L'idée d'épouser son tracteur avait valu au paysan une fugace médiatisation. A présent que les journalistes étaient partis et que le village avait retrouvé son calme, il devait bien s'avouer que les formes trapues de son Massey Ferguson 8600 ne méritaient peut-être pas cet accès d'enthousiasme.
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Belle comme un camion
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Ceux et celles qui veillent
Cependant, il se courbe sur son mal. Son corps se réduit et s'amenuise, mais sa conscience en éveil sans doute halète sous la douleur. Et l'on se dit : tiens bon en pensant immédiatement : laisse, abandonne. Et je pense au cauchemar de ceux et celles qui veillent, près du lit ou près d'un téléphone.
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Rire agricole
J'imagine le vieux malade solitaire qui paye ses courses avec un chèque du Crédit Agricole, illustré de la photo d'un beau couple qui se bécote. Bien que tremblante, la griffe s'élargit plus que de coutume, et passe rageusement sur la dentition éclatante des deux jeunes effrontés.
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La grande bouffe
Cette semaine-là, son plus beau coup avait été de subtiliser une crotte du chat dans la litière, d'y déposer un étron de sa confection, et d'appeler sa femme pour attester, devant ce spectacle étonnant, qu'elle donnait vraiment trop de croquettes à Doudou.
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Trop facile
Les chevaliers se faisaient face. La lutte promettait d'être terrible. Quand l'un d'eux utilisa un anachronisme et dégaina son Browning. « C'est pas du jeu... » gémit l'autre en tombant de cheval.
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Lire, devant tous
Il est admis que Bouvard et Pécuchet sont des symboles de la bêtise. Pour ma part, je ne les ai jamais trouvé bêtes, mais enthousiastes. Ce qui est peut-être la même chose aux yeux de Flaubert. Pourtant, dans l'océan de morne savoir qu'ils compulsent inlassablement, les compères me semblent rachetés par leur envie de « se faire une idée », les doutes qu'ils émettent sur tout (après une adhésion sincère), tandis qu'ils sont entourés de gens qui sont pétris de certitudes. Sont-ils les plus bêtes, alors ?
Vous êtes invités à la lecture du texte plaisant de Flaubert : BOUVARD et PECUCHET (extraits) au Musée Alice Taverne à Ambierle, ce dimanche 2 octobre 2011 de 15h à 17h par l'association Demain dès l'aube.
Entrée et présence libres. -
Un peu de Cachard, ce samedi ?
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Biffé
Sur le calendrier, des jours biffés, des semaines barrées, grillagées de feutre. Rendez-vous effectués, anniversaires fêtés, voyages dont nous sommes revenus. Des souvenirs enfoncés sous les ratures, comme des vestiges sous les pelletées de terre. Et puis, là-bas, dans la prochaine colonne, les espaces surlignés de bleu ou d'orange, les vacances à venir, les gens à rencontrer, les fêtes, les repas, les cinoches, les dédicaces des copains, les petits bonheurs en prévision.
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Son pré carré
Avant la bonne action de soutenir une maison d'édition qui le mérite, la première motivation se trouve dans le plaisir de recevoir tous les trois mois environ, un magnifique petit carré de poésie "chic et pas chère" avec dedans des textes vivants, des mots de maintenant, de là, de ce temps. On sent l'ami RVB à deux doigts de laisser tomber, et qui lui en ferait le reproche ? tant la mode est à la mièvrerie (j'ai des noms, j'ai des noms !) et au "donnant-donnant" (je veux bien t'acheter tes trucs, mais faudrait d'abord me publier, hein ?), surtout que lui, il écrit, fichtrement. Et pas de ces préciosités pleines de "silence", "éclat", "nuées", "soupirs", "aube", "pépites de liberté" etc. (tous mots du poète qui m'énerve et que je ne peux pas nommer, étant l'ami d'une amie qui m'est très chère et que je m'en voudrais de fâcher) adressés à des silhouettes désincarnées, mais des mots qui heurtent et/ou qui caressent. Qui parlent des gens, quoi.
Encore un motif pour s'abonner : le N°72 (à paraître en mars 2012) sera celui du bien-aimé Christian Degoutte.
En tout cas, je vous conseille vivement de vous abonner cette année : le bulletin est sur son blog, ma foi très intéressant.
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Urgence
Dédé l'artiste n'eut à déplorer qu'un ratage dans sa longue vie de cambrioleur. Alors qu'il venait d'entrer par effraction, une gastro soudaine l'avait contraint à réveiller le couple qui dormait, et à lui demander d'un air piteux où se trouvaient les toilettes et vite vite s'il vous plaît.
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Nouveau départ
Un mail, et brusquement, la perspective s'ouvre sur presque deux ans de travail : la Compagnie Nu présentera « Pasiphaé » au Théâtre de Roanne, avant une tournée inter...euh... régionale ?
Bon, il va juste falloir que j'écrive cette pièce, cet opéra-bouffe, cette farce en musique comme vous voudrez. Sauf que, tout près, le conquistador Cortés réclame aussi mon attention pour un vaste projet de scénario sur la conquête du Mexique (finalement, contrairement à ce que je disais dans un billet précédent, nous allons proposer notre version des faits, sur un sujet que l'ami Mitton a déjà fouillé il y a peu. Autant dire qu'il faut que je m'organise. -
Vaticination
Et donc, à l'enfant que j'étais, rien de l'avenir ne fut dévoilé. Il n'apparut pas que je trouverai un travail, inespéré, mêlant ma passion de l'époque pour l'image et le graphisme ; il n'apparut pas que j'aimerai assez une femme et que j'aimerai en concevoir des enfants ; il ne m'apparut pas que j'aimerai encore et que je trouverai, comme au terme d'un voyage en perdition, l'escale finale où se construire autrement ; il n'apparut pas qu'on pourrait me croire intéressant il n'apparut pas que je serai tel que je suis maintenant. Je ne m'étais fait que des promesses impossibles. Je m'étais entendu avec celui que je serai pour qu'il ne sache rien de plus sur son futur que l'enfant avec lequel il pactisait. « T'inquiète, gamin : je serai toujours un imbécile heureux ». Merci à cet enfant de n'avoir rien compris, merci au jeune adulte de n'avoir pas désespéré, merci à l'homme mûr de ne pas savoir percer l'opacité des lendemains. Mais de leur accorder sa confiance.
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Coup de foudre
C'est qu'il m'arrive d'être absolument, tout d'un bloc, tout surpris de l'être, amoureux des gens ! Parce que l'un d'eux, parce que l'une d'elles, révèle l'excellence de notre condition, élève d'un geste ou d'une parole la médiocrité de tous. Parce que d'un coup, sans prévenir, l'une ou l'un rachète toute la famille humaine. Et là, je suis comme un fou transi, un amant incapable de dire quoi et combien ; un amoureux émerveillé de sa maîtresse et qui en oublie, un instant, tout le mal qu'elle a pu lui faire.
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Pipotron
Des pâtissières rêvaient de neurones.
Un meurtrier psychopathe se tortille.
Jennifer Lopez accédera aux cristaux.Je ne sais pas si vous me trouverez particulièrement en forme avec des phrases de cet acabit, ou si vous vous demanderez ce qui peut bien m'arriver soudain mais en fait, vous venez de lire trois phrases générées automatiquement par un générateur de phrases.
Toi aussi, amuse-toi à créer les textes de Christian Bobin avec ce merveilleux outil informatique. Tu devras tout de même, ensuite, ajouter quelques formules de ton cru. Faisons un essai avec deux nouvelles phrases (je clique deux fois) :
Le potier se force à laver une veste. Tu t'enorgueillissais de mes fourchettes.
J'ai de la chance, ce n'est pas très difficile. Je propose :
On attend jusqu'à ce que l'attente se délivre de son attente, jusqu'à l'équivalence d'attendre et de dormir. On attend que le potier se force à laver une veste. Que la veste soit veste pour le potier et qu'il la lave, qu'il soit forcé à la laver, car le potier attend et veut qu'on le force.
Avec le regard simple, revient la force pure.
Je te reconnaissais. Tu étais celle qui dort tout au fond du printemps, sous les feuillages jamais éteints du rêve. Tu te rêvais feuillage, tu te rêvais rêve, tu te rêvais éveil, repas, grand livre et froissé de robes, abat-jour et fourchettes. Tu t'enorgueillissais de mes fourchettes.
Et oui, vous voilà rassurés ; l'ordinateur ne fait pas tout, il y a tout de même un peu de travail : Il s'agit d'aller piquer de vraies phrases du vrai Bobin et de les mélanger au générateur et hop, ni vu ni connu.
Voilà. A vous de jouer. Vous pouvez générer du Maxence Fermine selon la même technique, à condition de coller le mot "neige" tous les cinq mots. -
Chute
Il fallait sortir au plus vite tout ce que le dégât des eaux menaçait quand soudain, l'orage inonda les meubles entassés dans la cour.
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Coup de sang
Tiens, tant qu'on est dans l'agacement : marre de cette littérature française allégée, avec toujours moins de passion, d'ambition, de contenu, de style, d'ampleur. Mais que veulent les lecteurs (les lectrices en fait, de plus en plus -et malheureusement dirais-je, pardonnez-moi) à la fin ? Des jérémiades à la Philippe Claudel ou à la Christian Bobin ? Des petites gentillesses asphyxiées et précieuses à la Maxence Fermine ? Des récits au format téléfilm à la Véronique Ovaldé ? De vagues perversités rompues à la mièvrerie parisianiste, façon Pascal Bruckner ? Bon sang de foutre, mais plongez un peu le nez dans Michon, Chevillard, Volodine, Jourde, Laupin, Houellebecq même tiens ! Et aussi allez faire un tour du côté des Roth et Ellis, des Ellroy et autres ricains qui vous troussent 600 pages d'un souffle et vous renvoient, naufragés sur la plage, hors d'haleine, fourbus, mais vivants nom d'un chien, vivants ! Ayant vécu quelque chose ! Pas de ces petites prudences de salon qui osent à peine effleurer la blancheur du papier, mais de ces solitudes qui vont tâter du cambouis de la littérature. Car ça s'appelle de la littérature, oui ! Et on en a sacrément besoin. Merde à la fin, quoi.
(Vite écrit avant de reprendre le boulot, un jour qui précéda notre départ en vacances. Je dis ça parce que j'en ai oublié, évidemment. Et d'ailleurs, je pourrais évoquer le prix des libraires, donné par des commerçants qui ne sont plus -justement- des libraires, à des livres qui -ben tiens- sont calibrés comme des succès de librairies).
Et puis, bon, par pudeur, je n'ai pas parlé des copains, mais les Laurent, les Christian, les Hervé, les Jean, etc. me pardonneront.
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Léaud, the last (enfin j'espère)
On dit que le jeu de Jean-Pierre Léaud est très particulier, parce que personne n'ose admettre qu'il joue comme une sole qui aurait pris un coup de täser. Je n'ai jamais pu regarder plus de dix minutes un film où il détient le rôle principal, à part les 400 coups où il ne sait pas encore qu'il est un acteur. Je lui préfère de loin Jean-Claude van Damme, ne serait-ce parce que je me permettrais pas, à lui, de dire qu'il est mauvais, les yeux dans les yeux.
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Montjoie Saint-Denis!
Ces batailles au Moyen-Age, quelle horreur ! Ces armures énormes, en plein été, avec la peau qui démange dessous...
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Glamour
Quand il voyait sa cliente, rayonnante et adulée, dans des films, des interviews, montant les marches d'un festival, il ne pouvait s'empêcher de la revoir sur sa table de travail, et le gynécologue maudissait une nouvelle fois son métier.
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Si tout va bien
Si tout s'est bien passé, à l'heure où vous lisez ces lignes et depuis deux jours, nous sommes, ma douce et moi, sans chats, sans famille, sans internet, à 20 km de toute habitation, dans une petite maison de pierres au pied du mont Lozère. Au moment où j'écris ce billet (une semaine avant sa parution) rien n'est sûr encore, certaines contraintes peuvent nous obliger du jour au lendemain à renoncer à ce projet qui nous fait briller les yeux depuis des mois. En tout cas, si vous lisez cela aujourd'hui, c'est que nous avons pu partir. Au programme : lectures, écriture, promenades, silence, isolement. Luxe, calme et volupté. Je vais tenter d'alimenter Kronix avant de partir pour garder le contact, mais si demain il n'y a pas de billet, ne vous en offusquez pas, pensez en amis à votre serviteur, à sa douce compagne, enfin seuls au cœur d'un paysage désertique, comme nous penserons à vous, avec bienveillance et tendresse. Nous n'aurons donc pas internet, je ne pourrai répondre ni à vos commentaires, ni à vos mails. N'oubliez pas d'aller vous faire dédicacer le dernier Cachard, au Tramway à Lyon, le 1er octobre à 18 h (nous, nous aurons à peine quitté notre petit coin de paradis, pour reprendre le prochain travail d'écriture avec le metteur en scène Podetti). Et je vous dis à bientôt.