L'antisarkozysme est donc, selon la communication du président-candidat, une invention de l'élite parisienne, élite intellectuelle ignorante des difficultés des vrais français. Et bien en effet, je peux témoigner de l'ignoble entreprise de déstabilisation de ces fichus gauchistes, jusque dans nos campagnes. Car ils envoient des agents déguisés dans toute la France ! Pas plus tard que la semaine dernière, j'étais dans le car qui me ramenait chez moi. Je lisais un bouquin (et oui, et voilà...), mais j'écoutais la conversation engagée entre un membre de l'élite parisienne déguisé en chauffeur de bus et un autre membre de l'élite parisienne déguisé en dame âgée avec un accent portugais. On voyait bien qu'il s'agissait d'agents de la cinquième colonne bobo parce qu'ils n'en finissaient pas de taper sur notre président et de souhaiter son départ, avec des termes éloquents, voire un peu grossiers. C'est pas des gens du peuple qui auraient parlé comme ça. Sûrement pas. On voyait bien le bagage théorique de ceux qui n'ont à faire que lire toute la journée. Saloperie d'élite parisienne !
choses vues - Page 29
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L'élite
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Ce que veut le public
Le gamin sorti tout juste de son école de journalisme me soutient que, dans l'hebdomadaire où il travaille, il et tout naturel de faire des articles sur « ce que les gens demandent ». Et surtout rien de plus. Courroucé, je relève que c'est l'alibi de toutes les médiocrités, de tous les nivellements par le bas et une sacrée vanité de préjuger de « ce que les gens demandent » à leur place. Je le supplie de considérer que les auteurs, les artistes, les créateurs les plus confidentiels, espèrent aussi toucher un public plus large et qu'au moins, un journal comme le sien peut participer à cet élargissement. Nous nous querellons un moment quand, à bout d'argument, le gamin me lance : « Et bien faites-le vous, faites-le ce journal ». Mais, petit morveux, on l'a fait, il y a longtemps, tu n'étais même pas né. On l'a fait sous toutes les formes : écrite, télévisée, radio. On ne t'a pas attendu. Simplement, on se lasse et puis, après tout, chacun son métier. Ceux qui savent créer doivent se contenter de faire ce pour quoi ils sont nés. Enfin, aujourd'hui, dans notre région (pas au sens administratif, au sens très local), ce médium existe, il est mensuel et s'appelle « La Muse ». Bien que polémique (ou grâce à cela), c'est devenu le magazine culturel majeur et incontournable de ma ville. Il faut dire que la PQR, ici, a laissé tout le champ libre (et pour cause : « moi je suis pour donner aux gens ce qu'ils demandent. » répète le jeune plumitif sans saisir qu'il participe ainsi et bravement à la bêtise systémique dénoncée par Stiegler). J'aurais l'occasion d'en reparler le mois prochain (pas du journaliste inconséquent ni de Stiegler, mais de la Muse).
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Partie de cache-cache (une autre)
Dans la cour du bâtiment, une classe d'une trentaine d'élèves joue à cache-cache pour passer le temps. Curieux choix : l'architecture n'a ménagé aucun recoin, aucune niche ou angle en saillie. Les seuls endroits susceptibles d'abriter les joueurs sont six énormes bacs où poussent des palmiers. Celui qui a été désigné décompte scrupuleusement, face au mur tandis que ses camarades courent, furètent, ne trouvent rien. et finissent par se réfugier par grappes derrière les bacs. Ils s'échangent des consignes de silence, se serrent les uns contre les autres pour ne pas dépasser des limites des bacs. Le gamin finit son compte, se retourne, regarde la cour quelques secondes et lance : « Derrière le palmier ! ». Les trente gamins surgissent de derrière les cachettes par paquets en râlant.
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The hills are alive with the sound of music
Dans cet hôtel, assez loin dans la montagne, à l'écart des grands axes, la direction a tout de même perçu les vastes mouvements de la mondialisation. Elle s'est pliée à l'exercice et affiche une présentation, en anglais et avec photos, du personnel de l'établissement. Une dizaine de portraits sont donc affichés, appuyés d'une phrase qui précise les aptitudes de chacun en langues étrangères. Invariablement, à côté de chaque employé, on peut lire : « speak french »... et rien d'autre. Je trouve charmant qu'on prévienne le touriste britannique égaré, qu'ici, de toute façon, personne ne peut rien pour lui.
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Je vous ai apporté des bubons
En ce moment, je navigue parmi des centaines de photos de lépreux, prises en Afrique dans les années 30. Au stade terminal, ça fait mal. Les nécroses boursoufflent les visages, gomment les nez et les mentons, finissent par avaler les mâchoires et des moitiés de face. Je ne sais quelles souffrances ont enduré ces pauvres gens, mais l'impact des images est sidérant. Je mange assez chichement, ces jours-ci.
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Nous, les faibles.
Ces combats que nous n'avons pas menés, laissés à d'autres. Plus forts que nous, plus intelligents que nous, plus combattifs ou résolus que nous. Et qu'ils ont perdus. Nous n'avions pas perçu que nous étions les renforts, l'assise, l'arrière. Qu'en notre sein naissait la vague suivante. Tout accablés de notre faiblesse, nous n'avions pas vu que nous étions leur socle. Et qu'ils avaient besoin de nous.
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Creuser l'idée
Il y a bien un moment où ça a commencé. Je veux dire : D'où est partie la première taupe, l'ancêtre de la taupe, le taupodonte ? C'est une énigme, ça... Si l'on considère qu'une taupe ne quitte son terrier que pour sortir pisser (et encore : je ne suis pas sûr), il est évident que son lieu de naissance se trouve au bout, au tout début de sa galerie. Galerie qui est elle-même l'aboutissement des galeries convergentes de papa et maman taupe, qui eux-mêmes... Donc : en remontant n'importe quelle galerie de taupe, on doit pouvoir remonter à la première de l'espèce. Ça me semble imparable. Bon, je sors, je crois qu'il y a une taupe dans le pré en bas.
(creuse, creuse, creuse....)
Incroyable découverte ! Vous n'allez pas me croire ! -
Pré#Carré
Vendredi 23 mars
A la Médiathèque de Neulise
Hervé Bougel a dit :
« Ce qu'on a à dire d'essentiel aux autres me paraît tenir en quelques mots :
Je t'aime, tu m'emmerdes, etc.
Après, c'est autre chose »
(il n'a pas dit « c'est de la littérature » mais il a ajouté :
« ...c'est Victor Hugo et c'est un autre monde. »)
Pour illustrer le principe,
Christian Degoutte a lu
un texte édité par Bougel au Pré#Carré
« Il neige », de Joseph Beaude.
« Vient un jour où les images
n'infectent plus la langue
on peut dire il neige quand il neige »
Typique de cette poésie précise et légère à la fois,
défendue selon Degoutte par Hervé Bougel
(« la poésie considérée comme parole première se tient bien à l'aise dans ces petits formats »)
qui suit en cela les pas tracés par Roland Tixier, du pré de l'Age.
Hervé Bougel (RVB par goût du signe et du langage)
publie cette année son 72ème recueil carré, plié et cousu main,
avec ses belles couvertures
précieuses et pensées.
Si l'on ajoute d'autres publications aux formats différents
(autres collections : « pas à pas », co-éditions ; des textes de Pierre Présumey, de Christian Degoutte, de Fabrice Vigne...)
on réalise que RVB a mieux que poursuivi le travail de Tixier, il l'a prolongé, conforté, peut-être dépassé d'une certaine manière.
Pour se faire une idée, mieux vaut aller batifoler du côté de son blog,
de mauvaise foi et très intéressant
Plein de gens voudraient aider Bougel, à plier, coudre, f
aire ce « travail d'abruti » qu'il affectionne,
mais il est de son propre aveu « très difficile à aider »
Non, le mieux, pour lui donner un coup de main, c'est de s'abonner.
Recevoir quatre fois par an ces petits bijoux.
« On peut avoir des dizaines de livres chez soi,
mais ça, ce n'est pas n'importe quels livres,
après des années, on peut y revenir,
leur qualité est toujours là. »
explique Christian.
Et c'est vrai. -
La petite maison
Une promenade sous un beau ciel de février a mené nos pas loin de chez nous, parmi les collines qui arriment la Bourgogne au Charolais. Quatre heures de marche sereine et émerveillée. En haut d'un coteau, contre la crête d'une forêt, nous remarquons une maison. Nous l'avons repérée de loin parce qu'elle est seule dans ce paysage. C'est une vieille maison de bois mais retapée intelligemment avec de grandes ouvertures vitrées et sûrement pas mal de moyens. Et puis, dans le grand pré qui la sépare de la petite route où ne passe pas une voiture par demi-journée, un jeune père joue avec son petit garçon au cerf-volant. Les seuls bruits que nous percevons sont ceux de nos pas et de nos respirations, le feulement de l'air contre le cerf-volant et les cris de joie du gamin. Nous avons dépassé leur hauteur, avons continué le chemin presque en baissant la tête, se faire le plus petits et discrets possibles, comme si nous risquions de déranger un ordre sain par notre intrusion. En nous retournant, nous découvrons qu'aucun fil électrique ne relie la maison aux poteaux électriques les plus proches, au bord de la route. On ne peut s'empêcher d'imaginer le bonheur d'une petite famille, fermée autour d'un poêle et quelques livres, des gens qui ont fait le choix de l'isolement pour vivre, au moins quelque temps, un an ou deux, coupés du monde. En paix. Nous en conservons le souvenir jusqu'au retour, le souvenir qui nous marque d'un sourire tenace. Sourire que je retrouve tandis que j'écris ces lignes, deux semaines après.
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Nuitamment
Une amie m'accompagne jusqu'à la salle de bains dans une maison que je ne connais pas. Elle me fait entrer. Dans la pièce, je regarde la cabine de douche, la baignoire... Je sens une hostilité, toute envie de me doucher me paraît absurde soudain. J'en suis convaincu, il y a quelque chose de dangereux ici, il faut que je sorte. Je me retourne, la porte a disparu. Il n'y a qu'un mur que je palpe en hurlant de peur. De l'autre côté, j'entends l'amie qui m'a accompagné tenter d'ouvrir la porte : « C'est bloqué » dit-elle, affolée par mon cri. Je hurle de toutes mes forces et me réveille enfin, le coeur cognant violemment.
Je suis mort. Pas en train de mourir. Mort véritablement. Dans l'obscurité, je distingue une entité faite de lignes noires, une sorte d'assemblage de filets de plastique brûlé ou d'éclats d'obsidienne. L'entité cherche à m'enfoncer plus loin dans la mort. Il faudrait que je sois encore plus mort, apparemment. Je ne me débats pas, je ne suis qu'une ombre incertaine, je comprends que je m'éloigne du niveau où j'étais pour sombrer plus profondément dans les limbes de la mort. Je me réveille, en proie à une détresse inexprimable.
C'est pour vous dire le genre de cauchemar que je fais. -
Carré blanc
Le congélateur est tout de même le moins classe des appareils électro-ménagers. Aucun designer ne se penche sur son cas pour modifier ses formes invariablement parallélépipédiques. Une circonstance atténuante est que, contrairement au superbe aspirateur qui a inspiré toutes les fantaisies, lui fait correctement ce qu’il a à faire.
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On m'y reprendra, tiens.
Pendant la récente période de neige et de froid intense, les miettes dispersées sur le balcon avaient un franc succès auprès des petits oiseaux des environs. A présent qu'une relative douceur est revenue, nous sommes un peu vexés de constater que la nourriture toujours disponible, ostensiblement répandue, ne séduit plus personne. J'ai éduqué mes enfants dans l'horreur du gaspillage de la nourriture, et voilà que ces piafs dédaignent la nôtre, pourtant excellente ? Au plus fort du prochain hiver, je me plante sur le balcon et je bouffe les miettes sous leurs yeux en ricanant méchamment.
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Partir de Facebook, mais pourquoi ?
J'ai désactivé mon compte Facebook. Le réseau social ne vous lâche pas si facilement : il faut trouver le paramètre qui permet l'opération (merci les forums) et surtout répondre à une question : « pourquoi ? » Pourquoi voulez-vous quitter ce si magnifique merveilleux moyen de communication ? On vous propose une liste de raisons, parmi lesquelles j'ai choisi « passe trop de temps » ou une formulation qui signifie ça. En réalité, un de mes derniers liens mis sur ma page, bien innocent, pour saluer l'ouverture d'un sex-shop à Casablanca, m'avait valu la vindicte d'un « ami » ivre de religion et convaincu qu'il s'agissait d'une preuve supplémentaire de mon racisme. Le même s'était étonné qu'un jour je défende un musulman. L'incompréhension, la haine de la différence, maintenue au feu de plus de 15 ans de vie politique animée par le FN, rend presque impossible un dialogue serein avec les plus frustrés. Du coup, chacun reste sur ses positions, rien n'avance. C'était un peu long à expliquer aux administrateurs de Facebook, alors oui, j'ai coché : « passe trop de temps ».
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A chaque jour suffisent deux peines
Saluons comme il se doit la naissance d'un blog nouveau (comme il se doit, c'est-à-dire en la saluant, c'est un peu redondant je vous l'accorde, mais ce doit être l'émotion) : Calamités quotidennes. Au pluriel, "calamités", parce qu'il commence d'emblée avec deux billets, le bougre.
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L'accident
Quelques heures d'écriture et puis basta, ce jour-là, je sors de mon écran, de mes notes, etc. Je fais un peu de rangement dans le bureau, classe quelques dossiers, des livres, en profite pour passer un coup d'éponge dans la cuisine, nettoyer deux ou trois bricoles. Soudain, des pas dans l'escalier, une escalade précipitée. Irruption de ma douce, affolée, remontée en urgence de l'appartement du dessous où elle assiste ses parents : « ça va ? Tu es malade ? » (aucun second degré, elle est vraiment angoissée à l'idée que je m'occupe d'autre chose que d'écrire). Je la rassure : j'avais prévu un coup de balai mais comme je ne veux pas l'inquiéter davantage, je m'arrête immédiatement. Après quelques négociations, je parviens à obtenir de faire à manger, exceptionnellement. La vie est dure.
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Roanne en approche
C'est donc Daniel Arsand qui signe la préface de mon prochain livre « J'habitais Roanne ». Je dois dire que c'est un parrainage qui m'honore. Surtout que, avant d'écrire la préface, cet auteur (dont j'ai beaucoup aimé au moins trois ouvrages : « La province des ténèbres », « Ivresses du fils » et « Un certain mois d'avril à Adana »), m'a adressé moult compliments en découvrant mon texte. « Vous êtes un écrivain, un vrai de vrai » étant la phrase qui dépasse les autres à mes yeux, vous vous en doutez (toujours cette hantise de l'imposture, vous savez...).
La couverture est signée de Jean-Marc Dublé, mon ami mon frère mon poteau. Et elle est superbe. De son côté, Jean-Luc Rocher peaufine une mise en page de grande qualité (belle typo, belles grandes marges blanches, format opulent, lecture confortable). Enfin, ce livre qui a vocation a n'être lu que par des Roannais (et encore), sera sans doute un bel accomplissement. Et moi, et bien, ça me suffit. -
Le retour de la vengeance de Cloclo
Je vois approcher avec inquiétude la sortie du biopic sur Cloclo. Vais-je devoir devant tous, tandis que la France entière se recueillera dans la dévotion, qu'une nouvelle génération aura accès à ce phénomène musical, avouer mon aversion pour ce chanteur, sa musique, ses mouvements de danse, sa voix, ses costumes, ses paroles, sa vie, sa coupe de cheveux ? Vais-je pouvoir, aurais-je le droit de seulement murmurer à quel point sa carrière me fut insupportable, à quel degré d'agacement physique ses bêlements m'amenaient ? Au point, je le jure, d'avoir ressenti dès l'enfance et encore aujourd'hui, une sorte de picotement le long des vertèbres dès les premières mesures de « Alexandrie » ou du "Téléphone pleure". Quant à « Si j'avais un marteau », en l'écrivant, déjà, je sens une sorte de haine m'envahir. C'est inexplicable, viscéral, ce chanteur en plastique avec ses paillettes m'a toujours donné des envies de meurtre. Comment faire ? Comment vivre la cloclomania qui va tout submerger dans les jours qui viennent ? On va me jeter des cailloux, on va me trouver anormal, on va me suggérer l'exil par charité. Dire que ce type et ses épigones ont pourri mes années d'innocence. Enfin, voyons les choses de façon positive : Claude François m'a endurci et préparé aux dures lois de l'existence. Sans lui, enfant protégé, j'aurais pensé que le monde, dehors, ne recelait aucun danger, n'était que bonté et authenticité. Petit, ambitieux, colérique, factice, bling-bling... finalement, il m'aura préparé au pire, qui allait survenir des années plus tard.
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Bilan carbone
La ville est sillonnée par d'énormes 4x4, noirs et luisants comme des corbillards, conduits par de petites blondes, seules. Chacune ne doit pas peser plus de 50 kilos, sac à main et bijoux compris. Ça fait cher le transport, au kilo de pétasse.
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Hier, Golden Triangle à Villeurbanne
Le dispositif est une architecture ouverte, aérienne et blanche, où se lit pourtant le présage d'un enfermement possible. Dès la première seconde, on assiste à la course éperdue d'un homme entre les montants de la structure. Fugitif, souris de laboratoire jetée dans un labyrinthe, simple symbole de la condition humaine ? L'identification est instantanée. La structure à base de carrés entrecroisés, ce sera tout l'espace scénique, ce sera tout l'univers. Aux spectateurs de le comprendre, de s'y inviter, de participer. La circulation du danseur se heurte aux frontières que deux hommes, mécaniquement, froidement, matérialisent par des sangles de couleurs tendues entre les solives blanches. Une angoisse naît. Angoisse du danseur, montée de la musique, anxiété à laquelle concoure plus ou moins volontairement le spectateur qui se décide à pénétrer entre les montants de bois.
Il existe une tentation peut-être cruelle d'anticiper le jeu, d'aller au bout de la logique et de participer au confinement du fou qui se débat dans des espaces de plus en plus petits, pour voir. Les sangles se multiplient, s'additionnent toujours aussi mécaniquement, par gestes chorégraphiés au millimètre. Au fil du temps, le réseau de sangles réduit l'espace d'expression du danseur, le public le plus volontaire s'est aventuré au plus près du danseur. On pourrait craindre l'emprisonnement, la peur. Mais les ruades révoltées ont eues lieu, les secousses et les velléités de dépassement, tout cela s'est effectué sous le regard de tous. Nous n'en sommes déjà plus là. A la fin, quand il ne reste plus au danseur qu'un triangle restreint, c'est l'apaisement qui survient. Pas la résignation ou le découragement, mais la certitude qu'enfin, chacun a trouvé sa place. Et, les bras ouverts, solaire, l'homme en son triangle irradie de sérénité.
En une demi-heure, grâce à la complicité entre un musicien (Jérôme Bodon-Clair), un danseur (Philip Mensah) et un plasticien (Mark Klee et son assistant), ce spectacle hors-norme construit une histoire muette, fait vivre à tous, public et « agents », une expérience absolument commune, une symbiose rare. Tous lancés dans le même élan, les humains accueillis ce soir-là au Mikrokosm : spectateurs, danseur, musicien, plasticiens, ont vécu et généré quelque chose de l'ordre du mythe.Golden Triagnle est une coproduction NU laboratoire Compagnie, Mikrokosm (Villeurbanne) et Carré Currial (Chambéry), sur une idée orginale de Jérôme Bodon-Clair.
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N.
Je ne l'avais vue que deux ou trois fois, beaucoup appréciée parce qu'elle était le symbole d'une exigence dans l'écriture, j'avais lu ses textes impeccables et inspirés. Mais je n'étais pas un proche. Quand un ami à elle (presque un parent tellement ils se connaissaient bien), nous a appris la mort de N. dans un mail laconique, hébété, assommé, j'étais sous le choc. J'ai appelé cet ami, redoutant les précisions qu'il allait me donner, et en effet : N. s'était suicidée. Submergé d'émotion, j'ai fondu en larmes incontrôlables, malheureux de cette démonstration, tandis qu'à l'autre bout du fil, un de ses amis les plus proches serrait les dents et affrontait sa douleur avec dignité.
J'ai mal dormi ensuite, enfin encore plus mal que d'habitude je veux dire. Remuant les souvenirs de N., le peu de souvenirs que j'avais, le visage de N. souriant, N. lisant un texte, etc., mais surtout, mêlé à l'émotion que je ressentais, le sentiment que ma souffrance était illégitime. Que moi, qui l'avais si peu connue, je n'avais pas le droit de sembler plus accablé que ses amis intimes. Je voyais ma peine comme une indécence et m'insultais intérieurement d'une telle obscénité.
J'ai longtemps hésité à me rendre aux funérailles, pour la même raison. Finalement, in extremis, j'ai décidé de m'y rendre, ma douce m'a accompagnée. Elle connaissait bien N. aussi. Nous sommes restés au fond pour ne pas être vus. Je n'ai pas pleuré, cette fois. Comme un qui a compris ce qu'est la vraie douleur.