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Travaux en cours - Page 13

  • MICA

       Au-delà de la route immuable, la campagne retenait son souffle. Marie quitta sa contemplation pour regarder devant elle. Les fauteuils lui cachaient les nuques de la conductrice et de son mari et elle distinguait juste le haut de leur visage, reflété déformé dans le verre du pare-brise. Ce sera une étrange journée pensa-t-elle. Elle arrêta sa réflexion sur l’idée de la souffrance de son compagnon. Ressentait-elle de la pitié ? Elle s’était habituée au mal, avec lui. La maladie était de ces plaies dont on doit s’accommoder avec la grêle, le gel précoce ou les grandes sécheresses. C’est terrible mais on apprend à supporter l’obstination du malheur. C’est ainsi. Le Dieu de Marie avait la férocité de la nature et, comme elle, souriait au printemps, dévorait son monde avec les mouches de l’été. Et le vieil Henri boitait vers sa mort. Marie s’était habituée à le voir mourir plusieurs fois par jour.
       Le mari que l’élan de la vie lui avait donné ; pas vraiment choisi, présenté comme indéniable, l’Henri. Un parent lointain. Un bon bougre, pas méchant, travailleur, il n’aimait pas trop boire et ne l’ennuyait pas avec des fatigues superflues, les soirs. Dur à la tâche, oui, mais pas si costaud que ça, toujours des petites plaintes, des ennuis aux reins ou aux jambes. Rien de grave, mais une gêne permanente. Elle, ne s’était jamais plaint, son corps la portait encore fidèlement malgré l’âge, juste ses jambes douloureuses à cause de son poids, mais le reste… Alors elle pouvait se permettre de faire attention à son homme, l’aider à mourir au mieux. Même l’aider à croire qu’il pouvait vivre encore. Il y avait un dernier espoir. Un seul, puisque le Bon Dieu se tournait les pouces, assis sur son trône, et puisque la médecine avait baissé les bras. Ensuite… Ils savaient tous les deux qu’un répit est ce qu’il est, rien de plus, juste une pose pour souffler avant de reprendre l’outil. Il n’y avait aucun mystère là-dessous, les hommes se crevaient dans la poussière des champs ou la manducation des machines, précipitaient la course avec le vin et le tabac, et les femmes, assises dès l'alliance au chevet des hommes agonisants, restaient pour faire un tour le dimanche désherber les tombes, discuter avec les autres veuves à la sortie de la messe.

     

    Extrait de "MICA", reprise d'un ancien manuscrit et dernier roman que je viens d'achever, ce jour.

  • Sur le métier...

    Séance de rattrapage pour un manuscrit déjà ancien. Dans la perspective de ma mise en disponibilité, j'avais programmé ce travail de révision cette année. Ce roman dont l'action se déroule en 2003 avait déjà connu plusieurs versions. Il a intrigué des éditeurs, mais n'a jamais passé le cap de la parution. Je l'ai donc repris, considérant qu'il y avait de bonnes choses, reprenant les critiques faites par plusieurs éditeurs et prêt à les suivre, impitoyablement. La relecture de cette semaine me l'a montré tel qu'il a dû leur apparaître : encombré, débordant de personnages et de monologues intérieurs un peu conventionnels. Pour commencer, j'ai viré une dizaine de personnages, supprimé les métaphores laborieuses, les envolées pleines de pathos et réduit le volume d'une quarantaine de pages. On commence à y voir plus clair. Les séances suivantes auront pour finalité une réécriture complète. Le procédé ne m'a pas mal réussi il y a peu. Et ce texte, en fait, dit des choses que j'ai envie de faire passer. Quand ce chantier sera fini, dans deux ou trois mois, et bien, j'aurai tenu mon pari de boucler trois romans cette année... avec six mois d'avance, ce que je n'espérais pas. Oui, travailler tous les jours a ce premier avantage, qu'on voit les projets avancer. Ça tombe bien, j'en ai deux autres sous le coude. Au moins.

  • Réversibilité

    Il était là, en spectateur discret, tandis que je me pliais pour la deuxième fois à l'exercice qui consiste, en moins de dix minutes, à donner envie à des libraires de s'intéresser à mon livre. Avec le secret espoir qu'une fois prochaine, cet exercice soit le sien. Je vous suggère un petit tour sur le blog de Laurent Cachard.

  • Ligne d'arrivée

    Il est difficile de décrire l'émotion qui naît pendant l'écriture des dernières phrases, les dernières lignes  d'un roman. Quand la fin est là, au bout de la page, quand tout se recoupe, que la perspective de toute l'architecture trouve sa place et s'organise enfin. Il y passe de la jubilation, des regrets, une tendresse, une fierté, un soulagement. Quelque chose qui doit ressembler à l'émotion du marathonien sur les derniers mètres.

  • Temps nouveau

    Kronix est mou du genou en ce moment, il lui arrive de manquer à ses rendez-vous, ce qui était impensable il y a quelques années. Le paradoxe est que j'ai tout le temps aujourd'hui, paradoxe doublé du fait que j'ai beaucoup de choses à dire, notamment sur le monde de l'édition parisienne, que je découvre. Mais je suppose que, tout simplement, mon cerveau doit s'adapter à cette configuration nouvelle. J'écris chaque jour, mais sur mes romans, de façon obsessionnelle. Ce qui devrait me permettre, si j'ai bien calculé, de boucler trois livres cette année. L'un d'eux est en passe d'être achevé, l'affaire de trois semaines tout au plus. Il sera publié sous pseudonyme (enfin, si un éditeur en veut, n'est-ce pas ?), les deux autres sont en partie écrits, ils appellent une réécriture, une refonte plus ou moins complète selon le manuscrit. J'ai hâte de finir mon caprice actuel (car c'en est un et, comme tous les caprices, il m'est apparu ennuyeux dès que j'ai entamé sa concrétisation) pour passer aux choses sérieuses.
    En attendant, ma douce et moi, nous apprenons le temps des journées déroulées sans autres repères que les nôtres, les matins sans réveil, les soirs paisibles. Nous apprenons aussi l'économie de la précarité, précarité choisie et voulue, et j'apprends que ne plus vivre l'inquiétude du travail n'empêche pas les insomnies, les angoisses nocturnes, les heures imparfaites. La différence est qu'il me suffit de regarder par la fenêtre, d'enlacer ma douce et de me dire « ce sera comme ça désormais » pour que tout désarroi soit relativisé. Quand tout est réuni pour être heureux, un type comme moi (je veux dire : un type dont les angoisses et le mal-être sont les moteurs de la création) doit faire l'effort de se dire qu'il n'a aucune raison de ne pas l'être.

  • Les eaux froides.

    Voyageur, ne t'aventure pas dans ces contrées maudites si aucune raison impérieuse ne t'y oblige. Pauvres enfants de Pangée, marcheurs sous le soleil, promeneurs qui lancent leurs chants parmi les vapeurs parfumées que l'humus exhale, combien vous regrettiez la douce haleine de la terre ! [...] Après le calme relatif des longues nuits, un vent pénétrant se levait avec le maigre jour et courait sur les flots noirs à l'assaut de nos ponts. En quelques instants, les cordages et les haubans, les pavois, les lisses, les voiles, les proues et jusqu'aux mécanismes des balistes et des gouvernails, tout se couvrait d'un lourd fourreau de glace, empêchant les manœuvres, ralentissant les mouvements et l'exécution des ordres. La mâture devenait roche et forêt blanche de givre, envahie, recouverte, dévorée par une masse toujours plus épaisse de cristaux piquants qu'il fallait continuellement briser à la hache pour l'en dégager. Tout se faisait dans la peine et la souffrance. Agripper un câble sans protection était comme saisir une barre de métal brûlant. La peau était immédiatement arrachée, la chair crevassée. Nous respirions prudemment, l'air entrait dans la gorge douloureuse et jusqu'à la poitrine avec la force et l'éclat d'une dague. Le froid poussait des larmes aux yeux, larmes qui se figeaient dans l'instant. Le ciel était livide, la mer noire et balancée lente, marbrée de bave blanchâtre.

     

    Extrait de Les nefs de Pangée.

  • Le dernier mot

    [Billet supprimé. Un effet de la solidarité que je dois à mon éditeur. Inutile d'alimenter une polémique qui, au fond, n'a pas d'intérêt]

  • Caran, l'ensorceleuse

    Voyageur, s'il m'était donné de te montrer les îles Caran dans la lumière exacte où nous les découvrîmes ! C'était le grand jour, l'éblouissement tombé du zénith, vaste clarté à l'aplomb de l'unique. Le monde, l'océan, le soleil, notre mât, l'île majeure et son sommet couronné de nuées de papillons, masses mouvantes, légères et silencieuses comme des nuages, tous alignés dans l'axe du même sortilège. Caran, triangle posé sur la mer, vert et dense comme une émeraude taillée traversée de scintillements, éclats dont la source imperceptible à distance se révèle en approchant, être une multiplication de cascades et de ruissellements d'eau douce. Vision majestueuse qui rassérène le marin, lui dit que le repos est proche, au milieu d'une nature bienveillante et généreuse.

     

    Extrait de Les nefs de Pangée

  • Après la tempête

    Sous un ciel sans étoiles, flottant sur une mer invisible, Le triomphe de Rama était seul dans la nuit survenue. Nous avions allumé la lanterne de proue et tous les lumignons disponibles, que nous avions suspendus aux lisses. Nous lancions à tour de rôle de longs appels de trompes, à en perdre le souffle. Nos regards désespérés scrutaient les ténèbres complètes autour de nous, espérant un écho, une réponse. Mais pas d'autres lumières, aucun témoignage d'une vie sur l'unique. La plus grande flotte jamais lancée sur les eaux semblait avoir été engloutie. De toutes nos forces, nous résistions à cette idée. Nous étions sur le pont autant de paires d'yeux concentrées au point de faire naître des mirages. Parfois une voix perçait la nuit, poignardait les cœurs : « Là-bas, un fanal ! », nous nous précipitions. Mais il s'agissait d'une étoile brusquement découverte par un caprice de nuage, et nous restions, incertains, voulant croire, à interroger cette flamme vacillante, cette âme bleutée vite estompée. Il n'y eut bien que l'abattement, la consommation ultime de toute énergie, qui nous contraignit à abandonner la veille et à nous effondrer, mon prince et moi, l'un contre l'autre, quelque part sur le navire. Les autres firent de même. Nous avions compté nos morts, estimé le saccage de la tempête sur notre nef. Cela, nous y étions préparés, cela nous pouvions le supporter, mais perdre tous nos pareils dépassait notre capacité à mesurer les contours du malheur.

     

    Extrait des "Nefs de Pangée"

  • Que je vous dise

    Hier, vendredi, j'ai donné par téléphone à Agathe, la très gentille et patiente et sympathique assistante du directeur d'édition, les ultimes corrections de « L'Affaire des vivants ». Corrections orthographiques (très peu, j'avais bien travaillé) et typo (beaucoup, à cause d'un parti-pris assez inédit de code particulier pour les dialogues). Voilà. Bouclé, terminé. La prochaine étape, c’est l'impression. Puis les services de presse.
    Un quart d'heure après ce long échange téléphonique, j'écrivais à Agathe pour lui demander d'apporter deux petites et ultimes corrections. J'avais eu le malheur de relire les deux premières pages.
    Il faut savoir lâcher son bébé. C'est difficile.

  • Dans les amplis

    Odyssée riche et barbare, Le Maître des Eaux, ce récit dont la forme me laissait craindre qu’on me catalogue à sa sortie comme un prosateur réactionnaire dix-neuviémiste, commence à trouver ses marques et à prendre de l’épaisseur. Je vois enfin le moyen d’y prendre plaisir. La vertu d’une écriture lyrique, voire emphatique, est de finir par créer une atmosphère, une ambiance. A condition de ne pas être dupe du procédé, de s'amuser avec les mots et leurs sonorités comme avec des instruments électriques. Disons qu'en ce moment, je fais de la "littérature amplifiée". Il y a des risques pour les tympans à cause du nombre de décibels envoyés, mais on reste bel et bien dans de la musique.

  • Parlons un peu de l'Odalim

    Odalim est un mot qui signifie « les temps de l’origine » . Cela vient de Odir, le premier, qui est également le surnom du premier chasseur, Ghiom, celui qui remplaça l'espèce ancienne sur Pangée. On peut rapprocher Odalim de Od, le chiffre un, qui fait aussi référence à l'océan unique où il vit. C’est sans doute pour cela qu'on ne parle pas des odalims, et qu'on désigne le Maître des eaux toujours ainsi, au singulier. Comme s'il n'y en n'avait qu'un. L'Odalim a d'autres surnoms, en plus de Maître des eaux (ce qu'il est, incontestablement). On l'appelle Sôanget, qui est caché ; Eïnmein, le plus grand, le grand parmi les grands ou encore Lancalis, le destin. Les familles de Basal ont chacune un nom pour le désigner. Pour les Anovia par exemple, c'est Eïnev, au dessus ; pour les mystiques deBor, c'est Emata, l’autre. L'Odalim est entré tard dans nos récits, quand les nefs de Pangée ont osé s'aventurer assez loin sur l'unique, mais il tient depuis ce temps une place primordiale dans notre imaginaire. Des conteurs et conteuses avant moi ont émis l'hypothèse que la défiance envers les Flottants et la peur de l'Odalim sont confondues dans nos légendes à cause de leur découverte simultanée. Voyageur, tu rencontreras peu d'Estonians ou de Memphites qui prête le moindre crédit à l'histoire de Nodan le maudit et à la supposée razzia des Flottants sur Pangée. Pour étranges et fourbes qu'ils soient, les Flottants se tiennent à l'écart des nefs de Basal et n'ont sans doute jamais abordé la côte. D'ailleurs, les chasses  sont autant d'occasions d'éradiquer systématiquement leur population. On peut même supposer que le véritable but de la chasse n'est pas le sacrifice de l'Odalim à l'âge nouveau, mais la suppression de toute ville de Flottants sur l'océan. Les marins rencontrent de moins en moins souvent leurs étonnantes îles à la dérive, et mon prince et moi n'avons pas eu l'occasion d'en croiser pendant nos deux ans de formation à la navigation. C'est un peuple qui disparaît.

  • Vive l'ampleur !

    "C'était à Mehassa, faubourg de Basal, dans le jardin des nautiles. Le festin des partages aurait lieu à la nuit tombée et les préparatifs, entrepris une saison plus tôt, s'accéléraient dans les dernières heures du jour. On avait débarrassé l'aire d'honneur de ses griffes d'Olicanthe et planté au sommet des arches les bannières de chasse de toutes les nations, puis on avait dressé de longues tables organisées en carré autour des vasques de bronze où rougeoyaient des braises. La nuit tropicale avait d'un coup tendu le ciel d'une taie violette incrustée de poussière adamantine. On avait allumé les torches de résine, versé les perles phosphorescentes dans les bassins d'eau verte des nautiles."

    Et c'est comme ça pendant tout le bouquin ! Le projet est de construire une sorte de « Salammbô » de l'imaginaire (d'où la première phrase parodique). C'est très laborieux, voire épuisant. Cependant, ce pittoresque, cette emphase, cette ampleur, seront la couleur du premier des trois volumes de la saga. Pour ne pas me décourager sur le premier, ne pas me lasser de cette facture lyrique, je me projette sur le deuxième tome, qui sera exactement opposé. Froid, sec, intimiste. Si le premier volume sort un jour, il faudra expliquer aux lecteurs que sa forme et son atmosphère ne sont intelligibles vraiment qu'en regard de sa suite. Quant au troisième et dernier tome de l'histoire, il a pour ambition de faire la synthèse de ces deux ambiances, par effets de contrastes, dans une forme encore inconnue dans la littérature de l'imaginaire. Ne pas croire que j'abandonne certaines ambitions, même quand je m'amuse.

  • Strabisme

    "Je te le dis, voyageur en quête d'éblouissement, rien n'égale la porte des terres."

    (les nefs de Pangée. Volume 1)


    "Joël est revenu sur le phénomène de l'ossianisme, plus complexe qu'il y paraît."

    (Pieds nus sur les ronces)

    Peut-on vraiment écrire deux romans en même temps ? J'essaye, en ce moment. C'est amusant. L'un est le relâchement de l'autre, alternativement. Deux thèmes, deux genres, deux styles différents. Deux univers distincts. Comme si j'étais à la croisée des deux et ne faisais dans chacun que quelques pas, pour voir.

  • Joyeusement

    Hier soir, je recevais quelques images de ce que l'artiste Winfried Veit a réalisé pour illustrer La Joyeuse, une nouvelle en passe d'être publiée par les éditions Le Réalgar, à Saint-Etienne. Sollicité par son galeriste, Daniel Damart, l'artiste a entrepris une production énorme, 70 dessins et croquis, pour s'emparer du sujet. Le résultat est magnifique. Il y avait, dans cette histoire venue des origines de la civilisation (La Joyeuse est inspirée d'un passage de L'épopée de Gilgamesh, le plus vieux texte du monde), quelque chose de terrien, de tellurique, de biblique, et chaque fois que Winfried fouille cette glaise, découvre les corps comme des racines tout engobées de tourbe, je retrouve ce que m'inspire ce récit des origines. Il y a des encres, des dessins assourdis de noir, texturés de traits, des lavis qui embrument les corps. Une variété de techniques qui contribue à magnifier l'onirisme, à évoquer le fruste, le primitif, le nocturne, à donner l'effet d'une réminiscence. J'assiste, émerveillé, à l'équation du texte et du dessin. Dans La Joyeuse, mais aussi dans le mythe original, il y a cette idée que l'amour physique civilise (alors que dans notre pensée judéo-chrétienne, le sexe est supposé abêtir, abaisser au rang de l'animal). Les images que Winfried Veit a réalisées travaillent ce sentiment d'une élévation tirée de la terre, fait le portrait d'une créature « à la chair de météore » élevée au rang d'homme qui parle et pense. C’est le récit d'une humanisation aidée par les bons soins d'une courtisane. Ce matin, un nouvel arrivage de dessins me parvenait. Un régal, à nouveau, la confirmation que le choix du galeriste était le bon. Il fallait de la puissance, de l'humanité. Winfried Veit a su relever ce défi.
    Des images ? Patience...

  • 2000

    Ce week-end, travail sur les corrections de "L'Affaire des Vivants". Pas tout à fait la dernière étape, mais on approche.
     
    Il y a deux semaines, je lisais les deux derniers chapitres à mon ami François Podetti, en souvenir de quelques heures passées ensemble à la cinémathèque de Paris pour trouver les documents dont j'avais besoin pour écrire, justement, ce finale. Lecture émue, gorge serrée (j'espère causer la même émotion chez le lecteur) et pour moi, l'évidence qu'un détail clochait. Une légère digression, deux ou trois lignes qui contrarient le mouvement du dernier chapitre vers sa résolution. D'ultimes ajustements, donc, opérés depuis. Ce qui provoque l'étonnement et la gratitude de mon éditeur qui, paraît-il, ne voit pas autant de rigueur chez bien des auteurs. Mais c'est peut-être que, eux, sont plus immédiatement justes.
     
    Et c'était la 2000e note de Kronix, les amis.

  • L'expérience du texte

    Plus de livres. Bon, dommage. Des textes numériques mis en réseau, très bien. Des échanges à leur propos, des commentaires communs ou pointus, pourquoi pas ? Mais il faudra bien assouvir le besoin de l'expérience collective, du partage direct du ressenti.
    Après tout, le théâtre est peut-être le médium le mieux placé pour poursuivre la geste littéraire.

    En tout cas, ma prochaine pièce, Pasiphaé, sera jouée en janvier 2015 au théâtre de Roanne (scène régionale).

  • Extrait

    Je ne savais pas quoi écrire, alors je colle ici un extrait d'un roman en cours. Il s'intitulera "Pieds nus sur les ronces", et je ne sais pas s'il sera publié un jour (déjà, le finir). En attendant :

    Pétrifiée de colère, Syrrha l'était encore, inexplicablement, quand elle raconta l'épisode de l'hôtel à Joël. Il la regardait sans comprendre. Syrrha ne comprenait pas non plus ce qu'elle était en train de faire, de quoi il s'agissait, de se soulager, de créer un effet dramatique, qu'on s'intéresse à son cas, impossible de savoir. Avec la colère revenue tout entière, intacte, dans le récit, il y avait un désespoir manifeste. Pourquoi était-elle comme ça ? Elle poursuivit son récit devant un Joël Klevner embarrassé de telles confidences, mais conciliant, amical, conscient qu'il avait un rôle à jouer, qu'on lui accordait une confiance imprévue et qu'il devait en être digne. Le souffle court, Syrrha décrivit la chambre, elle debout à côté du lit, son incroyable angoisse, surgie soudain, son horrible angoisse qui l'avait arrachée au sommeil et au lit. Syrrha debout, nue, se disant qu'elle allait partir, le laisser là, prendre ses affaires en tâchant de ne pas le réveiller, ne pas lui faire de mal, non, cela elle ne le voulait pas, mais le laisser seul, ici, à Paris, avec ses interrogations, le laisser seul et fuir, ne plus lui donner de nouvelles, ne plus jamais le revoir. Joël tenta de demander ce qui s'était passé, qu'avait fait Simon de tellement grave ? Mais sa phrase resta en suspens sur ses lèvres. Il n'y avait aucune explication, ce devait être anecdotique, sans conséquence, Syrrha l'admettait d'emblée, l'avait dit, le répétait, tentait encore de se souvenir mais impossible, en fait il n'y avait rien, rien de notable, rien, même à l'époque elle le savait, comment pouvait-elle savoir et en même temps entrer dans ce délire ? elle était soudain persuadée, à cause de ce geste (admettons que ce fut un geste) insignifiant que Simon ne l'aimait pas, qu'il allait peut-être lui faire du mal, il était sur le lit, inerte comme l'eau d'un miroir, reflet de la haine soudaine qu'elle ressentait, une palpable colère, renvoyée par ce visage tranquille d'un jeune homme qui dort. Et debout, nue, elle visitait les possibles, s'excitait à la perspective de son départ, se voyait dans la rue, bousculant les prostituées, laissant derrière elle des cris et des insultes, courant vers la gare, disparaissant, quittant Paris et Simon et le pays, évanouie dans l'abstraction d'un paysage repeint en noir. Et debout, nue, bras ballants, mains désœuvrées, yeux écarquillés dans la nuit, tout grondait à ses oreilles, le sang bourdonnait et les halètements dehors, la respiration des voitures et les bouffées de musique échappées des bars, toute la sordidité humaine montait vers la chambre, occupait l'espace et l'air, modifiait la lumière et les ombres sur le visage détesté de son amour. Elle devait partir, il fallait qu'elle foute le camp, Ô désolé mon pauvre amour, comme tu me hais, si tu ne me haïssais pas comme ça, je resterais mais là, mais là c’est trop me demander, rester auprès d'un garçon qui me veut du mal, tu comprends ? Parce que tu ne m'aimes plus, toi, n'est-ce pas ? Tu veux que je parte, tu me rejettes ? Tu ne veux plus de moi ? Mais comme je t'aime, moi, si tu savais, pourquoi tu ne veux plus de moi ? Ça s'enchaînait, infatigablement, ça l'obsédait, ça l'épuisait, elle en tremblait sur ses jambes, une heure à rester comme ça debout, à poil, ça faisait mal, ça faisait froid, elle devait foutre le camp, en silence, pas lui faire de peine. Et puis, Simon a émis un petit grognement, il a bougé, s'est vaguement réveillé, a perçu dans les lueurs contradictoires qui perçaient la fenêtre, la silhouette de Syrrha, debout nue raide de colère qui le regardait avec ses yeux écarquillés, il a immédiatement perçu qu'elle était comme ça depuis longtemps, a froncé les sourcils, a dit d'une voix ensommeillée et gentille « Qu'est-ce que tu fais, tu ne dors pas ? », cela elle s'en souvenait, cela lui est revenu parfaitement, le corps qui bouge, s'étire frissonne, le visage si beau de Simon qui s'ouvre, s'éclaire, son regard brouillé de nuit qui s'étonne : « Qu'est-ce que tu fais... » et dans l'instant, toute la tension qui disparaît, Syrrha qui sort de son hypnose, se détend, sent un poids formidable s'évanouir. C’est fini. Simon est là, il l'aime, tout va bien. Elle sourit, elle rejoint le lit, s'allonge, se blottit contre lui, s'allonge mais s'évanouit presque, s'effondre, épuisée, et s'endort aussitôt.

  • Interview LPR

    Par manque de place, l'interview d'Isabelle Sylvère pour le Pays roannais a été tronquée. C'était prévisible et ce n'est pas grave, puisque la voici en intégralité. J'ai reformulé les questions, pour ne pas être accusé de reprendre le moins du monde des mots qui ne seraient pas les miens.

    A noter que je serai demain, de 16 heures à 18 heures, à l'Espace Leclerc de Riorges, pour dédicacer Mausolées. Si vous ne venez pas pour moi, vous pouvez venir pour l'ami Didier Guérin, qui présente son dernier livre de recettes gourmandes. En général, il prépare des petites choses à grignoter. Je vous dis ça comme ça.

     

    La première question concernait mon parcours d'écrivain :

    J'écris depuis toujours, et depuis toujours sous des formes diverses. J'ai évoqué la genèse de mon travail dans « J'habitais Roanne » où il ressort que notre ville a construit mon identité d'écrivain (et non de philosophe (?), comme certains l'ont écrit). Je suppose que l'écriture correspond à mon goût pour la solitude, le travail secret et lent. Enfant, j'écrivais de vastes fresques, des récits d'aventure inspirés de mes lectures d'alors. Je lisais beaucoup, sans souci de distinguer des genres ou même des auteurs. Petit à petit, une exigence s'est faite, mon goût s'est formé. J'ai appréhendé avec plus de pertinence ce qui caractérise un style, un engagement. J'ai pris conscience que raconter des histoires n'était pas une motivation suffisante, qu'il fallait un enjeu d'ordre littéraire. Mes premières nouvelles ont été primées dans divers concours, mais j'avais en tête des récits plus amples. J'ai écrit plusieurs romans sans songer à m'auto-publier, je voulais absolument que mon travail passe le filtre professionnel d'un éditeur. Cela s'est produit tardivement, en 2008, après des années d'écriture secrète, avec « Le Baiser de la Nourrice ». Depuis, les publications s'enchaînent et j'en suis à renoncer à certaines propositions, faute de temps. Une situation que je n'osais même pas rêver il y a seulement un an.
     

    La seconde question concernait mes influences :

    Je reconnais toutes les influences, mais ceux qui me lisent savent combien il est difficile de m'attribuer une ligne, une « école ». On a évoqué certain courant de la littérature espagnole pour situer mon univers. S'il fallait trouver une lignée, elle serait particulièrement tortueuse, mais elle intégrerait certainement les influences d'auteurs aussi différents que Proust, Michon, Homère, Chevillard, Hugo, Céline, King, Brussolo, Roth, Lobo Antunes, Delhaume, Rabelais, Borgès, Flaubert, etc, etc. Nous sommes tous des métis culturels.
     

    La troisième concernait mes méthodes d'écriture

    Je rumine un projet pendant des années, jusqu'au jour où je suis prêt à entrer dans l'histoire (c'est une notion importante, être prêt, parce que vous allez devoir vivre avec ce livre pendant dix ans ou plus, si l'on cumule les temps d'écriture, de publication, les rencontres autour du livre. Il faut que vous soyez certain que ça vaut la peine d'y consacrer tant d'années de votre vie). J'ouvre un dossier, écris une note d'intention avec une date de clôture à laquelle je me tiens, et je commence. Après, il suffit de travailler sans relâche. Une bonne pratique est de laisser un roman achevé dans un tiroir et de l'oublier pendant qu'on en écrit un autre, de ne le ressortir qu'après six mois ou un an, voir comment il supporte une lecture plus distanciée, et le reprendre s'il a passé honorablement cette épreuve. J'en ai ainsi plusieurs qui n'y sont pas parvenus et resteront dans leur boîte, à jamais. Ne surtout pas considérer que tout ce qu'on écrit vaut la peine d'être publié.
     
     
    Ensuite, il s'agissait de dire si la noirceur de Mausolées correspondait à mon point de vue sur le monde actuel.

    Nous sommes dans la description d'un futur, une sorte de Moyen âge où un monde chancelant doit se relever d'une période de conflits terribles. Tout est à reconstruire et à repenser. Une période qui ressemble à ce qui nous attend après les grandes dévastations économiques et environnementales qui s'annoncent. Je n'ai pas modifié les hypothèses de la première version de ce roman, pensées il y a quinze ans. Si je n'avais pas perçu alors l'importance que prendraient le fait religieux ou la puissance des multinationales, je vois bien qu'on s'achemine vers un chaos similaire à celui que je décris dans Mausolées. En même temps, je suis optimiste : les bactéries survivront.


    La question suivante prolongeait la précédente et insistait sur cette notion de noirceur. Il y était question aussi de la désintégration de la société, initiée par celle de la culture.

    J'ai des écrits plus lumineux, mais Mausolées entre dans ma veine « noire », c’est vrai. « Il se peut que l’humanité se fatigue d’elle-même, s’ennuie de porter son grand projet. Son vaste corps n’en peut plus d’œuvrer sans cesse. Elle cherche à en finir. Mais elle n’a qu’elle-même pour réaliser ce désir de mort. » dit un des personnages. La destruction est à l’œuvre dans notre goût absurde pour l'agitation, le mouvement inconséquent. La perte de la culture qui est la grande angoisse de ce roman, ou du moins le mépris dans lequel on la tient sous prétexte que c’est l'affaire d'une élite, est l'amorce de tous les désastres. Haine, folie destructrice, le malheur découle du peu de temps qu'on laisse pour se poser, pour réfléchir. Il y a peu, j'étais censuré par ce journal pour avoir contesté un propos selon lequel on doit servir aux lecteurs ce qu'ils sont censés désirer lire. Le fait qu'on me laisse m'exprimer librement ici aujourd'hui est peut-être le signe que, finalement, comme dans mon roman, certains s'interrogent, comprennent qu'il y a de la place pour les idées abstraites, et qu'elles ne sont pas nécessairement des « prises de tête » d'intello. Cela dit, « anticipation » ne signifie par forcément « goût pour le désespoir », mais il est difficile de voir l'avenir en rose. Récemment, Mnémos m'a commandé une nouvelle pour une anthologie sur les utopies qui marchent. C'était une gageure. J'ai dû ruser pour y parvenir. Je suis affreusement lucide.
     

    Autre question, sur le choix du genre. La Science-fiction.

    Le genre s'est imposé de lui-même, effectivement dans le prolongement des thèmes qui inspiraient le récit. Je voulais décrire la perte de l'identité consécutive à la perte de la mémoire, à la maladie et au vieillissement, à la fois au niveau de l'individu et au niveau d'une société. Imaginer un futur dépourvu de livres et où les documents numériques ont presque intégralement disparu, permettait d'explorer ces notions. Mais de nombreux lecteurs, pas du tout amateurs de SF, m'ont dit avoir pénétré dans cet univers sans problème. Ce n'est pas, malgré toutes les apparences, un roman « de genre ».



     (là, une question et une réponse laissées intégralement dans le journal. Je ne la reproduis donc pas)
     

    Enfin, la question habituelle sur les projets.


    Un autre roman est pratiquement achevé. Il fait partie de ceux qui sont restés six mois « en réserve ». Il a bien tenu le choc d'une nouvelle lecture, mais il y a encore trois ou quatre mois de travail dessus pour en faire un livre digne d'être présenté au public. Je crois que je le proposerai, je ne sais pas encore à quel éditeur. On verra. En début d'année 2014 sortira une nouvelle illustrée par Winfried Veit au Réalgar, puis un recueil de poésie chez Sang d'encre, illustré par Corie Bizouard, ensuite ce sera la rentrée littéraire en septembre avec « L'Affaire des Vivants », chez Phébus, puis il y aura ma pièce de théâtre, « Pasiphaé », puis une trilogie chez Mnémos, une autre pièce, « Minotaure », la préquelle de « Mausolées » et ainsi de suite. J'ai minimum cinq ans de chantiers d'écriture assurés. Entre-temps, j'écris les billets quotidiens de mon blog et des scénarios de BD pour les copains, ça me détend.

  • Pasiphaé - Extrait

    Minos : Vous faites un pari, et croyez-moi : je m'en fous. Vous pariez que ce qui sortira de cette union bestiale va paraître comme un symbole des temps qui changent, comme un signal donné au peuple, c'est ça ?

    Dédale : Monsieur...

    Minos : Et oui, Dédale : pour rester au pouvoir, bien connaître la nature humaine, bien connaître les hommes. Je vous observe, Dédale, je vous ai vu changer. Vous me détestez, n'est-ce pas ? Aha. Vous ne me comprenez pas, hein ? Moi, j'ai compris, je sais ce que vous manigancez.

    Dédale : Monsieur !

    Minos : Quoi ? Ah, quel héros, regardez-moi ça ! Vous avez peur, Dédale ? D'un coup, la mémoire des cachots vous revient ? Les cris, les fers, les exécutions ? Vous devriez être plus courageux, vous qui espérez le grand changement.

    Dédale : Je ne manigance rien.

    Minos : Non, bien sûr. Ne vous inquiétez pas. Vous restez à mon service.

    Dédale : Merci, monsieur.

    Minos : Merci monsieur. Bon garçon. Bon petit élève. Intelligent comme vous êtes, quelle torture se doit être de travailler sous les ordres d'une brute comme moi. Vous m'amusez, Dédale. Vous allez rester avec moi jusqu'au bout, au moins pour une raison : savoir comment cette histoire va finir. Je le veux, et vous le voulez, je vous connais. Et puis, je n'ignore pas que vous souhaitez rester auprès de ma femme. N'est-ce pas ?