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choses vues - Page 28

  • Souriez

    Sur les murs de ce musée, la photo du personnel d'une usine des années 20. Curieusement, le groupe s'est figé sous les consignes du photographe devant un coin de fabrique anonyme, plutôt que vers la porte où la marque triomphante auréolerait les employés. Alignés, des ouvrières essentiellement et quelques jeunes gars, encadrés par des messieurs à col de cellulose qui font des balises éclatantes dans le camaïeu sépia. Les cadres ont la mine sévère des professionnels qui se déjugeraient en souriant ; les femmes ont un visage d'une tristesse affreuse. Toute joie s'évapore à les observer l'une après l'autre. Leurs visages sont étrangement asiates, mongols, leur peau cuivrée. Elles sont de contrées ou l'on cuit au soleil pour arracher à la terre de quoi ne pas mourir. Elles sont de la montagne austère, où il n'était pas déjà fréquent de rire. Mais sur la photo, les faces rangées sont plombées par une indifférence à la vie, un accablement définitif. Une humanité qui ne sait que la double malédiction du travail et de la mort, fratrie indissociable. Aucun espoir, jamais, le labeur constamment et la disparition dans les limbes au terme du trajet. Pas étonnant qu'il ait fallu lui promettre le paradis, après, pour enchaîner ce peuple à sa géhenne.

  • Hors cadre

    Ce jour, autour de moi, ciel ponctué des nuages de Richter, grand pré parsemé de coquelicots de Monet, et des bergers de Poussin, interrogeant une tombe. On ne sait qui imite qui, de la nature ou de l'art..

  • Bad

    L'autre jour, au bureau, le téléphone sonne (ce qui lui arrive de temps en temps, assez naturellement). C'était une erreur. On m'appelle « Monsieur Garnier ? » et va savoir pourquoi, je réponds : « Oui ». Alors le type se lance dans une explication sur un rendez-vous important qu'il veut absolument obtenir de moi (enfin, de ce monsieur Garnier qu'il croit tenir au bout du fil). Je ne le détrompe pas, j'acquiesce à tout. Mon interlocuteur est ravi. Nous prenons rendez-vous, quelque part dans la région de Lyon, non loin du bureau où est censé travailler Monsieur Garnier. Mon inconnu vient de Bordeaux, s'assure des horaires tandis que nous bavardons. Ce sera un long trajet pour lui, mais c'est tellement important, je sens que Monsieur Garnier peut décider de l'avenir de mon infortuné interlocuteur. Il me remercie du fond du coeur. Je lui dis cruellement : « à mardi, soyez à l'heure », il dit oui oui bien sûr, faites-moi confiance et raccroche sur un ultime remerciement mêlé de crainte.

     

    Et voilà, si vous avez cru une seconde que j'étais capable de faire une blague comme ça, c'est que vous me connaissez mal. N'empêche, on l'a faite à un ancien collègue que j'aimais bien, et il a eu le bon goût d'en rire énormément. Après une demi-journée de train, arrivé à destination mais ne trouvant personne, il a fini par appeler son « monsieur Garnier » à lui, en faisant cette-fois le bon numéro et a découvert un type tout étonné, niant absolument avoir pris ce rendez-vous et se proposant, puisqu'il avait fait le déplacement, de se voir malgré tout. Quel numéro avait-il fait, sur quel délicieux enfoiré mon collègue était-il tombé ? On est partagé entre l'hommage et l'opprobre. Disons que j'adorerais avoir l'à-propos de faire une blague comme ça, mais que j'en aurais de tels remords qu'ils m'empêcheraient longtemps de dormir.

  • Monologue en humanité

    Cet après-midi, tandis que Laurent Cachard vous recevra à la librairie Gibert Joseph - Carré de Soie pour célébrer entre autres son prix du deuxième roman, je serai cour d'honneur Jean Puy, à Roanne, dans le cadre de la manifestation « Dialogues en humanité » (d'après une initiative humaniste lyonnaise à l'origine) pour signer les derniers exemplaires de « J'habitais Roanne » encore disponibles.

  • L'étau sera chaud

    Le soleil roule sur le sol sa brûlure, la terre contre lui s'arque-boute et entre ces forces astronomiques, nous autres, bien petits. Quelle force nous avons pour tout de même rester debout !

  • Les enfants prodigues

    Je l'ai toujours défendue auprès de ma douce, quand la discussion approche les clivages politiques : je sais qu'il y a une droite fréquentable, humaniste, digne. Avec celle-là, je veux bien débattre, je veux qu'elle existe, elle est nécessaire à la réflexion. Hier matin j'entends ses ténors : « Dérive droitière », « recomposition » ; ils s'en reviennent tout penaud de leur escapade désastreuse sur les terres brunes. Je suis tenté de leur dire : « Bon retour dans le giron de la République et de la Démocratie, bienvenue, nous sommes heureux de vous revoir. » Mais aussi, me dis-je avec un frisson, si la « stratégie de Grenoble » avait fonctionné, auraient-ils soudain les mêmes scrupules  Où en serait-on aujourd'hui ? Quel crédit donner à une pensée qui s'acclimate si bien de ce qui peut la tuer ?

  • Babiole

    Une enveloppe anonyme, un envoi par la poste depuis Creil (Oise), à mon nom. A l'intérieur, , une pochette plastique scellée qui contient un petit sachet de velours. Et dans le sachet ? Une espèce de merde, de soleil en métal doré à deux balles, broche de mauvais goût dont, en plus, l'épingle est cassée. Si, devenant subitement fou, j'avais l'intention de me coltiner cette horreur, je ne pourrais même pas. Je détaille la babiole : le soleil stylisé est un visage souriant (ben tiens) et son front est orné d'une imitation de diamant en plastique. Dans le genre merdouze, j'ai rarement vu plus laid. Au point que je me demande s'il ne s'agit pas de la vengeance d'un malfaisant (genre journaliste local par exemple). Je plaisante ! (précision devenue nécessaire aujourd'hui). Sérieusement, je ne sais pas quelle entreprise a conçu l'idée tordue de se faire de la publicité anonymement ou quelle admiratrice excessive a cru bon de me faire ce présent. Ou bien il y a un oubli, un billet d'amour, une lettre administrative, une facture qui n'aurait pas été glissée dans l'enveloppe. Enfin, le mystère reste entier, sa résolution ne me cause aucune angoisse, l'anecdote n'a pas le moindre intérêt, sinon celui de m'avoir permis d'écrire un billet de plus. Voilà, c'était mon cadeau pourri à moi.

  • Catherine Chanteloube à Riorges

    P1100729.JPGIl paraît que certains sont entrés en parlant haut, sans la moindre gêne. J'ignore comment c'est possible. Dès le seuil de l'exposition de Catherine Chanteloube au Château de Beaulieu, à Riorges, la beauté et la sérénité vous cueillent, elles vous imposent le silence qu'on doit au sacré. Le recueillement, mais dans le recueillement, une joie qui ne vous quitte pas. Là, des silhouettes d'oiseaux sont alignées sur un fil invisible, hirondelles brodées rassemblées contre un ciel de singalette pour une migration, mais pas pressées de partir. Car on est bien, ici, entourés de la bienveillance et de la générosité de l'artiste. Alors, on flâne sur les deux étages qu'a investi la sculpteure textile, on s'émerveille de l'appel à l'évasion d'« Aquaviva » grande pièce de tissu déroulée depuis le plafond, superposition élégante de formes qui évoque les reflets de l'eau, le miroitement du ciel, un ailleurs inexprimable (« Oh, un rêve ! » s'est exclamé une visiteuse en découvrant ce jeu d'ombres et de transparences), on voyage, on déambule entre les installations et dans son propre esprit. A l'étage, la promenade s'enrichit de la partition sonore de Jérôme Bodon-Clair, impeccable comme d'habitude. De longues pièces de tissu blanc descendent du plafond et sont arrimées au sol par des monticules de terres de couleurs différentes. Les totems hybrides, entre légèreté irréelle et gravité terrienne, font une ronde autour du visiteur qui entre dans le cercle. Et puis, après cette installation intitulée « terre douce », tout imprégné de splendeur, le visiteur est accueilli au coeur d'un nuage de pièces en suspension, une centaine de nautiles et d'ammonites flottent dans la pièce, la voix de la bande sonore sous-tend ce paysage onirique d'une nappe tout aussi suspendue, éthérée. Ici, me confie Claude, qui souhaite la bienvenue à chacun, des enfants ont pu se coucher et rêver, reprendre leur souffle, abandonner un temps leur armure martyrisée. Ils ont reçu un peu de cette générosité qu'offrent les sculptures textiles de Catherine Chanteloube. Et avec eux, l'adulte qui voudra bien laisser à la porte ses colères et ses peurs, aura grand bénéfice à entrer dans l'univers de cette artiste. Pour ses yeux, sa joie, son âme.

    Exposition Catherine Chanteloube, jusqu'au 24 juin, au Château de Beaulieu. Entrée libre.

  • Roman en cours

    Le titre n'est pas encore trouvé (quelle affaire, trouver un titre ! S'il ne se présente pas tout de suite avec évidence, on met des années à chercher le bon), mais l'écriture est bien avancée. Elle devrait s'achever fin juillet, selon mes caculs. Il est très probable que ce gros roman restera inédit mais, sait-on jamais ? Peut-être que les trois ans passés sur ce texte produiront un livre publiable aux yeux d'un éditeur ?

    Les Feigne avaient invité le nouveau maire, Monsieur Mestrel, et son épouse. Amédée et Charlemagne préféraient nettement son prédécesseur, monsieur Plaisant, plus en accord avec leurs valeurs et en présence de qui on pouvait inviter leur curé, mais il fallait absolument cajoler celui-ci, considérer comme rien son affichage trop radical pour être honnête, et discuter avec lui certains aménagements de voirie, certaines souplesses de règlements, des exceptions à la règle, enfin toutes choses qui se négocient autour d'une bonne table. Alma et Charlemagne étaient descendus de leurs appartements pour rejoindre le salon avant le souper. Ernest était admis. On estimait que ses huit ans lui donnaient assez de maturité pour se tenir tranquille le long d'un repas de trois heures. C'était une première tentative dont on lui avait signifié l'importance. On avait beaucoup tergiversé. Dans le salon même, Hortense et Alma s'échauffèrent sur la meilleure place : ici, près de la porte en cas de besoin pressant, au milieu d'eux assis par terre (« mais tu déraisonnes ma fille »), sur la bergère entre ses parents... On lui fit tester toutes les stratégies. Ernest s'asseyait docilement, les femmes considéraient l'ensemble comme on juge la composition d'un tableau, hochaient la tête, faisaient « non », revenaient à une autre idée. Enfin, il était là, sagement à l'écart sur un tabouret tandis que les adultes devisaient autour d'un poiré frais, confortablement installés dans des fauteuils. Ernest observait cette vie, ces échanges incompréhensibles. Il oublierait cette première, n'en retiendrait que la sensation tenace de ne pas savoir quelle est sa place véritablement pour ne la gagner qu'en fin d'une théorie d'incertitudes, un peu par défaut.

    Autrement, hier, belle séance de signatures à l'Espace Culturel Leclerc de Riorges, des amis, pas mal de nouvelles têtes, des discussions intéressantes et d'étranges retrouvailles, venues du fond des âges. Prochaine signature à la librairie Ballansat, à Renaison, samedi 16 juin, de 10 heures à 12 heures. Au passage, je remercie les blogueurs qui se font en ce moment-même le relais de l'information, tentative de pallier le boycott d'une partie de la presse locale.

  • Signature aujourd'hui

    Cet après-midi, signature de « J'habitais Roanne », le livre boycotté par le premier hebdomadaire de ma région (phrase absconse, j'y reviendrai), à l'espace culturel Leclerc, à partir de 16 heures. Merci à tous ceux qui sont venus me témoigner leur soutien, à tous ceux qui ont déjà lu et aimé ce livre, à tous ceux qui viendront pour montrer qu'on peut respirer encore à travers le bâillon.

  • Les hirondelles

    Cette année, elles ne sont pas revenues. Et nous, habitués à leur fidélité, inconsolables devant ces nids déserts, comme des écuelles privées d'offrandes.

     

    (je poste ce billet, ma douce m'appelle : "viens voir". Elles sont arrivées)

  • Check

    La séance de signatures battait son plein, comme on dit. Tandis que je dédicace un livre, je vois du coin de l’œil un couple apparemment intimidé qui n’ose s’avancer. Je finis ma dédicace, les encourage du regard à approcher. Ils font un pas en avant. La dame fait un geste pour me faire comprendre qu’ils ne vont pas acheter de livre, premier point ; second point, elle me demande : « Vous êtes le Christian Chavassieux qui était dans telle école, à tel moment ? ». Oui, réponds-je. Elle me dit qu’elle était dans ma classe, me donne son nom qui ne m’évoque rien ou très vaguement et me salue avant de repartir. Elle était venue vérifier, c’est tout. Je ne sais toujours pas quoi penser de cette irruption.

  • Barbus

    Ma douce me fait souvent remarquer que les barbus sont des gens biens. Un barbu apparaît à la télé. Discours du barbu. Valeurs humanistes, défense du partage, projets généreux, engagement dans la culture ou la solidarité... Souvent, étrangement, son raisonnement absurde tombe juste : le barbu, selon nos valeurs, est un type bien. Le fait que je sois barbu n'a bien sûr aucune influence sur la manière de voir de ma douce. Et tout aussi certainement, les Talibans sont l'exception qui confirme la règle.

  • La chanson engagée

    J'écoute la chanson de Dominique A « Rendez-nous la beauté, le monde était si beau et nous l'avons  gâché » ça me dit quelque chose. Ah, Voyons. Ces paroles fortes, cette dénonciation de la bêtise humaine, cet engagement sans compromis, cette révolte. où ai-je déjà lu ça ? Oui, ça y est : dans mes poèmes quand j'avais douze ans !

  • Propos de Gilly

    Dans mon pays, l'année Rousseau a avancé à pas mesurés, voire timides. A Chambéry, pays où vécut Jean-Jacques, et dans toute la région, un grand nombre de manifestations fait la part belle à l'auteur des Confessions (je saisis l'occasion pour évoquer ici « l'émail des prés », exposition de la photographe Yveline Loiseur, installée aux Charmettes, lieu où vécut Rousseau, jusqu'à la fin de l'année). La bibliothèque de Gilly-sur-Isère, petite commune non loin d'Albertville, n'est pas restée en retrait et a organisé exposition, rencontres, débats autour de l'écrivain. J'étais invité dans ce cadre pour évoquer le genre autobiographique, puisque « J'habitais Roanne » ressort sans doute de cette forme.
    A Gilly, c'est vrai, je me sens un peu chez moi. Malgré la distance je pense souvent à ce petit monde là-bas qui, sous la houlette de Marielle, s'active pour faire vivre la littérature. Des liens se créent. Trop inhibé pour lancer des déclarations tonitruantes, je dis seulement que je suis heureux d'être invité, alors que j'en suis profondément touché, voire un peu confus. Mais passons. Il était donc question d'autobiographie. On a tendance à chercher de lointains ancêtres du genre, mais force est de constater, rappelait Laetitia Agut, professeur de lettres qui assurait une présentation de cette littérature en première partie, que Rousseau en est l'inventeur. Saint-Augustin ou Montaigne ont produit des essais, souvenirs, formes introspectives certes, mais qui ne répondent pas aux critères du « pacte autobiographique » établi par Lejeune en 1978 avec cette définition célèbre : « récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité ». Règle amendée plus tard légèrement (Lejeune est revenu sur le critère de la prose, trop restrictif) mais toujours valable, et que justement les auteurs du vingtième siècle ont tenté d'éprouver. Des auteurs comme Pérec ont questionné les limites du genre (voir « W »), travail qui a ouvert la voie, pour faire court, à l'autofiction. Cette littérature qui provoque agacement et perplexité chez certains auditeurs de la conférence, a initié un débat -orienté ensuite sur la question de la sincérité et de la vérité- avant que j'entre en scène. Laetitia, chauffeur de salle, quelle promotion !
    Ensuite, c'est à nous. Marielle impose le vouvoiement, une façon de ne pas transformer la rencontre en dialogue entre deux vieilles connaissances, et de diriger la parole vers le public. Marielle a beaucoup travaillé comme d'habitude, fait des passerelles entre mon dernier livre et -surprise- un passage d'une préface écrite pour le livre de l'artiste Christine Muller (« êtes-vous débarrassé ? » Réponse : « Non »), saisit dans la conclusion de « J'habitais Roanne » une phrase inattendue (« l'insatisfaction à subir le monde tel qu'il est »), où elle pense me retrouver tandis que je croyais parler de Roanne. Je dois admettre qu'elle a raison. Il sera question du « J' » de « J'habitais Roanne » dont j'explique la valeur d'outil pour la compréhension de ma ville. Il sera question des lieux et des notions qu'ils véhiculent, intimement, pour moi. L'occasion de parler des bibliothèques et de la valeur d'amour de l'humanité dont elles sont, selon moi, la grande preuve. L'occasion d'évoquer des lieux ensevelis, disparus, où l'enfance ne peut plus promener ses pas et de la sensation de l'éphémère du monde. Pas de nostalgie, mais le constat que tout est périssable, y compris les paysages, les habitats, et jusqu'aux villes et aux civilisations, mortelles, comme on sait depuis Paul Valéry.
    Je reviens aussi sur cette notion paradoxale : je considère qu'« on a toujours raison de partir » et pourtant je suis un sédentaire. Ne nourrissant aucune ambition, j'ai décidé (mais vraiment décidé), de rester ici. J'ai donc vécu, hors pour les études, toute ma vie à Roanne. C'est donc ce « J' », (pas « Je », voyez la nuance. Dans mes carnets de notes, le narrateur était noté « J' ») imprégné de ma ville qui sert de guide pour la comprendre. Et il doit être là, ce « J' » , pour incarner les lieux, les rendre vivants et palpables au lecteur. Quel lecteur, demande Marielle : pour qui écrivez-vous ? Dans le cas qui nous intéresse, je réponds sans hésiter : les Roannais, même si les non-roannais sont conviés à venir faire un tour et surtout, à partager mes méditations sur la vie et la ville, devenue la Ville exemplaire, selon Daniel Arsand, le préfacier. La réponse aurait tout autre il y a quelques années. L'idée du lecteur a évolué entre la période où j'écrivais pour moi-même et celle où je sais (par exemple ici) que le livre sera édité. Le lecteur alors prend une épaisseur. Ici, qui est-ce ? J'avais en tête tous les noms que je mets dans le livre. Mais selon un principe d'universalité assez répandu, nous sommes tous ce « J' », cet « homme qui marche ».
    « J'habitais Roanne » ressort donc du genre autobiographique, et il m'a fallu lutter longtemps avec ma préférence, mon appétence naturelle pour la fiction. Quand on dit « je », quand on écrit à la première personne, on se dévoile, pense-t-on. Est-ce difficile ? Pendant sa présentation, Laetitia Agut rappelait que pour Gide, paradoxalement, la fiction nous aide à aller plus loin que dans la supposée sincérité de la vraie vie. Ce n'est pas si difficile donc, puisque je crois que l'on se protège en écrivant « Je » ou en tout cas, on inhibe, on reste en retrait. L'implication de soi importe et va influer, mais n'est pas la garantie d'un dévoilement absolu, bien au contraire.
    Un autre grand théoricien de l'autobiographie, Jean Starobinski s'est intéressé à la recherche de style dans le genre autobiographique. Marielle me demande si l'exigence de l'écriture n'interfère pas avec la recherche de sincérité (Annie Ernaux est-elle plus sincère que moi ? L'écriture sèche et méfiante à l'égard des séductions de la littérature, « mettre de la honte » dans ses livres, est-ce là aussi une garantie d'authenticité ?). J'ai peu de temps pour y réfléchir, face au public, mais je maintiens ma réponse donnée ce soir-là : Je ne pense pas que le style nuise à la sincérité. Et plus largement : l'autobiographie dit-elle une vérité ? Le souvenir est une fiction, ontologiquement, il faut l'admettre. Et il me semble qu'à cette aune, l'autofiction est d'une certaine manière plus honnête que l'autobiographie, puisque la part de fiction qui la traverse est revendiquée.
    « J'habitais Roanne » s'achève par un petit gag. Un épilogue d'une ligne revendique mon appartenance à la fiction, mon véritable univers. Je n'aurai dérogé qu'une fois, ici, pour ce livre, et c'est bien suffisant. Désormais, oui : je retourne à la fiction. Place à la vérité des personnages inventés. En quelque sorte, c'est le sujet d'un roman qu'un éditeur veut bien publier à l'automne 2013. Vous allez être surpris. Je réalise à quel point tout mon travail est en connexion, décidément.

  • "JE SUIS NOIRE MAIS JE SUIS BELLE"*

    A l'heure où vous lirez ces lignes, je serai dans le train de retour de Gilly sur Isère. Je vous laisse donc un billet ancien, et merci de votre indulgence. Il était question d'une petite annonce parue dans la presse (me demandez pas où) en ces termes :

    "Jeune Noire cherche compagnon. Origine ethnique sans importance. Je suis belle et j'adore m'amuser. Je raffole des grandes promenades dans les bois, de ballades en 4x4, de chasse, de camping, de sorties de pêche et de soirées où je suis confortablement allongée auprès du feu. Je serai à votre porte quand vous rentrerez du travail, ne portant sur moi que ce que la nature m'a donnée. Embrassez-moi et je suis à vous. Composez le (404) 875-WXYZ et demandez Daisy."

    Plus de 15.000 hommes ont répondu à cette annonce et ont découvert qu'ils avaient appelé la SPA au sujet d'une chienne Labrador de 8 semaines...


    * (Cantique des cantiques)

  • Ce soir à Gilly.

    Je suis à Gilly sur Isère ce soir, comme je l'ai annoncé il y a peu. Je vais essayer d'y expliquer comment le « Je » de « J'habitais Roanne » (que j'écris d'ailleurs dans mes notes, le « J' ») est un outil de compréhension, plutôt que la figure incarnée propre à l'autobiographie. Je vais tenter de dire aussi pourquoi, malgré les apparences, les lieux visités de ma ville, ne sont pas les supports de la nostalgie. Je vais surtout essayer de ne pas m'égarer en chemin, car la digression est mon grand mal.
    Je pense bien sûr à ma douce qui n'a pas pu m'accompagner et lit ces lignes.

  • Apartheid

    A l'accueil de ce musée que je connais bien, un couple de retraités se présente. Le monsieur tient un caniche sous le bras. Le garçon à l'accueil a des consignes strictes : les chiens sont interdits dans les salles. Scandale des touristes, réponse aimable du fonctionnaire. Ils insistent, il tente d'expliquer. Enfin, le couple abandonne mais madame glisse une phrase triomphante avant d'abandonner le terrain : « En plus, je suis sûr que les étrangers peuvent entrer, eux. » Le petit caniche était tout blanc.

  • Observation

    Mais l'arrosoir, qui accumule l'eau et restitue la pluie, n'est-il pas un nuage à la forme excessivement étrange ?

  • Médiathèque Moebius

    Il y a des débats de moindre importance, d'accord, mais pour les dessineux que je connais, ce n'est sans doute pas négligeable. Je copie/colle l'appel ci-dessous :   

    "Actuellement, un concours est lancé pour donner un nom à la future médiathèque du Grand Angoulême. Les noms retenus ne font pas référence à la bande dessinée (!). Le seul qui pourrait s'en rapprocher est « alpha bulle » (A vous de juger…).

        Depuis des années, bénévoles, professionnels, auteurs, presse et municipalités successives se sont battus afin qu’Angoulême soit La ville de la bande dessinée. Cela n'est pas remis en cause. Angoulême, c'est la BD.

        Mille sabords, au moment où il s’agit de baptiser ce futur monument culturel de la ville, cette réalité est balayée d’un revers de main.

        Une initiative a été lancée pour proposer le nom de Moebius. Ce serait en effet un bel hommage rendu à Moebius lui-même, à la bande dessinée, à la création, au talent. Par ailleurs, Angoulême serait la 1ère ville à donner le nom d'un auteur de bd à une médiathèque… Et quel nom !

        Pour que cette idée devienne réalité, nous avons besoin de vous, passionnés de bd mais aussi, relais d'opinion, medias d'information.

        Le concours "officiel" s'achève mi mai. Il nous faut donc faire vite pour mener une mobilisation qui dépasse les clivages politiques et qui continuera de donner tout son sens à notre action : la passion, la reconnaissance de la bande dessinée avant tout. Et pour Jean lui-même, l’inscription de l’universalité de son œuvre notamment dans cette ville qui lui a décerné le Grand Prix en 1981.

        Pour cela, il suffit juste d'adresser un mail de soutien à cette initiative à l'adresse suivante: moebiusmediatheque@gmail.com. Vous même, à titre personnel pouvez bien sûr souscrire à cette démarche.

        Nous vous remercions d’avance de l'aide que vous pourrez nous apporter en relayant cette proposition.

        Bien cordialement

        Francis Groux

        Co fondateur du festival de la bande dessinée d'Angoulême

        Delphine Groux"