'entreprise de fiction sous l'œuvre monumentale et intimidante, l'humain sous le canonique et par là, leur dénier une quelconque transmission divine. Le doute commence par là. A la fin de l'année, j'abordais le nouveau testament, nettement moins rigolo que l'ancien, et déjà enseigné au catéchisme. J'arrêtais là. Les cours s'étiolaient dans une bénévolence de début d'été, les martinets se croisaient dans le ciel, les vacances approchaient. On m'annonça d'autres décisions quant à mon avenir qui, de toute façon, ne m'appartenait plus depuis longtemps. Mais ce fut sûrement l'année où j'avais appris la chose la plus intéressante de ma carrière d'élève. Penser par moi-même.

  • Casse-cou

    J'ai failli ne pas dépasser les dix ans :

    1/ quand j'ai décidé d'imiter ces mecs en moto qui bondissaient en prenant appui sur un tremplin. Dans le pré, en contrebas, il y avait un rocher dont la ligne ressemblait à ces tremplins. Je n'avais pas de moto, mais n'est-ce pas... J'ai foncé, foncé, et mon vélo a suivi la verticale du rocher, tout naturellement. Je ne sais pas comment je m'en suis sorti indemne, mais le vélo est mort, lui.

    2/ quand, me prenant pour Panoramix, je fabriquais des potions magiques avec tout ce que je trouvais, plantes en tout genre, macérées pendant des jours dans une boîte de conserve rouillée. Cela produisait un jus noir avec des taches irisées, que je buvais. J'ai survécu. Je n'ai jamais été malade de ma vie. La force acquise des anticorps, je suppose.

    3/ quand je fonçais dans les murs tête la première, pour éprouver cet intéressant vertige qui accompagne le choc. Je me demande si mes problèmes de cervicales ne viendraient pas un peu de là.

  • Et peluche si affinités

    Seuls visiteurs sûrement depuis des lustres, nous entrons chez ce petit homme solitaire. Connaissant notre amour des livres, il a décidé de nous montrer sa bibliothèque. Une bibliothèque exclusivement consacrée aux sciences, dans tous les domaines. Ma douce et moi nous frottons les mains par anticipation depuis que l'invitation a été lancée : cela fait des années et des années, quarante ans de professorat, qu'il achète régulièrement des ouvrages sur la biologie, l'astronomie, la physique, la géologie, les mathématiques, la paléontologie. Quelle merveille ce doit être !
    Nous voici dans le salon comble de rayonnages. Quelle surprise ! Nous ne voyons d'abord qu'une invraisemblable collection de peluches. Les rayons présentent des dizaines d'oursons musiciens, plâtriers, garçons de café ou docteurs, un orang-outang est juché sur l'ordinateur et une énorme girafe encombre le passage. Les livres ? Oui, on les devine, bien là, mais tapis, discrets, remisés derrière les bibelots, inaccessibles, invisibles, dévorés par un peuple de douceur figée, une foule de créatures endormies dans les limbes de la vénération enfantine.
    Nous apprenons qu'il s'agit d'une collection achetée pour sa mère, disparue depuis peu. Ce n'est pas une bibliothèque, mais deux mausolées confondus, que nous visitons. Une vie célibataire vouée aux deux amours de son existence, sa maman et la science. Et l'une des deux a triomphé de l'autre, l'a confinée, masquée, réduite, rendue à la thésaurisation d'un savoir stérile. Le petit homme n'est pas malheureux, non, il a concilié ces deux dévorations et y a consacré sa vie. L'appariement insolite des deux collections, tellement opposées dans leur caractère, entre érudition pointue et décoration poussiéreuse, forme le manifeste d'une solitude irréparable.
    Nous repartons, convaincus davantage qu'une bibliothèque est un patrimoine vivant qui se partage.

  • Au fond

    On a beau s'être déjà tenu maintes fois, bras ballants, devant un rectangle creusé dans la terre, on ressent comme neuve l'impression que c'est tout de même vertigineux, la somme de toutes ces années, résumée à une caisse de bois. C'est de cela dont nous sommes inconsolables.

  • Dans la nuit

    Viens que je te console, viens contre moi, ma douce. Ma douce orpheline.