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Matières à penser - Page 6

  • 3316

    Jouer avec ses doigts dans la lumière pâle du jour, observer les errements d'un papillon, méditer en regardant le balancement des arbres contre le ciel, fixer les motifs changeants et pareils d'un tourbillon dans la rivière. Je ne peux pas affirmer que c'est important, mais ça m'a occupé pas mal d'après-midis dans l'enfance, et il se trouve que beaucoup d'idées que j'exploite aujourd'hui sont nées en de tels moments. De ce point de vue, cette distraction m'a beaucoup plus apporté que nombre d'heures d'école. N'y voyez aucune morale de la paresse. Ça demandait un effort, une attention, un talent peut-être : tous les enfants ont cette capacité à se morfondre dans le vague ; la plupart des adultes qu'ils seront croiront qu'ils se sont ennuyés alors. Ils en déduiront que l'enfance fut un temps long, étiré, parce que perçu par un esprit immature et lent. Alors que leurs cerveaux fonctionnaient à plein régime.

  • 3308

    On le dit en tremblant : « Ça me touche, c'est terrible, je pense beaucoup à elle, tu lui diras bien... » parce que ça ressemble tellement au pire des cauchemars d'un père ou d'une mère. Nous apprenons le suicide du fils d'une amie, ami lui-même, qu'on peut voir dans les films que notre bande réalisait, il y a vingt ans. On riait, on s'amusait, de la simple et futile déconnade. Son visage est encore là, sous un képi emprunté je ne sais où, dans le rôle d'un flic renseignant ses collègues. Il joue avec l'application des amateurs. Comment ça peut se transformer en pleurs, avec les années, les rires de nos jeux ? Quelque chose se pétrifie en nous.
    Je ne sais pas si un homme qui se tue « décide » de partir, ou quelle force mystérieuse le pousse vers la sortie. Et cette énigme insoluble durcit dans les entrailles pour former une peur, et la peur devient une balle de fronde. Lancée avec force par le geste désespéré, elle blesse tous ceux qu'elle a touchés.

  • 3293

    "Le droit des vivants contre l'autorité usurpée des morts. " C'est de Thomas Payne (1737-1809), qui avait solutionné "L'Affaire des Vivants" bien avant que j'existe. Rien à faire, tout a déjà été dit.

  • 3291

    Savoir quelle planète nous laisserons à nos enfants est un enjeu crucial. Que cela ne nous retienne pas, surtout, de nous inquiéter de savoir à quels enfants nous laisserons notre planète. Car la question me paraît de plus en plus légitime...

  • 3289

    La dame, jupe droite bleu marine, barrette dans les cheveux, cherche un livre, ne parvient pas à se décider.

    La libraire : "Tenez, il y a Le lièvre de Patagonie, de Lanzmann"

    La dame : "Trop juif."

    A part ça, tout va bien. Je vous souhaite une bonne journée.

  • 3284

    J'en viens à considérer l'éventail des pensées et conceptions politiques, leur grande variété et leurs divers antagonismes ou symbioses, sous l'angle d'une écologie des opinions. Comme les espèces, qu'elles nous dérangent ou nous réconfortent, nuisibles, domestiques ou sauvages, chacune a sa place, chacune a son utilité. Idée qui a pour effet surtout d'atténuer mes colères et mes révoltes (me rendre mou, diront certains. Probable. Ou tolérant ?)

    Addendum : ce qui implique qu'il y aurait un équilibre écologique des opinions politiques. Éradiquer une pensée, la rendre débile au point qu'elle soit négligeable, serait créer un déséquilibre, comme d'ailleurs, faire d'une opinion la seule qui vaille au détriment de toutes les autres. Je vous livre ça comme ça, à l'épreuve de votre sagacité.

  • 3283

    “Parce que les seuls gens qui m'intéressent sont les fous furieux, les furieux de la vie, les furieux du verbe, qui veulent tout à la fois.” ― Jack Kerouac. Mais alors, les sages et les doux, les tranquilles et les paisibles ? Quel dommage de ne pas se pencher sur eux. Quelle limitation du regard ! Quelle mutilation ! Et que ce serait fatiguant de ne côtoyer que les fous furieux. Jeter ainsi à l'abîme de l'indifférence l'essentiel de l'humanité me semble une posture, et cela m'agace. Surtout, l'agacement vient de ce que ceux qui se réclament de cette philosophie, se voient d'emblée du côté des fous furieux cités plus haut. Laissez-moi rire.
    Cela dit, lisez Kerouac, c'est bien, tout de même.

  • 3282

    Quand on marchait dans les prés, les sauterelles faisaient des vagues crépitantes devant nos pas. Le jardin se colorait de papillons, les hirondelles s'alignaient en nombre sur les fils électriques et il y avait des écrevisses dans les rivières. Comme le dit E. G. Robinson dans Soleil vert, en pleurant soudain parce qu'il vient de se repaître d'une tranche de pomme et d'un morceau de viande, mets exceptionnels qu'il n'a pas vus depuis des années : « Comment en est-on arrivé là ? » Ben voilà. Nous y sommes.

  • 3277

    Le rapport "léger" à l'amitié, tel qu'on le décrit pour Facebook, ne date pas d'aujourd'hui :

    "Cléon appelle Damis son ami : c'est un homme dont il a fait connaissance il y a vingt-quatre heures ; aussi quelqu'un disait : j'ai fait cette année 364 amis ; il était au 31 décembre."

    C'est signé Louis-Sébastien Mercier, et ça date de 1781.

  • 3272

    Il ne vous aura pas échappé que, contrairement à la hutte primitive ou à la grotte, la maison d'habitation toute en lignes droites, est absolument contraire aux formes de l'homme. Ne cherchez pas plus loin la source de notre mal de vivre.

  • 3269

    Il y a quelques années, une amie perdait son mari. Je le connaissais peu. Pourtant, elle voulut que j'écrive une sorte d'oraison funèbre et que je la lise à l'église. Pour elle, m'expliqua l'ami missionné pour me demander cette faveur, il s'agissait de s'assurer de la qualité de ce qui serait dit et fait pendant la cérémonie. Ce qu'il faut déduire de cette conviction est assez gênant, j'étais très mal à l'aise mais, par respect, et puis parce que ce que je connaissais du défunt me l'avait fait paraître comme une belle personne, j'acceptai. Je lus donc mon texte qui effleurait à peine le portrait du disparu (et pour cause), après les témoignages d'amis plus légitimes pour s'exprimer. Logiquement, je m'étais tenu à des considérations sur le désarroi de ceux qui restent, dédiées à la veuve, que je connaissais mieux. « Tout ce qui peut être dit, tout ce qui peut t'avoir été témoigné de sympathie et de chaleureux soutien, n'empêchera pas les heures muettes à venir, celles où tu te trouveras seule face au vertige du manque et de l'absence. (…) La disparition d'une personne aimée nous confronte à l'incompréhension de ce qui ne sera jamais plus et, pour toi A., pour vous, enfants, parents et amis de B., ainsi que pour tous ceux qui ont connu la sidération du deuil, chaque phrase de chaque journée commence par 'désormais'. » Voyez, des notions de ce calibre. Après l'enterrement, nous nous trouvons quelques uns dans le café du village. Face à moi, un ami du défunt. Furieux. Il me tance. Comment avais-je osé parler au nom des endeuillés légitimes, des vrais amis, de la famille ? Lui, avait veillé son ami, avait suivi son agonie, qui étais-je pour évoquer son chagrin ? Il avait raison, bien entendu. Je tentais de lui dire que je n'aurais jamais osé, de moi-même, prendre la parole pour évoquer le souvenir de B., que c'était une disposition de son épouse, persuadée de bien faire, je n'avais fait que m'exécuter, comment refuser une telle demande ? Mais je sentais que ma parole était embrouillée et peu convaincante car une voix honteuse, au fond de moi, avouait que j'avais été flatté par la requête de la veuve. Et lui, l'ami sincère, l'éploré, l'inconsolable, avait perçu la prétention sous le propos de circonstance.

  • 3260

    Dieu n'a jamais été jeune, il n'a jamais eu peur de la mort. Alors, ses conseils, ses commandements… De quoi je me mêle ?

  • 3259

    Le principe de la valise a tout de même plusieurs siècles, quant à celui de la roue et de sa version réduite, la roulette, il se confond avec les débuts de l'Histoire. Alors comment expliquer qu'il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour bénéficier des valises à roulettes ?

  • 3213

    Kronix parle rarement de politique. C'est un domaine où je ne suis guère pertinent, il faut bien l'admettre. Souvent, mes convictions l'emportent sur les réflexions, ce qui ne donne pas de très bons résultats. Je me considère plutôt comme un idiot politique. Donc, je me tais. Cependant, impossible de ne pas se sentir bousculé par l'ambiance générale, les sales moments que nous vivons. Kronix se sent un peu nauséeux, impuissant, désespéré, il va donc se mettre en congé. Avant de suspendre la parution quotidienne des billets (qui ne reprendra que si, au lendemain du deuxième tour, nous sommes encore en démocratie), je veux -tout de même- glisser cela : je comprends la position des abstentionnistes. Je la comprends. L'abstention est, en ce moment, un bel objet intellectuel proprement pensé. Mais quand la réflexion la plus sophistiquée laisse le champ libre à l'extrême-droite et lui donne les clés du pays, il me semble que c'est pousser trop loin l'amour du paradoxe. « Elle » ne passera pas, de toute façon ? Je vous trouve bien sûrs de vous. Et puis, même si Le Pen n'était pas élue finalement, les abstentions vont lui permettre un score historique, et la hisseront au rang de seule force d'opposition. Les insoumis, par exemple, seront inaudibles. « Elle » passera, mais elle ne pourra rien faire ? Je crois, hélas, que le problème n'est pas là : il est dans le climat de haine qui monte. Des dégâts importants sont déjà opérés. Pensez à ce qui va se passer si « elle » ne se prend pas un bon 70 % dans les gencives ! Ou alors, c'est le chaos que vous voulez. Vous rêvez d'une Révolution. Vous pensez qu'elle est nécessaire. C’est possible. Mais elle risque de prendre un chemin que vous n'aimerez pas quand il faudra vraiment s'y confronter, quand ce ne sera plus une vague probabilité ou un fantasme vibrant de lendemains nouveaux, quand nous serons harcelés, insultés, tabassés. Ma douce et moi, nous avions cru jusque là qu'être de gauche avait au moins cette vertu : ne pas balancer quand il s'agissait de défendre la démocratie, et que les calculs et les réticences étaient remisés, dès lors que le fascisme menaçait. C'est un grand désarroi, une grande peine, de constater qu'il n'en est rien. Faire froidement le calcul que le FN pourrait l'emporter, nous semble une énorme trahison. Y compris et surtout pour nos amis ou les amours que nous avons connues ma douce et moi, qui n'ont pas la chance d'une peau rose et pâle, d'un patronyme enraciné et bon teint. Nous pensons à ceux-là, qui seront les premiers à ressentir le vrai poids d'un vote significatif de l'extrême-droite, nous pensons à ceux qui suivront, homos, cocos, intellos... Aussi légitimes soient-ils, les atermoiements face à cette perspective ressemblent aux hésitations du témoin d'une noyade qui se demande si porter secours ne va pas l'obliger à salir ses affaires.
    En tout cas, comme il faut bien quelques idiots pour tenter de limiter les dégâts, je ne réfléchis pas, je plonge et je vote Macron.

  • Conte horrifique

    Sous les murs de la prison où des Palestiniens font la grève de la faim, des familles israéliennes se sont réunies joyeusement pour faire des grillades. L'horreur est bel et bien de ce monde.

  • 3208

    Nous mourrons donc sans plus connaître la paix. Seuls les enfants de nos enfants auront peut-être la chance de savourer un moment où la fin du terrorisme sera avérée, dans 30 ans d'ici. Et encore, nulle capitulation, nulle grande ruée, dans les avenues et sur les places, assortie d'embrassades, nulle libération, juste la lente compréhension que le cauchemar est enfin fini.

  • 3201

    Comment écrit-on un roman ? Comment ose-t-on commencer, par quels mots, par quelle scène et sous quel angle ? C'est toujours difficile, et de plus en plus difficile avec le temps, malgré l'expérience. Paradoxalement. Parce que chaque roman est un prototype. Comme l'amour vrai se réinvente et ne connaît que des premières fois.

  • 3194

    L'écriture est une activité pousse-au-crime. Elle incite au dévoilement des secrets, à l'impudeur, elle se moque bien de la souffrance des autres et se nourrit de trahisons. Un écrivain est un traître. Il n'a aucune excuse, il n'a aucun remord, il charrie la boue insane des vérités pour les porter aux feux du questionnement universel. La bonne littérature ne s'encombre pas de complaisance et de détours, de morale. Et pourtant, je n'ai aucune envie de faire du mal. Quel projet littéraire vaut qu'on humilie quelqu'un, ou qu'on lui fasse du mal ? Il est rare (mais pas impossible) que je considère l'écriture avec assez de conviction pour lui sacrifier la sérénité des autres.

  • 3187

    J'abuse du Net et je sens mon cerveau s'engourdir, paresser, je ne trouve que son inertie en réaction à mes sollicitations.  C'est inquiétant. Ça fait un sujet de billet, mais c’est inquiétant.

  • 3185

    Étrange sensation au retour de cette session 2017 à Livre Paris. Tout s'est bien passé, j'ai retrouvé amis et professionnels avec grand plaisir, mais en deux jours, une observation déjà faite les années précédentes s'est confirmée et m'interroge. J'ai le privilège de signer successivement dans deux espaces littéraires très différents. Parmi les éditions de SF, de Fantasy, tout près de la BD et de l'illustration jeunesse d'une part, et au milieu des éditeurs de littérature « blanche » ou générale, d'autre part. Je fais un constat qui ne me réjouit ni m'attriste : l'impression d'empressement, de jubilation, de vie, de curiosité et d'enthousiasme autour des stands de littératures de l'imaginaire, et le défilé de lecteurs déjà convaincus, peu diserts, souriants mais distants, précis dans leurs choix, surtout visiblement plus fortunés, sur les stands des littératures plus « conventionnelles » ou plus « sérieuses » (Bon sang, tous ces mots pour cerner des phénomènes trop complexes pour être ainsi résumés ! mais vous voyez ce que je veux dire). Je ne parle pas des queues empressées qui patientent pour quêter un échange de cinq secondes avec une célébrité. Cela vaut partout et ne renseigne pas sur la distance dont je parle.
    Classer l'une du coté « populaire » et l'autre du côté « élitiste » ou « bourgeois » me paraît tout aussi injuste et réducteur. C’est pourtant l'impression que j'en retire. J'ai été heureux les deux jours, à mes deux tables de signatures. J'ai côtoyé dans les deux cas des auteurs talentueux et charmants, j'ai discuté avec mes deux éditeurs et m'en trouve comme à chaque fois, rasséréné et motivé, j'ai retrouvé avec plaisir leur équipe, tous gens souriants, optimistes, amoureux de leur travail, aimant sincèrement le livre et se faisant une haute idée de ce que doit être la littérature. Mais il est impossible de ne pas s'interroger sur ce qui distingue ces deux mondes, séparés là de quelques mètres. Un univers élégant, au mobilier raffiné dans des espaces ouverts, personnel en tenue soignée, lecteurs silencieux, méthodiques, sérieux, des échanges où l'on fait assaut d'esprit et de bons mots (là, je laisse faire, je n'ai pas les moyens intellectuels pour m'adonner à cette pratique, mais j'écoute). Et l'autre monde : stands confinés par manque de moyens, nombreux auteurs au coude à coude, personnel habillé comme au quotidien, foule de passage rieuse, bruyante, costumée parfois, lecteurs volubiles, passionnés, excités de rencontrer un auteur (on peut donc être excité à l'idée de me rencontrer, moi ?), jeunes ou moins jeunes qui sacrifient leurs économies et empilent les livres sur les bras. Je repensais dans le train du retour, à cette réflexion de Tarentino sur les vrais cinéphiles. Il les voyait dans les cinémas de quartier aujourd'hui disparus, chez les consommateurs de films, cinq ou six séances bon marché par semaine, qui ne théorisaient pas mais savaient exactement quand on se fichait d'eux ou quand un réalisateur généreux tentait de leur apporter du plaisir. Je me demande si les vrais amateurs de littérature ne sont pas ces gens enthousiastes qui réclament des récits, des histoires, des mythes, et veulent d'abord qu'un auteur soit généreux avec eux, ne triche pas, se donne de la peine pour leur bonheur. Bien sûr, les choses ne sont pas si simples, et j'adore toutes les littératures exigeantes, mais j'ai été amené ce week-end, à distinguer un monde vivant, gourmand et curieux, avec un monde plus figé, un peu morne, riche de ses hauts-faits, légitimement fier de son apport, mais tourné vers lui-même et préoccupé du maintien de son image. Mon étonnement est dans le constat qu'ils sont rarement conciliables. J'aime pourtant ces deux aspects, ils me nourrissent pareillement et je refuse d'avoir à choisir. Je me sens comme un immigré qui ne sait plus à quelle culture il appartient, ne se sent légitime ni dans l'une ni dans l'autre et ne sait quel gage donner et à qui, quelles passerelles créer, pour s'affranchir de ses frontières intimes.