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choses vues - Page 19

  • Le dernier mot

    [Billet supprimé. Un effet de la solidarité que je dois à mon éditeur. Inutile d'alimenter une polémique qui, au fond, n'a pas d'intérêt]

  • Shakes pire

    Je signe à côté de Lisa Tuttle, célèbre écrivain écossaise dont je vous conseille « Les chambres inquiètes » recueil de nouvelles traduites par Nathalie Serval, chez Dystopia. Bref, je suis donc à côté de cette étonnante personne, dans l'excellente librairie Charybde, à Paris. Poliment, nous échangeons quelques mots. La pauvre me pose une question sur la réflexion borgésienne présente dans « Mausolées » (car l'éditeur a conclu son livre par une phrase de Borges, et j'ai réussi à dire que certains passages du mien pouvaient évoquer la bibliophilie du grand auteur argentin). Inconsciente du danger, Lisa a franchi un seuil. Je me lance dans une explication longue et périlleuse. Après un quart d'heure de massacre de sa langue et de supplice pour elle, Lisa Tuttle me supplie de parler français : elle saura se débrouiller.

  • Le trousseau

    La clé pour les tiroirs sous les vitrines
    La clé pour la petite vitrine du salon XVIIIe
    La clé pour le portail
    La clé pour la porte d'entrée
    La clé pour les tiroirs du bureau du Rez-de-Chaussée
    La clé pour les réserves de l'entresol
    Le passe général
    La clé pour éclairer les étages
    La clé dont je ne me suis jamais servi et que je ne sais plus de quoi qu'est-ce
    La clé du couloir
    La clé de la chaudière
    La clé de la cave

    Toutes, déposées sur le bureau de ma chef.
    Et moi qui pars, tellement léger soudain.

  • Changez tout

    J'ai trouvé ce petit film tellement bien fait et probant que je crois qu'il mérite d'être diffusé le plus largement possible.

     

  • Bush bée

    Tellement difficile, pénible et compliqué d'être un bon peintre, qu'il avait choisi de devenir président des Etats-Unis, ce qui semblait davantage à sa portée.

  • What a wonderful world

    Et l'autre, là, à la radio, qui explique : « Je suis diplômée... euh... certifiée dans le domaine du coaching et de l'accompagnement en développement personnel. J'ai créé une méthode qui permet de comprendre sa place dans le travail, dans l'entreprise, pour savoir ce qu'on est, comment on peut « danser » ensemble, en quelque sorte. » Mais tu vas la fermer, oui ? Charlatan grassement payée par des boîtes énormes (elle cite Citroën en disant qu'elle ne veut pas citer de référence mais tant pis celle-là m'a échappée, zut, ihi, c’est ballot), pour faire croire à des types qui font un boulot de merde que ce qui leur arrive est trop beau ! Putain mais foutez-moi ça à la benne !

  • La tradition ça a du bon

    Le type que je croise est un grand costaud qui fume sur le trottoir dans une pose façon cow-boy Marlboro. Je le dépasse et je découvre qu'un anonyme taquin lui a collé un gros ridicule poisson en papier dans le dos. C'est un gag débile mais absolument réjouissant. Absolument réjouissant.

  • Une chaussure 4

    L’expression de souffrance que j’employai une fois sous le regard de ma mère, la fit s’insurger contre la trop forte contrainte que l’on imposait à mes jeunes membres. Elle demanda illico à son beau-père de remédier au problème : « Non, mais regardez comme il a mal ! ». Mon grand-père, s’excusant, contrit, me déchaussa pour assouplir les semelles immédiatement. De semelles, point. Sarcasmes du grand-père, confusion et colère de la mère, déconfiture du jeune comédien. Il me fut impossible ensuite d’échapper à la rééducation douloureuse de mes arcades plantaires. Je concevais désormais la vie comme un martyr interminable. Je compatissais au sort de la petite sirène, dont la lecture répétée m’offrait le frisson, incessamment renouvelé, de la description de sa marche sur ses pieds neufs : « A chaque pas, comme la sorcière l'en avait prévenue, il lui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des couteaux aiguisés ». Mais cela n’atténuait pas la hantise de devoir déambuler sur les semelles maudites.
    Il y eut pourtant une éclaircie. Il m’était conseillé de marcher pieds nus le plus souvent possible, et sur des terrains particulièrement irréguliers : chemins caillouteux, plages de galets, etc. Je découvris la volupté de marcher ou courir pieds nus dans l’herbe, sur les chemins empoussiérés ou les berges sablonneuses. Plus rien ne m’arrêtait : les sous-bois criblés de ronces, les gravières au relief blessant, les lits de rivière sournois… Je martyrisais mes pieds avec une frénésie masochiste. Au hasard des aventures, je me déboîtais les orteils, m’écorchais la plante des pieds, me tordais les chevilles si souvent qu’elles se fragilisèrent à l’excès. Je redoutais tellement le retour des semelles de grand-père, que je laissais mes parents dans l’ignorance de mes nombreux accidents. Mon obstination se solda par une sensibilité permanente de la cheville droite, un déhanchement discret, une position anormale du pied droit, plus tard des rhumatismes à cette articulation… et une espérance de vie abrégée de toutes mes chaussures droites.
    Je repose mon soulier démoli. Pas peu fier d’avoir élucidé le mystère de la pompe droite qui se désagrège prématurément. Et je réajuste mon écharpe autour de mon cou endolori.
    Pourquoi est-ce que je porte toujours une écharpe, même lorsqu’il fait chaud ?

  • Une chaussure 3

    Grand-père était cordonnier orthopédiste. Il imposa à la plante de mes pieds plats, que l’enfance aurait dû rendre malléable, des semelles de sa création, outrageusement cambrées. Il confectionnait avec amour ce cartonnage rigide de couches de cuir, assemblées à l’aide de rivets chromés. Une merveille technologique, un instrument de torture individualisé, comme j’en connus plus tard avec les appareils redresseurs de dents rebelles. Inéluctablement, je grandissais, mes pieds aussi, mais les voûtes plantaires ne se voûtaient pas ; grand-père accentuait la cambrure de ses semelles, qu’il glissait à l’intérieur de la nouvelle paire de chaussures que mon changement de pointures exigeait. Les premiers jours, c’était horrible. Tout mon corps se révoltait contre cette sensation de marcher sur des galets embarqués. Dès que possible, je cachais ces maudites formes de cuir et marchais, soulagé, dans l’espace réintégré de mes chaussures neuves. A l’approche d’un parent, je boitillais en plissant le front, mais la supercherie ne dura pas.

  • Une chaussure 2

    L’hypothèse absurde que je marcherais davantage avec le pied droit qu’avec le gauche, causant ainsi une usure plus rapide de ce côté-là, m’amuse un temps avant d’être abandonnée. Une inquisition plus précise me révèle une déformation vers l’intérieur de tout l’appareillage, déformation inédite à gauche. En fait, il apparaît que je marche différemment, plus « en dedans » du côté droit. Ah. Cette position anormale de mes tarses et métatarses sur le sol occasionne une torsion du cuir, des coutures et du caoutchouc, finissant par briser le matériau le moins résistant à cette contrainte particulière. Menant la réflexion plus loin, je rappelle le souvenir de sensations corporelles assez coutumières. Il s’agit de ces petits embarras, de ces élancements chagrins avec lesquels on apprend à cohabiter. Oui, c’est au côté droit de mon dos que j’ai constamment mal ! Et certains jours de marche forcenée –car cela m’arrive malgré mes préventions contre toute forme d’exercice physique- la douleur grimpe jusqu’aux cervicales. Je regarde mon pied avec suspicion. Ce serait toi, toi seul, le responsable de ma démarche lasse, de mes courbatures, de mes nuits gênées, de mes maux de tête ? Et même de la musculature étonnante de ma jambe droite ?

  • Une chaussure 1

    La première chaussure qui cède est celle de droite. D’abord, une série de veinules dans le caoutchouc annonce qu’elle agonise. A ce stade, je commence à éviter les flaques, sans quoi j’arrive au travail les chaussettes humides. Là, discrètement déchaussés dans l’ombre de mon bureau, mes pieds sèchent, plus ou moins vite selon l’agitation de mes collègues et les effets de ventilation qu’elle provoque. Je continue pourtant d’ignorer la crevasse qui, sous la godasse, s’élargit de jour en jour. Enfin, la semelle s’ouvre complètement par le milieu. J’achète une autre paire ? Non, j’attends que la chaussure de gauche parvienne au même degré de détérioration que sa soeur. Il lui faut en général un peu plus de deux semaines. Cela me laisse le temps de ruminer cette interrogation obsédante : pourquoi la droite en premier, toujours ?
    Quand je considère cliniquement mes souliers défunts, ou que j’observe leur lent effondrement dans les derniers jours, je constate que sur celui de droite, un affaissement précoce du contrefort s’est opéré. Je reconnais là le stigmate de déshabillages hâtifs au terme desquels pied et chaussure sont désolidarisés de force, sans délaçage préalable. Le geste qui, du bout du pied gauche arrache le talon du pied droit, est le même qui envoie les pompes en direction du meuble où elles devraient s’aligner proprement, mais où elles percutent leurs congénères et retombent au hasard, parfois trop loin pour être repêchées avant le lendemain. Voilà l’explication des contreforts abîmés, mais la semelle fendue ?

  • NU

    Ne pas arrêter, écrire, écrire écrire, ce n'est pas si mal, cela défend des hommes, cela dit non parfois avec vérité, cela dit non du cœur et de la tête et protège les gens. Pense à tous les maux qui menacent, à ton fils à ta fille à tes proches, à ceux que tu ne peux protéger autrement que par les mots car quelles sont tes armes, aucune, tu n'en as pas d'autres, elle est seule à te connaître à te faire forge et armure ton acier sur les épaules et la poitrine le voilà la voilà c'est ton écriture tu le sais bien.

  • Au soleil

    La lumière pulvérisée par un essaim de fleurs

  • Zoom

    Comme un animalcule négligeable, enflé de son importance sous la loupe.

  • L'attaque des machines

    La pelleteuse dévore la maison. Sur sa carapace, le cornac saisit les rênes pour la maîtriser mais rien à faire, elle lance son cou et enfonce un mur avec sa tête dentue. Les passants observent le désastre en hochant tristement la tête. Voilà ce qui se passe quand on ne parvient plus à contrôler ces monstres. Et leurs méfaits sont de plus en plus fréquents, partout dans la ville. C'est à se demander où nous allons.

  • Le bo-navion !

    La mère désigne au nourrisson, tenu entre ses bras, toutes les merveilles offertes par le paysage. Ici un camion, là un avion, plus loin un tracteur. Toutes ces choses bruyantes et sales qui feront l’aversion de l’adulte délivré des mièvreries maternelles.

  • Pas impossible

    A 21 ans, il n’est pas impossible qu’une jeune femme un peu paumée, mal dans sa peau, se laisse aller à inviter chez elle un gars rencontré dans un bar. Chez elle, c’est-à-dire l’appartement où elle vit avec son bébé. C’est envisageable. Le gars peut éventuellement envisager, lui, qu’il va se passer des choses, que la soirée n’est pas finie. C’est possible. On ne saurait l’en blâmer. Qu’il s’imagine. C’est-à-dire que cela reste du domaine des projets, des fantasmes. Après un dernier verre, que le type fasse des avances. Bon. OK. Le type a vu tellement de films porno que ça lui semble la seule issue logique. C’est là que le problème se pose. Parce qu’il y a la réalité. La réalité, c’est que la jeune femme se dit « ça suffit ». Merci, au revoir, on n’est pas chez les bonobos. Que le type soit en colère, trouve ça dur, pourquoi pas ? Qu’est-ce que j’aurais fait ? « Je t’envoie des fleurs demain et on en reparle ? » Oui. Je crois que c’est ce que j’aurais fait. Sincèrement. Parce que j’aime qu’on garde une bonne image de moi. On peut envisager les fleurs et une fin de soirée dans un sourire. C’est envisageable.
    Mais le type a frappé, frappé, violé, violé encore, frappé encore et laissé la fille pour morte, le bébé hurlant dans la pièce à côté. Le réflexe d’hommes qui pensent que quelque chose leur est dû, et qu’ils peuvent prendre ce droit si on le leur refuse. Evidemment, quand la jeune femme se rend au commissariat, on prend sa plainte en considération. Non. Je plaisante. On ne prend pas sa plainte en considération. La considération est du domaine de l’envisageable, du domaine de ce qui est possible. On ne prend pas sa plainte en considération, on lui balance qu’elle l’a bien cherché. Ils ont la description du type, le nom de l’agresseur, son numéro de téléphone et le bar où ils se sont rencontrés, mais ils ne feront rien.
    Il y a quelques jours, la jeune femme s’est suicidée. 21 ans. 21 ans. Vingt-et-un ans. Les policiers vont peut-être prendre sa plainte en considération. Le type va peut-être regretter son geste, et payer d’une manière ou d’une autre. Le bébé grandira et deviendra peut-être un adulte bien dans sa tête. Ce n’est pas impossible. C’est envisageable.

  • Martine et Cacao

    Ma douce achève le classement des albums jeunesse. Parmi eux, les livres de son enfance, nourrie à une époque, par la série des « Martine ». L'un d'eux s'intitule « Martine en voyage ». On y voit Martine décider de partir avec sa petite copine noire, nommée « Cacao » mais qui est si bête « qu'elle ne se souvient même pas de son nom. Un nom pourtant facile à retenir. » Les deux amies partent donc en voyage. Tout le long du livre, Martine, décontractée, tient une ombrelle sur l'épaule, tandis que Cacao la suit en portant leur valise commune sur la tête. Bien expliquer aux enfants les bonnes manières et l'ordre des choses.

    NB : apparemment, l'album a été réédité, et Cacao s'appelle maintenant Annie. Je ne sais pas si elle porte la valise tout le temps.

  • En passant

    Le crachin, la rue, la nuit. Un type que je vois déambuler depuis le matin a trouvé refuge dans le renfoncement d'une porte. Il est accroupi sur le seuil, veste remontée, col serré avec le poing contre le menton. Au passage, je l'entends gémir, terrifié : « Ils ont tous des formes de légos ! »