Tiens, j'ai retrouvé ce billet, écrit en juin 2010, après la diffusion d'un tract présentant la maire PS de ma ville, à l'époque (nous étions sous la présidence d'un agité chronique, souvenez-vous), comme une complice béate des immigrés, coupables de tous les maux. Je me permets cette redite :
"Un tract ignoble est diffusé dans la ville, assimilant le propos social de la gestion municipale (qu'elle soit faite à tort ou à raison, et avec ou non des résultats, serait la seule question digne d'intérêt) à une bienveillance à l'égard de l'immigration. Vieille rengaine dont on pouvait espérer que l'éclatante démonstration de l'incurie nationale avait eu raison. En effet, la chasse implacable aux immigrés, les expulsions nombreuses et impitoyables, la préférence « française » théoriquement niée mais appliquée dans les faits, les rodomontades diverses, n'empêchent pas la dégringolade de tous les curseurs, année après année. Le maintien des institutions sociales, seul contrepoids à la violence de la paupérisation et du chômage, est le dernier rempart à un libéralisme dévastateur.
La vulgarité du torchon roannais (jeux de mots moisis, raccourcis à visée parodique, détournements de visuels) illustre donc -non pas l'aboutissement, mais- la suite logique d'une sape menée depuis des années par les tenants d'une société toujours plus brutale, toujours plus répressive et anxiogène, une société qui méprise la lenteur des intelligences scrupuleuses. Les mêmes espèrent un nivellement de la pensée par le bas, une recherche aux ordres, un enseignement fabriquant des prolétaires soumis, une légalisation des enrichissements les plus immoraux, une prescription réduite des affaires de délinquance en col blanc, des médias décérébrants et des humoristes inoffensifs, une santé publique à l'agonie, des employés précaires et des Valjean chenus trimant jusqu'à la mort. J'en passe, mais vous saurez compléter.
L'histoire locale n'échappe pas à ce désir morbide d'aviver les souffrances en désignant, comme toujours, des coupables. Ils portent deux noms emblématiques depuis toujours : « Femme » et « Etranger ».
Tous deux partagent le poids d'un péché immémorial : A la maison, ils coûtent ; sinon, ils prennent le travail des autres. S'il leur arrive d'accéder à un pouvoir quelconque, ils sont suspects de laxisme, de faiblesse d'esprit et de caractère. Enfin, la majorité de l'opinion silencieuse ne les défendra pas ; on peut donc les insulter impunément. C'est fort de ces principes, répétés à l'envi dans les dîners choisis, que les auteurs du tract ont frappé, certains d'être soutenus par les premiers produits de la société qu'on nous prépare depuis une dizaine d'années. Il s'agit d'une violence, une de plus, inspirée par les aboiements venus du sommet.
Que ceux qui y voient l'aboutissement des excès d'une frange extrême ouvrent les yeux et les oreilles : ce n'est que le signe avant-coureur de luttes plus féroces, plus inégales, et meurtrières. Je ne cesse de le dire depuis les dernières présidentielles, et voilà pourquoi ce tract a selon moi valeur d'exemple hors frontières communales : le mépris des plus pauvres, la gabegie et l'aveuglement des élites conduiront la démocratie à l'effondrement. Ceux qui se réjouissent à présent de cette farce odieuse, ceux qui ricanent en y voyant un coup supplémentaire porté contre un adversaire politique, devraient y réfléchir : dans le cœur des plus désespérés, ils ne sont pas si loin de l'étranger et de la femme. Et si, au delà des organismes les plus prompts (et malheureusement habitués) à protester contre la moindre atteinte au respect humain, les politiques et les citoyens, sans idée partisane, ne disent pas haut et fort leur écœurement, ne se décident pas à prôner le temps nécessaire au travail de l'intelligence à l'école et dans les médias, le mouvement n'en sera que plus puissant, et les emportera tous."