Selon le fameux principe de Cachard, il y a peu de monde au palais Rumine pour assister à la lecture du « Baiser de la Nourrice » suivie d'un débat animé par Geneviève Bridel, journaliste de Radio Suisse Romande. Alexandra, qui a organisé la rencontre est un peu déçue, mais je lui assure que ce n'est en tout cas pas grave pour moi. Elle m'apprend que, quelques temps avant, la bibliothèque a reçu Pierre Michon, rencontre évidemment passionnante et riche, marquante, mais ne dit rien du nombre d'auditeurs. Je ne demande rien non plus. Pudeurs.
Lausanne me semble une ville agréable, vivante, les belles architectures XIXème ouvrent sur des murs de miroirs contemporains et, vers mon hôtel, un énorme viaduc enjambe un boulevard et couve un pont de métro aérien. La vision est digne de Metropolis ou des Cités obscures de Schuiten. Le palais Rumine où je dois me rendre est une merveille à flons-flons et marbres monumentaux qui abrite un musée de Beaux-Arts, des collections de géologie, de paléontologie (avec un grand mammouth que je n'aurai pas le temps de saluer) et la Bibliothèque Universitaire de Lausanne où m'accueille Alexandra.
Je suis arrivé tôt, la journaliste et moi prenons un café une heure avant le début de la séance, pour discuter à bâtons rompus. Elle ne souhaite pas vraiment préparer l'entretien en me donnant ses questions (je préfère aussi, nous sommes d'accord sur l'effet de spontanéité ainsi recherché).
A 19 heures, peu de monde donc, une dizaine de personnes (mais de qualité : Emmanuelle Pirerd, poétesse, est dans le public), et la lecture commence. Une jeune femme est installée sous le halo d'une lampe de bureau rouge, une musique bien étudiée pose l'ambiance. « La brosse raya la surface de cirage noir... » ce sont mes mots, bien eux, mais qui les a écrits ? Ce n'est pas la première lecture de mon texte à laquelle j'assiste, mais la première exécutée par une voix féminine (hors des lectures de courts extraits, je précise). Une nouvelle approche. L'interprète lira ainsi 40 minutes, s'amusant parfois à donner vie aux colères d'Alceste Badin créant un effet comique et glaçant tout à fait approprié. Le montage du texte, élaboré par la compagnie Marielle Pinsard est très intelligent. Les scènes de torture sont évitées par l'utilisation d'un passage qui est une suite de verbes « étripé, écorché, énucléé » etc. qui synthétise toutes les saloperies perpétrées par Azert. C'est une approche axée sur le personnage de Gilda qui a été choisie pour concentrer le récit sur un temps si court (relativement). Ce montage, cette lecture de femme, me révèlent que Gilda est le seul personnage par lequel je décris de véritables émotions intimes, plus élaborées que la peur et la haine. Comme quoi, même après tout ce temps, le regard des autres m'apprend encore des choses sur ce que j'ai produit.
Ensuite, le débat s'établit, mené par Geneviève, parfaite. L'occasion de rappeler les conditions de création du livre, mes obsessions, la construction du récit, son improvisation parfois. Le temps passe vite, je me suis perdu dans mes démonstrations comme d'habitude et je me suis peut-être trop attardé sur celui qui motive mes agacements les plus fréquents, ici, sur Kronix. Geneviève a bien lu mon blog et elle conclut par une note optimiste, une phrase écrite un jour sans doute où je me suis mis à espérer. Il fallait la trouver : il y en a si peu. Il est bientôt l'heure de se quitter et je salue Geneviève qui doit partir. Une passante de plus parmi ses heureuses rencontres permises par Lettres-frontière, mais nous resterons en contact, elle recevra bientôt « le Psychopompe » et j'attendrai son jugement. De la même façon, je garde les coordonnées d'une auditrice qui, miracle, connaît Roanne où elle peut être hébergée et ainsi, venir assister aux 24 heures de lecture organisées en juin par « Demain dès l'aube ». (Cette année, les Confessions de Rousseau). Et aussi, plus tard le soir, autour d'une table dans un bar bruyant mais sympathique, j'apprends d'Emmanuelle Pirerd, qu'elle devait passer à Roanne en avril, rendez-vous manqué, mais qu'elle sera sans doute de retour dans ma vile en septembre. Cette fois, nous aurons du temps pour discuter (et puis, d'ici là, j'aurai lu son travail, que je lui avoue ne pas connaître). Roanne, vortex littéraire ?