"Eric est lavé de tout soupçon. Le rapport de l'IGF prouve qu'il n'est pas intervenu dans le dossier de la famille Bettencourt, pas plus que dans aucun dossier d'aucune des plus grandes fortunes du pays. Il ne s'occupe que des pauvres. Cet homme est extraordinaire ! Je suis très fier de lui et je crois que je l'aime !"
kronix - Page 156
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Nicolas aime Eric
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En cent ans
Je n’en parlerai pas, à quoi bon, d’autres le font mieux que moi et en disent des choses plus pertinentes, cependant… L’autre jour, nous lisions « Au Bonheur des Dames » en public, avec le collectif « Demain dès l’aube ». Et la description des conditions de travail des employés du grand magasin, des conditions des femmes seules et des précaires, nous jetaient aux yeux qu’en quelques années, nous avons régressé de plus d’un siècle. C’est tout ce que j’ai à dire.
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Essaye encore
Bon, ce ne sera pas encore pour cette fois. L'un de mes manuscrits a failli être édité chez un « grand » éditeur parisien. Après quelques semaines d'atermoiement, finalement, c'est non. Ma douce en est très dépitée ; je souris et la console : il faut se blinder dans ce milieu. On sait bien que jamais rien n'est tangible et sûr. Le bilan est plutôt positif en ce qui me concerne : la directrice de collection connaît mon nom, qui sait si un autre manuscrit ne franchira pas plus facilement certaines étapes ? En tout cas - comment faire autrement ?- Ça m'a permis de rêver un peu.
Pour l'instant, je viens d'achever une nouvelle version de « Peindre » sur laquelle je me suis régalé. J'ai presque abouti un texte poétique intitulé « De terre », pour une petit maison d'édition de poésie, et, enfin, je reprends l'écriture de mon roman « historique ». Le plaisir d'écrire est toujours aussi vif. Et c'est là l'essentiel.
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Au Bonheur des Dames
Zola (pas entier, mais des exraits) : Le bonheur des Dames, lu avec amour, aujourd'hui, à partir de 15 heures et jusqu'à 17 heures environ, dans le parc du musée Alice taverne, à Ambierle, qui reçoit l'association "Demain dès l'aube", pour la deuxième fois. Nous avions eu, l'an dernier, le plaisir d'y lire toute la Chambre claire de Barthes, devant un public concentré.
Venez ressentir par le simple effet des voix partagées, les enthousiasmes de Mouret et les réticences de Denise, venez vous émerveiller des amoncellements invraisemblables de marchandises des premiers "grands magasins", vus par les yeux des parisiennes de l'époque, venez assister aux premiers conflits entre petits commerçants et grandes surfaces. Venez nous écouter sous l'ombre des arbres.
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Littérature de gare (routière)
Je suis plongé dans Les sentinelles. A l'arrêt de bus, un garçon que je n'ai pas remarqué, attend que je me lève pour m'accoster. Il veut savoir si je m'intéresse à la seconde guerre mondiale. Oui, bien sûr, en fait je m'intéresse à tout. Pourquoi ? « J'ai vu votre livre ouvert, une page marquée « 1943 », je me suis dit que c'était un livre sur la seconde guerre mondiale ... » c'est le cas, je lui explique le sujet du livre de Bruno Tessarech, et le garçon me révèle sa passion pour cette période et la résistance, notamment la résistance allemande. Plus tard, je lui prête mon livre. Il me le rend sans beaucoup de commentaires, mais a « trouvé ça bien ». Ce premier contact l'encourage à me dévoiler d'autres facettes de sa personnalité. Ses goûts littéraires l'entrainent bien loin de Sophie Scholl, dans les zones plus souvent explorées par les garçons de son âge (il a dix-sept ans) : la mythologie grecque (je retrouve la saveur de mes amours d'enfance) Harry Potter, les vampires, les mondes parallèles et les mangas. Enfin, il m'annonce qu'il écrit, et qu'il écrit un roman (comme tout le monde, me dis-je). Il ponctue la révélation en brandissant son portable, geste que je ne comprends pas, alors. Lors d'un autre trajet, l'écrivain en herbe me détaille sa technique : il écrit dès qu'il a un peu de temps, en cours de journée, sur son portable. A coups de SMS. Son récit se poursuit ainsi, petit à petit. Il a ainsi produit plus de cent SMS. Je m'intéresse, un peu abasourdi : « Et après ? Tu ouvres ton portable, et tu saisis tes textes sur l'ordinateur ? » « Pas tout de suite. Parce que le portable allumé parasite l'ordi. Je suis obligé de réécrire à la main chaque SMS, ensuite, avec mes notes, je reprends tout sur l'ordinateur. » Inutile de lui exprimer ma curiosité, le garçon a depuis longtemps envie de me montrer sa prose. Il me tend un petit carnet où sont reprises ses notes, copiées de sa prose sur SMS. Sans surprise : le héros est un garçon qui lui ressemble, et dès la deuxième page, il se retrouve dans un univers parallèle. Deux sources d'étonnement tout de même : il y a peu de fautes, et le premier univers traversé est celui des Pokémons, que l'auteur avoue ne pas aimer. Pourquoi l'avoir évoqué alors ? « Je demande à chacun de mes copains et de mes copines s'ils veulent être dans mon roman, et si oui, dans quel univers. Lui, c'était l'univers des Pokémons, alors voilà. » Je lui restitue le carnet avec admiration. Je ne connais pas d'auteur qui ait de pareils scrupules à respecter les désirs des personnages qu'il intègre à son récit.
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Echo
A l'arrêt de bus, quand j'arrive, il y a souvent cette étrange colonie installée avant moi. Un couple d'âge indéfinissable, qui s'échangent des moqueries à grands éclats, et se collent des bourrades, alternativement, quand la blague est décidément irrésistible, deux garçons très jeunes, incroyablement bavards, qui ne laisseront pas une seconde de répit à la chauffeure de bus, une fois montés (quand c'est un homme qui conduit, ils se tiennent coi, et regardent les vaches). Et puis il y a ce grand demeuré. Un garçon de quatorze ou quinze ans, peut-être plus, difficile d'être sûr. En été, il se retrouve seul près du banc enfin libéré de la colonie précédente. Ce banc libéré où j'espère lire quelques minutes. Mais le garçon a des talents vocaux. Il ne parle pas, ne chante pas, mais imite à la perfection, bien qu'avec plus de puissance, les sons produits par les bus qui passent, s'arrêtent, klaxonnent et repartent. Toute la gamme est reproduite à la perfection: les soupirs pneumatiques de l'ouverture des portes, le vrombissement des accélérations, la plainte curieusement humaine des freins. Le gamin écoute, recrée, amplifie en l'imitant trois ou quatre fois de suite, le bruit qu'il vient d'écouter. C'est parfois saisissant de réalisme, et effrayant par l'intensité. Un double masculin de la nymphe écho. Le phénomène ne cesse pas quand il monte dans le car, le même car que moi. Grincements, roulis, décélérations, claquements, il ne nous épargne aucun son. Avec le fond sonore de la radio débile qui tonitrue dans les haut-parleurs, le cocktail est fatal à la plupart des lectures que je tente. Les écrivains de polar ou de thriller devraient tester ici l'efficacité de leurs trouvailles dramatiques. Le récit qui garderait concentré plus de dix minutes un lecteur dans ces conditions aurait les plus grandes chances de s'ajouter à la liste des best sellers. Il m'est arrivé de tenir ainsi les éructations du garçon en échec avec Shlomo Sand, Sorj Chalandon et Goldoni. Non mais !
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Les voix du passé
Un très précieux ami, premier lecteur à haute voix du « Baiser de la Nourrice », grand lecteur en général et écrivain secret, revient souvent sur cette idée que, quelque effort qu'on fasse, il existe une impossibilité de faire revivre la pensée des hommes d'un temps révolu, que le langage, même le plus scrupuleux par rapport à l'époque donnée, est toujours impuissant à en convoquer l'esprit. J'ai voulu, par les mots qui suivent, faire partager mon expérience et ma conviction que, si je partage sa certitude, en ce qui me concerne, l'impuissance n'est pas si grande, et ses implications dans le projet littéraire, minime.
C’est que nous savons bien, lecteurs et auteurs, qu’aucune fiction ne peut retrouver la vérité d’un ressenti dans le passé. Cette règle tacite, expérimentée par chacun au quotidien, quand il s’agit de raconter un souvenir (est-on dans la vérité de ce qu’on a ressenti alors ? Impossible, et même impossible de le savoir), est partagée « naturellement ». Personne n’est dupe du fait qu’une fiction ne peut (et comment le pourrait-elle ?) décrire la vérité d’une émotion ressentie par une personne défunte. Aucun auteur ne le prétend, je pense. Il peut éventuellement s’acharner à un vérisme, mais dans le seul but de rendre son propos plus vivant (lisant je ne sais quel bouquin médiocre, l’auteur me propose un moment de visiter les pensées de Moïse. Soit l’intention menée avec talent permet des digressions intéressantes, soit on en reste au spectacle de patronage et j’arrête de lire. J’ai refermé le livre). Tous nos grands auteurs ont été confrontés à ce dilemme (l’Hamilcar de Flaubert s’exprime en français -et alors ?). Madame de la Fayette explorant les affres affectives de sa princesse, évoque un passé déjà lointain dont elle ne connait finalement que des chromos et des relations édifiantes (la description initiale de la cour est à ce titre involontairement comique, avec cette accumulation de superlatifs pour décrire tel ou tel. On est dans la féérie, ou pas loin). S’est-elle condamnée à ne pas raconter son histoire ? Elle a fait comme les autres : elle a imaginé ; et nous, lecteurs, acceptons ou non cette élaboration. Mais, qu’on l’accepte ou pas, une chose est sûre : nous savons que les sentiments de la princesse de Clèves sont des fabrications, d’autant plus qu’elle est elle-même une fiction.
Un auteur récent, Laurent Binet, a fait un très bel exercice sur ce thème : dans « HhHH » il raconte Heydrich et les hommes qui lui ont tendu une embuscade en 1942, à Prague. Tout le long de ce livre captivant qui alterne « méta-fiction » (les coulisses du travail d’un écrivain plongé dans l’Histoire) et récit, l’auteur s’interroge sans arrêt sur ce qu’il a le droit de raconter, note scrupuleusement par exemple quand il décrit la voiture d’Heydrich le jour de l’attentat : « verte » (mais tous les témoins et les historiens disent « noire ». Il vérifie dans un musée, regarde la voiture sensée être celle de l’événement, la trouve définitivement verte. Et raconte son enquête sur ce point particulier, ses doutes, etc.), se reprend à chaque fois que, pris par l’élan de l’histoire, il prête des sentiments à ses héros, admet alors qu’il ne sait pas, qu’il n’a pas le droit de dire, etc. Et fait ainsi un livre d’un respect immense pour les hommes dont il a entrepris de raconter le destin.
Ensuite, la convention qui lie lecteur et auteur est valable sur un autre niveau. Bien entendu, jamais il n’est question pour qui que ce soit (ou alors nous sommes dans un travail d’histoire, un mémoire solidement étayé) de prétendre raconter la vérité stricto sensu d’une époque. C’est déjà complexe quand il s’agit de parler des années 70 ou de la guerre d’Algérie ; on comprend bien que c’est impossible pour la bataille d’Hastings ou les débuts de l’âge de pierre. Évoquant le passé (ou le futur, le principe est le même), nous ne parlons jamais que de notre époque. D’ailleurs, une histoire n’est intéressante que par ce qu’elle dit de notre vie, au moment où l’écrit est produit. Là aussi, le lecteur le sait bien. Et c’est bien cette approche, cette forme détournée d’exotisme, qu’il est venu chercher. Quand Pierre Michon raconte la construction du Mont Saint-Michel, qu’ai-je à faire qu’il soit au plus juste des pensées de ses protagonistes (personnages historiques pour certains mais dont on ne sait presque rien) ? Il m’importe d’être au contact avec ce qu’on peut imaginer des préoccupations de l’esprit d’un temps révolu, pétri d’une autre culture (cela, l’historien le peut). Ensuite, à l’écrivain de jouer, et de me proposer un fonctionnement crédible, mais surtout, sensible à la vie d’aujourd’hui.
L’écrivain sait bien que le passé est muet, disparu, impossible à retrouver, et le faire revivre ne peut être qu’affaire de fiction, avec les réserves qu’elle amène. Proust l’a bien compris, qui raconte un passé où il n’est lui-même qu’à des degrés divers. Toute une vie crédible, peuplée de personnages tangibles, traversée d’événements probables, mais une fiction.
Pour ma part, dans ce fameux roman que j'ai entrepris et qui se déroule au 19ème siècle, comment est-ce que je me situe ? J’essaye de me mettre tout de même dans l’ambiance de l’époque. Et si c’est impossible, fondamentalement, je m’appuie cependant sur plusieurs critères : les récits contemporains, la littérature abondante où les moindres atermoiements psychologiques sont le matériau des Balzac, des Flaubert, des Zola, des Maupassant ; la correspondance familiale, les journaux intimes, (je me méfie de la presse et des gazettes)… Avec cela, voilà de quoi ne pas trop s’égarer. Je ne place pas de propos révolutionnaires dans la bouche d’un jeune métayer inculte, je ne donne pas à mes bourgeois provinciaux de compétence critique sur l’art le plus à la pointe de leur temps et dont ils ignoraient pratiquement tout, je ne cite un événement que quand il est avéré que la presse de l’époque en a parlé, au moins quelques jours avant. Je ne fais paraître aucun personnage connu, ne prête pas de sentiments à des personnages ayant existé. Dans le roman, tous ceux dont j’explore les passions sont des personnages de fiction. Et leurs émotions ne sont jamais contradictoires ou anachroniques avec celles que les auteurs cités plus haut ont déjà prêté à leurs protagonistes. Si Alma est une oie blanche en apparence, c’est parce que l’époque s’acharne à en fabriquer selon des modèles affichés et promus, mais que cette édification n’empêche nullement de conserver, au fond, une âme en colère prête à revendiquer sa juste place. Si Charlemagne est un jeune entrepreneur matois et hyperactif, violent parfois, monarque sur son domaine, c’est que toute une littérature de l’époque m’en offre l’exemple, etc.
Enfin, selon moi, le problème que tu soulèves (je m'adressais là à mon ami) avec tant d’acuité et de passion pourrait bien être un faux problème. En effet, s’il n’existait pas des remuements identiques, universels, intemporels, si l’âme humaine n’était lisible qu’en fonction de son époque, ni Molière, ni Homère, Virgile ou aucun autre ne nous seraient restés, et aucun ne nous paraîtrait proche, à jamais. -
Le vent en poupe
Le paquebot de luxe vidangea d'un coup les fosses septiques, bouchées pendant plusieurs jours de croisière. Cela fit une marée beige et lourde, que les touristes regardèrent suivre un temps le sillage du navire. Les dauphins prirent leurs distances.
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La retrouver
Il n'était ni propriétaire ni retraité, ne payait pas d'impôts et n'avait aucune inquiétude pour sa sécurité ou la qualité de ses fenêtres. Cependant, il répondait oui à toutes les sollicitations téléphoniques dans l'espoir qu'un jour il retomberait sur cette charmante vendeuse de champagne promotionnel avec laquelle il avait eu une si agréable conversation.
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Les rouleaux de la mère (morte*)
C'est une égyptienne qui, s'inspirant de son rouleau à pâtisserie, expliqua aux ouvriers de la grande pyramide comment ils pouvaient trainer leur lourde charge en les plaçant sur des rouleaux. Mais on lui dit de se mêler de ses affaires et de retourner à ses fourneaux et, bon, les types continuèrent de pousser des tonnes de pierre sur des patins qui s'ensablaient.
(* Forcément, hein, depuis le temps...)
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La vertu et le pardon. Lettre à J.
Je ne conteste pas le goût pour la vertu, l'exigence que tu veux avoir de ne pas te plier aux rituels. Je m'incline devant ce rejet des normes qui font suivre une mélodie intelligente et recueillie par un fracas de mains frappées, applaudissements érectiles, codifiés, décérébrés, pavloviens. Je ne conteste pas, j'admire la sorte d'exigence qui te faisais éviter, avec ton ami, la convention du « bonjour », poignées de mains ou embrassades tout aussi normatives et bêtifiantes. J'y souscris. Mais nous avons une manière différente de déduire de nos actes, de nos choix exigeants de vie et de comportements, un regard aux autres. Toi et ton ami y voyez l'édification d'une solitude magnifique, un dandysme à l'écart des foules abruties, soumises aux rituels et aux politesses incessantes, qui ne sont que scories des sociétés ; moi j'y vois une source d'attendrissement et de reconnaissance envers mes frères humains. Pourquoi ? Parce que, tout simplement, je n'y arrive pas. Je ne peux pas être pur, c'est difficile, c'est risqué, c'est épuisant. C'est impossible. « Soyez dignes en tout », écrivais-je un jour à mes enfants, parce que, découvrant que c'est impossible, vous trouverez dans l'exercice une tolérance envers ceux qui n'y parviennent pas, ou ont abandonné. Je suis de ceux-là. Evertuons-nous, et dans l'échec, aimons-nous davantage.
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Tu me trouveras dans le carnet à spirales
Je serai aujourd'hui à partir de 9 heures et jusqu'à 13 heures, en la douce ville de Charlieu pour dédicacer "le Psychopompe".
Voici ce qu'en dit jean-Baptiste Hamelin, le dynamique et subtil libraire qui fête ce jour le sicième anniverasaire de son déjà réputé établissement :
"Petite douceur ou petite violence, ce polar séduit tant le style est enlevé, d'une noirceur "sombre" voire "limpide" peut-être même "claire", le tout agrémenté d'un zest d'humour parfois vachard, parfois revanchard mais bien souvent pertinent. Vous comprenez : j'ai aimé le livre et puis j'apprécie l'homme - l'auteur et donc je suis heureux de le recevoir et de vous le présenter."
De plus : j'ai 6 ans, l'âge de la lecture : le CP. Et oui, le Carnet à spirales, cette petite librairie en milieu rural comme ils disent à la "grande-ville" a ouvert ses pages en 2004, ce petit lieu improbable vit et vit bien, nourrit des projets à la pelle, devient partenaire culturel pour plusieurs associations, manifestations, concerts..., intensifie sa relation avec la page, la Page des libraires (le carnet et la page : belle union), ce beau magazine pour les amateurs de littérature....
Enfin, voilà : c'est mon anniversaire, votre anniversaire, le nôtre !!!
Samedi 03 juillet : il fait beau, les oiseaux chantent, Christian s'offre une pause charliendine (en matinée) pour présenter son Psychopompe et nous trinquons sur le coup des 11h30.
Trinquons, au hasard : à la beauté, à la solidarité, à l'ouverture d'esprit, à la curiosité, au rosé, à la lecture (pas celle des élites hautaines où l'on parle Littérature - non celle des lieux de vie où la lecture se vit..), trinquons encore à l'été qui s'installe, comme cela, d'un coup, trinquons à mes vacances (méritées !!!) aux votres (méritées ???), enfin trinquons et passons un petit moment ensemble car l'entrée est "livre"..
Samedi 03 juillet : ANNIVERSAIRE
en matinée : Christian Chavassieux - Le Psychopome - je vous le recommande chaudement
et toute la matinée : café, apéro
et pour les habitués (ceux du 5e anniversaire savent...) un cadeau et un chouette cadeau de libraire
VENEZ NOMBREUX - VENEZ HEUREUX
Merci de passer le message à vos carnets d'adresses pour que l'anniversaire d'une libairie puisse faire autant de bruit que la disparition d'une librairie : c'est tellement mieux quand cela n'est pas trop tard !
SAMEDI 03 JUILLET - LE CARNET A SPIRALES
Merci à vous,
Jean-Baptiste Hamelin et les siens (Christèle, Arthur et Hippolyte)
avec l'appui remarquable et remarqué de Cécile
Librairie Le Carnet à spirales
32 rue Chanteloup - 42 190 Charlieu
tél : 04 77 60 08 55 / lecarnetaspirales@free.fr
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Moyennes, les ondes
Quand les deux humoristes de France Inter ont été virés, ma douce m’a dit : « Et tu verras, le pire : c’est que certains seront d’accord ». Je ne sais pas si c’est le pire, mais en tout cas, le mail récent d’un ami nous apprenait qu’en effet, lui au moins s’en félicitait. Plusieurs arguments venaient appuyer son opinion, et ils méritent de s’y arrêter avant d’aller plus loin.
D’abord, il dénonce un effet de « peopolisation » des humoristes (il évoque surtout Guillon, ne connaît pas Didier Porte -dommage) et l’idée selon laquelle, parce qu’il vient de la télé, un humoriste se croirait plus qu’il n’est et s’arrogerait une importance qu’il n’a pas. Je voudrais dire à Georges (l’ami en question) que c’est probablement le talent de l’humoriste qui l’a mené à la télé et à une certaine notoriété, et non l’inverse. La diatribe interpelle ensuite directement les destinataires de son mail : « Ils vous fait rire, vous, Guillon ? ». Définir ce qui est drôle ou pas n’entre pas dans mes compétences, mais à titre personnel je peux dire que, oui, Guillon m’a fait rire plus d’une fois. Sa vulgarité a pu me gêner et certains traits m’ont fait grincer des dents, mais il faut tenir compte de plusieurs aspects : d’une part, les billets qui font polémiques sont les portraits les plus « limites » qui causaient les « buzz » du Net, et qui formaient un arbre cachant la forêt de chroniques quotidiennes, pas forcément aussi dures chaque fois ; d’autre part, je me souviens de Coluche parlant de Lecanuet ou de Thierry Le luron tapant sur Alice Sapritch, je me souviens de Hara Kiri, on ne peut pas dire que c’était du meilleur goût non plus. La France entière riait, sans complexe. Enfin, le patron de Guillon, Philippe Val, n’a pas été non plus un modèle de retenue et de délicatesse dans ses charges politiques.
Je sais ce qu’est une radio vulgaire. Chaque jour, en prenant le bus, le chauffeur nous gratifie des bruyantes mises en boîte des animateurs de NRJ. Ils ne seront jamais inquiétés par le pouvoir, qu’on se rassure : pourtant c’est d’une bêtise sans nom, d’une laideur et d’une bassesse qui donnent le vertige. D’ailleurs, cette notion de vulgarité est un lieu commun, utilisé si fréquemment qu’elle en perd son sens. Un lieu commun qui en vaut un autre : l’exemple vient d’en haut. Est-il plus vulgaire de charger à l’artillerie lourde nos élus les plus méprisants et les plus cyniques, que de monter au plateau des Glières, et de tourner le dos à un ancien résistant qui explique le drame déroulé sur ces lieux-mêmes, pour ricaner comme un débile avec une supportrice ? que de hausser les épaules et accabler un journaliste qui interroge sur l’affaire de Karachi et refuser de recevoir les parents des victimes de l’attentat ? que d’annuler une entrevue avec les habitants du 93 pour paraître, de nuit, entouré de flics au pied d’un immeuble ? Etc., etc. (les exemples sont si nombreux que Patrick Rambaud y trouve matière pour ses livres depuis trois ans, sans avoir à chercher. Une honte). C’est cette vulgarité que Guillon et Porte dénonçaient, chaque jour ou presque. Ce n’est pas agréable à entendre, parce que ça gratte là où le pays saigne. Il y avait un aspect non négligeable dans la hargne des chroniqueurs : l’exutoire. Les bouffons, près des rois, disaient des vérités insanes, ricanaient pour dégrader la noblesse hautaine au rang des simples mortels. Guillon et Porte nous ont vengés, souvent, ils ont laissé entendre aux élites que leur cynisme et leur avidité obscènes étaient visibles, ils disaient « le roi est nu ». Et c’était un travail nécessaire. Où se porteront les désirs de vengeance, comment se cristalliseront les souffrances dues au mépris des grands pour les petits, désormais ?
Revenons à notre ami, qui cite en exemple la verve des chansonniers, dont les textes seraient d’une autre valeur, selon lui. Je n’ai pas écouté ceux auxquels il fait référence mais qu’il me permette de douter, en tout cas de nuancer : un chansonnier, dans un spectacle, travaille des mois sur un texte, Guillon et Porte travaillaient au quotidien. Qu’il y ait une différence de qualité, je veux bien le croire. Je sais quant à moi que sur Kronix, l’exercice quotidien auquel je me livre m’interdit une littérature de bon niveau. Cela fait partie du genre. Donc, outre que les chansonniers et les humoristes d’Inter ne font pas le même métier, je doute aussi qu’ils explorent le même terrain. Si je rappelle mes souvenirs d’émissions de chansonniers, je revois Amadou et Mabille. Pauvres de nous. Amadou faisait des alexandrins (ce qui est relativement simple, mais fait toujours son petit effet), Mabille et les autres jouaient sur les mots, souriaient et piquaient. Mais à peine, « on est entre gens de bonne compagnie, n’est-ce pas ? Tout ça n’est pas sérieux ». Voilà : le tort de Guillon et Porte, c’est qu’ils ont pris leur travail au sérieux. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils se font une haute idée de l’humour et de sa fonction dans la société. Ils sont de véritables analystes politiques. Ah, comme nos ministres préfèrent les piquants chansonniers, qui égratignent mais ne blessent jamais, qui ont compris, eux, quelles sont les limites à ne pas dépasser, aux féroces chroniqueurs de France Inter, qui tapent et dévoilent leurs vilénies ! Nous savons tous quel effet ravageur a l’humour, appuyé sur un fait. C’est de cela dont il s’agit. Désamorcer des bombes. Et nous voici donc aux frontières de ce qui peut se dire ou pas, c’est-à-dire que nous voici sur le terrain de la censure politique.
J’ai longtemps écouté les émissions de Jean-Luc Hees. J’aimais Synergies. C’était intelligent, subtil, bien écrit. Les chroniques de Val étaient irrespectueuses, assez dogmatiques mais riches, propices à la réflexion. Une émission attendue. Les chroniques de Val agacèrent, la direction de France Inter à l’époque (sous Raffarin, en 2004) coupa l’enveloppe attribuée au chroniqueur. Les auditeurs ne s’en rendirent pas compte : en opposition radicale avec sa direction, Hees continua de recevoir Val, qui ne cessa pas de donner sa vision du monde, bénévolement. Plus tard (je ne sais plus quand), Hees fut congédié par Jean-Paul Cluzel (classé à droite) pour des motifs explicitement politiques. Hees plia bagage sans polémiquer et sans que les bonnes consciences de l’époque n’appellent au boycott. Voilà quelques éléments pour situer les deux hommes qui ont entrepris de licencier Guillon et Porte aujourd’hui. Vous comprendrez que tout jugement demande ici à être nuancé. J’ai beaucoup de respect pour Hees, et je veux le croire quand il déclare que sa décision n’est pas politique. Cependant, les circonstances, le type de nomination de Hees (directement par le président), les amitiés de Val et de la première dame, le fait que Didier Porte soit non seulement viré de la matinale mais aussi de l’émission « Le fou du Roi », constituent de lourdes présomptions. Et pour moi, alors qu’on cite en général Guillon comme « Le » politique du duo, je situe plutôt Didier Porte dans cette catégorie, car ses chroniques distillaient de l’info, plutôt que de s’acharner sur le tout-venant de l’aspect et sur la litanie commune des travers personnels, comme Guillon. De plus, Guillon avait, lors d’une ultime chronique, provoqué ouvertement son directeur et la sanction ne pouvait que tomber, si l’on veut s’en tenir à des considérations de l’ordre de la gestion d’entreprise et des rapports employé/patron. A mon sens, Porte n’a pas commis cette erreur. Il n’a fait, toujours, qu’un travail d’analyste politique sur le ton –évidemment sarcastique et féroce- de la charge humoristique. Il me semble que c’est particulièrement ici que nous avons affaire à une décision politique. Et je suis au regret, la mort dans l’âme, de considérer que l’éviction décidée par Val et Hees, est une décision de « polissage » politique. Pas forcément et pas directement faite à la demande du pouvoir, mais effectuée dans l’atmosphère d’une mise au pas généralisée de l’info. Pour autant, je n’oublie pas que, dans les mêmes matinales dont sont évincés les humoristes, Thomas Legrand poursuit son travail de révélateur et de contre-pouvoir ; qu’à un autre créneau, Daniel Mermet est encore à l’antenne. Seront-ils en place à la prochaine rentrée ? Nous verrons bien alors ce qu’il en est de l’immixtion du politique dans la presse de service public qui, rappelons-le, n’est pas la presse des élus, mais celle du peuple.
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Sondés
Quand les Nébuliens découvrirent la sonde Voyager et le message que les humains avaient inséré dans ses flancs, il y avait déjà longtemps qu'ils connaissaient la planète terre, sa désolation et ses vastes territoires fangeux où subsistaient des formes de vie bactérienne. Ils comprirent qu'ils étaient en présence de l'émouvant témoignage d'une espèce disparue, et que ce geste immémorial résumait peut-être tout ce qu'il y avait à en savoir : des êtres assurés de leur disparition et qui, confrontés à leur propre morbidité, n'avaient pu faire mieux que de dire à l'éternité quel destin inexorable était le leur, sans avoir pour projet de le changer.
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Pompier
Après des jours d'interruption, l'écriture de la pièce « Peindre » exige une concentration très difficile à retrouver, mais dont les efforts qui la veulent faire revenir sont eux-mêmes des vecteurs d'inspiration, et pourvoyeurs d'écriture. Ce qui s'appelle faire flèche de tout bois. Ou feu de tout bois, selon qu'on est dans la métaphore guerrière ou pyromane.
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Cinquième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis, de proche en proche, retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles et le basculement lourd de la porte de la cellule. Sa cellule. Charon attendait l'irruption des visiteurs dont il avait perçu la progression jusqu'à lui, malgré l'engourdissement des drogues. Ils entrèrent. C'étaient quatre matons qui accompagnaient un homme.
Le visiteur considéra Charon. Le prisonnier était assis, menotté, bras en arrière, tête hirsute tombée sur le torse. L'homme écarta la frange qui masquait le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Un gardien approcha un tabouret en s'excusant de ne pouvoir offrir mieux. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. Laissez-moi écrire, souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et si ça le calmait ! ajouta un autre, non : ça l'excite ! ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé des somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Soudain, Charon redressa la tête, fit basculer sa chaise vers l'avant et se projeta tout entier pour tenter de mordre le visiteur. Les mâchoires claquèrent tout près du médecin horrifié. La chaise retomba en arrière et le visage de Charon s'effaça de nouveau. Un gardien ricana. Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » D'une main tremblante, il biffa une phrase dans son carnet. Le détenu murmura quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un... C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Quatrième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles, de proche en proche.
Charon, paumé dans les limbes d'un médicament, perçut à peine l'irruption des quatre matons et de l'homme qu'ils accompagnaient. Ils restèrent dans la cellule tandis qu'il entrait.
Le visiteur considéra l'homme plicaturé devant lui, entravé, menotté sur une chaise. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hmm ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé des somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Charon redressa brusquement la tête, bascula le corps entier sur sa chaise et fit claquer ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il biffa une phrase dans son carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Troisième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles, de proche en proche.
Charon était seul. Il ne fut pas surpris par l'apparition des quatre matons. Ils accompagnaient un visiteur et restèrent dans la cellule tandis qu'il entrait.
Le visiteur considéra l'homme plicaturé devant lui, entravé, menotté sur une chaise. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Charon redressa brusquement la tête et fit claquer ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il biffa une phrase dans son carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Deuxième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit une sorte de feulement. Puis retentirent des claques de ferrures, des pas, le feulement d'autres grilles.
Charon était seul. Il abimait son regard dans la porte de la cellule, face à lui. Il ne fut pas surpris par l'apparition des matons. Ils étaient quatre, qui s'écartèrent pour laisser entrer un visiteur.
L'homme s'approcha de lui, considéra l'homme entravé, menotté sur une chaise qui se tassait devant lui. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendait sa herse entre lui et le visiteur. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas. Enfin, il dit qu'il écrit mais il va tellement vite que ça ressemble à des lignes. Illisible. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. Les gardiens échangèrent des regards embarrassés. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. A ce propos, vous écrivez quoi ? Une espèce de roman ? On m'a dit que vous étiez écrivain avant de venir ici ? C'est ça ? » Charon redressa brusquement la tête et referma ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il prit des notes sur un carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Le Psychopompe II
Rassurez-vous, ce n'est qu'un exercice. Il y a peu, sur un des carnets de moleskine généreusement offert par ma douce, je me suis amusé, entre deux travaux sur mon prochain roman, à imaginer une suite au Psychopompe, qui s'intitulerait "Le Thaumaturge". J'ai produit ainsi quelques pages, et je vous propose ici la première mouture de la toute première séquence. L'idée est de vous faire partager, un tout petit peu, le travail de l'écriture. En effet, demain je posterai une version corrigée, idem le lendemain, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le résultat me satisfasse. La démonstration n'a rien de spectaculaire, et les nuances sont parfois subtiles, mais c'est la façon dont je travaille, personnellement, et je crois n'être pas le seul. Dans l'exemple qui suit, deux éléments ne "bougeront" pratiquement pas : la première et la dernière phrase. La première, pour une référence évidente (pour les lecteurs du "psychopompe") à la première phrase du livre précédent ; la dernière, pour une raison qui m'est propre, qui tient à la mécanique du récit, au développement de l'histoire. Parce que, même s'il s'agit d'un exercice, je ne peux m'empêcher de le construire entièrement.
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit une sorte de feulement. Puis retentirent les claquements des serrures, le bruit des pas, le sifflement des autres grilles, de proche en proche.
Charon était seul, attaché par sécurité. Il abimait son regard dans l'écran de la porte de la cellule. Il ne fut pas surpris par l'apparition des matons, dont il avait suivi la progression dans le couloir, depuis loin. Il en avait sûrement deviné le nombre. Ils étaient quatre, s'écartèrent pour laisser entrer le psychiatre.
Le médecin s'approcha et souleva une mèche de cheveux pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne se donna la peine de lui répondre. C'était évident, Charon était devenu dangereux pour lui et pour les autres. Impossible pourtant de le faire transférer en hôpital psychiatrique. Le juge voulait absolument qu'il soit considéré comme responsable de ses actes et, tandis que les experts débattaient, la prison devait essayer de gérer une pathologie de plus en son sein. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. Je m'assieds. D'accord ? » Il approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux. Les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas. Enfin, il dit qu'il écrit mais il va tellement vite que ça ressemble à des lignes. Illisible. » « Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, il devient complètement taré quand il écrit. Ce matin, il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché sur sa chaise ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. Les gardiens échangèrent des regards embarrassés. « M. Charon, Nathan Charon. J'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. A ce propos, vous écrivez quoi ? Une espèce de roman ? On m'a dit que vous étiez écrivain avant de venir ici ? C'est ça ? » Charon s'ouvrit sur un bâillement burlesque et referma ses mâchoires dans un mouvement de tête, une menace de morsure qui effraya le médecin de façon irrationnelle. Lucas émit une petite toux et recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il aligna quelques mots. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête. « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »