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Nouvelles/textes courts

  • 3857

    index.jpegJ'écris ce billet sans avoir l'ouvrage sous la main, et je ne pourrai donc pas citer les nombreux passages que j'avais soulignés. Pourquoi ? Parce que, aussitôt refermé, je l'ai confié à un ami en lui promettant une belle séance de lecture. C'est que Les deux mariages de Lenka soulève l'enthousiasme et on n'a qu'une hâte : le faire partager illico.
    Isabelle Flaten, c'est La Bruyère projeté au XXIe siècle, gourmande des Caractères qui s'y promènent, spectatrice aguerrie des petits et grands travers humains, elle en tire de savoureuses observations, en variant les thèmes : l'amour, l'argent, la parole… Dans Se taire ou pas, paru chez son fidèle éditeur Le Réalgar, Isabelle Flaten explorait le thème de la parole retenue, empêchée, tue ou délivrée, jetée, arrachée, les raisons qu'on a de ne rien dire, celles qui font qu'on se croit tenu de se confier. Dans son dernier roman, avec son personnage de Lenka, l'auteure ne se contente pas de creuser plus loin cette interrogation, de plus en plus prégnante dans la dernière partie, elle en dissèque les atermoiements avec une qualité de chirurgienne grand style.
    Le cadre est idéal et choisi pour que l'effet soit maximum : Prague (que l'auteure connaît bien, elle y a vécu), au lendemain de la révolution de Velours. Parce qu'un tel bouleversement politique inverse les discours et rend la parole à ceux qui ont dû se taire longtemps, sous la coupe d'une dictature. Les deux mariages de Lenka peut d'abord évoquer une sorte de « Good Bye Lenine » inspiré, ravageur, cruel. Les 'valeurs' de l'occident capitaliste font irruption dans l'éternelle suspension communiste, viennent ringardiser le modèle soviétique, fragiliser les prudents, favoriser les coriaces et les audacieux et, plus surprenant, susciter les premières nostalgies. Les entrepreneurs étrangers débarquent, les rayons des magasins se remplissent. Le monde bascule, les maîtres d'hier font profil bas ou s'arrangent avec le nouveau système, les anciennes victimes remontent au jour, souvent dignes, indestructibles : l'Histoire leur a donné raison. Les turpitudes du passé ne sont pas exactement remisées : on les rumine en attendant de régler les comptes.
    Lenka, le personnage principal, n'est pas une héroïne, pas une résistante, c'est une femme bien ordinaire. Veuve d'un type dont on apprend les médiocrités et la noirceur de collabo et de délateur, la jeune femme est loin d'être un modèle. Elle a pu se faire illusion, croire que son défunt mari et elle avaient atténué, pour leurs « amis » et voisins, les rigueurs du régime. Les « amis » vont lui faire connaître l'envers du tableau, démolir le vernis, mettre à nu et à cru les saloperies passées. Lenka sait bien, au fond, qu'ils ont raison, elle sait bien qu'elle a soutenu son mari, partagé ses idées, encouragé ses affreuses décisions. Lenka est contrainte de faire le bilan de ce qu'ont pu coûter, en souffrances pour les autres, son petit confort matériel et ses compromissions de sympathisante. Quand s'ouvre le roman, la Révolution est passée, et pour Lenka, c'est le désastre. Elle est seule. Ses voisins, qu'elle croyait ses amis, la méprisent, ses parents, qui avaient bien perçu la nature de leur gendre et le détestaient, respirent enfin, peuvent réaliser leurs rêves et leurs films, et sa fille lui en apprend de belles sur sa manière de survivre dans ce nouveau milieu. Lenka est tombée de haut. Bien obligée, elle est femme de ménage, se découvre manipulatrice et kleptomane. Pas reluisante, décidément, Lenka. Pourtant, dans ce tableau désespérant, une lueur se fait en la personne d'un homme, Paolo, rencontré en France (car on peut partir à l'étranger maintenant) et décidé à conquérir la Tchéquie, Prague pour commencer. Il est tellement beau, sensuel, délicat, prévenant, riche, que Lenka est tentée de s'interdire d'y croire et puis, décidément, non, c'est bien vrai, cet homme parfait l'aime, lui offre un travail, ainsi qu'à sa fille, et veut l'épouser. Le danger ne vient pas de lui, pas directement, mais de ce que Lenka a tu. La crapulerie de son premier mariage, cette atmosphère cafardeuse qu'elle respirait bien volontiers et avec laquelle elle avait fait alliance. Alors, se taire ou pas, révéler à son futur mari, qu'elle aime sincèrement, quelle minable elle a été ? La deuxième partie du livre met en scène avec une habileté diabolique ce débat intime. On tremble pour Lenka. Avec elle, on redoute l'irruption des vérités, on attend l'inévitable révélation avec fatalisme et peur. Aussi médiocre soit-elle, on côtoie Lenka au plus juste et on éprouve de la compassion pour elle. C'est une des réussites d'Isabelle Flaten : la pertinence de ses portraits, on retrouve là le regard affûté de ses ouvrages précédents, qu'ils soient romans ou collections de courts récits. La fin est un magnifique tableau en demi-teinte. J'ai lu par ailleurs une critique parler d'espoir au final. Entre nous, je n'y crois pas, et il me semble que l'auteure non plus. Isabelle Flaten connaît bien trop l'humanité pour se leurrer. La vie continue, simplement, et c'est au couple, à présent, d'éroder ses aspérités pour ne plus s'y écorcher, de supporter les compromis, comme toute une société coupable, qui ne fut pas faite que de héros, doit s'arranger avec son passé. On y parvient, c'est le pire, on vit très bien avec ses fautes. Qu'on les taise, ou pas.

    Les deux mariages de Lenka. Isabelle Flaten. 15 euros. A paraître fin août au Réalgar.

  • 3856

    Des petits cris pathétiques s'élèvent dans la rue. Les appels d'un chiot, ou un chien très jeune, oublié par ses maîtres dans un appartement. Ma douce, indignée, continue de travailler tout en maudissant des gens aussi cruels et inconséquents. La petite bête pleure et appelle, supplie qu'on vienne la délivrer, pendant des heures, c'est terrible. N'y tenant plus, ma douce se décide à parcourir la rue pour déterminer l'endroit précis du drame et exiger qu'on intervienne enfin. Et elle découvre un jeune type, faisant la manche, soufflant depuis des heures dans une sorte de flûte dont, manifestement, il ne maîtrise pas bien les accords.

  • 3855

    J'allais à cette réunion comme un condamné monte à l'échafaud. Depuis plusieurs jours, je tentais de comprendre le point épineux qui avait motivé l'organisation de cette réunion, censée le résoudre. Or, je ne parvenais pas à saisir de quoi il s'agissait. J'entrevoyais vaguement le principe, mais impossible d'éclaircir précisément les tenants et aboutissants. Donc, j'entrais dans la salle, une vingtaine de regards convergeant sur moi, dans l'état d'esprit qu'on imagine. Une fois tout le monde installé, l'un des protagonistes, en face de moi, assez remonté, rappela les faits, provoquant dans l'assemblée des acquiescements attristés, voire irrités. Des phrases de condamnation fusèrent, accablant la direction de l'établissement dont je faisais partie, De qui se moque-t-on, c'est quand même un comble, dire qu'on en est là, etc. J'affichais une expression qui pouvait être lue comme de la compassion mais aussi comme une réprobation de propos aussi tranchés. Le rappel achevé, les regards braqués sur moi, on attendait une décision. Au moins une parole claire qui désamorcerait le litige, car litige il y avait. Je ne voyais toujours pas de quoi il était fait, mais bon. Après un immense silence, pendant lequel je conservais une attitude empreinte de solennité où mes auditeurs pouvaient, espérais-je, voir de la concentration et de la sagesse, je me décidais à prononcer quelque chose. « Et bien... » commençai-je, puis je pris le temps de remuer quelques papiers. Mon cœur battait à exploser, je suppose que de la sueur perlait à mon front. Je reposai les papiers, mon moindre geste scruté par vingt paires d'yeux vindicatifs. J'articulais finalement, de l'air las de qui s'étonne qu'on s'alarme pour si peu de chose : « Vraiment, je ne comprends pas pourquoi on... » et, miracle ! Une protestataire, à côté de moi, interrompt ce qu'elle croit être un appel à la patience : « Moi, je pense, dit-elle, que... » et la voilà exprimant une solution qui reçoit l'approbation de tous. Je prends un air contrit et résigné pour convenir : « Voilà, exactement. » Et la réunion s'acheva ainsi, à la satisfaction de tous et sur des congratulations que l'on m'adressa pour avoir été si compréhensif.

  • 3854

    Nous avions eu une discussion assez animée sur l'Islam et le Coran, autour d'un café. Lui, jeune imam de belle figure, croisé souvent, presque un ami, disons une connaissance, en tout cas assez proche pour que l'on se permette l'un et l'autre de confronter nos idées avec franchise. Le débat passé, nous nous saluons dans la rue sur un dernier échange. Il regrette : « Si tout le monde était musulman, il n'y aurait pas de problème... » Je ricane : « Ah ben, en voilà une solution ! Mais par exemple, ma compagne et moi, nous sommes athées. Tu ferais quoi de nous ? Tu nous mettrais dans des camps, tu nous éliminerais ? » Et là, pas de réponse, pas un mot, je vois seulement passer sur son visage une expression qui signifie : « C'est ça. » Nous nous sommes séparés sur ce malaise. Je crois que j'ai vraiment appris un truc ce jour-là.

  • 3853

    De ce milieu provincial qui méprise la littérature et adule la réussite (soit l'exact opposé de ma morale), me viennent, à chaque relation dans Le Figaro, des saluts, des félicitations, des appels du pied. J'aimerais juste qu'ils poussent l'enthousiasme jusqu'à me lire, et saisissent alors comment je peux recevoir l'artificialité de leur intérêt soudain. Mais faut pas rêver.

  • 3852

    Ce que je fais, quand j'écris ? Rien d'autre qu'explorer des labyrinthes intimes dont je n'ai pas les plans.

  • 3850

    Tu traînes toute la journée un dégoût de tout qui t'accompagne encore la nuit et jusqu'à l'aube. Ce qui te laisse le temps de chercher la source de cet accablement. Tu revisites les moments de ta journée, et tu la trouves, finalement, dans cet extrait de reportage au sein des mouvances d'extrême droite, quand une jeune femme de « génération identitaire », attablée dans un bar, prône la violence et le combat de rue à un reporter infiltré, en caméra cachée. Ce que tu es sensible, tout de même !

  • 3849

    « Faisons table rase du passé ! » clamait-il. Et puis, il fit lui-même partie du passé, et disparut sans laisser de traces.

  • 3848

    Il avait donc été un héros, la médaille dans ce tiroir en témoignait. Son nom y était gravé en lettres de vermeil, un titre extraordinaire soulignait sa valeur, et les dates situaient l'exploit. Mais plus aucun souvenir. Il en fut d'abord triste, avant de se sentir inexplicablement libre.

  • 3846

    Un pince-fesses, on m'avait dit. Tu parles. Comme je me suis fait jeter !

  • 3845

    Norman Bates, chaque année pour la fête des mères, chantait : « Maman, tuée, la plus raide du monde. Aucune autre à la ronde, n'est plus momiiie... » et cette foutue rengaine ne le quittait plus, obsédante, jusqu'à ce qu'une voyageuse blonde se présente au motel et l'aide à s'en débarrasser.

  • 3843

    "Et il fit l'homme à son image" Ah, le manque d'imagination ! Tu parles d'un créateur !

  • 3841

    Un indice pour reconnaître un vrai professionnel, quel que soit son domaine de compétence : il est indulgent avec les amateurs.

  • 3840

    Il accumulait tellement d'emmerdes qu'on l'appelait le pépiniériste. Celui qui connaît tous les les pépins.

  • 3839

    Pour rehausser mon écran d'ordinateur, je l'ai posé sur deux tomes de « Histoire générale des littératures » et quand j'ai besoin d'un détail sur un genre, l'écrivain d'un pays, je vais sur Wikipedia. Je ne sais comment mieux illustrer le triomphe du numérique sur le papier. Et n'allez pas croire que ça me réjouisse.

  • 3838

    Hier soir, une amie, lectrice par ailleurs de mes romans, me faisait un retour de sa découverte de "J'habitais Roanne", un texte hybride, entre érudition un peu obsessionnelle et autobiographie, publié en 2011. L'originalité de son retour est qu'il est un enregistrement vidéo. Elle lit les passages, commente, évoque... c'est troublant, agréable, intime et efficace (les passages défilent sous mes yeux, en même temps que la voix discourt, bel effet de présence et de plongée dans le texte). Le premier passage qui l'a bouleversée, parce qu'il lui a rappelé une expérience personnelle, est celui qui suit. L'écoutant, je me suis dit que je pouvais opportunément en faire l'objet de mon billet du jour. Alors voici :

    "Au collège, les garçons étaient grossiers, les filles inaccessibles. J'appris un nouveau vocabulaire et je découvris, au milieu de foules d'enfants qui dépassaient mes capacités de compréhension, l'amour, l'amitié, la lutte contre les plus forts pour l'honneur, et surtout le racisme. Une conception du monde tellement éloignée de celle qu'on m'avait enseignée que, la première fois que j'y fus confronté, je ne compris rien à sa manifestation et ne la reconnus donc pas. Il y avait dans ma classe une fille plus brune sans doute que les autres, dont le nom sonnait différemment aussi. Mon peu de fréquentation du genre humain ne m'avait pas averti que ces nuances avaient la moindre importance. Des garçons, à côté de moi, plus précoces, mieux renseignés par leurs parents, le savaient, eux. Dès le premier cours, ils commencèrent à lui donner de petits coups de stylo dans le dos, à l'agacer, caressant ses cheveux dans une parodie obscène de séduction, l'appelant avec une vulgarité inouïe. Elle ne se retournait qu'à demi, les suppliait, ce qui redoublait leur cruauté. Ahuri par une telle obstination dans la méchanceté gratuite, je leur demandai moi, d'arrêter. Plus étonnés que convaincus, ils obéirent. L'un d'eux (je me souviens de ton nom, toi, quel homme es-tu devenu ?), souligna son regret d'avoir à cesser de si bien s'amuser, par ces mots : « on va pas être gentils avec ces gens-là ». Ces gens-là. Ces gens-là ? Mais de quoi parlait-il ? Je ne comprenais pas le sens de cette formule. Qui étaient ces gens-là ? La fille me semblait surtout très jolie. Comment pouvait-on vouloir du mal à une jolie fille ; à une fille même seulement, cette humanité fascinante ? C'était hors de mes possibilités d'analyse."

  • 3837

    Émission scientifique sur arte qui décrit comment le gras et le sucre, en plus d'être nuisibles à la chair, sont dommageables pour l'intelligence : par effets indirects, ils favorisent la destruction des neurones. Je comprends enfin pourquoi et comment le génie d'Orson Welles a décliné (vous avez cru que j'allais parler de moi?)

  • 3835

    Que le chauffeur de bus soit aussi un excellent contorsionniste n'apportait rien, le patron avait le regret de le dire. Même, il faisait peur aux enfants quand il conduisait le car scolaire la tête entre les cuisses et les bras derrière les genoux. De plus, l'autre jour, il était resté coincé dans cette position et là, franchement, ce n'était plus possible.

  • 3834

    Et en fait, le fond du débat, c'est qu'on dit chloroquine dans le sud et pain au chlore dans le nord.

  • 3833

    Quand je travaillais sur "Martin Sourire", j'ai été, comme tous ceux qui ont abordé cette figure, fasciné par Marie-Antoinette. Et j'avais un peu atténué la frivolité de son portrait par plusieurs rappels : la dignité de sa mort, son amour tragique pour ses enfants, et son amour pour Axel de Fersen. En voici une que je ne suis pas parvenu à détester, non plus que son pauvre mari, non plus que la plupart des personnages qui traversèrent ce temps. A qui, aujourd'hui, devons-nous appliquer la même bienveillance, tandis que leurs actes publics nous révoltent ? Seront-ils eux aussi rachetés par un amour caché et malheureux ?