Un article intéressant, à lire sur le site de Télérama.
choses vues - Page 32
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Où en sont les librairies ?
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à carreaux
Les petits carreaux sur les cahiers, n'ont jamais vraiment servi à autre chose qu'à élaborer des abstractions géométriques peintes au stylo quatre couleurs. Si : on pouvait faire des morpions aussi.
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Trop d'amis
Quel paradoxe, tout de même ! La multiplication des amis sur Facebook, tandis que l'expérience de la vie nous apprend à en restreindre le nombre à quelques uns, à peine de quoi nommer les doigts de la main. Les vrais. On sait bien que le terme sur le réseau social est galvaudé, mais il reste cet espoir peut-être que, finalement, un véritable ami pourrait s'ajouter, issu de cette masse indifférenciée de connaissances qu'on se plaît à étoffer, jour après jour. Sur Facebook, les « amis » ont une fonction qui reste accessoire chez les amis véritables que la vie nous a donnés : On veut qu'ils parlent de nous, au moins qu'ils aient connaissance de nos petites vies, de nos bobos et de nos joies. Les véritables amis, par contre, n'ont pas de fonction particulière. D'ailleurs, en général, on les écoute.
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Rencontre du premier type
Un choc contre sa cuirasse de calcaire et surgit une liqueur gluante et translucide mêlée à un germe épais, informe, qui s'aplatit au sol en une lentille jaune brillante. L'oeuf, première ébauche d'alien pour l'enfant imaginatif.
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"Petit"
Le conservateur d'un musée de province fait l'acquisition d'un tableau du méconnu Bernard Lépicié (1735 - 1784). L'œuvre est de taille très modeste (environ 30X45 cm.) mais complète judicieusement le fonds muséographique. Atout supplémentaire, il eut la chance d'être apprécié de Diderot lui-même qui écrivit à son propos : "Ce petit tableau ne manque pas d'allure (…), etc.". Un carton d'invitation, qui fait évidemment mention de la phrase de Diderot, est proposé à l'avis du maire de la ville.
Et le maire biffe le mot "petit".
"Ce tableau ne manque pas d'allure…" etc. -
Lucide
L'autre jour, un titre de magazine accroche mon regard : "12 000 lucides par an".
Surpris, je relis : "12 000 suicides par an." Quelle manipulation a commis mon cerveau pour interpréter ainsi le mot "suicide" ? Je continue ma promenade en mâchouillant les deux mots, leurs possibles connexions. Je sais que l'expression "se suicider" est un pléonasme étymologique, que le mot lucide vient de lux, la lumière, que Lucifer est le "porteur de lumière" (je revois Prométhée – sûrement le modèle de Lucifer – sur son rocher), je questionne sans arrêt le paradoxe de la lumière du lucide et des ténèbres du suicide. Un bref éclair de conscience vous projette dans la nuit. Je repense à la phrase de Beckett dans "en attendant Godot" (de mémoire) : Les femmes accouchent à cheval au-dessus des tombes, il y a un bref éclat de lumière et puis ce sont les ténèbres *…
Je me dis que les lucides passent par le suicide pour retrouver leur pote Lucifer, le premier lucide. Cela me donne de quoi ruminer pendant deux bonnes heures de marche ininterrompue.
Penser, c'est faire du sport.
* Vérification faite : " Elles accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puis c'est la nuit à nouveau." -
Forfanterie chez l'objet
La désillusion guette l'aquariophile : le modèle Dubaï 90 est un bête parallélépipède de verre, sans rapport avec la démesure architecturale du riche émirat. De même, la maison Khéops est un modeste pavillon de banlieue, plutôt même plus modeste que les modestes villas qui attristent les bordures de rocades. Et ne parlons pas du stylo Napoléon et de la ventouse Polyphème, du raccord de tuyau Alexandre, du téléphérique Appolo et de la poêle à frire Brillat-Savarin. Tous objets déprimants, par l'effet-retour de l'émerveillement annoncé en regard de la simple matérialité du machin, aussi terne que ses pairs.
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Camouflet
Le documentaire animalier nous vante la sophistication des rayures du zèbre qui imitent les alternances d'ombre et de soleil de son habitat, mimétisme censé le sauver. Or, ne voyons-nous pas ces pauvres bêtes, promenant leurs robes incongrues sur l'écran d'une savane jaune et rase, à la grande satisfaction de leurs prédateurs ?
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Ils tournèrent leur carabine
Je voulais te dire enfin, toi que j'ai chahuté, que je n'avais pas compris ton courage. Ton projet. Nous étions des gamins ineptes, obtus, aveugles, nous étions abrutis par un ordre poussiéreux qui confinait l'étincelle jaillie sous notre enfance. Et toi, prof de musique, intrus dans cette institution religieuse, tandis que le cours de catéchisme tout près résonnait d'alléluias, tu nous apprenais Jean Ferrat. Et on beuglait « Potemkiiineuu » de l'autre côté de la cloison. Je voulais te dire qu'il a fallu du temps, que le polisson, le cancre, le revêche, était devenu autre et qu'enfin, enfin, il avait compris. Je voulais te dire que tu nous fus utile.
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Les fous du volant
Sur l'autoroute, nous avons échappé mille fois à la mort, les automobilistes se sont concertés dans le projet de nous nuire et ont convergé vers nous, depuis la France entière sans doute. Et que dire du complot des routiers ? ces fous violents dans leurs drôles de machines, manoeuvrant de toutes les manières pour causer notre fin, que dire de l'incurie des pouvoirs publics qui laissent en vie des furieux capables de doubler ! Au moins, qu'on leur coupe les mains, qu'on leur crève les pneus, enfin quelque chose !
Je vous déconseille d'avoir ma douce comme passagère pendant 8 heures de trajet.
Moi, j'essayais d'écouter une conférence de Comte-Sponville sur le bonheur. Entre deux invectives de ma douce lancées aux bolides homicides qui nous cernaient, je captais une référence à Spinoza, une allusion à Sénèque. C'était bien, mais clignotant. -
Chinois
Tiens, je vais manger chinois aujourd'hui (et soudain, je réalise que j'appartiens à une génération qui peut se lancer cette injonction, in petto, sans avoir à mobiliser des armées, des navires, les moyens extravagants d'une expédition, soudoyer des mandarins, enchaîner un cuisinier innocent et le faire revenir, après moult dangers et péripéties, pour me donner satisfaction ; mais simplement traverser la rue. Et puis m'apparais, à la suite de cette première révélation, que tout cela a été fait par des chefs d'entreprise sans que j'en sois alerté, mais bel et bien fait, et j'en éprouve d'inquiétants remords.)
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Comme en flânant
Revenir sous cet arbre, dans cet été où tu me souriais, ou bien, sans plus de nostalgie, attendre le suivant.
Ma vie présente est une patience entre deux périodes heureuses. Et dans ce laps de temps, dans ce creux, je réfléchis à ce que je vais écrire. On annonce de sombres perspectives, notamment économiques (censées conditionner l'essence de nos vies), et finalement, si je suis inquiet pour mes enfants, je dois dire qu'en ce qui me concerne -puisque la vie m'est bonne entre la tendresse de ma douce et un peu de papier, un stylo, les milliers de bouquins qui nous entourent et qui n'intéressent personne- et bien on ne pourra pas me prendre grand chose. Alors...
A la maison, les plus intolérants, les plus égoïstes et malpolis sont les oiseaux, le poney, les chats et la chienne. Au milieu de cette famille à poils et à plumes, les humains font ce qu'ils peuvent pour satisfaire les uns et les autres. Ma douce notamment, qui court, achète, nourrit, s'empresse, panse et abreuve, n'omet pas de caresser et de flatter, de discuter un peu même. Quand je vois l'air blasé de nos chats, repus sur la banquette que nous désirions mais qu'ils ont investie, quand j'écoute dehors le hennissement du poney et son sabot qui frappe le sol dans l'impatience d'être servi et que je tente de manipuler la énième télécommande que la chienne a mordue, je me demande tout de même si nous méritons une telle expiation divine, ainsi donnée par l'entremise familière des bêtes qui voient les humains s'activer pour leur complaire. C'est en cela qu'on peut croire en un pacte secret conclu depuis les temps immémoriaux entre les animaux pour venger l'un des leurs : le serpent. -
Sus aux oisifs
Les autorités commencèrent à trouver très exagéré que les hommes puissent se permettre de ne rien faire pendant tout l'hiver. On mit sur pied une religion qui exigeait qu'on dressât des menhirs. Des gros menhirs, de quoi occuper toutes les périodes d'oisiveté.
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Les autorités commencèrent à trouver très exagéré que les hommes puissent se permettre de ne rien faire pendant que le Nil inondait les champs. On mit sur pied une religion qui exigeait qu'on élevât des pyramides. Des grosses pyramides, de quoi occuper toutes les périodes d'oisiveté.***
Les autorités commencèrent à trouver très exagéré que les hommes puissent se permettre de ne rien faire pendant leur chômage. On mit sur pied une politique qui exigeait qu'on subisse des emmerdements. Des gros emmerdements, de quoi pourrir toutes les périodes d'oisiveté. -
Dans la nuit
Dans la nuit, une pensée s'est évanouie. Une vie.
C'était quelqu'un de bien.
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Les bienfaits du cartilage de requin*
Dans la revue de "la boutique du bien-vivre", Marcel Amont témoigne : « Tous les jours, je ressens des améliorations depuis que je prends votre cartilage de requin... » et Jean-Paul Rouland renchérit : « Quand j'ai reçu le Biopiezo, je souffrais, après quelques applications, mes douleurs ont commencé à s'atténuer, jusqu'à disparaître complètement ! », affirmations assorties de leurs trombines et des photos des machins, bien sûr. Je veux vivre encore assez pour connaître les produits que nous conseilleront Claire Chazal ou Benjamin Biolay.
* ce titre putassier n'a pour seule ambition que de faire grimper le nombre de pages lues de ce blog.
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Ceux et celles qui veillent
Cependant, il se courbe sur son mal. Son corps se réduit et s'amenuise, mais sa conscience en éveil sans doute halète sous la douleur. Et l'on se dit : tiens bon en pensant immédiatement : laisse, abandonne. Et je pense au cauchemar de ceux et celles qui veillent, près du lit ou près d'un téléphone.
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Rire agricole
J'imagine le vieux malade solitaire qui paye ses courses avec un chèque du Crédit Agricole, illustré de la photo d'un beau couple qui se bécote. Bien que tremblante, la griffe s'élargit plus que de coutume, et passe rageusement sur la dentition éclatante des deux jeunes effrontés.
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Biffé
Sur le calendrier, des jours biffés, des semaines barrées, grillagées de feutre. Rendez-vous effectués, anniversaires fêtés, voyages dont nous sommes revenus. Des souvenirs enfoncés sous les ratures, comme des vestiges sous les pelletées de terre. Et puis, là-bas, dans la prochaine colonne, les espaces surlignés de bleu ou d'orange, les vacances à venir, les gens à rencontrer, les fêtes, les repas, les cinoches, les dédicaces des copains, les petits bonheurs en prévision.
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Coup de foudre
C'est qu'il m'arrive d'être absolument, tout d'un bloc, tout surpris de l'être, amoureux des gens ! Parce que l'un d'eux, parce que l'une d'elles, révèle l'excellence de notre condition, élève d'un geste ou d'une parole la médiocrité de tous. Parce que d'un coup, sans prévenir, l'une ou l'un rachète toute la famille humaine. Et là, je suis comme un fou transi, un amant incapable de dire quoi et combien ; un amoureux émerveillé de sa maîtresse et qui en oublie, un instant, tout le mal qu'elle a pu lui faire.
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Chute
Il fallait sortir au plus vite tout ce que le dégât des eaux menaçait quand soudain, l'orage inonda les meubles entassés dans la cour.