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  • Pompier

    Après des jours d'interruption, l'écriture de la pièce « Peindre » exige une concentration très difficile à retrouver, mais dont les efforts qui la veulent faire revenir sont eux-mêmes des vecteurs d'inspiration, et pourvoyeurs d'écriture. Ce qui s'appelle faire flèche de tout bois. Ou feu de tout bois, selon qu'on est dans la métaphore guerrière ou pyromane.

  • Cinquième version

    La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis, de proche en proche, retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles et le basculement lourd de la porte de la cellule. Sa cellule. Charon attendait l'irruption des visiteurs dont il avait perçu la progression jusqu'à lui, malgré l'engourdissement des drogues. Ils entrèrent. C'étaient quatre matons qui accompagnaient un homme.

    Le visiteur considéra Charon. Le prisonnier était assis, menotté, bras en arrière, tête hirsute tombée sur le torse. L'homme écarta la frange qui masquait le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Un gardien approcha un tabouret en s'excusant de ne pouvoir offrir mieux. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. Laissez-moi écrire, souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et si ça le calmait !  ajouta un autre, non : ça l'excite ! ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé des somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Soudain, Charon redressa la tête, fit basculer sa chaise vers l'avant et se projeta tout entier pour tenter de mordre le visiteur. Les mâchoires claquèrent tout près du médecin horrifié. La chaise retomba en arrière et le visage de Charon s'effaça de nouveau. Un gardien ricana. Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » D'une main tremblante, il biffa une phrase dans son carnet. Le détenu murmura quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un... C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Rappelez les morts : j'ai à leur parler. »

  • Quatrième version

    La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles, de proche en proche.

    Charon, paumé dans les limbes d'un médicament, perçut à peine l'irruption des quatre matons et de l'homme qu'ils accompagnaient. Ils restèrent dans la cellule tandis qu'il entrait.

    Le visiteur considéra l'homme plicaturé devant lui, entravé, menotté sur une chaise. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hmm ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé des somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Charon redressa brusquement la tête, bascula le corps entier sur sa chaise et fit claquer ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il biffa une phrase dans son carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »

     

  • Troisième version

    La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles, de proche en proche.

    Charon était seul. Il ne fut pas surpris par l'apparition des quatre matons. Ils accompagnaient un visiteur et restèrent dans la cellule tandis qu'il entrait.

    Le visiteur considéra l'homme plicaturé devant lui, entravé, menotté sur une chaise. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Charon redressa brusquement la tête et fit claquer ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il biffa une phrase dans son carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »

  • Deuxième version

    La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit une sorte de feulement. Puis retentirent des claques de ferrures, des pas, le feulement d'autres grilles.

    Charon était seul. Il abimait son regard dans la porte de la cellule, face à lui. Il ne fut pas surpris par l'apparition des matons. Ils étaient quatre, qui s'écartèrent pour laisser entrer un visiteur.

    L'homme s'approcha de lui, considéra l'homme entravé, menotté sur une chaise qui se tassait devant lui. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendait sa herse entre lui et le visiteur. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas. Enfin, il dit qu'il écrit mais il va tellement vite que ça ressemble à des lignes. Illisible. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. Les gardiens échangèrent des regards embarrassés. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. A ce propos, vous écrivez quoi ? Une espèce de roman ? On m'a dit que vous étiez écrivain avant de venir ici ? C'est ça ? » Charon redressa brusquement la tête et referma ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il prit des notes sur un carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »

  • Le Psychopompe II

    Rassurez-vous, ce n'est qu'un exercice. Il y a peu, sur un des carnets de moleskine généreusement offert par ma douce, je me suis amusé, entre deux travaux sur mon prochain roman, à imaginer une suite au Psychopompe, qui s'intitulerait "Le Thaumaturge". J'ai produit ainsi quelques pages, et je vous propose ici la première mouture de la toute première séquence. L'idée est de vous faire partager, un tout petit peu, le travail de l'écriture. En effet, demain je posterai une version corrigée, idem le lendemain, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le résultat me satisfasse. La démonstration n'a rien de spectaculaire, et les nuances sont parfois subtiles, mais c'est la façon dont je travaille, personnellement, et je crois n'être pas le seul. Dans l'exemple qui suit, deux éléments ne "bougeront" pratiquement pas : la première et la dernière phrase. La première, pour une référence évidente (pour les lecteurs du "psychopompe") à la première phrase du livre précédent ; la dernière, pour une raison qui m'est propre, qui tient à la mécanique du récit, au développement de l'histoire. Parce que, même s'il s'agit d'un exercice, je ne peux m'empêcher de le construire entièrement.

    La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit une sorte de feulement. Puis retentirent les claquements des serrures, le bruit des pas, le sifflement des autres grilles, de proche en proche.

    Charon était seul, attaché par sécurité. Il abimait son regard dans l'écran de la porte de la cellule. Il ne fut pas surpris par l'apparition des matons, dont il avait suivi la progression dans le couloir, depuis loin. Il en avait sûrement deviné le nombre. Ils étaient quatre, s'écartèrent pour laisser entrer le psychiatre.

    Le médecin s'approcha et souleva une mèche de cheveux pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne se donna la peine de lui répondre. C'était évident, Charon était devenu dangereux pour lui et pour les autres. Impossible pourtant de le faire transférer en hôpital psychiatrique. Le juge voulait absolument qu'il soit considéré comme responsable de ses actes et, tandis que les experts débattaient, la prison devait essayer de gérer une pathologie de plus en son sein. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. Je m'assieds. D'accord ? » Il approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux. Les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas. Enfin, il dit qu'il écrit mais il va tellement vite que ça ressemble à des lignes. Illisible. » « Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, il devient complètement taré quand il écrit. Ce matin, il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché sur sa chaise ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. Les gardiens échangèrent des regards embarrassés. « M. Charon, Nathan Charon. J'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. A ce propos, vous écrivez quoi ? Une espèce de roman ? On m'a dit que vous étiez écrivain avant de venir ici ? C'est ça ? » Charon s'ouvrit sur un bâillement burlesque et referma ses mâchoires dans un mouvement de tête, une menace de morsure qui effraya le médecin de façon irrationnelle. Lucas émit une petite toux et recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il aligna quelques mots. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête. « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »

  • Coup de flemme...

     

    ... ou manque de temps, je vous gratifie ici de quelques phrases extraites de celles que je mets en ligne sur facebook quotidien (un autre exercice que celui de Kronix). Désolé pour mes amis du réseau social s'ils ont une sensation de déjà-vu, mais ces jours-ci...

    "Les petits-enfants du fakir lui demandaient toujours de s'enfoncer des clous dans la langue ou de se pendre par les testicules pour rigoler, mais franchement, avec l'âge et une certaine sensibilité retrouvée, ça ne lui disait plus rien."

    "Le petit cochon en avait assez d'être malmené ou frappé par les gens autour de lui, qui le disaient maudit à cause des prescriptions du Prophète. Il décida de trouver une terre plus clémente. Heureux ce matin-là, il débarqua en Auvergne..."

    "Lors d'une de ses expéditions arctiques, Admunsen eut l'idée d'emmener avec lui de vaillantes paysannes russes. Elles étaient réputées, par leur chant étrange, apaiser la rage des morses en rut qui, attaquant les explorateurs, risquaient de compromettre une nouvelle tentative de rejoindre le pôle. Cela fonctionna à merveille. En effet : la moujik adoucit les morses."

  • Général B.

    Algérie, Indochine... général insatiable de batailles, il les avait en fait toutes perdues. Mais, Français, il n'en fallait pas plus pour en faire un héros.

  • Le syndrome de Chasles

    France Culture à midi, hier. Alain Finkielkraut est annoncé : il va s’exprimer sur les mauvais résultats de l’équipe de France. Je ne sais rien des problèmes de notre équipe, je comprends seulement qu’il y en a, puisqu’on tend le micro à un de nos plus éminents intellectuels, mais avant les premiers mots du philosophe, je sais déjà ce qu’il va dire : en gros, c’est la faute des musulmans. Et en effet, j’écoute le penseur fustiger une équipe qui est le reflet de la société communautariste et dont les comportements sont inspirés de ceux des banlieues, etc. Du Finkielkraut, quoi. Sans surprise aucune. La même obsession anti-musulmane dans laquelle tous ses concepts se fondent, au feu de quoi toutes ses pensées bouillonnent et s’éclairent. Un journaliste de l’excellente radio expliquait peu après l’intervention de A. F. que d’autres équipes étaient concernées par les mêmes dissensions et excès que la nôtre sans qu’aucun clanisme ou tribalisme n’entre en ligne de compte. Mais Alain, lui, sait : il a sûrement vu autant de matches qu’il avait vu de films de Kusturica avant de pareillement le vouer aux gémonies, mais il a trouvé la faille. Elle est toujours la même à ses yeux : tout procède de la banlieue (ce qui signifie qu’il a une idée de la banlieue, mais une seule). Le mal, c’est la banlieue, le mal c’est le noir, l’arabe, le musulman et leur indécrottable, atavique, génétique besoin de se retrouver entre eux et de repousser l’autre. J’ai beaucoup de respect pour l’intelligence et la pensée abstraite, mais quand je suis capable, moi, quasiment inculte, autodidacte sans bagage, de deviner avant le premier mot ce qu’un intellectuel de ce niveau va dire, je perds confiance en ses capacités d’analyse, et je me dis que le plus beau cerveau, le plus roué, le plus huilé, ne sert plus à rien quand il est stérilisé par l’obsession et le fantasme. Et me reviens l’exemple du pauvre Michel Chasles. Un génie, ce mathématicien, une pensée également huilée et rompue aux exercices abstraits les plus délicats. Pourtant, son obsession patriotique, sa rage xénophobe l’ont conduit à acheter des lettres francophiles de (tenez vous bien si vous ne connaissez pas cette incroyable affaire): Vercingétorix, Galilée, Aristote, Jésus-Christ, César, Cléopâtre, Newton, Alexandre le Grand et j’en passe (il me semble même qu’il y avait Bouddha, mais sous réserve), toutes écrites dans un faux vieux-français quasi parodique. L’abnégation de toute intelligence au profit d’un fantasme. La peur qui submerge toute capacité à prendre du recul. La capacité d’analyse, l’aptitude à prendre du recul par rapport aux faits et aux émotions, c’est ce qu’on demande avant tout à un intellectuel. Non pas que je néglige la montée du communautarisme et ses dangers potentiels, mais il est absurde (et paresseux) d'y voir l'origine de tous les maux de la société. Finkielkraut devrait aller se promener un peu en banlieue, y vivre quelques jours, histoire d'affiner son jugement et éventuellement de le revoir complètement. Une expérience très simple qu’il ne devrait pas refuser. Mais hélas, hélas…

  • Zone de non-droit

    Nous étions perdus. La chambre d'hôte que nous cherchions nous semblait avoir été subtilisée, tant nous étions passés de fois par l'unique chemin où, bon sang de bois elle devait bien être, selon les données concordantes d'internet, de la propriétaire par téléphone, des panneaux de signalisation et de la carte déployée sur les genoux et reprise sans cesse. De guerre lasse, l'heure avançant, l'ombre vite versée dans les replis de ce coin d'Auvergne gagnant sur nous, nous obliquâmes « pour voir », sur une route encore plus douteuse que les précédentes. La route s'engagea d'abord entre des talus proprement fauchés, puis s'inclina un peu avant de franchement descendre en fond de vallon. La pente forte obligeait le nez de la voiture à plonger devant et l'on distinguait au fond, dans un trou vers quoi la spirale de la route nous conduisait inexorablement, cinq ou six maisons tachées d'obscurité, ramassées en un groupe frileux. Nous descendions, le goudron laissa bientôt place à de la terre et des caillasses. Il était évident que personne ne serait venu établir une chambre d'hôte dans un tel entonnoir. Impossible de faire demi-tour, il fallait aller jusqu'en bas dans l'espoir de trouver un terrain où manœuvrer. Les abords du chemin n'étaient plus fauchés, de grands arbres stériles griffaient les pentes escarpées, des carcasses de voitures achevaient de disparaître sous les ronces et les orties. Le groupe de maisons approchait, nous nous enfoncions à chaque mètre dans une pénombre plus épaisse. Nous évitions de nous regarder, mais plus que le seul agacement de s'être à nouveau perdus, nous ressentions l'impression incroyable, irrationnelle, d'être en terre hostile. Nos rires inquiets ne pouvaient cacher la peur qui nous gagnait. Il nous fallut bien dépasser dans un virage les abords de la première maison. Pierres noires, toit de lauzes et planches grises, prés abandonnés, une vieille voiture abandonnée encore, aucun signe de vie. Pas une poule qui s'affaire. Pas de place pour remonter... la voiture descendait toujours, comme une fourmi suit inévitablement telle pente préparée par son prédateur. A l'approche d'une seconde maison, un misérable jardin, au dessus de nous. Et dans le jardin, une lourde femme, sans âge, vêtue de paquets marron indistincts, la chevelure noire que le vent généré dans ce cul-de-sac ne parvenait pas à remuer. Elle nous regardait, visage impassible, bras pesant sur les flancs, nous observait sans doute depuis l'amorce de notre descente. Évidemment, je pensais à Delivrance depuis un moment, et le regard à peine croisé de cette femme, son regard sans expression, impénétrable, me fit vraiment réaliser qu'il y a des endroits en France, des coins tellement reculés et durs, que personne n'y vient jamais, peut-être même pas le courrier et encore moins les gendarmes, des coins dont on peut éventuellement ne jamais ressortir -et qui saurait que nous étions là ? Les vraies zones de non-droit ne sont pas dans les banlieues soumises aux maffias, mais bien, j'en suis sûr à présent, au fond des gorges sombres de la campagne la plus négligée, éloignées de toute attention des médias, dépourvues du moindre intérêt économique, et où ne subsistent qu'une ou deux créatures floues, plantées comme des pierres au croisement des chemins, et qui patientent. La voiture parvient enfin au bout du cul-de-sac, où je trouve enfin assez de place pour tourner. Là-bas, la femme ne nous a pas quitté des yeux. Elle ne cherche aucune contenance, demeure bras inactifs, visage neutre, à observer la manoeuvre, et de même suit notre ascension et notre retour vers le ciel, là-haut, qui a gardé la lumière du jour tandis qu'ici, la nuit se rencogne aux coteaux et fait déjà son nid. Pendant la montée, à l'intérieur d'une des carcasses abandonnées, je surprends un mouvement indistinct. Et je vois une forme s'immobiliser entre les orties. Le coeur étreint par une peur sans nom, je passe le virage suivant en faisant déraisonnablement ronfler le moteur, pour couvrir une affreuse plainte qui monte avec nous, un cri surgi d'une gorge impossible et qui s'achève sur une sorte de sanglot.

  • Les Confessions

    Tandis que nous sommes près de 100 lecteurs à nous relayer depuis hier midi jusqu'à ce soir 18 heures, à Saint-Haon-le-Châtel sous la houlette de Jean Mathieu, pour donner à entendre l'intégralité des Confessions de Jean-Jacques, je dois confesser pour ma part, un manquement important : je ne suis pas allé au vernissage de l'exposition "Paysages urbains" du photo club de Roanne, à la Maison des Métiers d'Art de Roanne, place de-Lattre-de-Tassigny.

    Il m'a semblé qu'un geste minimum était d'en promouvoir l'excellence (de confiance, puisque je n'y suis pas allé -oui, je sais, je sais, je manque à tous mes devoirs) sur Kronix. Voici donc :

    Invitation expo001.jpg

  • à ré-pétitions

     

    A force de signer des pétitions contre un peu tout ce qui nous bouffe l'existence, je me suis retrouvé inscrit à un site spécialisé, un site belge, et je reçois une news letter des nouvelles pétitions en lifgne, chaque semaine. Il y en a 6000 du même tonneau, et toutes relativement sérieuses, selon certains critères. Je vous livre la dernière fournée :

    Pour concrétiser le projet agriculturel dans les Murs à pêches de Montreuil

    Non à l’abattage de 3 200 arbres par RTE en forêt de Sénart

    NON au démantèlement du budget de la culture dans les Côtes d'Armor

    Halte à la destruction de Montmaurin

    « Le numérique pour tous ! » Pour l’accession de toutes les salles au numérique / Pour la sauvegarde du parc de salles de cinéma

    Aux Arts Citoyens

    Sauvons le Chateau d'Ancenis

    Défense du Patrimoine culturel de Bourgogne

    Pour un tramway bilingue breton-français à Brest / Evit ma vefe divyezheg tramgarr Brest

    Demande de création d'école ABA pour les autistes en France

    Contre le projet de loi visant à lever l'anonymat des bloggeurs

    Droit de Préemption au Luxembourg du Logement Loué

    La paix au Proche-Orient, maintenant !

    Flotilles pour la Paix

    Pour une plainte auprès du tribunal de la Haye contre Madame Houwayda Arraf Présidente de Free GAZA

    Condamnation de l’esclavage et les violations des droits de l’homme dans les camps de Tindouf sur le territoire algérien.

    En faveur de la gratuité de la contraception dans le monde

    Exigeons une commission d'enquête sur le crime crapuleux commis par les sbires en RDC contre Floribert Chebeya

    Suppression du décret inscriptions scolaires

    Soutien à l'enseignement spécialisé du Brabant wallon

    Terrain de Hockey

    STOP aux retards systématiques de la SNCB!

    Soutenons la péniche Fulmar avant qu'il ne soit trop tard

    Soroptimist international de Belgique s'engage pour l’eau

    Pour une punition exemplaire : Maltraitance - Par dépit amoureux, elle tue le chien de son ex

    Contre l'expérimentation animale à la Timone (pharmaCOG)

    Contre la mise à mort des poussins jetés vivants dans un hachoir.

    Contre le massacre de nos amis les dauphins à Taiji ( Japon )

     

    Faites votre choix.

  • Fièvre

    Je laisse toujours travailler ma fièvre, quand je suis malade. Elle a triomphé de pas mal de grippes ou autres affections. Je me couche, tremblant, mal en point, enrhumé ou pire, et me réveille au matin, pratiquement convalescent. L'état fiévreux, laissé sans contrôle, est assez intéressant, surtout la nuit. Les délires y sont alors démesurés, et la nouvelle réalité qui se construit dans le cerveau en ébullition, n'a ni les inquiétudes du rêve, ni les engourdissements de l'ivresse. La nuit dernière, j'ai passé un certain temps -il m'a semblé une partie non négligeable de ma vie- à équilibrer les propositions d'un jeu très complexe et très subtil à base de carrés. J'y réussissais avec agilité, me riant des difficultés diaboliques que le jeu semblait incessamment m'opposer. Je ne me souviens pas des règles du jeu ni même quel en était le but, et je ne garde plus de tout cela que la jubilation que j'éprouvais à exercer mon intelligence sur des épreuves extraordinairement complexes. Et puis aussi, je suis convaincu que ce jeu, aussi délirant soit-il, avait de véritables règles. D'où me vient cette conviction ?

  • Ecouter parler du Baiser

    Si vous n'avez rien de mieux à faire, pendant que votre conjoint regarde un match par exemple, voici les 50 minutes de l'émission de RCF "A plus d'un titre", animée par Jacques Plaine et Philippe Jorgeon et Christine Victoire de la Médiathèque de Saint-Etienne, à laquelle ont assisté Laurent et Christian et Béa, et plein d'autres personnes...

    Merci à tous d'être venus me supporter dans tous les sens du terme, et de n'avoir pas éclaté de rire à l'écoute de la musique du générique (je n'avais heureusement pas fait attention alors, mais maintenant, en effet...)

    (Je viens d'écouter, et il y a le moment très drôle où Jacques Plaine me propose de lire un passage, et où je dis "avec plaisir". Et ben moi, ce "avec plaisir" me fait hurler de rire. c'est comme ça. "Avec plaisir"... je vous lis mes trucs autant que vous voulez, j'adore ce que je fais. "Avec plaisir", Ouarfahaha)

  • Rapport au corps

    Cette forme dont nous ne savions que faire. Tellement imprégnés d’un dogme où la chair est faible, nous eûmes avec lui d’étranges rapports. D’abord nous l’avons négligé, lancé sans précautions à l’assaut des arbres, jeté du haut des rochers, balancé dans les jeux les plus bruts. Il a survécu. Avec l’âge, sa préciosité s’affirme. Vient le temps où nous saisissons plus finement tout le plaisir qu’on peut en retirer. Une découverte. Mais il est bientôt trop tard. Voici que les séquelles des imprudences de l’enfance rappellent que c’est le même corps, tarabusté dans les joutes, qui doit nous accompagner maintenant et jusqu’à la fin. On le sent peiner davantage, on le suspecte de trahison, on se méfie de lui. Et l’on prend conscience que d’autres sages que nous n’avions pas lus, disent depuis toujours que le corps est aussi nous.

  • Tympans délicats

    Les trompettes assourdissantes des stades sud-africains indisposent les oreilles occidentales comme gênaient autour des murailles de Jéricho, les trompettes avertissant de l’écroulement final.

  • Injure, tu verras...

    Je n'ai jamais parlé de politique locale sur Kronix, mais l'exemplarité de ce qui se passe en ce moment vaut un billet, je pense. Un tract ignoble est diffusé dans la ville, assimilant le propos social de la gestion municipale (qu'elle soit faite à tort ou à raison, et avec ou non des résultats, serait la seule question digne d'intérêt) à une bienveillance à l'égard de l'immigration. Vieille rengaine dont on pouvait espérer que l'éclatante démonstration de l'incurie nationale avait eu raison. En effet, la chasse implacable aux immigrés, les expulsions nombreuses et impitoyables, la préférence « française » théoriquement niée mais appliquée dans les faits, les rodomontades diverses, n'empêchent pas la dégringolade de tous les curseurs, année après année. Le maintien des institutions sociales, seul contrepoids à la violence de la paupérisation et du chômage, est le dernier rempart à un libéralisme dévastateur.

    La vulgarité du torchon roannais (jeux de mots moisis, raccourcis à visée parodique, détournements de visuels) illustre donc -non pas l'aboutissement, mais- la suite logique d'une sape menée depuis des années par les tenants d'une société toujours plus brutale, toujours plus répressive et anxiogène, une société qui méprise la lenteur des intelligences scrupuleuses. Les mêmes espèrent un nivellement de la pensée par le bas, une recherche aux ordres, un enseignement fabriquant des prolétaires soumis, une légalisation des enrichissements les plus immoraux, une prescription réduite des affaires de délinquance en col blanc, des médias décérébrants et des humoristes inoffensifs, une santé publique à l'agonie, des employés précaires et des Valjean chenus trimant jusqu'à la mort. J'en passe, mais vous saurez compléter.

    L'histoire locale n'échappe pas à ce désir morbide d'aviver les souffrances en désignant, comme toujours, des coupables. Ils portent deux noms emblématiques depuis toujours : « Femme » et « Etranger ».

    Tous deux partagent le poids d'un péché immémorial : A la maison, ils coûtent ; sinon, ils prennent le travail des autres. S'il leur arrive d'accéder à un pouvoir quelconque, ils sont suspects de laxisme, de faiblesse d'esprit et de caractère. Enfin, la majorité de l'opinion silencieuse ne les défendra pas ; on peut donc les insulter impunément. C'est fort de ces principes, répétés à l'envi dans les dîners choisis, que les auteurs du tract ont frappé, certains d'être soutenus par les premiers produits de la société qu'on nous prépare depuis une dizaine d'années. Il s'agit d'une violence, une de plus, inspirée par les aboiements venus du sommet.

    Que ceux qui y voient l'aboutissement des excès d'une frange extrême ouvrent les yeux et les oreilles : ce n'est que le signe avant-coureur de luttes plus féroces, plus inégales, et meurtrières. Je ne cesse de le dire depuis les dernières présidentielles, et voilà pourquoi ce tract a selon moi valeur d'exemple hors frontières communales : le mépris des plus pauvres, la gabegie et l'aveuglement des élites conduiront la démocratie à l'effondrement. Ceux qui se réjouissent à présent de cette farce odieuse, ceux qui ricanent en y voyant un coup supplémentaire porté contre un adversaire politique, devraient y réfléchir : dans le cœur des plus désespérés, ils ne sont pas si loin de l'étranger et de la femme. Et si, au delà des organismes les plus prompts (et malheureusement habitués) à protester contre la moindre atteinte au  simple respect humain, les politiques et les citoyens, sans idée partisane, ne disent pas haut et fort leur écœurement, ne se décident pas à prôner le temps nécessaire au travail de l'intelligence à l'école et dans les médias, le mouvement n'en sera que plus puissant, et les emportera tous.


    Bien sûr, il existe une pétition, ni plus ni moins vaine que les autres. La signer est la moindre des choses, me semble-til.




  • Les Edites

    Un peu fatigué, ce matin. Heureusement, Laurent Cachard a, dès son retour chez lui, trouvé l'énergie de parler le premier du salon de Roanne.

    Un aspect pourtant que je voudrais souligner : la beauté enthousiasmante de certains livres-objets, véritables oeuvres d'art auxquelles je suis extrêmement sensible (et notre compte en banque aussi). j'espère avoir un jour l'occasion de vous en parler ici, et pas seulement comme lecteur.

  • Ecouter lire

    Pendant tout le week-end du Salon de la petite édition et du livre d'artiste de Roanne, les lectures vont s'enchaîner, avec quelques intermèdes musicaux et poétiques. Venez, venez !

    Samedi

    14h : Jean-Gabriel Cosculluela ; 14h30 : Laurent Cachard (éditions raison et passions) ; 15h : Anne Brouan (éditions la rumeur libre ) ; 15h30 : Hervé Bougel (éditions pré#carré ) ; 16h : Patrick Peyraud (L'air du temps, textes de Marie Motay ) ; 16h30 : Michel Grange (Musique) ; 17h : Thierry Girandon (Jean-Pierre Huguet editions ) ; 17h30 : Joël Roussiez (la rumeur libre éditions) ; 18h : Jacquie Barral ; 18h30 : Jackie Plaetevoet (éditions sang d'encre ) ; Simon Narvaez (poèmes et musique)

    Dimanche

    11h : Marie-Hélène Bahain (éditions Diabase) ;11h30 : Sylvie Brès (la rumeur libre editions ) ; 14h : Dominique Lardet (Jean-Pierre Huguet éditions) ; 14h30 : Christian Chavassieux (Jean-Pierre Huguet éditions) ; 15h : Alain Pouillet ( éditions la rumeur libre) ; 15h30 : Pierre Bendine-Boucar  ; 16h : Chloé Dubreuil (éditions d'un noir si bleu) ; 16h30 : Anne Poiré et Patrick Guallino ; 17h : Jean Lenturlu (Privé de désert).

    C'est à l'Espace Congrès de Roanne, derrière l'hötel de Ville. l'entrée est libre.

  • Salon de la petite édition à Roanne

    Dès aujourd'hui et pour tout le week end, c'est le salon de la petite éditio et du livre d'artiste à Roanne.

    Demain, je vous donnerai la liste des lectures qui vont se sucder mais déjà vous pouvez (si le lien fonctionne) lire le programme de cette première édition, ci-dessous :

    Affiche-program-40x60-lesEdites.pdf

    d'autre part, ce soir, je serai à la Médiathèque de Saint-Etienne pour une dernière rencontre autour du Baiser de la Nourrice, et j'ai le plaisir d'être soutenu dans cet ultime moment par Laurent Cachard, également invité du salon. Quelle actualité !

    Vous pourrez suivre la première partie de la soirée, dès 18 heures sur la radio RCF.