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Matières à penser - Page 7

  • 3185

    Étrange sensation au retour de cette session 2017 à Livre Paris. Tout s'est bien passé, j'ai retrouvé amis et professionnels avec grand plaisir, mais en deux jours, une observation déjà faite les années précédentes s'est confirmée et m'interroge. J'ai le privilège de signer successivement dans deux espaces littéraires très différents. Parmi les éditions de SF, de Fantasy, tout près de la BD et de l'illustration jeunesse d'une part, et au milieu des éditeurs de littérature « blanche » ou générale, d'autre part. Je fais un constat qui ne me réjouit ni m'attriste : l'impression d'empressement, de jubilation, de vie, de curiosité et d'enthousiasme autour des stands de littératures de l'imaginaire, et le défilé de lecteurs déjà convaincus, peu diserts, souriants mais distants, précis dans leurs choix, surtout visiblement plus fortunés, sur les stands des littératures plus « conventionnelles » ou plus « sérieuses » (Bon sang, tous ces mots pour cerner des phénomènes trop complexes pour être ainsi résumés ! mais vous voyez ce que je veux dire). Je ne parle pas des queues empressées qui patientent pour quêter un échange de cinq secondes avec une célébrité. Cela vaut partout et ne renseigne pas sur la distance dont je parle.
    Classer l'une du coté « populaire » et l'autre du côté « élitiste » ou « bourgeois » me paraît tout aussi injuste et réducteur. C’est pourtant l'impression que j'en retire. J'ai été heureux les deux jours, à mes deux tables de signatures. J'ai côtoyé dans les deux cas des auteurs talentueux et charmants, j'ai discuté avec mes deux éditeurs et m'en trouve comme à chaque fois, rasséréné et motivé, j'ai retrouvé avec plaisir leur équipe, tous gens souriants, optimistes, amoureux de leur travail, aimant sincèrement le livre et se faisant une haute idée de ce que doit être la littérature. Mais il est impossible de ne pas s'interroger sur ce qui distingue ces deux mondes, séparés là de quelques mètres. Un univers élégant, au mobilier raffiné dans des espaces ouverts, personnel en tenue soignée, lecteurs silencieux, méthodiques, sérieux, des échanges où l'on fait assaut d'esprit et de bons mots (là, je laisse faire, je n'ai pas les moyens intellectuels pour m'adonner à cette pratique, mais j'écoute). Et l'autre monde : stands confinés par manque de moyens, nombreux auteurs au coude à coude, personnel habillé comme au quotidien, foule de passage rieuse, bruyante, costumée parfois, lecteurs volubiles, passionnés, excités de rencontrer un auteur (on peut donc être excité à l'idée de me rencontrer, moi ?), jeunes ou moins jeunes qui sacrifient leurs économies et empilent les livres sur les bras. Je repensais dans le train du retour, à cette réflexion de Tarentino sur les vrais cinéphiles. Il les voyait dans les cinémas de quartier aujourd'hui disparus, chez les consommateurs de films, cinq ou six séances bon marché par semaine, qui ne théorisaient pas mais savaient exactement quand on se fichait d'eux ou quand un réalisateur généreux tentait de leur apporter du plaisir. Je me demande si les vrais amateurs de littérature ne sont pas ces gens enthousiastes qui réclament des récits, des histoires, des mythes, et veulent d'abord qu'un auteur soit généreux avec eux, ne triche pas, se donne de la peine pour leur bonheur. Bien sûr, les choses ne sont pas si simples, et j'adore toutes les littératures exigeantes, mais j'ai été amené ce week-end, à distinguer un monde vivant, gourmand et curieux, avec un monde plus figé, un peu morne, riche de ses hauts-faits, légitimement fier de son apport, mais tourné vers lui-même et préoccupé du maintien de son image. Mon étonnement est dans le constat qu'ils sont rarement conciliables. J'aime pourtant ces deux aspects, ils me nourrissent pareillement et je refuse d'avoir à choisir. Je me sens comme un immigré qui ne sait plus à quelle culture il appartient, ne se sent légitime ni dans l'une ni dans l'autre et ne sait quel gage donner et à qui, quelles passerelles créer, pour s'affranchir de ses frontières intimes.

  • 3178

     Je ne serai impitoyable avec les politiques que lorsque je tiendrai mes propres promesses.

  • 3175

    Écriture, ce matin. De lettres. Manuscrites, sur papier. Pour prendre des nouvelles, en donner, remercier d'un encouragement ou bénir les louanges. Exercice salutaire, agréable tâche. Et pour cela, s'éloigner du clavier affamé, poser un paquet de feuilles sur la table, en étaler une sous la main, s'orienter en fonction de la lumière. Tout a son importance. Ne pas se rendre dans le bureau ou l'autre écriture occupe tout le terrain, changer d'atelier, s'installer à la cuisine (et arrêter d'utiliser l'infinitif comme ça ; c’est pénible).
    Mes phrases alors ne sont pourtant pas différentes de celles de mes mails. Via le mode manuscrit, que dis-je d'autre, que dis-je autrement que ce que mes courriels attentifs ne diraient pas déjà ? L'échange épistolaire sur papier diffère surtout par les enjeux de la réception. C’est autre chose de découvrir dans sa boîte aux lettres une belle enveloppe décorée par mon précieux ami JMD, de la couper sans l'abîmer, de déplier devant soi ce ou ces rectangles qui murmurent fragiles entre les doigts ; c'est autre chose, cette irruption d'objet, que de voir s'afficher un début de message sur un écran.
    J'ai l'impression qu'écrire une lettre sur papier est une demande d'exigence envoyée au destinataire. Quelque chose comme un pacte, qui n'est possible qu'entre personnes puissantes.

  • 3157

    Nous sommes tout de même une majorité à ne pas vouloir Marine Le Pen, non ? Il n'y a pas de fatalité, alors.

    (Ce matin, j'essaye de me rassurer)

  • 3155

    Cette note a été supprimée. Sa version remaniée sera publiée par les éditions "Le petit moulin" sous le titre "étrangères" en 2018. Merci de votre compréhension.

  • 3145

    "Etiez-vous préparé à cette incroyable épreuve qu'est la vie ? Non. Vous avez surgi l'un après l'autre du néant, et puis, confrontés à cette lumière, à ce tout –à l'humanité même pour qui, quelques minutes auparavant, vous n'étiez rien encore– il vous a fallu vivre. Et finalement, voyez-vous, considérant l'énormité du défi, vous vous en êtes plutôt bien sortis, non ? "

    (La dompteuse, dans "Le rire du Limule, 2009. Création NU compagnie)

  • 3141

    Chers amis, électeurs de droite,

    j'ai de la peine pour vous, je vous assure, sans la moindre ironie. Je me mets à votre place. Votre candidat relégué au troisième rang, conspué et déjà promis à la défaite, ou à une victoire guère reluisante. Vous enragez, ça se comprend. Surtout j'imagine le désarroi de ceux parmi vous qui sont obligés, depuis qu'il a gagné les primaires, de le supporter alors qu'ils savent bien que leur champion est un menteur.
    Vous supportez très mal qu'on puisse acculer 2F à répondre aux interrogations légitimes que le public se pose. Au passage, il n'y a qu'en France qu'on s'en offusque. Il n'y a qu'en France que des journalistes applaudissent à la fin d'une conférence de presse où ils se sont fait copieusement insulter (alors qu'ils ont été plus que sympas, ont posé des questions insipides, sauf Mediapart, et n'ont pas osé évoquer l'affaire de la Revue des deux mondes, ou réagi quand 2F a dit avoir fait des conférences bénévoles en Russie -hein, quoi ? Bénévoles ? 2F fait du bénévolat ? Sans contrepartie ? Oho...).
    Ne confondez pas la demande d'explications avec un harcèlement, un complot médiatico-politique. Quand 2F affirme, des sanglots dans la voix, pour expliquer ses erreurs et ses omissions, que tout ça lui est tombé dessus comme la foudre, sachez que c'est un mensonge. Le Canard rappelle dans ses colonnes, cette semaine, qu'il a interrogé 2 F dès le 27 novembre 2016, pour lui demander de réagir sur les éléments que ses enquêteurs avaient découverts. Découverts en travaillant sur les documents disponibles auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Nul besoin de complot, d'infos descendues de Bercy ou d'ailleurs. Tout était disponible aux esprits curieux. Je le rappelle ici parce que vous n'êtes pas forcément abonnés au Canard, et les autres journalistes en parlent peu. Vous devriez d'ailleurs lire ce journal plus souvent. Je vous assure que ça cogne tous azimuts et que Hollande en prend régulièrement pour son grade. Vous vous régaleriez. Le procès "uniquement à charge" dénoncé par 2F est une plaisanterie : il a refusé de répondre jusqu'à y être contraint.
    Ne tapez pas sur la presse, ne hurlez pas au complot. Ce qui se passe est le signe d'une démocratie qui fonctionne. La semaine dernière, Eva Joly expliquait comment, quand elle s'est présentée pour les Présidentielles, elle a appris que des journalistes étaient allés enquêter sur elle dans son pays d'origine, en Norvège, pour voir si par hasard, elle avait bien payé ses impôts. Elle ne s'en offusque pas. Elle a estimé normal d'être ainsi mise à l'épreuve des faits, parce que la fonction qu'elle visait réclame d'être irréprochable, comme le disait justement 2F. Considérez honnêtement la défense de votre champion et concluez vous-mêmes. Pourquoi entamer cette démarche de procès en incompétence pour le Parquet national financier, si ce n'est pour gagner du temps, parce que 2F sait que de ce côté-là, la partie est perdue ? Son attitude et cette manœuvre panique effacent les derniers doutes sur sa culpabilité.
    C'est malheureux. J'en suis triste pour vous et, croyez-moi, j'en suis triste pour nous, électeurs de gauche. Parce que nous détestons (là, je suis certain de parler au nom de tous), ne pas pouvoir débattre des idées et des choix de société à l'occasion d'un tel rendez-vous. Nous n'avons aucun intérêt à nous trouver en face de celui qui risque de ne s'avérer que comme une minable crapule. C'est indigne. Parce que la focalisation sur cette affaire n'empêche pas seulement d'exposer son programme, mais par effet-miroir, étouffe le(s) nôtre(s). Et nous savons bien qui en profite vraiment, n'est-ce pas ? Et ce n'est pas la gauche.

  • 3140

    Ce que le livre numérique change, c'est que le texte, désormais infiniment sollicité, lu, relu, exploité, fouillé, s'épuise. Le numérique va fatiguer le livre et, sans le tuer tout à fait, le laisser exsangue et sec. Et toutes les farandoles éphémères qui en seront l'ersatz, ne suffiront pas à le ranimer.

    Mais après tout, ce n'est pas sûr.

  • 3139


        ROTH : Vous pensez que la destruction du monde est pour bientôt ?
        KUNDERA : Tout dépend de ce que vous entendez par « bientôt ».
        ROTH : Demain ou après-demain.
        KUN DERA : Le sentiment que le monde court à sa perte est très ancien.
        ROTH : Alors aucune raison de s'en faire.
        KUNDERA : Si, au contraire. Pour qu'une peur habite l'esprit humain depuis les âges
        les plus reculés, il faut bien qu'elle ait un fondement.

  • 3138

    La semaine dernière, j'étais à Gilly. Marielle s'est, comme chaque fois qu'elle me fait l'honneur d'une invitation, prêté au jeu de l'introduction de la soirée en donnant sa lecture de mon dernier roman. Elle m'a fait le plaisir de me l'envoyer. Je le relaie pour vous, qui n'étiez pas là. Le hasard a voulu qu'à mon retour, la lettre d'un ami m'attendait, un ami écrivain, qui décrit son rapport à Martin Sourire. C'est aussi riche et plein d'enseignements. Mais celle-là, je la garde pour moi.

    Marielle, donc :

    "
    Introduction à la rencontre avec Christian Chavassieux, pour son roman « La vie volée de Martin Sourire », éditions Phébus, 2017 – Vendredi 3 février 2017
    Après l’affaire des vivants, voici un second coup de maître…
    « La vie volée de Martin Sourire » nous attrape par la manche dès les premières phrases : Plongée fulgurante dans le roman, dans le destin d’un gamin de 4 ans, Martin, nommé ainsi par Marie Antoinette qui l’arrache du ventre du village où il est né, quand le sien est désespérément vide. « un caprice de déesse », dira plus tard Marianne la femme de Martin. Dans la scène inaugurale du roman, nous assistons effarés à cet enlèvement : Le lecteur est un badaud qui essaie de se glisser entre les mots tourbillonnants de l’écrivain comme pour mieux voir…
    Pourquoi cet enfant, plutôt qu’un autre ? L’enfant est affublé d’un sourire, « abîmé de mélancolie », sourire figé comme une énigme, une ineptie, une désinvolture, une exaspération, un défi ou une invitation.
    La reine se lasse vite puisque son ventre grossit. Martin, enfant mutique,  va grandir dans un décor de théâtre : le hameau de l’autrichienne lui offre une vie de simulacre, hors les rencontres et les amitiés qui s’y déploient avec les figurants, et le réel qui vient à lui sous la forme d’une scène de pendaison.
    De giron en giron, passant même par l’état du « sauvage », aidé de sa placidité et de son sourire, il se retrouve  vacher sous la bienveillance de Valy Bussard, de Blaise, dont il  se délecte des histoires mystiques, puis de l’intendant et architecte Richard Mique. Au hameau, loin du « grondement océanique » de la révolution, les événements semblent glisser sur lui. Mais comme son sourire, c’est un leurre. Si « la vie lui enfile ses souliers chaque matin », « la compréhension du monde qui l’entoure infuse lentement » au fil des conversations entendues.
    Il projette de partir, remet toujours à plus tard. Et c’est la Révolution et la déroute à Versailles qu’elle provoque qui le mettent sur le chemin de Paris. Il se persuade que « Parfois les choix que l’on fait pour vous sont plus clairvoyants que les vôtres »
    En main, une lettre de recommandation de l’architecte de la reine : Et  le bonheur le cueille à l’aube  de ses 17 ans : il découvre un métier, dans les cuisines de Beauvilliers, la fraternité dans la rue pied de bœuf, l’amour avec Marianne. « C’est cela une vie, se demande Martin, c’est ce calme, cette simplicité, cette évidence ? »
    L’épanouissement, idée neuve qui n’appartient qu’à l’élite, il en fait la courte expérience chez Etienne-Louis Boullée le célèbre architecte utopiste et visionnaire. Il est à son service, avec Marianne, suite à un concours de circonstances qui décide encore pour lui. Boullée est un homme rare qui « sourit au monde » et accueille Martin et son mutisme - qui pour lui est une force-  avec « bénévolence ». Il « n’aime pas l’idée que les révolutions s’arrêtent au seuil des vies les plus modestes » et Il en prend la mesure. Il ouvre Martin au monde de l’art, de la littérature et des idées des Lumières.
    En même temps les amoureux fréquentent les tavernes, guinguettes cabarets et cafés qui fleurissent dans Paris et où s’exalte le peuple qui « se découvre une puissance de démiurge. »
     « Vive la Nation !  : Tant de rage dans peu de mots, c’était du goût de Martin ». Sous influences, il s’engage dans les gardes nationales. Le bonheur tourne court quand les mains qui caressaient Marianne et tournaient les pages de Diderot, Rousseau et Voltaire dans la bibliothèque de Louis Boullée, commettent l’irréparable : Ce sera Le champ de Mars, Valmy et les colonnes infernales de la guerre de Vendée, « La grande sauvage ».
    Dans un monologue intérieur déversoir, Martin n’a pas assez de mots pour décrire l’enfer de cette guerre que l’Histoire retiendra pourtant comme un épiphénomène de la révolution.
    « Si tu savais Marianne… »
    Épreuve que celle de la lecture en apnée, jusqu’à la nausée, du chapitre 8. Que dire de la souffrance certaine quant à son écriture ? Quant à son vécu, incommensurable est le seul mot qui me vient ...
    Pour Martin et des milliers d’autres : la sensation au retour de « glisser en fantôme dans un paysage plat », « les râles des mourants formant un sabbat » qui « mâchent la tête ».
    Christian Chavassieux, en écrivain bienveillant, nous délivre par un salvateur explicit : Deux phrases à la simplicité lumineuse qui portent en elles toute la grâce d’une possible humanité.
    Le roman offre un plan serré sur la petite histoire, sur les individus qui tentent de vivre voire de comprendre ; « le peuple » noyé  dans son nombre, et les événements qui viennent en contre-points sont en revanche de terribles perspectives.
    Plan serré sur Martin Sourire, économe en mots et en gestes, « réceptacle de la parole des autres » et dont la vie est  conditionnée par des choix non maîtrises : Il est l’enfant, l’adolescent puis l’adulte dans lequel on s’observe, à travers lequel se déplie La grande Histoire et qui fait se croiser les personnages réels ou fictifs. On lui vole son nom, son enfance, ses premiers émois intimes, son chagrin « qui ne sait à quoi se pendre »  et plus tard son humanité.
    Martin, c’est sans doute l’allégorie politique de l’avènement d’une opinion publique : les cuisiniers de l’histoire ont les idées qui bouillonnent quand celles des marmitons infusent lentement. Et on est tenté de voir dans la leçon de bouillon de Beauvilliers une métaphore.
    « La vie volée de Martin sourire » peut se lire aussi en écho de notre monde : les affaires, les médias qui détournent les vérités, les mouvements de foule et les enthousiasmes destructeurs et mensongers, le simulacre des parcs d’attraction, les marchands d’illusions en tout genre, le populisme, la guerre patriotique portée par « la mystique de la colère », le fanatisme guerrier et religieux, les mots des orateurs qui font pousser les « furies volcaniques », l’exaltation des peuples, la prophétie en lieu et place d’un idéal…
    Ce roman pose l’obsédante question de la possibilité d’une espérance, face à l’ignorance et la redondance de l’histoire, la possibilité d’un libre arbitre, d’une autodétermination hors du joug des puissants.
    Le roman est brillamment servi par une écriture précise, riche, puissante, au souffle ininterrompu : Tous les critiques s’accordent maintenant à le dire. Metteur en scène audacieux, portraitiste génial, fins de chapitres en tombées de rideau, Christian Chavassieux est toujours cet écrivain exigeant qui a le souci de la véracité de ses personnages, la cohérence du contexte dans lequel ils prennent vie. Il nous tire toujours par la manche, nous immerge et surtout nous fait prendre de la hauteur.
     « l’esprit qui marche plus qu’il ne court a un talent certain pour clarifier la vie » peut-on lire dans son roman.
    On ne le remerciera jamais assez de tenter de clarifier la nôtre."

  • 3137

    Et bien, c'était prévisible, hélas. L'extrême-droite (non, je ne vous mettrai pas le lien), réquisitionne La vie volée de Martin Sourire pour faire de mon roman un porte-voix de la reconnaissance du génocide vendéen. Je me vois donc obligé de réagir et de dénoncer une manipulation de mon propos (ou une lecture orientée et fautive). « Il (l'auteur), dit ce site, nous livre le monologue de Martin, revenu de Vendée, racontant sans ambages ce que fut vraiment cette expédition punitive, que certains esprits chagrins refusent de reconnaître comme un génocide pur et simple." Sachez, chroniqueur partial, que je fais justement partie des "esprits chagrins" qui refusent qu'on colle aux Guerres de Vendée le terme de génocide.
    Je craignais que des lecteurs partisans s'emparent de cette partie du récit pour y puiser cette morale. C'est fait. Mon ambition a été, en écrivant ces lignes, de rappeler sans fard que nous (les républicains, les révolutionnaires dont je partage les idées), avions fauté, et qu'il était nécessaire de le reconnaître. Mais le monologue de Martin dit aussi les conditions et les ambiguïtés de ces événements. Il renvoie dos à dos les belligérants, fanatisme contre fanatisme.

    J'emmerde les tenants du génocide vendéen, je n'ai rien à voir avec De Villiers et ses tourbeuses épiphanies catholiques où chaque paysan est vu comme un saint martyr.
    Que ce soit clair : je conchie la malhonnêteté révisionniste autant que l'impudeur de taire ce qui nous dérange !

    Il ne s'agit pas de minimiser l'ampleur et l'ignominie des massacres, mais l'idéologie génocidaire est très spécifique et ne correspond pas, selon moi, aux principes qui ont prévalu à l'époque. Je n'ai rien contre l'emploi anachronique d'un terme imaginé pour évoquer ce qui paraissait inédit aux juges de la solution finale nazie, en l'appliquant à des phénomènes qui l'ont précédée, mais il me semble que l'idée de génocide est liée par essence à la notion de race. Il faut que l'un ou l'autre protagoniste, ou les deux, soient convaincus de l'existence d'une race distincte d'une autre. C'est cette race qui est l'enjeu du génocide. La République n'a jamais considéré que les Vendéens constituaient une race, ou même un type physique remarquable (on objectera que Barère a parlé de « race rebelle » dans une de ses carmagnoles, mais le mot race ne recouvre pas ici le sens que nous en avons, on parlait aussi bien de race française). Il y avait probablement des Vendéens travaillant à Paris (c'était le creuset où se précipitait tout le pays). Je ne sache pas qu'on a pratiqué des rafles dans la capitale pour en finir avec tous les représentants d'une hypothétique race vendéenne. Il s'est bien agi d'éliminer localement une population réfractaire, et seulement elle, au début. Rappelons que le 20 février 1794, les représentants Hentz, Garrau et Francastel donnent l'ordre aux habitants de la Vendée et aux réfugiés de quitter le territoire insurgé et s'en éloigner de plus de vingt lieues sous peine d'être considérés comme rebelles et traités comme tels. Difficile de concilier ces précautions avec une démarche génocidaire méthodique. Il s'est agi d'éliminer les rebelles pour les remplacer par une population patriote. Un rêve de pureté, bien dans l'esprit d'un Robespierre, dystopie suffisamment grave et terrible pour ne pas faire appel à un concept allogène. Crimes de guerre, massacres de masse, crimes contre l'humanité, bien sûr, et le procès doit être fait. Il fut fait par ses artisans, d'ailleurs, en son temps. Pour moi, les massacres de Vendée connaissent au moins un précédent dans l'Histoire qui permet de mieux les situer : ils sont à rapprocher de la façon dont les Romains ont décidé, au terme des guerres puniques, de se débarrasser définitivement de Carthage. Population éradiquée, bâtiments détruits, jusqu'aux champs couverts de sel pour prévenir toute renaissance. Peut-être que Robespierre et ses affidés avaient cela en tête. Au delà des monstruosités d'un Carrier, ou des ateliers de tannerie de peau humaine, la cruauté délirante des colonnes infernales, leur goût pour le pillage, ont inhibé voire disqualifié pour longtemps toute tentative de prise de recul dans la compréhension des crimes perpétrés. Et l'impact du mot génocide n'aide pas à débattre rationnellement du phénomène.
    Et qu'on s'en tienne, s'il vous plaît, à tout ce que raconte le livre et qui le met en perspective, le monologue vendéen est inscrit dans un récit plus large, et on serait bien inspiré de le rappeler. J'ai espéré, mais je me suis peut-être planté, par la description des agissements des Colonnes, élever le récit à l'échelle de l'exemplarité humaine, dépasser les impératifs historiques pour dire ma peur de toutes les solutions finales.

  • 3133

    Permettez que j'utilise mon blog pour remercier un ami discret et généreux qui nous a, ma douce et moi, tout aussi généreusement et discrètement, abonnés au Canard enchaîné. Depuis plus d'un an (il a reconduit l'abonnement en 2017) nous nous régalons donc des trouvailles du palmipède, mais dans le dernier numéro, pardon, la jubilation est à son comble ! L'affaire Pénélope inspire nos journalistes et chaque papier est une mine de franche rigolade. Faut bien rire, hélas, de cette sinistre danse au milieu des marécages politiques (de peur qu'on ait à en pleurer, comme disait l'autre).

  • 3123

    Voir mes enfants heureux est la plus belle récompense du peu de cas que j'ai fait de leur éducation.

  • 3115

    Dans son journal, un ami écrit qu'il aimerait que, le jour venu, ce soit un homme qui lui ferme les yeux. Il en cite quelques uns, et mon nom apparaît alors. Je me découvre perplexe avant d'être honoré puis tout à fait ému. C'est ainsi qu'un autre ami m'a demandé que je lise un poème de Lamartine au dessus de sa tombe, le jour de son inhumation. Je ne sais si je mérite une telle confiance, mais elle atteste d'une amitié qui est née et se prolonge -voilà ce qui est doux- dans le partage du meilleur de la vie.

  • 3111

    Le texte a été écrit à Nohant, en 1872, daté du 6 novembre et publié dans le journal Le Temps. Trois ans avant sa mort, George Sand est en colère. Elle est un des seuls (sinon le seul) esprits de son temps, à comprendre les enjeux de l'environnement. Une visionnaire, surtout dans le dernier paragraphe :

    "…Tout est abattis, nivellement, redressement, clôture, alignement, obstacle; si, dans ces cultures tirées au cordeau qui ont la prétention de s'appeler campagne, vous voyez de temps en temps un massif de beaux arbres, soyez certain qu'il est entouré de hauts murs…Les forêts qui subsistent sont à l'état de coupes réglées et n'ont point de beauté durables. les besoins deviennent de plus en plus pressants (…)
    Irons-nous chercher tous nos bois de travail en Amérique ? Mais la forêt vierge va vite aussi et s'épuisera à son tour. Si on n'y prend garde, l'arbre disparaîtra et la fin de la planète viendra par dessèchement sans cataclysme nécessaire, par la faute de l'homme.
    On replantera, on replante beaucoup, je le sais, mais on s'y est pris si tard que le mal est peut-être irréparable… Il faudra voir si l'équilibre peut se rétablir entre les exigences de la consommation et les forces productives du sol. Il y a une question qu'on n'a pas assez étudiée et qui reste très mystérieuse : c'est que la nature se lasse quand on la détourne de son travail. Elle a ses habitudes qu'elle quitte sans retour quand on la dérange trop longtemps. Elle donne alors à ses forces un autre emploi; elle voulait bien produire de grands végétaux, elle y était portée, elle leur donnait la sève avec largesse. Condamnée à se transformer sous d'autres influences, la terre transforme ses moyens d'action. Défrichée et engraissée, elle fleurit et fructifie à la surface, mais la grand puissance qu'elle avait pour les grandes créations elle ne l'a plus et il n'est pas sûr qu'elle la retrouve quand on la lui redemandera. Le domaine de l'homme devient trop étroit pour ses agglomérations. il faut qu'il l'étende, il faut que des populations émigrent et cherchent le désert. Tout va encore par ce moyen, la planète est encore assez vaste et assez riche pour le nombre de ses habitants; mais il y a grand péril en la demeure, c'est que les appétits de l'homme sont devenus des besoins impérieux que rien n'enchaîne, et que si ces besoins ne s'imposent pas, dans un temps donné, une certaine limite, il n'y aura plus de proportion entre la demande de l'homme et la production de la planète. (…)
    nous tous, protestons aussi, au nom de notre propre droit et forts de notre propre valeur, contre des mesures d'abrutissement et d'insanité. Pendant que de toutes parts, on bâtit des églises fort laides, ne souffrons pas que les grandes cathédrales de la nature dont nos ancêtres eurent le sentiment profond en élevant leurs temples, soient arrachées à la vénération de nos descendants. Quand la terre sera dévastée et mutilée, nos productions et nos idées seront à l'avenant des choses pauvres et laides qui frapperont nos yeux à toute heure. Les idées rétrécies réagissent sur les sentiments qui s'appauvrissent et se faussent. L'homme a besoin de l'Eden pour horizon. Je sais bien que beaucoup disent : " Après nous la fin du monde ! ". C'est le plus hideux et le plus funeste blasphème que l'homme puisse proférer. C'est la formule de sa démission d'homme, car c'est la rupture du lien qui unit les générations et qui les rend solidaires les unes des autres."

  • 3109

    Tu te souviens, quand nous avions foi en la magie du monde ? Et puis nous n'avons plus voulu de ces leurres. Et la grande surprise, c'est que le monde est devenu alors plus riche de merveilles.

  • 3097

    On ne pouvait rien leur reprocher. Pour tout achat d'une bombe, d'un drone ou d'un avion, une part était versée aux secours aux victimes et aux ONG compétentes. Il en était presque devenu moral de leur tirer dessus.  

  • 3092

    Pour de complexes raisons dont je vous fais grâce, j'ai relu récemment certains passages de Le Psychopompe, un de mes premiers romans parus. C'était en 2009, dans une petite (mais rigoureuse) maison d'édition : J-P Huguet. Au début du récit, le personnage principal, Nathan Charon, vieil érudit alcoolique, écrit une lettre bien sentie à son éditeur. Le passage n'est pas forcément drôle par le ton donné, mais il l'est aujourd'hui grâce au recul que j'ai, ma connaissance actuelle de l'édition en France. L'extrait ci-dessous donne une idée de ma méconnaissance à l'époque du milieu et des revenus potentiels du travail d'écrivain. Voici : « J'attends une juste rétribution de plusieurs mois de recherche et d'écriture (...) et de la vente des 8000 exemplaires dont tu te targuais lors du salon de Croizan en février dernier. (…) Pour l'heure, je n'ai reçu en tout et pour tout que la moitié de l'enveloppe de départ, soit mille euros (pour mémoire toujours, cas échéant : mon contrat stipule que je devais recevoir deux mille euros pour commencer l'écriture et encore mille à la livraison du fichier corrigé, sans compter les droits sur la vente). Nous sommes donc loin du compte. » 8000 exemplaires… 3000 euros d'avance… Quel rigolo, ce Charon !

  • 3085

    Dieu vomit les tièdes, certes, mais qu'il cesse de les dévorer jusqu'à l’écœurement !