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Au fil de l'Histoire - Page 6

  • Un souvenir de Pierre Etaix

    Rue Pascal, la cour était en partie occupée par un atelier. Là, mon grand-père paternel exerçait le métier de cordonnier. A ce savoir-faire déjà appréciable, il avait ajouté par force de travail et d'études spécialisées, celui d'orthopédiste. Le cuir dont il avait besoin pour les chaussures sur mesure qu'il réalisait (...) était acheté chez le père de Pierre Etaix, avec qui notre famille garda ses liens. On verra plus loin des exemples de l'exceptionnelle mémoire de Pierre Etaix, mais en voici un : récemment, il se rappelait avoir vu mon grand-père dans cette ridicule et presque féminine tenue de zouave, uniforme de la compagnie des tirailleurs algériens et tunisiens (« ceux qu'on envoyait sur les mines » grinça le réalisateur de Pays de Cocagne) dont une photographie garde la trace dans un album familial. Quand, où le jeune Pierre Etaix l'avait-il découvert ainsi ? A l'occasion d'une des rares permissions de mon grand-père j'imagine. Rares, car je suppose qu'on ne rentrait du service en Tunisie qu'une ou deux fois dans l'année. L'occasion des visites des parents, des voisins, des amis. L'occasion sans doute de revêtir pour l'exhiber, le bizarre costume avec fez et culotte bouffante et d'évoquer Tunis, c'est-à-dire Carthage. (...) Pierre Etaix se souvient surtout – et c'est précisément pour cela que je l'appelai, pour lui faire préciser des confidences faites quelques années auparavant – du retour de mon grand-père de captivité. Le seul témoignage qui me soit ainsi parvenu de cet épisode n'est pas issu de la mémoire familiale ; mon père n'en a jamais parlé. Il a fallu ce spectateur bienveillant pour que ce moment particulièrement intense resurgisse.

    Mon grand-père paternel fit partie de ces nombreux prisonniers français dont la figure lointaine fournit toute une mythologie pétainiste, puisque leur pitoyable statut fut mis dans la balance pour cautionner le Service du Travail Obligatoire. De ces quatre ans de captivité, mon grand-père parlait parfois, quand il évoquait l'immense plaine recouverte de neige, là-bas, en Prusse orientale et la vie dans la ferme où il avait été envoyé pour aider aux travaux des champs, comme tant d'autres. Il ne confia que peu de détails sur son retour, et en tout cas rien du moment insondable où il retrouva son unique fils, pour qui il était un étranger. Pierre Etaix, qui ne devait pas avoir plus de quinze ans, fut le témoin du retour de cet homme amaigri et malade et du sentiment de gâchis qu'il ne manqua probablement pas d'éprouver quand, embrassant son fils, il se découvrit étranger dans son regard. La guerre brise tant de pactes, et celui anodin qui liait ces deux êtres, comme les autres. Cette déchirure produisit ses effets jusqu'aux deuils. Mon père n'appela jamais son père « papa », mais « mon père », justement. Une séparation jamais résolue, une distance jamais réduite. Le père Etaix avait gardé pendant des années la dernière commande de cuir faite par mon grand-père, et la lui offrit à son retour. Il y eut entre eux, sinon une amitié, une forte complicité en tout cas, qui dépassa la seule relation de clientèle. Pierre Etaix fut toujours reconnaissant à mon grand-père d'avoir continué d'apporter des fleurs à sa mère, quand elle fut devenue veuve. Plus tard encore, mon père s'occupa de la tombe de la mère du cinéaste.

     

    Extrait de "J'habitais Roanne". Thoba's éditions, 2011.

  • 3019

    Avez-vous réalisé (comme moi, que cette idée surgie à 2h22 a maintenu éveillé un bon morceau de nuit), que Ulysse fut (et là, un peu de réflexion et d'érudition est requis), le premier capitaine Nemo ?

  • 3016

    Charlieu, Portraits de Mémoire, Chavassieux, Bonnetin, Bodon-ClairSamedi et dimanche, les 17et 18 septembre, de nombreuses personnes avaient bravé une météo peu amène pour visiter les sites charliendins à l'occasion des Journées du Patrimoine. L'équipe de « Portraits de Mémoire(s) » était invitée à participer à l'événement. Nous avions improvisé un assez joli stand dans la salle capitulaire de l'abbaye de Charlieu. Panneaux avec extraits du site internet, photos de marc Bonnetin, vidéo d'un maquette de chanson sur une musique de Jérôme Bodon-Clair, présence des auteurs… Nous avons pu expliquer notre démarche à une centaine de personnes. Des contacts nombreux, des anecdotes prometteuses, des encouragements, des réactions positives, des personnalités passionnantes… Le coup d'accélérateur dont le projet avait besoin.
    Merci à l'équipe de l'abbaye de Charlieu pour son accueil diligent et chaleureux, merci à la communauté de communes pour la réalisation du stand, merci à la société des Amis des Arts de Charlieu pour son invitation.

    Bonnetin, Chavassieux, Bodon-Clair, Portraits de Mémoire

     

     

    Photos Delphine Faquin.

  • 3005

    Dès le XIIe siècle, les papes se succédèrent pour interdire, sous peine d'excommunication, l'usage de l'arbalète dans la guerre. Les rois firent « oui, oui, c'est ça » et les champs de bataille furent aussitôt hérissés de carreaux. Le pape François propose de répartir mieux les richesses, de ne pas polluer, de cesser les bombardements, etc. Je vous fais grâce des ricanements émis par les contrevenants.

  • 2949

    Le ballet comique de la Reine fut d'une grande modernité en son temps (soit il y a près de cinq siècles.) La première manifestation de ce qu'on nomme aujourd'hui la transdisciplinarité. Théâtre, musique, danse, tout cela mêlé en un récit continu de six heures… à quoi on peut ajouter le pragmatisme plus ancien qui fait d'une œuvre artistique un message politique et une réalisation de prestige. Ce "Balet de la Royne" et le livre qui en restitua le déroulement en détails est le sujet d'un texte de commande que je dois rendre le 1er septembre. Je funambule entre pression (que dire de pertinent ?) et sereine conviction (je sais que je vais m'en sortir).

    Plus de pression que de sereine conviction, pour être honnête.

  • 2945

    - Je ne veux plus que tu me serves de viandes grillées, c'est compris ?
    - Toi alors, ce que tu as changé depuis Hiroshima...

  • 2905

    Un projet passionnant cette année, qui nous mènera, mes camarades Marc Bonnetin, Jérôme Bodon-Clair et moi-même, jusqu'à la fête de la musique 2017, s'intitule "Portraits de Mémoire(s)". C'est un travail réalisé en lien avec la Communauté de Communes de Charlieu-Belmont et la DRAC Rhône-Alpes Auvergne, principalement. Il s'agit pour nous de collecter dans un premier temps des témoignages sur le passé industriel et artisanal de la région, importante scène de la soierie, établie au XIXe siècle par les soyeux lyonnais, pour "délocaliser" (déjà) leur production. La collecte réalisée, nous écrirons des chansons-portraits (mais oui), car il nous a semblé que la chanson était le médium le plus immédiat, le plus populaire et le plus pérenne, pour espérer que la mémoire des acteurs de cette filière aujourd'hui presque disparue, se transmette et soit conservée par chacun, au cœur.

    Toutes les informations sur le site dédié, ICI.

  • 2903

    Le gouffre est fascinant. Pourquoi l'est-il ? Le fond de l'abîme aimante le regard et envoûte l'esprit. La pensée s'y étonne car elle ne peut rien atteindre que le concept d'espace, qui frustre par ce qu'il renvoie de pauvreté de la langue à le dire entièrement. Accoudé au parapet, le touriste ne prononce que des phrases idiotes. « C'est profond », « C’est haut » (variantes : qu'est-ce que c’est profond ! Qu'est-ce que c’est haut ! Accompagnées de sifflements, de pets pulsés entre les lèvres ou d'exclamations admiratives).
    (...)
    Qu'allaient chercher les bâtisseurs de Babel, en élevant leur tour vers les nuages ? Pas tant une concurrence avec le divin que la distance suffisante d'avec la terre nourricière, sommet depuis lequel ils seraient en capacité de frôler les parages de la fin. Le défi des habitants de Shinéar suivait une intuition selon laquelle la lumière du ciel disait mieux que les trous en terre, la nature secrète de la mort. On sait que la parabole de la tour de Babel est utilisée dans la Genèse pour expliquer la dispersion des langues. Yavhé, courroucé de l'aplomb des hommes à se croire en mesure de s'élever jusqu'aux cieux (« c’est le début (…) maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux »), les punit en confondant leur langage « pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres ». Ce faisant, il les condamne à ne pouvoir dire autre chose, confrontés au gouffre, que « C'est profond. »

     

    Extrait de Le Promeneur quantique. En cours d'écriture.

  • 2890

    Certains chantiers d'écriture apportent des questions inédites. En l'occurrence, une résidence d'auteur qui m'a été confiée pose comme principe que la chanson est le vecteur de mémoire le plus populaire et le plus pérenne qui soit. Il s'agit de dessiner, à l'aide de vraies chansons faciles à mémoriser, les portraits de personnes rencontrées. Des artisans, des ouvriers, des ingénieurs, tous témoins d'un passé industriel révolu. Et la question cruciale qui se pose à Jérôme Bodon-Clair, le compositeur, et à moi, devient : Qu'est-ce qu'une chanson classique créée aujourd'hui ?

     

    C'est le projet "Portraits de Mémoire(s)" dont le site dédié sera en ligne pour l'été. A suivre.

  • 2842

    La Grande Sauvage est entre les mains de mon éditeur. Il ne pourra vraiment s'occuper de mon manuscrit que le mois prochain et je ne saurai probablement rien avant mi-avril. Les recherches sur ce roman m'ont fait renouer avec la pratique ancienne du carnet de notes, des croquis de voyages. C'est ainsi que j'ai visité le hameau de la reine, à Versailles, sur les pas de mon personnage, Martin. Textures, dimensions, précision des circulations... j'avais une liste de points qu'il me fallait vérifier. Et puis il y eut des découvertes, comme ce "potager" meuble mystérieux jusque là, dont je voyais enfin un exemple concret dans les sous-sols du petit Trianon, et qui aura une certaine importance dans le récit.

    Croquis_Ferme.jpgCroquis_Ferme2.jpgCroquis_Potager.jpg

  • 2835

    couv-OK-212x400.jpgKlaus Hirschkuh « avait dix-neuf ans à son arrivée dans la boue et la poussière de Buchenwald ». Ni juif, ni étranger, ni communiste, ni tzigane, ni opposant politique, ni soldat ennemi, on ne l'avait affublé ni d'une étoile jaune ni d'un triangle vert. Klaus était allemand, et on avait épinglé à sa tenue de prisonnier l’infamant triangle rose de l'homosexuel, ce qui ne pardonne pas, dans l'Allemagne nazie de 1940.
    Pour Klaus Hirschkuh (Klaus comme Klaus Mann et Hirschkuh qui signifie Biche, tendre victime offerte aux prédateurs), survivre quatre ans dans un camp a signifié d'abord « ne pas vouloir mourir », et a réclamé de son corps de souffrir tous les viols, toutes les abjections et les insultes, les règles en fer dans le cul. Cela lui a demandé de tenir, de survivre à la castration des autres, à la défenestration de  Heinz, son cher amour. Il a tenu. Et voici Klaus, de retour dans sa famille. Klaus inattendu, Klaus d'une maigreur accusatrice, dérangeante, Klaus qui ne sera décidément jamais comme les autres. Père et mère attentifs mais inquiets, n'osant savoir, n'osant préciser pour eux-mêmes les raisons qui ont permis d'envoyer leur fils en camp. Un frère cadet, Golo, ambigu, blessé des attentions qu'ont ses parents pour ce fils prodigue. Pour ce Klaus, ce pédé, cette fiotte, qui, en plus, trouve rapidement du travail, s'émancipe, déniche un appartement dans Leipzig dévastée. Pas de haine pourtant, ou bien fugace, surtout l'incompréhension face à l'étranger. Klaus décide de partir. Il prend le train pour Paris avec René, un Français, ancien prisonnier, rencontré dans un atelier de couture.
    Les premières pages et toute la première partie du roman de Daniel Arsand, Je suis en vie et tu ne m'entends pas, sont certainement les plus puissantes parmi les récits de fiction qui décrivent le retour d'un survivant des camps. Écriture taillée au burin, enragée, livrée avec trop d'urgence pour se plier au désir d'être aimable. Les phrases sont des halètements, des coups de poings permanents, le parcours de Klaus parmi les ruines devient une errance vague traversée de visions, souvenirs de sévices et humiliations prêtes à resurgir, un songe écœuré, criblé de phrases nées dans les camps, des pensées venues avec l'instinct de survie, quand il fallait éviter de broncher sous la bedaine de kapos enamourés.
    Dans Leipzig anéantie, où l'arbre de Goethe n'a pas été épargné par les bombardements, Klaus était un solitaire déraciné, irréconciliable avec son passé ; à Paris, la situation n'est pas idéale mais le jeune homme s'épanouit, son ami français a retrouvé sa femme, ils ont un enfant. Klaus a vingt-six ans, a appris la langue de son pays d'adoption. Les haines nocturnes, là-bas parce qu'il est homosexuel, ici parce qu'il est Allemand, remuent les souvenirs certes, mais il suffit à celui qui a survécu à l'enfer, de se laver lentement pour se débarrasser « d'une ancienne peur ». Et puis, il y a des promesses qui balayent les pires douleurs « Demain, ça ira mieux, tu iras te balader dans Paris, la nuit, tu seras en chasse, la ville est peuplée de garçons. » Certaines coucheries sont hantées par le souvenir de Heinz, l'amant défenestré. On n'échappe pas si facilement aux morsures des tortionnaires et de leurs chiens. Ainsi, entre travail, virées nocturnes et fêtes chez René, les années passent pour le nouveau Klaus ; il a trente-quatre ans, la guerre est froide à présent. Les souvenirs de son numéro de matricule et des tortures ne s'effacent pas, mais leurs surgissements s'espacent. L'écriture de Daniel Arsand s'apaise alors tout en gardant assez de nerf, le phrasé réconcilie, illumine. Il y a des dimanches, les enfants s'empâtent, Klaus fredonne des chansons dans l'atelier de couture où il a trouvé un travail chez un arménien obèse. On passe de « ne pas vouloir mourir » à « vivre n'était pas mal du tout ». D'autres années, d'autres rencontres, et puis, le passé est tenace, Klaus a quarante ans, il est l'heure pour lui de retourner à Leipzig, de connaître le sort des parents, de reprendre langue avec l'Allemagne. Et s'apercevoir qu'il ne craint plus rien de son père, de sa mère, de son frère : tous s'effacent. Il revient à Paris, aimera assez un Julien pour lui confier Buchenwald et les humiliations scatologiques, lui préciser que « de tous les détenus et internés, les pédés seuls n'avaient pas reçu d'indemnités. » Klaus et Julien sont ostracisés à cause de leur amour contre-nature ; on passe maintenant de « vivre n'était pas mal du tout » à « Je t'aime et j'ai envie de mourir. » On n'en finit donc jamais avec la haine compulsive des autres, y compris en vacances, à Pourville. La province française décorsetée des années 70 n'a pas largué ses préjugés, loin s'en faut, on insulte à voix basse. Sur la plage, adossé à la digue, Klaus voit Julien s'éloigner dans les vagues, tout revient en mémoire (et ce sont encore, jusqu'au bout, de superbes pages.) Après l'ultime déferlement de la mémoire, le lecteur se croit revenu indemne à Paris, quand la haine reprend soudain des couleurs, envoie Julien au tapis pour le compte, os brisés, hôpital. Rien n'a changé, sauf que livre et procès, cette fois, concluent l'agression. On n'est plus à Buchenwald. Les « gay » sont nés.
    C'est le rappel de l'injustice permanente faite aux homosexuels qui donne au récit de Arsand sa force documentaire, force qui double celle du récit de fiction. Il faudra encore rappeler que, dans les années 90 (mille neuf cent quatre vingt dix !), des homosexuels venus partager le recueillement d'une cérémonie du souvenir en France, furent chassés aux cris de « Au four, les pédés ! » D'où la rage, d'où l'urgence, et le peu de souci qu'a eu l'auteur de polir une langue aimable.


    Daniel Arsand, Je suis en vie et tu ne m'entends pas. Actes Sud, 2016.

  • 2767

    Khan fixait le jeune homme avec une intensité inhabituelle, où se lisait un désir d’adhésion totale. Kargo ne la lui refusa pas. Il promit de continuer l’œuvre, dans la mesure de ses moyens. Il renonça à tricher, à dire : « mais nous n’en sommes pas encore là, tu as de nombreuses années devant toi, tu poursuivras toi-même ce travail, et toi seul… », toutes ces formules qui seraient ridicules à cet instant. Lui revinrent les mots de Jhilat, quelque chose d’étrange à propos des hirondelles et du sens de l’Odyssée. Un propos autour « du sens des choses et du sens des livres… » Khan opina, il connaissait l’histoire : « Je me souviens, oui. À la fin de l’Odyssée, Ulysse, déguisé en mendiant, caché même à sa femme, participe à l’épreuve que Pénélope a imposée à ses prétendants. Il s’agit de bander son arc. Aucun prétendant n’y parvient. Ils font chauffer le bois au feu, ils essayent chacun leur tour, impossible. Il faut être un héros de l’Iliade pour réussir, apparemment. Quand le mendiant propose d’essayer on le moque d’abord, mais finalement on le laisse faire. C’est Ulysse, il a assez de force pour courber le bois à sa volonté et parvient à placer la corde (il mima les gestes). Ainsi fait, pour vérifier la tension de la corde, Ulysse la fait vibrer. Dis-moi, Léo, as-tu déjà entendu le cri d’une hirondelle ? » Kargo rappela qu’elles avaient disparu bien avant sa naissance, et Pavel conclut : « Voilà. La corde de l’arc d’Ulysse répond à la tension en émettant le cri de l’hirondelle, dit Homère. Nous ne savons donc plus, aujourd’hui, quel son faisait la corde de l’arc d’Ulysse. Si les choses qui donnent le sens d’un livre disparaissent, l’une après l’autre, est-ce que ce livre a encore un sens ? Voilà ce qui obsédait Iradj, et qui le rendait insensible à mon amour des livres. »

     

    Extrait de Mausolées. Editions Mnémos, 2013.

  • 2762

    Le problème, avec la Révolution française, c'est qu'on croise des personnages de roman à chaque coin de rue (et sur les toits, sur l'eau, dans les champs, derrière le moindre bosquet). Et je n'ai qu'un roman à écrire.

  • 2761

    " Nos amis brouille, brouille, nos parents brouille, brouille brouille, nos bienfaicteurs brouille brouille, nos pères brouille brouille, nos conducteurs brouille brouille, nos maîtres brouille brouille, nos pontifes brouille brouille, nos juges brouille brouille"

    Mme de Laveine. Convulsionnaire. 1736. (Martin fréquente de drôles de gens...)

  • 2759

    Quand le médecin fut parti, l'Architecte les accueillit près de son lit avec soulagement. « Mes amis, j'ai bien cru qu'il me tuerait. Quelle purge ! » Inquiets, ils furent avec lui, Marianne essayant de comprendre ce qui se passait : « Vous avez besoin de quelque chose, monsieur ? » Le bon sourire de l'Architecte était lézardé par la fatigue, mais son caractère demeurait constant : « Ma bonne Marianne, il est plus intéressé par les effets de la dissolution des Facultés, que par mon modeste cas. Laissons les prescriptions de mon fameux médecin et prépare-moi du vin chaud. » Comme Marianne sortait, l'Architecte expliqua à Martin, qu'il jugeait péremptoirement apte à comprendre : « Il paraît qu'à cause de certains décrets votés l'an dernier, toutes les Facultés de Médecine, les Collèges de Chirurgie et de Pharmacie disparaissent, ainsi que l'Académie de Chirurgie et la société Royale de Médecine, et avec elles toutes les sociétés scientifiques. Un drame, je veux bien l'admettre, je tentais de le lui dire, de l'assurer de ma sympathie, mais pas aujourd'hui, demain, une autre fois, pour l'heure je suis malade. Il ne m'a épargné aucun détail, m'a tenu ferme tandis que je sentais faiblir mon pouls, en m'assénant que désormais le public est victime d’individus érigés en maîtres par leur seule opinion, qui distribuent des remèdes au hasard, et compromettent l’existence des citoyens. Et moi, lui ai-je dit enfin, mon existence ? Vous en occuperez-vous ? Je crois que je l'ai offusqué. Il a consenti à me visiter. Il a déduit de son examen plus court que son discours, qu'il s'agissait soit d'un refroidissement, auquel cas il suffit que je me tienne au chaud et alité, ou d'une hydropisie ascite, auquel cas je ne devais m'inquiéter de rien et mourir dans deux jours. Je crois qu'il plaisantait. »

     

    La Grande Sauvage. Extrait. En cours d'écriture.

  • 2756

    Des balles, des peurs, de la mort et de la cruauté. Et en regard, n'empêche, ni pogroms, ni foules haineuses, mais un peuple qui dit : on va continuer d'aimer la vie et de l'aimer ensemble. C'est très très rare, mais il m'arrive d'être fier d'être Français.

  • 2754

    On allait comme ça, entre deux nuits, décalotter les calotins, faire mordre la poussière aux coquins, les phrases que trouvait Huché quand il était inspiré, à marcher dans cet hiver qui nous enfonçait le chapeau dans les épaules, éparpillait nos balles dans le pays à cause de nos mains tremblantes, à reprendre les cris des loups et les cris des corbeaux, nos compagnons de mort et de froid. Je sais bien ce qu'on était, charognards semblables, animaux guère plus, enfin je crois que c'était nous, ce qui restait de nous. Il y avait bien une noble mission, à l'origine, là-bas, au premier de nos pas, il y avait une idée de grandeur et d'élévation quelque part à la source, mais les loups et les corbeaux sont de piètres ouvriers pour accomplir si noble tâche, ils font tout salement, dévorent les proies sans les occire tout à fait, se foutent des plaintes des corps qu'ils déchirent, on se voyait à distance, hardes et hardes, on se reconnaissait, les loups nous auraient jamais attaqués par exemple, je crois qu'ils avaient appris nos uniformes, notre odeur, on devait leur paraître comme des pourvoyeurs, des alliés surgis de l'enfer pour leur faire le cadeau de l'abondance, bien leur tour, après tant d'années de fuite, on leur livrait les entrailles fumantes de leurs chasseurs, on punissait ceux qui les massacraient.

     

    La Grande Sauvage. Extrait. En cours d'écriture. A paraître chez Phébus en 2017.

  • 2724

    Les dictatures ou les régimes autoritaires sont peut-être des mutations inéluctables, des ponts critiques entre deux états de la démocratie ?

  • 2713

    Je suis surpris de la bonne volonté de ceux qui, pendant la Terreur, grimpaient sans faire d'histoires sur l'échafaud. Hors Mme du Barry qui renâcla, tous les autres, et vas-y, pousse-toi, tu montreras ma tête, moi d'abord, après vous, Hop, Tchac, suivant, c'est mon tour, dans l'ordre et la discipline, on n'est pas là pour traîner, etc. Je me demande si, vu le nombre quotidien d'exécutions, il ne se créait pas une sorte d'esprit d'équipe parmi les condamnés et que les charretées ne finissaient pas par ressembler à des départs de collège en bus.

  • 2707

    Sur leur gauche, quand la brume s'effilochait, que la lumière perçait nette jusqu'au sol, il voyait les hommes de Kellermann, guère mieux accoutrés qu'eux-mêmes, prolonger leurs rangées disparates sur un léger relief. Le tertre où patientaient les bataillons était dominé par un moulin à vent, monolithe aux parois sombres et mouillées, qui faisait un signal nu, isolé dans le paysage.

     

    La Grande Sauvage. Extrait. Roman en cours d'écriture.