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choses vues - Page 16

  • Fleur bleue

    Il y a cette phrase rituelle, qui cause en moi une profonde émotion. En cette période, il peut nous arriver de dire : « Paix sur terre aux hommes de bonne volonté », et je vous assure que je ressens en la disant ou en l'écoutant venue de lèvres sincères, comme un serrement de gorge, une douce tristesse. Je me dis que, oui, voilà, ce serait ça, le mot d'ordre le plus simple du monde, qu'il n'en faut pas plus, que c'est nécessaire et suffisant. Paix sur la terre, aux hommes de bonne volonté.

  • Petites phrases anonymes

    "Tu sais, cette actrice qui était dans le film de ... Celui qui avait tourné avec .... Dont la troisième femme et la cinquième maîtresse était... Ce type de conversation vaseuse de fin de repas est désormais pulvérisée par un brandissant porteur de smartphone ou d'androïde : J'vais vous l'dire ! "

  • Abstentionniste

    Alexis de Tocqueville était étonné, même un peu goguenard, de constater que ces sacrés Américains pouvaient confier un poste de sénateur à Davy Crockett, un trappeur coiffé d'une fourrure de raton-laveur. Le raton-laveur aurait été de son avis, certainement, mais il s'en fichait visiblement.

  • Plus molle sera la chute

    L'envol magique des ballons par milliers. Leur dépouille flasque après quelques semaines, qui retrouve les autres, comme les éléphants, dans les cimetières où ils se rassemblent rituellement. Et personne ne s'en émerveille. Plutôt entend-on râler quelques écologistes, car le cimetière est marin et pollue les flots. Voilà l'ennui : pas de poésie de l'envol sans vulgarité de l'amerrissage.

  • Le salon de l'auto (promotion) - 2

    Sur un stand, le jeune homme vend des albums de BD. Toujours intéressé par ce type de publication (souvenirs...), je m'approche. Le produit est flatteur de prime abord (couverture cartonnée, couleurs pétantes...) mais j'ouvre, j'ausculte, et découvre des dessins assez vilains que la colorisation ne parvient pas entièrement à sauver. C’est de la SF dont le scénario, enfin ce que je peux en juger par un examen aussi rapide, ne me semble pas très original. Qui peut publier ça ? Je vois un label d'édition, FTW, je demande à l'intéressé où est cette maison, il m'explique que ça signifie Fuck the World (aha), que c'est lui et des copains qui ont monté ça « parce qu'il en avait marre de bosser pour Dargaud ». Je plisse les yeux, reviens à l'album. Chez Dargaud, un dessin aussi foireux ? Je ne dis rien à ce sujet, lui demande s'il s'en sort ; il me dit que oui, « à peu près ». Je lui souhaite bon courage. Un salon du livre est, avec un festival de cinéma, le genre de lieu où la mythomanie se vautre sur elle-même de la façon la plus indécente.

  • Nourrir

    Le boulanger me dit avec mépris que l'écriture, tout ça... du vent. Lui, il produit quelque chose ; lui, il réalise un pain tangible et nourricier. On a besoin de lui, on n'a pas besoin d'écrivains ou de poètes. Je lui dis, cite-moi un pays qui n'ait pas de poète, de conteur, d'écrivains... Il ne sait pas. Je lui dis : par contre, il y a beaucoup de pays où il n'y a pas de boulangers.

  • Le salon de l'auto (promotion)

    Sur un salon du livre, mon voisin vante les mérites de son dernier livre aux visiteurs : « C’est un roman magnifique, une très belle histoire d'amour, vous allez passer un bon moment, garanti... » Je me dis que, tant que je n'en serais pas là, tout va bien.

  • Ha wa bien

    Cette fichue manie de casser les noix avec les dents...

    « Ah ben monsieur, là, il va falloir que je vous l'enlève, la dent, elle est fendue jusqu'à la racine. Vous êtes d'accord, on l'enlève ? » Mais je vous en prie, faites. « Une 'tite anesthésie d'abord... (Tchic, tchic) ça va monsieur ? » Hmmm hmm, ça va, oui. « Bon, allez, (wouiiiiii, vizzzzz, wouiiiiii), ça va monsieur? » hawa, werchi. « C'était pour dégager, maintenant je vais l'enlever, rincez. » (gloiuglurp fioutch!) L'assistante : « Il y a de l'eau par terre, là » chest woi, we mexcuve, chai parti tout heul. « C'est pas grave, allez ouvrez bien grand... ça va craquer un peu, vous inquiétez pas, hein ? (craac, teeeenaï, crouch, gniinnn) ça va monsieur ? » Ha wa... « (Hurmf, gnnnn...) ah ben dites-donc, vous avez de sacrées racines, hein ? incroyable, c'est dommage d'enlever des dents avec des racines pareilles (Houmpfgnnnnn... Râaah Putaiiiin ! RRRahmmpffff, ça vient, ça vient), ça va monsieur ? » imaawe « Pardon ? » Im-wé-hable « Ah. Bon, je force encore un peu et puis c’est fini » (Gnnnrââhhhmmmpfff, rrrr, gniaaaa, là!) « Voilà ! Ça y est. Regardez moi cette racine ! Vous allez bien ? » Houich. « Il faudra prendre le comprimé anti-douleur dès votre retour, parce que bien sûr, ça va se réveiller. »


    (En partant) : « Bon après-midi monsieur. Enfin, aussi bon que possible... »

  • L'ennui

    J'ai toujours aimé l'ennui, sa mélancolie, l'apaisement qu'il procure quand on sait le goûter. Une amie à qui je confiais ce goût et cette aptitude pour le vide et le temps arrêté, arrondit son regard bleu, figé dans l'incompréhension. Elle a horreur de l'ennui, c'est pour elle une sorte d'abandon insupportable de soi, j'imagine. Beaucoup de personnes, pareillement, sont hantées par le surgissement de l'ennui comme par la fréquentation d'une maladie repoussante, ou plus sûrement sont épouvantées par l'intrusion de cette parente de la mort. Pas moi. J'observe la capacité des chats à s'arrondir autour de leur indifférence. Enfant, je savourais la présence des animaux, les vaches dans l'étable, debout face à l'auge, regard abruti collé au mur, les moutons étendus dans le pré, l'œil abîmé dans la contemplation de la plaine, les chiens – une chienne particulièrement – assise contre moi, sérieuse, immobile, aussi peu intriguée par le mouvement des arbres et le murmure de l'eau que moi par l'acharnement des adultes, là-bas, à se croire essentiels. J'ai appris des bêtes la volupté du temps qui ne veut rien, la langueur admirable du vide. Tant de gens se lancent dans une occupation à cause de la terreur qu'inspire l'ennui ! Et plongent alors dans une activité souvent véritablement ennuyeuse, mais qui donne l'illusion de produire, d'avancer quelque chose, une tâche qui ne souffrirait pas d'attendre demain. Tandis qu'il est si bon de suspendre sa vie, de la laisser traîner comme une ombre, au jeu flânant des méditations. Finalement, je me demande si dans mes récits je ne cherche pas à décrire constamment l'état secret dans lequel me plongent l'ennui, l'absence, l'engourdissement.

     

    Extrait de "J'habitais Roanne", Thoba's éditions, 2012.

  • Mise au pli

    Choisir la précarité implique une révision complète de tous les postes. Energie, assurances, mutuelles... Ma douce et moi nous rendons dans l'agence la plus proche de ma mutuelle actuelle. Nous tombons d'accord avec la dame qui nous accueille sur une formule un peu moins onéreuse, tout va bien, je signe. Et voilà que la dame assène : « Je ne devrais pas le dire, mais tout ça coûterait moins cher s'il n'y avait pas tous ces assistés... »

    Voyageur, sache qu'à l'emplacement des ruines fumantes que tu visites à présent, dans cette petite ville au nord du département, existait une agence de la mutuelle E... et son personnel. L'histoire de cet établissement s'est brutalement interrompue à cause de la remarque stupide d'une dame qui ne s'est pas doutée qu'elle ne s'adressait pas aux clients qui, d'habitude, opinent quand elle balance cette sorte de venin. La vérité m'oblige à dire que, pour ma part, j'ai tenté de démontrer la débilité d'un tel jugement à la dame, mais de toute façon on ne s'écoutait plus, à cause des cris de ma compagne. D'ailleurs, ma douce a entamé illico la destruction de l'agence, l'humiliation implacable de la crétine de service avant son exécution pour l'exemple.

    De profundis.

  • A Poligny

    A Poligny, j'ai rencontré une jolie librairie, une charmante libraire, de passionnantes personnes engagées autour d'elle. A Poligny, il y a une gare, mais je ne l'ai pas vue. Ce qui fait que j'ai pu découvrir Arbois, sa gare, la maison de Pasteur, et la gentillesse de Geneviève, accourue me chercher loin du point d'arrivée convenu. En fait, je cherchais un moyen de me distinguer. C'est donc fait. A Poligny, il y a 4000 habitants, une grande rue vibrante sous le pas des camions, il y a aussi La Glantine, une chambre d'hôtes je-ne-vous-dis-que-ça, il y a un général, Travot, connu comme pacificateur de la Vendée, où on le considère plutôt comme un massacreur mais heureusement, sa fiche Wikipédia m'apprend qu'en réalité, il était très apprécié des autorités locales. De toute façon, la postérité s'est vengée : sa statue, sur la place, a été démontée par les Allemands, et remplacée par une pseudo copie façon classique raté, raide et moche. A Poligny, site clunisien, il y a un projet de Center Park contre lequel des citoyens s'élèvent, et à Poligny comme partout, on les méprise, on ne les écoute pas et comme partout, ils ne se découragent pas. A Poligny, les rivières s'appellent Cuisance, la Furieuse, les Planches. A Poligny, il y a la Nouvelle Librairie Polinoise, lieu culturel sauvé par une association créée spontanément, il y a Corinne, la libraire qui a eu la merveilleuse idée de m'inviter, et il y a ses lectrices, venues me découvrir et découvrir mon travail. On a parlé beaucoup, de plein de choses, un peu de mes livres, de mon univers, mais ça n'a pas empêché la curiosité et une belle série de signatures ce soir-là. A Poligny, ville où le père d'un ami a payé sa tournée après avoir passé la ligne de démarcation (et où il a oublié son portefeuille), il y a Marc, photographe, boule d'humanité cabossée, et c'est une des raisons qui font que je dis « non, vraiment, ça me fait plaisir » quand on me remercie de me déplacer pour rencontrer les belles personnes qui font vivre la « petite » librairie d'une « petite » ville.

  • Ce matin, un chasseur...

    Le chasseur innocent qui passe à portée de la maison, subit la vindicte de ma douce, plus douce du tout en l'occurrence. Le pauvre se défend comme il peut  « Mais... Mais puisqu'on vous dit... Mais c’est pour réguler... Mais... Mais madame... » Rien n'y fait, sous le feu des quolibets et remontrances, le porte-fusil bat en retraite en bougonnant et va plus loin. Encore une victime de ce sport cruel : le mitraillage de chasseur à l'insulte.

  • Minnie perchée

    C'est très haut, un hall de gare. Notamment celui-ci, dans une partie ancienne de la gare de Lyon. Et le ballon qui s'y trouve collé -un ballon en forme de tête de Minnie gonflé à l'hélium- son kiki rouge à pois incongru fixé aux moulures XIXe comme une gargouille pop', est manifestement inaccessible. Je pense à l'enfant qui l'a échappé, l'a vu monter pour s'immobiliser dans ce ciel d'architecture. En voici un aux humeurs duquel, depuis le berceau, les parents ont peut-être cédé et qui, là, au spectacle de son jouet irrémédiablement perdu dans des hauteurs si vertigineuses, a soudain compris que, cette fois, aucun caprice, aucune réclamation ne saurait lui rendre la tête de Minnie. En voici un qui a pris conscience des limites du désir.

  • Flâner

    Des heures et des heurs d'attente et, inévitablement, le moment arrive où on risque d'être en retard.

  • L'affect du livre à Saint-Etienne - 3

    Après l'épouvantable nuit, un petit déjeuner consommé entre deux vertiges mous, je suis à l'heure sur le stand, en me promettant une sieste en début d'après-midi. La foule, dès 10 heures. Parmi les badauds, un grand balaise qui semblait dépourvu de but, m'interpelle, s'approche, tout sourire, crâne dégarni auréolé d'une masse de cheveux blancs. Il se dit sociologue, m'accapare en gesticulant, langage soigné, phrasé rapide et brillant, nous discutons, il me fait rire, je le fais rire, le courant passe bien. Il ouvre brusquement un cahier, geste qu'il me dit avoir répété des dizaines de fois depuis qu'il travaille sur « L'Homme Nouveau ». Ah bon. Depuis des années, il demande ainsi aux personnes de son choix de lui écrire, là, rapidement, leur conception de l'Homme nouveau, est-ce que je veux bien, à mon tour, lui rendre ce service ? La foule passe sans me prêter attention, le bonhomme est convaincant, délirant, chaleureux, le défi est amusant et puis surtout, je ne sais pas dire non. J'accepte. Je m'acquitte ma foi assez honorablement de ma tâche (le « sociologue » me le dira, le lendemain, après lecture) en une petite demi-heure, interrompu plusieurs fois par des personnes qui, sans doute parce qu'elles me voyaient occupées, s'étaient soudain décidées à sortir des rangs indifférenciés de la foule pour acheter un livre.
    Beaucoup d'amis ou de connaissances, beaucoup de Roannais (dans des proportions moindres que celles des dessinateurs de BD, mais enfin beaucoup) viennent me saluer. Mes voisins arrivent. Claudie submergée de signatures, Serge nettement moins. Il s'emmerde. Je crois qu'au bout du compte, il a « fait » moins que moi (pardon pour cette vilaine expression). C'est surprenant. Les passants ne s'arrêtent guère. Chaque auteur a expérimenté cette sensation d'être une vache dans un comice ou au salon de l'agriculture. Je parfais mon imitation en mâchant un cheming-gum et en posant un regard vide sur l'allée, devant moi. La température monte. Je regarde l'heure, il faut que je me rende dans une salle de l'Hôtel de Ville pour ma rencontre avec Alexis Jenni.
    J'arrive. Personne. Les deux bibliothécaires que je connais grâce à Lettres-Frontière sont là, tout penauds. En fait, Jenni ne viendra pas. On ne l'aurait, paraît-il, pas prévenu et il refuse une rencontre dans ces conditions. Si, comme moi, il a découvert cette invitation sur sa feuille de route, une semaine avant de venir, je veux bien le comprendre. Pour moi, être en présence d'un Goncourt, et pas n'importe lequel, avait annihilé une possible protestation ; pour Jenni, je suppose que se voir mis d'office en présence d'un auteur inconnu, a dû lui sembler proprement scandaleux et vexatoire. Bon. Il n'y a décidément personne, sauf ma prof de latin du collège privé qui a pris la peine de venir. Désolée pour moi (oui, non, ce n'est rien, pas grave, bouhouuu), elle passera en famille sur le stand, plus tard. Les bibliothécaires et moi décidons d'aller noyer notre déception dans un jus d'orange, quelque part. En fait, nous ferons l'intervention entre nous, et ce sera très bien. Tant pis pour Alexis Jenni à qui je me promettais de lui dire toute mon admiration, en prime.
    L'après-midi, les mots de soutien de mes libraires ont largement de quoi me remonter le moral que, d'ailleurs, je garde excellent. Ils ont vraiment aimé « L'Affaire des Vivants », mais vraiment ! ils me le disent et me le répètent, détaillent ce qui leur a plu, s'excusent presque de me fatiguer avec leur éloge (je les rassure), sans que j'aie besoin de les menacer. Les libraires, comme d'autres avant eux, comparent « L'Affaire... » à un livre que je ne connais pas, mais la parenté semble évidente pour les lecteurs des deux romans. Il s'agit de « L'Inauguration des Ruines » de Jean-Noël Blanc.
    Un monsieur grisonnant, moustache sympathique, vient me saluer, il désigne les piles devant moi « Votre livre m'attend à la librairie. On me dit qu'il faut absolument que je le lise. » Il se présente : Jean-Noël blanc. Nous nous serrons chaleureusement la main. On m'a tellement parlé de lui et de son roman. Je lui dis qu'on m'a conseillé de le lire, pareillement. Une des nombreuses lectures que je dois faire le plus tôt possible. Et j'ai de plus en plus hâte depuis que j'ai rencontré cet agréable gentleman habitant Saint-Etienne.
    Il est important pour une manifestation de ce type d'inviter des célébrités, garantes de l'affluence du public. On ne parle plus de littérature, évidemment : les gens viennent évaluer la distance qui sépare la représentation télévisuelle (puisqu'il s'agit principalement de ce medium) et la réalité de l'objet télévisé.  L'énergie déployée pour capter ces stars doit l'être efficacement vu le nombre présent. On marche dessus, on les bouscule, on les salue distraitement, on les évite. Pardon Audrey (Pulvar), pousse-toi Francis (Lalanne), tu veux un café Laurent (Joffrin) ? Et puis il y a Romain Bouteille et lui, on n'ose pas l'aborder, parce qu'on se sent tout petit à côté.
    Le soir tombe, guère moins chaud que la journée, à peine un répit. Il y a un apéritif et puis, le dîner de gala dans de beaux salons anciens, non loin de l'Hôtel de Ville, et la soirée VIP s'achève avec un bal masqué. Evidemment, je fais la totale, je goûte tous les vins, je me baffre, je chante avec l'orchestre vénitien, je fais valser Audrey Pulvar et, pendant le bal masqué, je me jette dans la fontaine de chocolat avec Ismaïl et des femmes nues nous rejoignent en riant.

  • L'affect du livre à Saint-Etienne - 2

    La tente est déjà bondée, mais c'est une illusion d'optique, les jours suivants, elle concentrera largement plus du double de visiteurs, contenant ou contenu, je ne sais lequel offre le plus d'élasticité. En attendant, je fais connaissance avec l'équipe de Lune et l'autre, cette librairie qui a cité « L'Affaire des Vivants » comme son coup de cœur de la rentrée. Avis collectif de toute l'équipe. Des gens biens, donc. La charmante responsable, qui a confirmé son choix devant les caméras de France 3 il y a peu, et ses complices, autant de personnes précieuses dont je suis obligé soudain de taire les noms parce que l'un d'entre eux m'échappe et je ne voudrais pas faire d'impair, avec mes excuses. L'ambiance est bonne, on me propose du café, ça change de Besançon. De façon générale, d'ailleurs, l'accueil, le personnel, les bénévoles, tous seront aux petits soins. On m'a placé entre Claudie Gallay et Serge Joncour. Je rappelle à Claudie qu'on se connaît déjà. Ah bon ? s'étonne poliment Claudie. Pas grave. J'achète le dernier livre de chacun. Pas par politesse, mais par goût de la découverte.
    La librairie s'est donné la peine de chercher mes titres précédents. C'est heureux car, pendant ces trois jours, tous les  livres susciteront la curiosité du public et seront achetés dans des proportions évidemment différentes. Je ne vends pas de « La Joyeuse » à des mineures, ni de « Baiser de la Nourrice » aux femmes enceintes, aux personnes cardiaques et plus généralement aux lectrices qui ont des maris costauds.
    La journée s'achève sur un bilan plutôt positif. Je retourne à l'Hôtel, en prenant l'ascenseur cette fois. A Besançon, j'avais été surpris par la voix extraordinairement sensuelle de la cabine, chaude à rendre fou, capable de débraguetter n'importe quel gars un peu sensible. Ici, pas de ça mon ami, c'est une voix de colonel en retraite qui déclare depuis son cercueil : « Etage Principal ». Je demande ma clé tandis qu'un client avise l'ordinateur qui « Hélas monsieur » ne marche toujours pas. La chambre est bien. Enfin, pas mal. En tout cas, la porte ferme quand on insiste, et puis la douche envoie de l'eau, même si elle hésite, elle propose de vous infliger de cruelles brûlures ou de vous figer le sang par le froid. Je choisis un peu le froid, un peu le chaud, un peu le froid. C'est fatiguant. Epuisé, j'appelle ma douce qui me lit le superbe article de Jean-Claude Lebrun. Je suis ravi, c'est un texte impeccable, tout ou presque y est dit. Ma douce conclut en expliquant que, par contre, il y a grève et que, donc, personne n'a pu lire ce magnifique hommage. Chaud, froid, je suis blindé, pas de problème. On m'attend à l'accueil, me prévient-on. J'arrive.
    J'ai le grand bonheur de découvrir là Cédric Fernandez, un grand pote dessinateur aujourd'hui publié chez Glénat, complice depuis des années, avec qui je conçois des BD invendables, ce qui ne nous a curieusement jamais découragés. Je suis d'autant plus heureux que sa présence signifie que je vais rejoindre, malgré mon grand âge, la bande de dessinateurs, agrégés au staf de « Des bulles et des Hommes », librairie spécialisée dans la BD. Heureux parce que, entre nous, je préfère cent fois la compagnie des dessineux que celle des écrivains. Avec eux, on se marre vraiment. En plus, une loi de cette discipline dit que, sur dix dessinateurs de BD dans le monde, sept sont de la région roannaise, ne contestez pas, c'est statistique, c'est ainsi, ça surprend au départ, mais c'est un principe naturel et que voulez-vous.
    J'ai donc la vraie joie de retrouver mes compatriotes, Steve, Maud, Olivier et Cédric, le lendemain, je n'aurais qu'un peu de temps pour saluer Guillaume et Franck, la suite de la caravane. Et puis je découvre Ismaïl, publié chez Glénat également. Un jeune homme précieux. Mais tous le sont, bien entendu. Je dis seulement que c'est bon d'en découvrir constamment de nouveaux.
    La soirée s'achève tard, il fait chaud dehors, c'est l'été en octobre, je me suis habillé en fonction. Le colonel râle « deuxième étage », je donne un coup d'épaule dans ma porte, je fais ce que j'ai à faire (oui, bon) et je me couche, pas mécontent de ma journée. Des beuglements avinés montent de la rue, c'est la poésie urbaine, la vie des grandes villes, les alcooliques sont résistants, ils vocalisent en se relayant jusqu'à trois heures du matin. Là, impossible de se rendormir. Je compte les heures, essaye tous les trucs pour trouver le sommeil, sans succès. Demain, je dois rencontrer Alexis Jenni. Je vais être bien. Sur l'écran de télé que je me suis résigné à allumer, les Simpson dialoguent avec Katsumi qui fait la gueule, un débat sérieux s'envenime, qu'est-ce que je fais là déjà ? Qu'est-ce que j'ai écrit ? On parle de quoi, demain. Comment je vais faire, comment je vais faire, comment je vais...

  • L'affect du livre à Saint-Etienne - 1

    J'étais encore dans le souvenir si bon de la rencontre de la veille, avec Laurent Cachard, à la librairie Le Tramway, à qui je réitère mes remerciements ici. Départ pour la suite de mes pérégrinations, à la Fête du livre de Saint-Etienne. Train plutôt calme, lecture des premiers chapitres d'un manuscrit du même Laurent, rassuré par le plaisir que j'y prends. J'ai en main le portable que ma douce m'a confié en pleurant comme si j'allais me sacrifier dans quelque tranchée. Tentative d'envoyer un SMS pour dire à l'auteur que tout se passe bien, je réussis à taper « chapitre » je réussis à basculer en mode chiffre et exécute magistralement un « 3 » pour préciser où j'en suis. Impossible de revenir en mode lettres pour expliquer que, jusque là, tout va bien, obligé d'éteindre ce foutu machin, de rallumer, etc. Enfin, je parviens à écrire « c'est que du bon » encore que, sans apostrophe. Bref.

    D'autres auteurs comme moi sont pris en charge à la gare où nous arrivons, tous jeunes, minces et beaux. Pas commencer à faire des complexes. La ville brûle sous un été impossible, la rencontre de la veille, le manuscrit, tout ça, je vais bien, je souris. Je remonte une bretelle qui glisse. Après les petits calages administratifs faits à l'accueil VIP, à l'hôtel de ville (oui, je suis à présent un VIP, le badge en témoigne), j'entraîne ma grosse valise à l'hôtel, quelques rues plus loin. L'entrée est vide, c'est que la réception est perchée trois étages plus haut. Situation inédite que je n'ai pas anticipée et qui m'a donc valu de négliger l'ascenseur pour grimper jusque là. Je transpire, pas le temps de me changer, de prendre une douche, je vais puer, tant pis. L'hôtel est étrange, on sent une trop longue pratique, une routine épuisée. J'avise un ordinateur qui me permettra de répondre à mes mails, ce soir, j'apprends « hélas monsieur » qu'il ne fonctionne pas.
    Le premier rendez-vous est un repas organisé au lycée dit du Portail Rouge, que je connais bien : c'était l'internat d'une des périodes assez absurdes de ma vie. J'y ai participé aux plus somptueuses batailles de polochon dont un surveillant puisse avoir le douloureux souvenir. Je dois intervenir dans un collège privé et les deux personnes qui m'accueillent avec de larges sourires, sont la documentaliste d'origine roannaise et la professeure de Français et de Latin (« ah bon, il y a encore des élèves qui veulent apprendre le Latin ? » « De plus en plus » me révèle Emilie, la professeure. Ce qui m'inquiète un peu, au fond). Nous nous installons à une table où nos noms sont déjà inscrits. Un chevalet annonce que François Bégaudeau est attendu face à moi. Tandis que nous devisons tous trois puis que commencent les discours, une dame aux cheveux blancs vient s'asseoir là. Je renonce à serrer la main de la dame en m'exclamant « salut François » et finis mon assiette de légumes. Le célèbre auteur de l'oubliable Entre les murs n'apparaîtra pas.
    Déplacement automobile jusqu'au collège, une salle avec grande figure de la vierge ; nous y sommes ; les enfants arrivent. Ce sont les 4ème, les classes fushia, beige et vert, redécoupées en deux groupes pour l'occasion. « L'Affaire des Vivants » aux mains d'élèves de 4e, d'un collège privé qui plus est ? Oui, le choix s'est fait au cours d'une réunion, il fallait faire vite. Mes hôtesses sont un peu désolées. Je suppose qu'après lecture, les yeux écarquillés d'effroi, elles ont tenté de limiter les dégâts. Les enfants sont sages, ils lèvent le doigt pour énoncer les questions écrites sur des feuilles qu'ils tiennent fébrilement. Une question, je commence à répondre, une forêt de doigts se lève aussitôt. J'explique que je suis du genre à développer mes réponses et qu'il leur faudra subir ma logorrhée jusqu'à la lie avant d'envisager de poursuivre la liste sur laquelle leurs regards sont arrimés. Je les comprends : s'ils lèvent les yeux, ils ont le choix entre un barbu à bretelles et une grande vierge en faux vitrail.
    Deux séances d'une heure se succèdent ainsi, avec les mêmes questions (les mêmes réponses ou pas loin), les mêmes enfants sages, très sages, pas du genre à provoquer une monumentale bataille de polochons comme leur aïeul, enfin je ne sais pas. Les enfants demandent : « Etiez-vous un bon élève ? », je réponds immédiatement « Une autre question ? », ce qui les laisse de marbre. Je remonte une bretelle qui glisse.
    La documentaliste me dépose vers le centre. Je trouve facilement mon stand où les libraires de Lune et l'autre m'attendent, avec la suite de mes aventures.

  • Sur les rails

    Un résumé de la belle rencontre au Tramway, à Lyon, voulue et organisée par Laurent Cachard, écrivain et néanmoins ami, dont je suis actuellement en train de lire le dernier opus, en avant-avant-première. Et ça se passe très bien.

    RencontreTramway_O-Rocken.jpgIl existe un enregistrement de la rencontre du 16 octobre mais il était trop lourd pour une mise en ligne. Je peux l'adresser à qui voudra, il suffit de m'en faire la demande en commentaire de ce billet ou par mail pour ceux qui ont mon contact.

    Merci aux libraires du Tramway et à Laurent de cet accueil exceptionnel. Soirée parfaite. Un moment de bonheur. L'occasion aussi de rencontrer les nombreux amis de Laurent (assez nombreux pour faire l'essentiel du public), de voir ainsi se confirmer l'aura de bienveillance du bonhomme.

    Vraiment, si toutes les rencontres étaient de cette qualité...

     (La photo est d'Olivier Rocken, un ami de Laurent, justement. Avec mes remerciements)

     

  • Dans les yeux

    Elle me parle
    je ne comprends rien.
    Son décolleté est assourdissant.