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Travaux en cours - Page 17

  • Peindre NU

    Ce n'est pas une bande-annonce, ce n'est pas un extrait, c'est autre chose. Heureusement, l'anglais vient à notre secours pour nous proposer le mot "teaser". Voici donc le premier teaser de la pièce PEINDRE, présentée le 2 avril au Théâtre de Roanne (scène régionale). C'est sur le site (très beau) de NU laboratoire-Compagnie. On le doit à Jérôme Bodon-Clair et à Marc Bonnetin.

     

    Et c'était la 901ème note de Kronix, au passage.

  • Avant-propos

    En avant, le propos ! Le petit incipit de mon dernier livre en cours : "J'habitais Roanne". Suivront quelques extraits (rien envie d'écrire d'autre en ce moment).

    Le début est insaisissable. Le moment – au moins la période, l'âge – où il apparaît clairement que nous vivons à tel endroit. C'est-à-dire quand la simple expression « J'habite... (quelque part) » fait sens. Toute l'expression, chaque mot dans cette phrase : « J'habite (en l'occurrence) Roanne ». Ce que signifient clairement, intégralement le pronom « Je » et le verbe « habiter »,  ce que l'un et l'autre impliquent de conscience et de vécu ; et de même ce que signifie – dans la chair et dans la pensée – le nom du lieu où l'on vit. Avant de savoir penser cette affirmation, pendant le long processus qui mène à la comprendre, la ville a prolongé son ossature en moi, elle a imprimé ses formes, ses odeurs et sa musique dans mon identité en construction. « Tout cela est en moi » disait de Roanne Daniel Arsan dans un texte inédit. La ville, ma ville : Roanne, est en moi en effet. « J'habite Roanne ». La formule est trop familière pour qu'on s'y arrête sans l'effort de la méditation. Est-ce qu'elle ne prendrait pas toute sa mesure quand elle se formule au passé ? « J'habitais Roanne », comme l'identité se forge au feu de l'existence : ex sistere, être placé au dehors. Sortir, s'éloigner pour être compréhensible à soi-même. De la même façon, partir de sa ville pour la saisir et y saisir ce qu'elle fut pour nous. Ainsi, aujourd'hui que je m'en éloigne – si peu d'ailleurs – et que l'âge m'en offre une perspective construite sur un peu d'expérience, je crois comprendre ce que l'expression « j'habitais Roanne » peut signifier, pour moi en tout cas. Voici le récit de cette maturation, qui aura peut-être échappée à d'autres, plus précoces, moins méditatifs, et que j'envie parfois. 

  • Un site de Nudistes

    On me pardonnera l'aspect racoleur du titre si l'on veut bien prendre le temps de suivre ce lien pour découvrir le site de Nu-compagnie théâtrale, conçu par Jérôme Bodon-Clair (heureusement qu'il est là celui-là), et qui fait le point du travail de notre toute fraîche compagnie théâtrale. Je n'en dis pas plus. Allez-y car, comme dirait un ami : "il est très intéressant".

  • Perspective

    Au fait : un de mes textes poétiques a été refusé dans une néanmoins excellente maison d'édition, et un autre a été accepté dans une néanmoins excellente maison d'édition. Ce texte qui me tenait particulièrement à cœur (comme on dit) ne sera pas publié avant la fin de l'année 2011. Nous aurons donc le temps d'en reparler alors, d'autant plus que le travail avec cette éditrice-artiste promet d'être absolument passionnant. Je suis très heureux, vous pensez bien.

  • C'est un peu court

    Je me doute que les petites phrases qui font le quotidien de Kronix depuis quelque temps, vous laissent un peu sur votre faim (votre faim, votre soif, votre avidité de lecteurs). C'est que j'ai manqué" de temps, voyez-vous. A partir de demain, je vous offre quelques petites nouvelles. Enfin un peu de lecture !

    J'espère qu'elle vous plairont.

  • Ermite

    Je glisse ici un prochain rendez-vous pour les personnes qui, en 2009, après avoir subi la lecture du "baiser de la nourrice" ont supporté la vision du "Rire du limule", et ne sont pas soulés par mes productions.

    La fête de Saint-Haon le Châtel, village amoureux des livres et de la littérature, aura pour thème la Nuit. Plusieurs lectures ponctuelles en journée un peu partout, lecture de "la métamorphose" de Kafka à 18 heures, un petit repas vers 19 h 30 (vous voyez, jusque là, tout se passe bien), une visite du village aux fambeaux, sous la houlette de Jean Mathieu, avec précisions historiques, recréation par le discours et l'esprit, de la vie quotidienne des maisons de Saint-Haon et de ses habitants il y a cinquante ans, et puis à minuit, lecture d'un de mes inédits : "Ermite", à plusieurs voix.

    Vous aurez le droit de dormir pendant la lecture.

    Ah oui : c'est le samedi 23 mai. Il y a des courageux ?

  • Un quoi ?

    Un limule. Li-mu-le. Quand j'ai proposé le titre, la première fois, et ainsi presque à chaque fois que je le prononce, ou l'annonce, j'obtiens cette réaction : "un QUOI ?".

     

    Alors, un limule ressemble à ça (quand il est mort) :

    limule1.jpg Et comme dirait Nicole Rieu (dans la pièce. Oui, il y a Nicole Rieu dans la pièce...) :

    " Sa couleur terne, qui hésite entre la bouse durcie et la noisette moisie, ses formes, qui causent chez l'homme l'ennui généralement provoqué par l'examen d'une motte de beurre, ses pattes petites et frêles, incapables de le dresser à plus de trois centimètres au dessus du limon, ses yeux presque aveugles, sa surdité avérée, sa lenteur et son caractère désespérément égal, l'ont éloigné durablement des élans lyriques qu'inspirent le lion et l'aigle."

  • Bonus 4

     Un scène muette ou presque. J'aimais bien. François n'en a pas voulu. Elle n'apportait rien, il est vrai.

    Une table longue, deux hommes à chaque extrémité, une femme sur un côté, mangent. Silencieusement, avec le sérieux et l'application qu'on met dans un travail minutieux. Un autre homme approche, une assiette à la main. Il déambule autour de la table. Il y a une série de chaises vides, plus ou moins éloignées. L'homme prend beaucoup de temps pour en choisir une. Les autres convives l'observent à la dérobée, mais continuent de manger. Enfin, l'invité s'assied et commence à manger. Les autres ont suspendu leur geste pour le regarder puis, comme s'ils s'étaient habitués à ce nouveau détail, reprennent leur repas. Au bout d'un certain temps, l'invité regarde la femme à côté de lui, et semble s'interroger sur ce qu'elle a dans son assiette. Il se décide enfin, tend une cuiller vers l'assiette de sa voisine. Tous les convives s'immobilisent et observent le manège de l'invité. La femme ne dit rien, attend que l'homme plonge sa cuiller dans l'assiette, mais son expression est désapprobatrice. L'invité se sert avec la lenteur qu'on peut mettre à désamorcer une mine, tandis que les autres le regardent, et porte la cuiller à sa bouche. Il apprécie, fait un signe de tête à sa voisine pour dire : « C'est rudement bon votre truc », il lui montre son assiette, offrant ainsi de lui faire goûter son propre potage. Mais elle le dédaigne et tous reprennent leur activité dans un bel ensemble. Un moment encore, puis l'invité fixe l'homme le plus proche de lui. On voit qu'il aimerait bien goûter aussi sa soupe, mais hésite. Enfin, il approche timidement sa cuiller. L'autre s'arrête. Tous s'arrêtent. Visages contrariés. Comme le convive ne proteste pas, l'invité s'enhardit à plonger la cuiller et à goûter. Un temps, puis tous reprennent le repas. Au bout d'un moment. L'invité, pourtant dernier arrivé, repose sa cuiller : il a fini. Les autres mangent encore, très lentement.

    L'invité avise le troisième convive, qu'il n'a pas encore importuné. Cette fois, il doit se lever pour approcher. Ce qu'il fait, la cuiller en main. L'autre, tout en mangeant, surveille du coin de l'oeil la manoeuvre de l'invité, sans s'interrompre. L'invité s'assied à côté de lui. Il approche la cuiller de l'assiette. Le convive pose sa main libre en paravent sur l'aile de l'assiette. L'invité tente de contourner l'obstacle. Le convive, farouche, éloignant son assiette : « Oh ! » Les autres s'arrêtent. Observent la scène. L'invité a un recul, fait un geste d'excuse. Il revient à sa place. Après un temps, les autres se remettent à manger. L'invité se lève, décide de tourner autour de la table. Les autres jettent de temps en temps des coups d'oeil inquiets. Quand il s'approche, le troisième convive se penche plus près de son assiette. L'invité s'éloigne. Le manège peut durer longtemps. L'invité va imaginer plusieurs ruses pour pouvoir goûter la dernière assiette. A la fin, j'imagine qu'il se rassoit, sort une cigarette et un briquet de sa poche. Les autres le regardent, médusés, scandalisés. L'invité approche la cigarette de ses lèvres, puis allume le briquet... il approche le briquet... Les autres sont terrifiés (il ne va tout de même pas ? Il ne va pas oser ??...). L'invité fait durer le suspense. Allumera  ? allumera pas ?. Enfin, il allume la cigarette. Les convives fuient en hurlant. Satisfait, l'invité éteint sa cigarette, se dirige vers l'assiette tant convoitée. Elle est vide.

  • Bonus 3

    Même séance d'écriture que celle décrite précédemment. J'avais produit presque la totalité de la pièce en quelques jours, tout envoyé à François et attendu sa réaction. Il y avait de bonnes choses (ah si. Si, si, c'est François qui me l'a dit !), elles seront dans la pièce. Et puis... il y avait le reste. Dont cette scène, d'une symbolique particulièrement lourdingue. Mais bon, vous savez, quand on est lancé.

    Sur la scène, un livre. Un passant remarque à peine le bouquin par terre, s'arrête plus loin et revient sur ses pas. Il approche prudemment du livre. De plus en plus prêt, de plus en plus prudent, presque surpris de sa propre audace. Il regarde autour de lui. Personne. Du bout du pied, il touche la couverture, recule, attend, s'approche à nouveau. Il s'enhardit, bouscule maintenant vraiment l'objet. Le livre s'ouvre. Le passant effrayé, s'enfuit. « Monsieur l'agent, monsieur l'agent ! ». Il sort de scène, revient avec un autre personnage.
    Le passant désigne le livre : « Là, regardez. »
    L'agent : « Ah mais oui. Oui, c'est vrai. »
    Le passant :  « Et il bouge encore. »
    L'agent, pas rassuré : « Ah bon ? Vous êtes sûr ? »
    Le passant : « Oui, oui. »
    L'agent, après un moment d'hésitation : « Bon. On va pas prendre de risque, hein. » (il dégaine, tire une première fois. Il approche, rassuré par le premier coup. Tire encore une fois, puis encore. Vient tout près du livre abattu. Le passant derrière lui.) L'agent : « Voilà. Je crois que c'est fait. » Il se penche pour le ramasser.
    Le passant le retient : « Attention, monsieur l'agent » L'agent hausse les épaules, mais on sent qu'il n'en mène pas large. Précautionneusement, il saisit enfin le livre et le soulève, le tient à bout de bras, comme une charogne. Il secoue le livre, inoffensif à présent. Le passant se met à rire, soulagé.
    L'agent, triomphant : « Voyez ? Hein ? Fini. Aha. Bon, je l'emmène au poste. Vous, vous me suivez. »
    Le passant : « Ah bon ? Pourquoi ? »
    L'agent : « Faire mon rapport, c'te bonne blague. Vous êtes le premier à l'avoir vu, non ? »
    Le passant : « Ah ben je sais pas, moi. Je passais juste, j'ai... »
    L'agent : « Allez, pas d'histoire, vous venez avec moi. »
    Le passant : « C'est-à-dire... J'avais un rendez-vous, et... »
    L'agent : « Un rendez-vous ? Avec qui ? »
    Le passant : « Mais... Enfin... »
    L'agent : « Y'a un problème ? »
    Le passant : « Non, non. Un problème ? Non, pourquoi ? »
    L'agent : « Vous ne vous souvenez pas de la personne avec qui vous avez rendez-vous ? »
    Le passant : « Ah ça ? Mais non, enfin si, mais. Je voulais dire... Je n'ai pas précisément rendez-vous, en fait... »
    L'agent : « Houlà, m'paraît bien compliquée votre histoire, là. Vous allez m'expliquer ça au poste calmement. »
    Le passant : « Vous croyez ? »
    L'agent le fixe. Ça ne rigole plus du tout. L'agent, glacial : « Si je crois ?? Je vous dis : suivez-moi au poste, et vous me demandez si je crois ? Ça vous paraît contestable, ce que je vous dis ? »
    Le passant : « Oh non, m'sieur l'agent. »
    L'agent regarde le livre : « Vous l'avez trouvé où, ce machin, vous m'avez dit ?... »
    Le passant : « Ben, là. Par terre. »
    L'agent : « Ah. »
    le passant : « Oui. Il était là, quoi. »
    L'agent : « Ah. C'est vous qui l'avez posé ? »
    Le passant : « Non, non - Oh mais non, m'sieur l'agent, pas moi. Oh non, je ne mange pas de ce pain-là, moi. »
    L'agent : « Mouais. Vous allez me suivre au poste, et sans rechigner, vous. On a sûrement plein de choses à se raconter. » (il le pousse hors de la scène)

  • Bonus 2

    Cette scène, produite lors d'une session d'écriture particulièrement prolifique, a été refusée par François, d'emblée. Il ne l'aimait pas, et puis, c'est une idée de mise en scène, sans vrai fond, qui ne dit rien. Une fausse piste, quoi. je la livre ici, pour souligner combien on s'égare parfois, dans des registres de pure forme. Cela apparaît quand on est soudain persuadé de tomber sur une bonne idée. Dangereux, les bonnes idées.

     

    Un personnage entre, un livre à la main. Ses lèvres articulent sans bruit le texte qu'il lit. Un autre entre, même jeu. Et ainsi de suite. Beaucoup de personnages se croisent ainsi, marchant, le nez dans leur bouquin. Ce sont des textes divers, parfois en langue étrangère. Leur voix s'élève au fur et à mesure qu'ils accélèrent la marche. Bientôt, on assiste au ballet de ces promeneurs, vociférant leur lecture. Sur scène, une sorte de chef d'orchestre intervient. Il frappe de sa baguette. Silence. Les marcheurs s'arrêtent, silencieux. Le chef fait un geste, les lecteurs, cette fois immobiles, se remettent à lire et, par les mouvements du chef, lisent à hauteur de voix différentes ; crescendo ou decrescendo.

    Pendant ce temps, dans le public, d'autres distribuent des copies de textes divers, incitent à lire à haute voix. Petit à petit, les voix du public se mêlent à celles des acteurs sur la scène. On crée un brouhaha qui monte, monte. Puis le chef se tourne vers le public, module la hauteur des voix, comme il vient de le faire avec les acteurs. Il ordonne des silences, des reprises, des moderato, etc. Jusqu'à un crescendo final, puis silence.

  • Bonus

    En attendant le 25 avril, et la représentation du "Rire du Limule", je vous livre en exclusivité la scène suivante, supprimée dans la version qui sera jouée au théâtre de Roanne. François et moi nous l'aimions bien, ainsi que certains acteurs, mais, rien à faire, impossible de l'intégrer dans le patchwork pourtant hétérogène de la pièce. J'ai eu beau la réécrire, la réécrire, François a eu beau chercher un angle, une manière, un jeu... Cette scène résistait. Finalement, nous avons résolu de la supprimer définitivement, comme cinq ou six autres, je ne sais plus (mais là, François a été beaucoup plus clair tout de suite : elles ne lui plaisaient pas. Point). Tiens, je vais peut-être les disposer ici, dans les jours qui viennent. Pour pas gâcher.

     

    Thot approche d'un groupe en train de discuter tranquillement, choisit tel ou tel, écarte un homme, une femme, sépare un couple impitoyablement, éloigne avec brusquerie l'un d'eux, renvoie carrément un autre. Certains renâclent, mais la plupart, dociles, se laissent expulser sans un mot. L'un d'eux, au public : « Vous ne dites rien ? » Il hausse les épaules, se résigne, dans l'indifférence générale.

    Ra s'aperçoit que la table est bancale, et se met dès lors à tenter une réparation. Thot l'observe. Ra met du temps, soupire, reprend, se trompe, est sur le point d'abandonner, puis revient à sa tâche. Thot ricane.

    Ra : «Ne te moque pas. »

    Thot : « Je veux bien, mais tu es risible, mon ami. Tu ne sais rien faire. Le moindre geste te prend une plombe. »

    Ra : « Peut-être. Je ne vois pas le problème, si j'ai une plombe pour le faire, le geste. »

    Thot : « C'est ce côté médiocre assumé qui m'agace vraiment chez toi. »

    Ra : «  Le monde serait pire sans les médiocres. »

    Thot : « C'est idiot. »

    Ra : « J’ai longtemps assisté au spectacle de la frénésie des plus « efficaces » d'entre nous, l'énergie qu'ils dépensent pour partir plus loin en vacances, acheter de plus grandes piscines ou manger moins gras, s'acheter de plus grosses voitures et des dents alignées, dépasser les collègues, performer, optimiser, qualifier. Tout le monde s’acharne à faire les choses au mieux, mais en réalité, la dépense d’énergie et de talent, c’est scientifiquement prouvé, équivaut sur le long terme aux résultats des plus incompétents ; les deux s’équilibrent. Bref, je suis convaincu que le bilan de l'efficacité est négatif à l'échelle individuelle, quand elle n’est pas compensée par l’effet modérateur des médiocres. »

     

    Thot : « L’effet modérateur… »

     

    Ra, qui s'échauffe : « Reporté à l'échelle des nations, la compétence comporte aussi des dangers ; mais d'une autre nature. L'efficacité divise, elle scinde, partage, elle ne cimente jamais. Elle permet de distinguer avec plus de netteté ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ; elle permet d'isoler les éléments improductifs, les tarés et les feignants, elle détermine des talents, des aptitudes et des assuétudes, elle sépare les gènes positifs, choisit les races supérieures. Elle fait le tri dans l'énorme matériau humain. La compétence et l'efficacité sans frein mènent tout droit aux camps de la mort. »

     

    Thot : « Ze démonstrachîeun »

     

    Ra : « Heureusement, les faibles, les maladroits, peuvent à tout moment faire capoter, ou au moins ralentir le grand projet des forts. Heureusement, l'humanité a sa réserve naturelle de médiocres qui la retient de foncer dans le mur avec le moteur surpuissant que ses éléments les plus intelligents ont su lui construire. Voilà pourquoi je dis que les médiocres, depuis le début des temps, ont sauvé l’humanité. Oui, le monde serait pire sans les médiocres.»

     

    Thot : « Pfff… »

     

    Ra : « Mais enfin, regarde ce qui se passe : on va dans le mur ! Des gens supra-intelligents, des cerveaux extraordinairement efficaces et pointus nous entraînent vers la fin du monde ! et tu sais pourquoi ? Pas parce que l’intelligence et l’efficacité sont nuisibles a priori, mais parce qu’on les a laissé seules, parce qu’on a évacué toute forme de maladresse et de naïveté dans les processus de fabrication, dans les mécanismes de décisions, parce qu’on n’a pas compris que la médiocrité, l’erreur, la faute, étaient les ressorts naturels de l’évolution des choses. Je dis : vive l’inertie, vive la lenteur, vive les défaillances, les arrêts, les contre-temps, vive l’inefficacité. Vive la médiocrité !»

     

    Ra s'en va. La table est toujours bancale. Thot émet un grognement d'exaspération devant ce résultat pitoyable. Un des « exilés » du début, revient. Thot l'observe, sur ses gardes. L'exilé pose sa joue sur la table, la caresse, dit « Parfait. » et s'étend sur la table pour dormir.

    Ra hausse les épaules, et sort.

  • Répéte un peu pour voir

    Une séance de répétition filmée par l'ami Maurice, et mise en ligne sur son site.

    http://www.artsexpos.net/1-index.html

    Ce que j'aime, entre autres, c'est le regard et l'attitude de François, qui accompagne chaque mot, souligne pour lui chaque intention des acteurs.

    Quel travail !

    Pour les béotiens, la succession de ces bouts de dialogues et de monologues pourra sembler assez incompréhensible. Rassurez-vous, tout se met en place dans la pièce, grâce au travail de tous.

  • Le chant du limule et autres facéties

    Hier soir, jolie surprise : l'ami Jérôme Bodon me laissait un message pour m'inviter à venir le voir travailler, dans le studio de son complice Benoît Bel, sur la musique du "Rire du limule". Tranquillement enfoncé dans un généreux canapé, bien au chaud, j'ai vu se construire la base d'une mélodie musicale, pour l'instant exclusivement composée de voix, la voix de Jérôme, ajoutée, compilée, multipliée par elle-même. Je n'ai malheureusement pas pu rester, et je n'ai assisté qu'au début du travail.

    Jérôme a commencé à empiler par strates de voix, la basse et l'accompagnement de la chanson, dans une scène décalée de cirque. Quand je suis parti, les deux compères cherchaient un "grain", un effet, pour les différentes couches. C'était déjà une bonne base, déjà riche. Je sais que ça va être extraordinaire.

    Autrement, cette fin de journée, je rappelle aux lyonnais (Ouhou, y'a des lyonnais, ici ?), que je signe "le baiser de la Nourrice" dans la librairie "le bal des ardents", 17, rue Neuve, en plein centre, à partir de 17 heures (officiellement 18 h 30, mais j'y serai avant) et jusqu'à 21 heures.

  • Pas de panique

    Bon, comme dit le titre de ce billet, pas de panique. Inutile, la panique. ce n'est pas parce que la dernière répétition du Rire du Limule a été... comment dire ? un peu en dessous de nos espoirs, qu'il faut s'affoler. Après tout, on a... trois mois. Oui, en trois mois, il peut s'en passer des choses.

    Dimanche soir, François a organisé sur la scène une répétition générale de la grosse moitié du spectacle. Les monologues étaient superbes, presque tous. J'ai écouté mon texte, interprété avec une force, une sincérité qui m'ont noué le coeur d'émotion.

    Les problèmes commencent dès que plusieurs interprètes se renvoient la balle, notamment dans les scènes de comédie. Du coup, les joutes les pus drôles sont plombées et deviennent des dialogues bergmaniens, sinistres. Alors qu'ils sont là pour faire contraste, jouer d'un autre registre. Bref, nos amis ne savent pas encore leur texte à fond, et ils ne peuvent donc pas s'amuser avec.

    En accord avec François, j'ai retenu des dates de répétition hebdomadaire. En l'attendant (il ne vient de Paris qu'une fois par mois, en gros), nous pourrons donc travailler le texte, finir par le posséder. Après, tout sera possible.

    Je vous embête avec mes petites histoires mais, vous voyez, il est 2  h 40, et la nuit me saisit et insiste. Vite, mon blog, raconter ça. A bientôt.

  • Répèt'

    Ah oui : Jérôme est passé voir les répétitions du "Rire du Limule", il en parle ici

  • Une autre BD

    Extrait d'un album de BD, écrit pour Body (Thibaut Mazoyer). Il effectue en ce moment le lourd travail préparatoire (persos, décors, costumes, ton...) tandis qu'il affine son style sur d'autres projets. Body m'a demandé de mettre en BD certains thèmes qu'il avait aimé dans un vieux roman que j'avais écrit : "A la droite du Diable". Nous avons retenu les thèmes de la dictature et de la fascination qu'exerce un tyran sur son entourage. Le mode de récit est celui de la comédie à l'italienne : le grotesque côtoie le sordide et le tragique. Dans cet extrait, Lamorphe est un laquais, venu apporter son thé à Spathûl, le tyran. Spathûl est en train de converser tout en se promenant dans les jardins du palais avec son ministre Hoquet. Il fait très froid, le fidèle et vieux laquais n'a sur lui que la livrée officielle, trop légère. Son corps tremble et fait tinter le service qu'il tient sur un plateau, attendant patiemment que son maître veuille bien se servir.

    Planche 4

    1- Spathul, souriant, tourné vers Hoquet, oubliant sciemment son laquais et son geste suspendu. Spathul : « Oui ? » Hoquet : « Voilà. Ma femme est enceinte, comme vous ne l’ignorez pas… » Spathul (autre bulle) : « Ah ? euh… Certes, certes… » (tintement du service)

    2- Plan poitrine. Hoquet : « Oui. Elle accouchera à la fin du mois… Grâce à votre remarquable programme de soutien à la natalité dans le pays, nous savons pouvoir bénéficier d’une allocation de 15000 zoltecs par mois dès la naissance… » Spathul, regardant ailleurs, un peu agacé : « Oui, oui. Certes, certes… » (tintement du service)

    3- Plan d’ensemble, avec Lamorphe qui grelotte. Hoquet : « Vous vous souvenez sans doute que madame Hoquet a eu de grandes attentions –justifiées- pour vous, par le passé… Euh… » Spathul : « Mmoui… Certes… Oui, en effet, de grandes attentions… Et donc ? » (tintement du service)

    4- Gros plan de Spathul. Voix off de Hoquet : « L’enfant qui va naître n’est sans doute pas sans rapport avec les bontés que vous avez eues pour ma femme, euh… » (tintement du service)

    5- Plan poitrine sur Lamorphe, yeux mi-clos, blanc, figé (on n’entend plus le tintement du service). Voix off de Hoquet : « Nous nous demandions elle et moi, si un effet de votre bonté ne serait pas d'augmenter significativement l’allocation de maternité, considérant le caractère exceptionnel de ce futur enfant. »

    6- Plan d’ensemble. Spathul reste fixé sur Lamorphe, comme fasciné par sa soudaine immobilité. Spathul : « Certes, certes… » 

    7- Plan en pied. Spathul pousse d’un doigt le laquais qui s’effondre.

    8- Plan général. Spathul s’éloigne, mains dans le dos. Spathul : « Accordé, bien sûr. Avant de partir, passez par l’intendance, dites au majordome d’embaucher un autre laquais. Je retourne dans ma chambre, il fait froid, ici. »

  • Pièce de théâtre

    Pourquoi ne pas le dévoiler, le titre de la pièce (mais un titre-bidon, provisoire, une sorte de nom de code), est : le rire du limule. Me demandez pas pourquoi, j'aime bien l'idée...

    Le travail de fabrication de cette pièce est intéressant, elle est née de l'esprit d'un ami acteur, qui donne des cours de théâtre. Il s'agit de saisir, pendant des improvisations faites en atelier, la matière d'une pièce que je dois écrire pour la fin de l'année. Chaque séance fournit le matériau de la séance suivante. La scène, ici, se déroule dans un hôpital psychiatrique... le dialogue que je vous présente se situe à la fin de la scène. Il y a un homme (Lui) et deux femmes (Elle 1 et Elle 2).

     Lui (chuchotant) : J’ai donné le feu.

    Elles : Hein ? (l’une d’elles le secoue) : Quoi ?

    Lui (plus clairement, mais plaintif) : j’ai donné le feu.

    Elle 2 : T’as mis le feu ? C’est un salaud de pyromane !

    Lui (doux) : Non, non. J’ai donné le feu aux hommes. (Les femmes interloquées le laissent se lever, marcher à l’avant-scène). J’étais vagissant, inculte, sous un suaire de ténèbres. Parfois, un glas résonnait entre les membres de la pierre. Ma muraille était percée de cris. La soif des humbles, leurs prières à la vie indifféraient des nuées sans conscience. Retombées de ces cimes, la peur et la colère ne m'approchaient pas. Les apocalypses étaient arrêtées dehors, sous le ciel volatil. La voûte minérale qui fermait mon refuge jetait une arche de silence entre elles et moi. J'étais vagissant, lourd d'une paix tellurique. Depuis l'abîme, je respirais et méditais. Mes nuits étaient sans étoiles. Un matin, le Maître a délivré mes membres fossiles, m’a hissé droit la tête au dessus des arbres. J’ai contemplé la terre nouvelle et j’ai vu les hommes. Ils étaient nus et le Maître riait. Il promenait ses orages et ses hivers sur la peau des hommes grelottant. Le Maître attisait contre eux la colère des fauves et le venin des épines. Les hommes étaient sans griffes et sans lumière. On ne m’a pas enseigné l’amour, je n’ai rien appris –jamais- de la morale ou de la bienveillance. Avant de voir le premier homme, je n’étais que vagissant sous une arche de pierre. Mais le rire du Maître me blessait et la peur des hommes m’accablait. Alors, je me suis découvert miséricordieux. Tandis que le Maître continuait à rire des souffrances de ses créatures, je cherchais le moyen de les aider. Oui, j’étais décidé à trahir le Maître. Je l’ai fait. Ce jour-là, ce jour prodigieux. Dans la fournaise du soleil, j’ai plongé les deux bras en hurlant. Dans l’étincelante brûlure de l’hydrogène en réaction j’ai puisé des ruisseaux de lumière. (il hurle de douleur) Sous la contrainte insupportable de cette fusion, le cal de mes mains s’est noirci, ma peau s’est couverte d’écailles, mes yeux ont pris cet éclat de rubis et mon torse enflammé a roussi, mon front illuminé s’est cuirassé d’un toron de corne. Charriant un essaim de braises, j’ai traversé l’immense courbe des zodiaques comme un météore, mon fardeau serré sur la poitrine. J’ai livré le feu aux hommes démunis. J’ai trahi le Maître. Je suis le révolté, le miséricordieux, le sacrifié, je suis le porteur de lumière, Lux fero, Lucifer. Je suis le Diable !

    Elle 2 : Et moi qui me croyais folle.

  • Péplum

    Aujourd'hui, une planche extraite du deuxième album d'une série de cinq, sur un thème mêlant contexte historique et mythologique avec des préoccupations théologiques et philosophiques, rien que ça. Les dessins sont de Shingo, la mise en couleur de Franck Perrot. Les essais sur les premières planches sont impressionnants. Problème : les maisons d'édition sont submergées de projets "à l'antique". Pourtant, notre saga ne ressemble à rien de ce qui se produit en ce moment, et nous refusons l'amalgame. Mais saura-t-on les convaincre ?

    L'extrait qui suit ne dévoile rien de l'intrigue (très originale, je vous assure), il met en scène deux personnages proto-historiques de l'histoire de la Grèce, très connus : Atrée et Aéropé, les parents du futur Agamemnon qui a neuf ans ici. Un des défis de cette histoire est visuel : reconstituer au plus juste la période mycénienne (exactement 40 ans avant la guerre de Troie), dont il reste très peu de choses, et qui est très éloignée des conventions habituelles de représentations de la Grèce mythologique, inspirées sans souci de réalisme, de l'époque classique.

    Planche 26

    Intérieur jour. Salle de vie domestique du palais de Mycènes, donnant sur la terrasse qui surplombe le paysage.

    1- Plan d'ensemble. Atrée, debout sur la terrasse ensoleillée, vu de dos. Au premier plan, une silhouette féminine, dans la pénombre de la partie couverte : « Tu ne pars pas chasser aujourd'hui ? Agamemnon ne tient plus en place. ». Atrée : « J'attends quelqu'un... »

    2- Plan taille. Atrée au premier plan, toujours regardant la cité, Aéropé, sa femme -enceinte- qui approche, pénétrant ainsi dans la zone de lumière de la terrasse. Atrée : « Sais-tu que j'ai du mal à soutenir son regard ? »

    3- Plan en pied d'Atrée et de sa femme qui est venue près de lui (Champ vu côté maison). Atrée : « Agamemnon me dépassera, son nom jettera le mien et celui de mon frère dans l'oubli. » Aéropé : « Il t'en veut d'avoir sacrifié un esclave à sa place. Il trouve cela déshonorant. »

    4- Contre-champ. Plan serré sur les deux visages. Aéropé : « Hier, il a dit à Cythara : Je vis contre la volonté des dieux. Tu te rends compte ?  »

    5- Contre-champ. Plan américain. Atrée : « Il jettera nos noms dans l'oubli... » Entre Atrée et Aéropé, dans l'ombre à l'arrière de la terrasse, Cythara : « Seigneur, un messager de Thèbes. »

    6- Atrée, à sa femme, tout en s'éloignant : « Que mon fils vive, même pour m'accabler de reproches jusqu'à son dernier souffle. »

    7- Plan américain. Aéropé, visage étrangement froid, une main sur son ventre rond : « Oui, qu'il vive. Et que vivent les Atrides. »

  • "L'arbre" et "La statue"

    Très courts extraits (parce que Shingo et FP, le super-coloriste, commencent à se pencher dessus, et je pense qu'ils n'apprécieraient pas que je dévoile trop de nos batteries), de deux contes.

    Dans l'arbre, un bûcheron s'apprête à abattre un arbre immense, parce que c'est son métier, et que le village attend de lui ce sacrifice. Le bûcheron aime cet arbre, d'un véritable amour. Un arbre qui semble immortel, sacré, qui a subi plusieurs fois la foudre sans ciller (si l'on peut dire) mais dont il conserve les stigmates. Le vocabulaire est volontairement restreint.

    "La cicatrice était là, chevauchant sans doute les blessures plus anciennes. Le bûcheron considéra sa bête tronçonneuse, lourde et abîmée comme une ancienne épée. C’était donc plus fort que la foudre, ça ! ç’aurait le pouvoir d’abattre ce que le feu du ciel, par trois fois, n’avait pu détruire ? La bise miaula le long des fûts, ébouriffant la bruyère rase, puis s’éloigna. Autour de Kraentz, autour de l’arbre, le silence se fit. Le bûcheron tourna sur lui-même, s’assurant que personne ne regardait puis il baissa les yeux pour s’activer sur sa machine. Le moteur de la tronçonneuse aboya, hoqueta, puis rugit enfin de son rire féroce."

     Dans "la statue"... Râah, je peux pas tellement raconter l'argument, c'est trop risqué. Bon, allez, juste le début, qui ne dévoile rien :

              "Tu vois ce village ? Il s’est passé là des événements si extraordinaires que… Ah, comment dire ? Tu vas me prendre pour un fou. Enfin, c’est une belle histoire, et peut-être, peut-être, si tu veux bien accepter de me croire, alors, alors... Je vais te la raconter.

    Ce village, accroché à la montagne, abritait une petite centaine d’habitants et une statue. Une seule, mais énorme ! La statue était la fierté du village, et son seul attrait touristique.

    Elle représentait un immense chevalier en armure, juché sur un destrier à sa mesure. C’était une statue à la fois effrayante et amusante pour les enfants. Les jours d’été, ils grimpaient dessus ; en hiver, il lui balançaient des boules de neige, mais la plupart du temps, ils passaient devant sans la regarder pour aller à l’école."

    Mes amis ont également entrepris de travailler sur deux ou trois autres contes dont ils m'ont passé commande. Je n'en parlerais que si les choses ont avancé et avec leur permission.

  • Magma

    Autre extrait. Il s'agit d'un roman en cours d'élaboration. Cela s'intitule (pour l'heure) Magma. Je ne veux encore rien dire sur le sujet, sinon qu'il confrontera une série de personnages vivant dans une petite ville, à son passé. J'ai eu beaucoup de problème à ajuster le ton, à trouver le bon "interprète" de l'histoire. J'ai bien avancé, mais je ne suis pas certain d'avoir résolu mon dilemme. Il y a même un chapitre entier dans le roman, où j'expose diverses contraintes de création, soulevées par ce récit particulier. Ici, j'ai choisi un petit bout de texte où le personnage principal décrit sa ville : Croizan-sur-Loire, qui "n’offre que des hochements de tête et des souvenirs", mais c’est "(sa) ville triste et vieille (qu'il) ne quittera pas." Croizan est conçu comme un personnage à part entière.

    "Au fond, Croizan n'est pas tellement éloigné des tourments qui affligent le reste du monde. Croizan connaît le meurtre et la bêtise, le viol, la gabegie, la honte et le remords. Mais les catastrophes et les élans y parviennent fanés. Les maisons sont petites, les trajets sont courts, les quartiers sont des bourgs repliés ; les coeurs dans cet espace, sont chétifs. On se hait sans colère. Il faut de l'enthousiasme, pour nourrir la colère ; Croizan est une ville sans enthousiasme. Son sentiment le plus exacerbé, c'est la rancoeur.

    Si j'aime cette ville où je suis né ? Même pas. J'ai sur ses rues et ses places le même regard clinique que sur mon pauvre corps. Je vis dedans, il m'est familier, sa santé débile ne m'irrite pas. Ma ville et moi sommes confondus depuis l'origine, et je considère aujourd'hui mes anciennes velléités de départ comme on sourit à telle saillie de notre enfance, quand on se voyait pilote d'essai ou viking. Il y a des costumes trop grands pour les êtres trop sages.

    Du temps des origines, je conservais sans savoir des images qui ne sont reparues qu'à l'occasion de discussions familiales ou, comme ici, dans l'effort qu'engendre l'écriture des souvenirs. J'ai connu ma ville, forte de plus de 50 000 habitants ; j'ai parcouru ses rues en partant pour l'école primaire, de l'autre côté de la rue Maussant, la marche rythmée par les saccades régulières des métiers à tricoter, derrière chaque porte où vivotait une bonneterie familiale ; j'ai parcouru ses rues en bicyclette pour rejoindre le lycée, négligeable unité parmi les milliers de vélos ouvriers qui peuplaient les matins de toutes les saisons. Un troupeau, une vague noire de cuir et d'huile de chaîne, bleuie sur la crête par l'usage universel de la casquette, chez les hommes de l'Arsenal ou des Ateliers de Construction Textile. Je m'arrêtais comme eux devant la barrière branlante, baissée sur le passage-à-niveau (...) le temps d'un passage de train. Mon tempérament contemplatif s'accommodait de cette triste procession, grâce au panneau qui prévenait « un train peut en cacher un autre », avertissement qu'illustrait la silhouette noire de deux locomotives à vapeur qui se croisaient. Le même graphisme était sans doute utilisé sur toutes les routes de France, mais à Croizan, la présence anachronique de ces machines disparues depuis longtemps, panachées d'un lourd nuage de fumée noire sortie des cheminées, faisait accord à la foule taiseuse et primitive qui m'entourait. Je vivais une préhistoire et j'en étais conscient."

    Extrait de Magma.