Excusez-moi chef, mais quand le ministre de l'intérieur est passé nous visiter, je me suis porté volontaire pour la démonstration de Täser. Bon. J'ai pris mon coup bien sévère, normal, pour montrer que c'était inoffensif. Douloureux -très douloureux- mais inoffensif. Après, il y a eu le nouveau ministre de l'intérieur, et puis le président, ensuite de quoi, il y a eu la visite du Préfet, du sous-préfet, du Maire. Chaque fois, démonstration de l'efficacité du Täser, et toujours moi comme volontaire. Bon. D'accord. Encore après, il y a eu le passage des flics en formation, pareil, pour chaque session, chaque mois, c'est moi qui ramasse. Après, on a fait des démonstrations pour les stagiaires qui sont dans le service. Bon. On a recommencé pour les portes ouvertes, et les démonstrations à la kermesse de l'école de votre fils. Maintenant, les collègues m'invitent à leur anniversaire et me disent « Allez Paulo, une p'tite démo » et vlan, coup de Täser. Hier, des gamins sont passés au commissariat pour demander à voir le monsieur qui prend des coups de Täser dans le cul gratuit. Et là, chef, je voudrais juste vous demander si, par hasard, on se foutrait pas un peu de ma gueule ?
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Blind test
Un aveugle qui conduit c’est flippant,
mais ça dure pas longtemps. -
Impromptu
C'est comme cette histoire d'arc géodésique de Struve, s'exclama soudain papy avec agacement.
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Vagues
Sur mer, les pirates et les corsaires se ressemblaient beaucoup.
Sous l'eau, au bout de quelques jours, ils étaient absolument indiscernables.
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Après un sondage
Les statistiques le prouvent : les français écrivent beaucoup et lisent de moins en moins. Mais bon, ils écrivent plus de merde qu'ils n'en lisent. Ceux qui lisent de la merde écrivent beaucoup plus que ceux qui ne lisent rien, tandis que ceux qui lisent moins de merde qu'ils n'en écrivent, écrivent moins. Sans oublier ceux qui écrivent de la merde sur la merde de ceux qui en écrivent.
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Un coup dans l'aile
Le voici poursuivant un pauvre vieux chevalier. Mais arrêtez ce moulin en folie, quelqu'un !
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Lucide
Le moniteur était un peu nerveux. Il allait devoir expliquer au directeur de la colo et aux parents pourquoi cinq enfants n'étaient pas revenus de la visite à la ferme aux crocodiles. Il avait bien préparé pour chacun un petit cadeau acheté sur place, à ses frais - oh une bricole, ce n’est rien allez - mais il s'attendait malgré cela à subir quelque récrimination.
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Le bon sens
« C'est vrai que des livres, y'en a beaucoup », conclut-il. Je le regarde et comprends qu'il faut passer à un autre sujet. Je tente : « Le temps s'est rafraîchi, ce soir, non ? »
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Le retour de Chang et Eng
Les frères siamois font très bien la roue. Bras et jambes tendues, ils roulent longtemps.
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Le moral des troupes
Il se tourna vers son dernier compagnon d'armes encore en vie. A cause d'un boulet qui lui avait emporté une oreille et du crépitement du feu qui les cernait, il n'était pas sûr d'avoir bien entendu la remarque de son camarade, qu'un éclat d'obus avait d'ailleurs privé de sa mâchoire inférieure. « Qu'est-ce qui va s'arranger ? » demanda-t-il avec un brin d'agacement.
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J'écoute donc je suis
Demain soir 19 février à Roanne, à 19 heures, au Diapason, une performance-spectacle-récit de Mathias Forge, sans qui Roanne perdrait quelques couleurs culturelles et beaucoup d'attention à son univers sonore; c'est inouï, inédit, c'est Mathias. Soirée extra-ordinaire en perspective.
Tous les détails ci-contre (cliquer sur l'image)
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Que Tal, par Daniel Arsand
Daniel Arsand, auteur de En silence, La province des Ténèbres et récemment du terrible Un certain mois d'avril à Adana, est de ces écrivains dont on dit qu'ils sont rares, parce que leur voix est singulière, véritablement. Arsand élabore des récits au style soigné, mêlant délicatesse et puissance. Son dernier ouvrage est un texte court, publié en début d'année (Kronix a plus d'un mois de retard, mais bon), un récit autobiographique dans la veine de L'ivresse du fils ou Lilly, mais absolument différent par le sujet, l'énergie, la vitesse, l’enchaînement des thèmes, qui ressort autant de la prose poétique que de l'essai. Le livre s'intitule Que Tal. C'est le nom d'un chat. Son chat.
Qui est-il, ce chat, qu'on déposa un jour entre les bras de Daniel Arsand, ce chat au pelage blanc qui ne se soucie pas du temps qui passe, enseigne ainsi à qui veut bien l'observer, que le temps n'est que l'appréciation qu'on en fait ; une affaire personnelle ? Un animal, d'accord, mais c'est tellement réducteur, ce terme. Incompatible, pour l'humain borné, avec l'idée de l'amour. Et pourtant. Voici une histoire d'amour, placée d'emblée sous l'angle du deuil et de l'altérité, voire de la presque gémellité, entre un homme et son chat. C'est une tragédie.
Entre eux, il y eut un apprivoisement réciproque. Long. Quand tout va bien, Que Tal rejoint son compagnon dans la nuit, les ténèbres qui « matelassent l'appartement ». L'auteur qui n'est pas encore écrivain alors, n'ose pas fumer, ce qui insupporterait l'Autre. La nuit, c’est leur domaine à tous les deux, ils y sont à l'aise. Que Tal et lui couchent ensemble, vraiment, et le chat aux amarres de son Autre, est source de sensualité, de phrases qui entretiennent un trouble malicieux.
Il y a, prestement esquissée mais vite résolue, une crainte (plutôt un ennui) qu'on ne le saisisse pas, cet amour. La difficulté de faire comprendre cet absolu éprouvé pour un être d'habitudes, pour quelqu'un. Quelqu'un qui donne la paix et grâce à qui tout est limpide. Quelqu'un ET un animal.
Dans l'obscurité, dans le désœuvrement, c'est l'éclatante lassitude d'un type qui parfois se déteste. Un corps qui ressasse ses pensées, la monotonie du corps. La lassitude telle une bête dans la nuit. Voulue, désirée, préservée. La part animale, qui est cette parcelle de sincérité et d'angoisse, confinée là, au creux du corps. La part animale, précieuse, c’est aussi ce qui permet de s'éveiller, de réagir. Solitude et lassitude prennent l'être incertain en tenaille, l'obligent à des contours et à des décisions : une posture d'homme, alors qu'il voudrait être flou, négligeable. Parmi toutes les lassitudes, il en existe une, impérieuse : celle de ressusciter ses morts. Mais le garçon voudrait oublier qu'ils le hantent. Alors Que Tal, qui s'allonge contre lui, l'accompagne sans poser de questions, semble une solution, permet une réponse. Il a l'avantage d'être là, tangible et discret. Il n'est pas tonitruant, ne réclame rien que de l'amour. Il l'apaise.
A 42 ans, orphelin et célibataire, au chômage, peu content d'être lui, incapable d'écrire, infichu d'aimer, l'homme s'insulte, se traite de vieille carne rouspéteuse. Il comprend enfin l'autre solution, l'autre réponse : il lui faudra écrire, écrire dix mots pour en retrancher onze, écrire ce qu'il est, purin et or. Écrire enfin ses morts pour s'en désencombrer, écrire ce qu'ils ont été, les remettre à leur place. La place légitime qui est la leur, celle des fantômes. Que Tal ne le tolère que sain de corps et d'esprit. Ce qui oblige son compagnon à refuser les privilèges que revendiquent ses morts. Il le met au défi d'être écrivain, en somme.
Lui est parti souvent, métier oblige. Il est souvent venu avec d'autres hommes, ivresse oblige. Le cœur de Que Tal s'est usé à l'attendre. « En sa compagnie, j'étais un orphelin, j'étais seul et veillé ». Vivre à deux, ce fut cela, écrire entre transe et sérénité. Quand l'écriture sonne faux, Que Tal apporte son aide, sans rien faire, il lui suffit de rester sous la caresse du regard de l'homme, d'exposer son animale sincérité. L'homme devient écrivain « avec ange gardien ».
Après douze ans de vie commune, Que Tal meurt en 2005. D'une embolie. Le chagrin, cette érotisation de la mort, ne se discute pas. Incrédulité, stupéfaction, on le vit, point. Et ce deuil en rappelle d'autres, qui furent longtemps remisés pour mieux avancer. Des deuils qu'il n’est plus possible de négliger. La mort de ses parents qu'il lui avait fallu attendre pour révéler son homosexualité. Et les fantômes resurgissent. Sa mère, sa langue maternelle même, Arsand ferme les paupières à ces deux morts. Le français est trop proche du chagrin, insupportable. Le chômage est loin maintenant, il est éditeur de textes étrangers. Il lit en anglais. L'amour physique, l'illusion du contact des autres, est un piètre réconfort. Une griserie qui finalement, rappelle cruellement le manque. Et le fantôme du père, ramené des limbes par Que Tal, messager bénévole surgit dans un retour fulgurant, radical. Le père « revint et fut mis en mots, il existait pour une seconde fois ».
La confrontation au deuil rend à l'auteur la conscience soudaine, à l'exemple de Que tal, que d'autres sont morts, que tout meurt, qu'il est mortel lui-même. C'est l'évidence, mais quand l'évidence prend corps, quand il devient manifeste qu'un corps recèle les cendres détestables... Il se produit un déclic. Au bout du compte, Que Tal a appris à son compagnon tout ce qui lui est essentiel : à vivre et à mourir, à écrire. On comprend alors quel vide il laisse. Une étrange transmission, rarement dite, s'est produite entre l'homme et l'animal. Celui qui nourrit l'autre n'est pas celui qu'on croit. Que Tal a nourri la part animale de l'auteur. Cette part animale, c’est l'authenticité, ce qui échappe à l'écriture, même la plus sincère, la plus obsessionnelle, toujours menacée de frôler le possible et le faux. Se moquer de ses affres, et s'en réjouir, en jouir, aller vite, écrire. Que Tal ? Comment ça va ? Il écrit. L'écrivain écrit, alors ça va.Je vous invite à découvrir ce texte fiévreux et noir. Une élégie qui mute en hymne frénétique, dans un superbe déferlement final.
Que Tal. 88 pages. Phébus, littérature française.
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Fini au saké
Le thème de la soirée costumée étant le Japon, il y avait une majorité de geishas et de samouraïs. Il était le seul à faire preuve d'originalité avec son costume de Mothra, la mite géante.
Il y avait bien un bioman, perdu tout seul, mais impossible d'engager la conversation avec un type qui refuse de quitter son casque.
En fin de soirée, les geishas avaient préféré les samouraïs. -
Dernières retouches
Ce week-end, c'est la dernière session avant de rendre ma copie. Un mois d'avance. J'ai énormément travaillé, je vous assure, pas laissé une phrase indemne, un mot qui ne soit réfléchi, une situation qui ne soit pesée. Mausolées, nouveau titre (en tout cas, celui qui émerge des propositions échangées entre l'éditeur et moi) de ce roman de (presque) jeunesse initialement intitulé A la droite du Diable est devenu, à force de repentirs et de réécriture, un texte dont je n'ai pas à rougir. La matière était là, mais la forme d'origine était démesurément verbeuse, prolixe, bavarde, inutilement riche en termes rares. Enflée, pour tout dire. Je dois à Frédéric Weil et à son équipe d'avoir eu envie de ce livre, assez pour que j'entreprenne un chantier que je n'aurais jamais accompli sans la perspective d'une édition. Mausolées est très différent des précédents, bien sûr : je ne crains pas d'y placer des scènes d'action et, parfois mais j'assume, un peu de mauvais goût, mais il me semble enfin à la hauteur de ce qu'un lecteur de mes livres actuels peut exiger. Je ne dis pas que mon niveau d'écriture ou que l'ambition de mes thèmes soient exceptionnels, entendons-nous bien, je dis que mes récits se situent à un certain degré et que, quel que soit ce degré, je ne veux pas descendre en dessous. C'est une sorte de contrat moral avec mes lecteurs. Je sais aussi qu'il va toucher un autre lectorat, peu habitué à cette forme de littérature. Le souhait de Mnémos est d'apporter à des lecteurs, fatigués de se voir proposer des combats de guerrières à forte poitrine et des récits immatures de mondes imaginaires, une forme plus adulte, peut-être plus littéraire. Je n'ai pas théorisé une telle démarche, c'est mon éditeur qui a cru reconnaître dans ce manuscrit une réponse aux désirs d'une partie de son lectorat. Nous allons donc savoir, dès la fin du mois d'août de cette année, si le pari est gagné. Je crois que c’est un gros risque pour Mnémos, et j'espère que les lecteurs seront au rendez-vous, malgré cette période peu propice aux récits sombres et désespérés (car, hélas, Mausolées n'est pas une bluette).
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Hors antenne
C'était le jour où papa avait prévenu qu'il passerait à la télé. Toute la famille était devant le poste. Papa est apparu, on se poussait du coude : regarde, c'est papa. Il répondait au journaliste qui posait des questions sur son élevage d'autruches. Papa avait commencé genre : « Oui, nous sommes très fiers de » quand l'une de ces bestioles s'est précipitée sur lui et lui a donné des coups de becs sur le crâne. Papa hurlait en lançant des abominations et en essayant de se protéger la tête tandis que le journaliste criait et que la caméra bougeait dans tous les sens. On se disait que demain, à l'école, la journée allait être dure.
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Ne bougez plus
Visage figé, immobile, cou dégagé, sans lunettes. Me voici déguisé en photo d'identité.
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Page 102
Un ami écrivain me raconta cette anecdote étrange. Son dernier roman achevé, il en fit une sortie imprimante, acte coutumier pour quiconque écrit. La machine s'exécuta, mais interrompit l'impression à la page 102. Mon ami frémit ; c'était la page exactement où était écrit : « La machine s'exécuta, mais interrompit l'impression à la page 102. » Je me souvins tout à coup que j'avais écrit un truc du genre : « Soudain mon ami écrivain me frappa. », je voulus rentrer chez moi pour effacer ce passage, quand soudain mon ami écrivain me frappa.
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Légume des jours
Pour s'éplucher un doigt, il faut veiller à affûter l'économe. Ensuite, l'intérêt de l'opération est votre problème.
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Auguste
Je sais, je sais, s'énerva le clown, une fois enlevés les grands pieds et le nez rouge, lavé le maquillage, je sais, oui, je ne suis qu'un acrobate !
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Le pacte
« Je me dois à mes lecteurs » dit-il. Et il arrêta d'écrire.