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kronix - Page 18

  • 3518

    Non loin de ce double salut du Furan (un bonjour suivi d'un immédiat au revoir), en marchant vers le nord, on dépasse le monumental Centre Deux, qui a englouti sous son poids notre peu de rivière. Centre Deux… centre commercial dont le nom laisse supposer que ses concepteurs l'ont un temps rêvé comme un deuxième point nodal de la ville, un Centre Ville bis. Hypothèse confirmée par mon guide  : on a bien imaginé ici, à la hauteur de la place Jules Ferry, offrir un deuxième cœur à la ville. Ce qui s'entend  : je songe à la girafe, curieusement (ne riez pas), le petit miracle de l'évolution dont elle a hérité, deux cœurs pour pulser le sang jusqu'au cerveau, un muscle intermédiaire reprend le jet du premier, pousse le flux plus loin, lui fait franchir la distance aberrante de l'immense cou. La grande rue, démesurément étirée, impose cette comparaison à mon cerveau toujours prompt à susciter des relations d'images. Un Centre urbain 'Deux', ou quel que soit son nom, qui rejouerait la partie, distribuerait autrement les cartes, s'affirmant avec le temps comme un nouveau point de gravité, faisant oublier les contours incertains d'un premier, pourquoi pas, mais devait-il mettre en avant un tropisme de grande surface que les perspectives du commerce futur condamnent déjà et, par dessus tout, prendre l'allure d'un ouvrage défensif de la seconde guerre mondiale  ? Je vois à présent un projet de surface commerciale plus gigantesque encore, arrimé comme un navire de guerre futuriste à l'est de la ville, et je m'interroge... Pardon de laisser déblatérer l'urbaniste qui réside —  avec le capitaine d'équipe de football, le macro-économiste et le stratège militaire  — au fond de tout naïf appuyé au comptoir du commerce, je dépasse mon rôle de visiteur, je juge. On ne dégoise pas à la table de ses hôtes. D'autant que, dans les années 90, un auteur stéphanois se félicitait de l'architecture de Centre deux qui lui paraissait «  moderne, réussie… solide sans être majestueuse. (…) élégante, aux dimensions de l'homme  ». Nous n'avons donc pas vu les choses sous le même angle. Revenons à notre sujet...

     

    Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

  • 3517

    Dans la presse, je m'arrête sur une photo des manifestations, à Gaza. On y voit un très jeune garçon, armé d'une fronde. Un jeune garçon et sa fronde, face à un adversaire puissant et lourdement armé, ça ne vous rappelle rien ? Quel retournement !

  • 3516

    En quelques mois, j'ai prétendu saisir quelque chose de la ville, et dessiné les contours de ses enjeux pour le passé et le présent (et l'avenir, pour faire bonne mesure, n'ayons peur de rien). «  A propos de Saint-Etienne  » entre dans sa phase la plus angoissante, le moment où je vérifie quelques données, j'affine des constats, je rencontre les ultimes référents qu'on m'a conseillés, sur tel ou tel sujet que j'ai abordé. Et le problème est là  : j'ai déjà écrit, produit des hypothèses, traduit mes impressions et mes constats, dans l'élan donné par l'écriture, l'observation, les échanges et les lectures. Et soudain, à dix jours de rendre ma copie, un scientifique adorable et serviable répond à mes questions et démolit une à une mes petites inventions avec tranquillité, méthode, me renvoyant sans méchanceté à ma prétention d'auteur qui a cru pouvoir comprendre certains phénomènes en si peu de temps et avec si peu de culture. Je vous laisse, j'ai du boulot.

  • 3515

    un passage que j'ai supprimé de mon futur texte sur Saint-Etienne :

    "Où bat le puissant cœur initial  ? Où est donc ce premier centre de Saint-Etienne  ? Et d'ailleurs, c'est quoi, un centre ville, en quoi est-ce que ça consiste  ? On peut le définir comme un point de rencontre, assez restreint, convergent, historiquement ancien en général, géographiquement situé au cœur du tissu urbain, un centre de gravité où se concentrent toutes les raisons de se rendre  : commerces, administrations, animations, loisirs culturels ou autres, espaces ouverts où se croiser est possible, où se donner rendez-vous, où flâner a aussi une fonction de mixité des classes sociales. Ici, quel serait-il  ? La place du peuple, l'ancien pré de foire  ? C'est une place minérale, incommode en hiver, traversée, traversante, frangée de terrasses en été, mais dépourvue d'administrations. Le noyau d'origine, la cité des débuts, le germe historique  ? Celui-ci se résume à une place face à la plus ancienne église de la cité, une statue de Jeanne d'Arc, quelques petits commerces et une maison double de ses XVe et XVIe additionnés, dont on prévoit la restauration et l'utilisation à des fins culturelles  ; plus de théâtre par contre (la Comédie, toute proche, est encore prêtée pour des performances artistiques, mais la maison-mère est allée s'exporter hors de tout centre, tendre les bras aux Lyonnais), la vie s'est déplacée (pour preuve  : mairie et médiathèque, tout près, sont des établissements «  de quartier  », des annexes), déjà, ce «  centre  » est sorti du cadre, en quelque sorte. La place de l'Hôtel-de-Ville est le candidat le plus évident  : espace, commerces, administrations… augmentée de l'ensemble Hôtel-de-Ville  —  Préfecture, et places les séparant, le long de la grande rue. Alignement qui dilue l'effet nodal, excite, invite à la mobilité, difficile de se tenir là sans qu'un fourmillement de jambes ne vous entraîne d'un côté ou de l'autre, plus haut, plus bas, dans les rues piétonnes, ailleurs.  On ne se pose pas longtemps dans ce centre étiré, tellement étiré qu'il ne peut sans réserve être investi de ce titre. Ou bien, j'élargis la notion de centre ville, par souci de proportion avec une cité de plus de 200 000 âmes et c'est un centre qui englobe alors une zone très étendue, de la place du Peuple à la place Jean-Jaurès. Dilution, vous dis-je. "

  • 3514

    Si les frères Lumière ne s'étaient pas mariés avec les sœurs Satourne, le cinéma n'aurait jamais vu le jour.

  • 3513

    Cafe-Touba.jpgBeaucoup la découvriront avec cet album, mais Léah Touitou ne débarque pas de nulle part. A 30 ans juste passés, elle a suivi un parcours personnel, exigeant, exemplaire, une traversée en solitaire avec pour seules armes son talent et son infatigable attention aux autres. Entrée dans le milieu professionnel avec des illustrations, des albums pour enfants, des films d'animation, le mode d'expression qui lui permet le mieux de faire connaître son univers, reste la BD qui lui avait valu d'être publiée dès l'âge de 16 ans. Aujourd'hui la « petite pousse » des éditions Ikon & Imago est devenue une auteure reconnue, éditée par Jarjille, excellente maison aux racines stéphanoises, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Le premier album de ce qui pourrait être un diptyque, voire un triptyque, s'intitule Café Touba. En 2011, Léah imagine et conçoit un parcours artistique en Afrique, dont elle connaît déjà le Cameroun. Cette fois, de nombreux pays de l'ouest du continent seront traversés, chaque escale donnant lieu à des ateliers de dessin, de BD, de fresques, de films d'animation, etc. Pour Léah, tout d'abord, l'odyssée est affaire collective, impensable en solo. Elle se démène, contacte associations, institutions, particuliers et professionnels... Un vif enthousiasme accompagne d'abord « Caravane d'images », le nom de son projet. Beaucoup d'encouragements, de soutiens inconditionnels, d'accolades à la vie à la mort (enfin, j'imagine ce genre de chaleur très superficielle) sauf que, de dizaines d'aventuriers prêts à s'envoler pour l'Afrique, la veille du départ, Léah se retrouve bel et bien seule. Elle ne renonce pas (ce serait mal la connaître) et, la peur au ventre de se lancer dans une telle 'performance', elle atterrit à Dakar, au Sénégal, sa première étape. Son travail sur place, les trajets, les rencontres dans les villages, les écoles, chez l'habitant, loin du Sénégal touristique (et des « mamans cadeaux » européennes qui viennent chercher sur ses plages la chair athlétique des garçons pauvres du pays), est le sujet de ces 110 planches en noir et niveaux de gris. Et c'est un régal, une jubilation, une déambulation étonnée, drôle et tendre, au contact d'inconnus dont on se ferait facilement de grands amis. Léah Touitou restitue la langue, les attitudes, les expressions au plus juste. Elle n'est pas la « toubab », la blanche qui observe et juge, elle est de son temps, notre toubab, elle ne croit pas détenir la vérité occidentale. Pétrie d'auto-dérision, toujours en retrait, simple invitée au service d'un projet, (collectif cette fois : tout le monde, y compris une vieille femme du village, participe à la réalisation d'une fresque élaborée avec les enfants d'une école), elle ne sort de sa réserve que si on la pousse à participer à un jeu ou à une fête. Femme accueillie dans un monde différent, ses hôtes la guident et lui expliquent l'histoire ignorée des Européens, la grande histoire africaine, les puissants et vastes empires d'antan, « Est-ce que, parce que ce n'est pas écrit dans vos livres de blancs, c'est faux ? » Le lecteur partagera quelques leçons de vie aussi, dont chaque vrai voyage intime est prodigue, quand un homme dit, parce que notre voyageuse s'impatiente d'attendre une voiture : « Hé, en Europe vous avez la montre, nous on a le temps » ou quand elle remarque une élève métisse et que le professeur de l'école prononce : « Les enfants métis sont toujours beaux. La preuve que Dieu aime les mélanges ». Les carnets de l'auteure, croquis pris sur le vif, détails annotés à la façon des cahiers d'explorateurs, ponctuent et enrichissent la narration, ne sont jamais gratuits. Vous saisit aussi, au détour d'une anecdote qui trouve sa conclusion à la toute fin de l'album, l'émotion, celle qui étreint, vous noue la gorge soudain, et vous réconcilie avec l'humanité. La BD de Léah Touitou, comme le café Touba du titre, aux grains de café grillés, c'est fort et ça donne de l'énergie pour la journée (au moins).

     

    N.B. : Léah Touitou sera à la médiathèque Tarentaize de Saint-Etienne le 2 juin pour un atelier autour de la BD.

  • 3512

    Une présentation de rentrée littéraire, à Lyon. Avec un autre écrivain (du genre excellent et qui ne la ramène pas) et l'organisateur de la journée, nous nous retrouvons à la gare et attendons une jeune auteure d'origine locale mais venant de Paris où la promotion de son premier livre a commencé. Notre ami organisateur tremble : c'est que la primo-romancière est précédée (déjà) d'une bonne réputation de caprice et d'autorité. Le Figaro l'a surnommée « la Houellebecquienne », ce qui en impose. L'auteur du genre excellent et qui ne la ramène pas et moi, nous amusons de l'angoisse de notre guide et tentons de le calmer avec force plaisanteries. Ah, la voilà. Bon, petit bout de femme énergique, comme on le supposait, elle sourit suffisamment pour que notre ami organisateur se détende. Dans la voiture, elle commente sa rencontre de la veille, dans une librairie où la responsable du rayon littérature lui a avoué d'emblée qu'elle n'avait pas aimé son livre. L'auteure grince et vitupère. Je fais alors le portrait possible d'une libraire qui, bien qu'elle n'ait pas aimé, a compris l'intérêt d'un texte et décidé de le proposer à ses lecteurs, ce qui me semble noble et professionnel. La jeune auteure veut bien croire à cette hypothèse, et se tourne vers sa vitre pour ne pas m'imposer sa moue dubitative. Cent mètres plus loin, elle émet des nuances sur la façon dont elle est traitée, chez son éditeur, Gallimard. L'auteur excellent et modeste soupire que, souvent, on est mieux traité chez des éditeurs moindres. Elle réfute l'argument : attendez, dès son premier roman, publiée dans la collection Blanche (autrement dit : d'où tu me parles, toi ?), « c'est quand même le Graal des écrivains ». L'excellent auteur et moi ne pouvons échanger un regard (je suis à l'arrière, à côté de la jeune houellebecquienne, lui est devant, côté passager, tandis que notre organisateur, revenu à son stress, tremble au volant). Tiens, dis-je, c'est vrai, le côté Graal m'avait échappé. L'auteur excellent, et d'expérience, avec une vingtaine de romans derrière lui, échappe : On s'en fout un peu, non ? La jeune auteure géniale serre les lèvres. Son éditeur ne lui aura rien épargné. S'abaisser à fréquenter des écrivains qui se fichent du Graal, ben merde...

  • 3511

    Tarzan et Panoramix, élevant le regard sur la respiration muette des arbres, saisis du même sentiment ineffable. Et un peu surpris de se retrouver côte à côte, il faut l'avouer.

  • 3510

    J'avais relié dans une note précédente, un heureux événement futur avec la joie de voir une hirondelle revenue chez nous. Quelques jours plus tard, l'hirondelle solitaire a disparu et aucune autre ne l'a relayée. Cette fois, les nids partiellement désertés l'an dernier vont rester définitivement vides. Nous ne ressentirons plus ce bonheur d'attendre nos migratrices, de les accueillir, de suivre leurs manèges au dessus du toit, d'écouter les nichées affamées. C'est fini. Voilà, mon futur petit-fils, je ne pourrais pas te les montrer, je ne pourrais pas t'apprendre cette histoire de voyageuses infatigables. Ton monde n'est pas encore né que déjà il s'endeuille. Que te dire  ? Pour toi, nous allons nous efforcer de croire qu'il est encore possible de le sauver. Il le faut bien. Sinon, c'est la sinistre perspective décrite dans 'Mausolées', qui s'ouvre. Un temps où, les hirondelles ayant disparu, le son rendu par l'arc d'Ulysse devient incompréhensible et donc, où toute l'Odyssée à sa suite est menacée d'obsolescence. J'écrivais cela dans les années 95 en imaginant un tel futur dans un siècle. Et nous y sommes déjà. Merde  !

  • 3509

    Il était question de son copain qui s'était énervé brusquement, l'avait fait sortir de sa voiture sur une remarque anodine, avait stoppé le véhicule en plein milieu de la rue, comme ça, et lui avait dit de foutre le camp, qu'il ne voulait plus le voir. Il avait tenté de calmer son copain, mais rien à faire, l'autre avait décidé que c'était fini entre eux, à jamais. Il décrivait la scène à un copain, reconstituait les dialogues, situait les lieux, tout cela était très vivant. Et c'était un peu beaucoup pour moi, assis tout près de lui dans le train, qui tentais de me concentrer sur la lecture de René Fallet. Malgré mes tentatives pour lui demander de parler moins fort au téléphone, il continuait sur le même ton, au même niveau de puissance sonore, évitant de me regarder. Finalement, j'abandonnai ma lecture et me concentrai ostensiblement sur son récit, réagissant à ses précisions, m'intéressant aux rebondissements, approuvant ou méditant. C'est un bon truc, assez paradoxal, pour faire taire ou éloigner le malotru  : soudain pris à son propre jeu, son exhibition gratuite lui semble une grâce indigne d'être abandonnée aux autres. Il réalise alors que l'on pourrait connaître de lui des moments de sa vie qu'il ne veut pas partager. Il se lève et se dirige vers un endroit où, notez bien  : ce n'est pas qu'il n'embêtera plus les autres voyageurs, mais qu'il conservera un secret minimum sur son existence. Tout en gueulant dans son portable. Je ne sais pas si ça marche à tous les coups, mais je vous livre ma petite découverte d'hier.  

  • à propos de Saint-Etienne...

    A propos.... Je retrouve la résidence qui m'a accueilli en janvier et février, pour une ultime session sur le mois de mai. Je réserve l'exclusivité de la fin du texte, pré-publié sur Kronix ces derniers temps, pour mes commanditaires. Merci à tous ceux qui ont eu de la curiosité pour cet exercice et l'ont suivi. Je ne sais pas si, par qui et quand mon petit exercice littéraire sera publié (même s'il y a des pistes). Je l'espère évidemment de tout cœur.

    Mai sera donc l'occasion pour moi de compléter, affiner, corriger et clore "à propos de Saint-Etienne" ; l'occasion de rencontrer encore quelques personnes qui nourriront cette promenade 'infra et super urbaine', de travailler avec des lycéens sur des balades littéraires en leur cité, d'inviter, dans le cadre d'une carte blanche, Aurélien Delsaux pour évoquer ensemble son superbe roman : "Sangliers", paru chez Albin Michel. Je vous en dirai plus en temps et heure, bien entendu.

    Kronix devrait conserver son rythme quotidien, si la connexion internet a été conservée sur place (ce qui n'est pas absolument certain).

    Dans ce cas, bonne journée et à demain.

     

  • 3507

    Je rêve que je suis en train de mourir. Il me semble être allongé sur le sol, regard perdu sur la canopée d'une forêt tropicale. Les feuillages sont des taches dentues qui s'imbriquent et menacent d'envahir tout mon champ de vision, moment que je devine signe de la fin. Je m'accroche à l'idée que, tant que j'aurai assez de mots pour dire cette nature, je vivrai encore. Je récite comme un mantra : « colibri, hibiscus, liane, orchidée, robinier, fougère arborescente... » et l'angoisse monte, car je sens le vocabulaire s'épuiser et la mort tirer doucement son linceul sur moi. Je me réveille une seconde avant l'obscurité totale.

  • 3506

    Je ne me suis pas rendu en pèlerinage à la source du Furan, dans la forêt du Grand Bois ou plus bas, au barrage-poids du Gouffre d'Enfer, la ville étant mon terrain d'exploration unique. J'ai marché sur ses traces à partir de son entrée à Saint-Etienne, je l'ai longuement observé, là où la chaussée l'avale. La mère rivière de la ville est discrète, murmurante, en ce mois de février, quand je la découvre en compagnie de Cédric, mon guide, après que nous avons lutté pour conserver notre équilibre sur les trottoirs gelés, et enfin nous accouder là, en sa présence. Dans le quartier de Valbenoîte, vers l'ancienne « Promenade des Fossés » qui avait été aménagée pour le public à la fin du XIXe, c'est une lame claire et peu profonde que je surplombe, elle glisse sur un lit de ciment parsemé de galets, entre un talus broussailleux, un parking, et des bâtiments dont le souvenir s'est aussitôt effacé. J'observe ce modeste flux et j'essaye d'être fasciné. Ce n'est même pas mon tranquille Renaison roannais, ni mon Sornin Charliendin. J'étais prévenu, mais le « torrent magnifique » cher à Stendhal, peine à m'exalter. Il faut un temps pour se laisser pénétrer par l'esprit des choses. Héraclite a beau manifester ses vieilles vérités à ma mémoire, je vois dans cette eau-là la permanence, la redite entêtée de celle, ancienne, dont la ville dépendit longtemps, à tous points de vue, et qu'elle négligea ensuite pour en redécouvrir les vertus aujourd'hui.

     

    Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

  • 3505

    Chers amis, je suis toute la journée au salon du livre d'Yzeure, à côté de Moulins (Allier). Signatures en présence de Mireille Lesage, Jeanne Cressanges, Geneviève Chauvel, grandes auteures de romans historiques avec lesquelles j'aurais l'honneur de partager quelques propos autour du roman, justement, historique.

    Caravane du livre.jpg

  • 3504

    En 1889, donc, si l'on se réfère à la maquette de l'exposition universelle, le Furan est sous contrôle mais bien visible depuis le ciel. À partir de là, il ne faudra pas plus d'une douzaine d'années pour qu'il disparaisse tout à fait : au début du XXe siècle, il est couvert sur la totalité du centre-ville, ainsi que les biefs et tout le système hydrographique souterrain. Les citoyens perdent le contact avec leur rivière, avec l'eau qui circule sous leurs pas. Ils ne la redécouvrent qu'à cent ans de là, brièvement, à l'occasion des travaux de 2005, notamment place du Peuple (le Pré de Foire médiéval, souvenez-vous), quand on défonce la chaussée, qu'on renforce les voûtes des XVIIe-XVIIIe. Comme je regrette de n'avoir pas visité la ville à ce moment-là ! Le Furan réapparaît ; les Stéphanois redeviennent des riverains. S'en trouvent diversement charmés. On s'émerveille et on grimace, le souvenir de cette période de dévoilement inspire à des témoins le geste de se pincer le nez. Peut-être que le citadin moderne est plus sensible que celui du passé. Les Stéphanois d'antan affrontaient quotidiennement les effluves d'un cours dans lequel, par exemple, les boucheries et triperies du quartier des Gauds (place des Ursules, actuel cours Victor Hugo), jetaient leurs immondices. Il arriva même qu'on se réjouisse de lire, dans la pollution de la rivière, les signes de la bonne santé économique de la ville : « Le Furan roule ses eaux usées sous le pavé de la cité. Et le parfum qui s'en exhale sent la sueur, c'est sa fierté », écrit Marius Bailly, qui poétisait quand il ne chroniquait pas pour la presse régionale. Alors, l'odeur sale du Furan de 2005, en comparaison… L'assainissement de la rivière, programmé dès 1991, avait quelque retard : il était en fait à peine commencé à l'époque de ces travaux. L'état s'était amélioré sensiblement depuis les épidémies de typhoïde de 1857, mais les choses ont-elles changé à l'époque moderne ? Un rapport de l'institut Pasteur, en 1976 (c'est récent et déjà bien loin, je réalise que ce sont les temps de mon adolescence), décrit une eau chargée en produits toxiques, hydrocarbures, détergents... Un milieu « profondément pollué » au sortir de la zone urbaine. Alors qu'au Bessat, à la source, l'eau du Furan est qualifiée dans le même document de « fraîche, rapide, bien oxygénée ». En 2004, la station du Porchon ne dépolluait que la moitié des eaux du Furan. À l'heure où j'écris ces lignes, en 2018, nous devrions avoir atteint le « bon état écologique et chimique » exigé par les directives européennes, puisque l'échéance pour y parvenir était fixée par Bruxelles à 2015.

     

    Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

  • 3503

    Sur un plan-relief envoyé par Saint-Etienne à l'exposition universelle de Paris en 1889 — avec quantité d'autres éléments spectaculaires et didactiques censés rendre la ville désirable aux yeux des investisseurs — le Furan est encore majoritairement visible. Quand cette maquette de présentation est réalisée, il y a déjà plus de vingt ans que ses funestes crues sont contenues par le barrage du Gouffre d'Enfer, plus de dix que les cent-mille habitants de la ville boivent son eau grâce à la réserve du barrage de Pas-du-Riot, il y a plus de trente ans qu'un méandre de la rivière a été détourné et guidé de façon à longer la rue Gérentet pour libérer l'espace de construction de la place de l'Hôtel de Ville, et que de nouveaux travaux ont enterré son cours, depuis la place des Ursules jusqu'à la latitude de la place Boivin.

    Je note que sur les plans qui présentent les aménagements de 1856, le Furan est orthographié Furens, ce qui est plus respectueux de la culture du cru. Par la suite, quel académisme a décidé de dénerver le nom local pour lui faire retrouver la norme savante du latin, le « furano » antique ? Je lis par ici qu'un certain Jean Neyret, maire d'avant la Grande Guerre, a sa part de responsabilité dans l'affaire. La syllabe RAN ne grince pas, ne gouaille pas populo ou péquenot, gaga quoi, comme le RENS de Furens (prononcer Furain, en mouillant le son « ain », tout en le prolongeant un peu, et en étirant les commissures des lèvres dans un bref sourire. J'ignore par contre s'il faut insister sur le « S » final). « Furan » est le nom d'une rivière qu'on considère assagie, cours domestiqué par la langue des livres. Le Furens se frottait aux rives du vernaculaire ; voici, par la magie de l'orthographe, le Furan bien 'rectifié' — selon le terme de la déclaration d'utilité publique qui autorise les travaux. Le « Furens » du plan de 1856 est l'ultime occurrence de la rivière qui entre sagement dans l'ombre de l'écrit savant. C'en est fini d'elle, physiquement et métaphoriquement.

    Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

     

  • 3502

    En amont et en aval de ce premier enfouissement, la ville pendant longtemps s'accote à lui, l'accompagne gentiment pendant des siècles, fidèle à la maternelle rivière qui l'a fait naître. Le Furan alimente, arrose, fait tourner les moulins, permet de laver les draps et de teindre les tissus (activités dont l'incompatibilité provoqua quelques remous), de forger le métal et de collecter les immondices. Tant que la ville se développe sur son axe est-ouest par dessus le Pré de Foire, le Furan ne gêne pas trop, on le laisse ailleurs miroiter sous le soleil et les étoiles. Un Terrier d'avant la Révolution Française montre que la seule partie recouverte est toujours celle du siècle précédent, comprise entre le pré de Foire et le début de la rue du Grand Moulin où il est à nouveau au jour (et pour cause, il faut bien le faire fonctionner, ce 'grand moulin') avant que la rivière s'évade vers le nord, parmi les prés, les vergers, les jardins des couvents. Déjà, le Furan est doublé par le grand bief des Usiniers. Car Saint-Etienne est une ville industrieuse et son industrie est en mouvement grâce au Furan. La nécessité d'alimenter en eau ces activités au fil de l'année implique de domestiquer le flux de la rivière, on la contraint en amont pour équilibrer son débit, on aménage son cours pour prévenir ses caprices. Parce que notre furieux, comme dirait Stendhal, est du genre cévenol, capable de crues soudaines et puissantes. Il fait d'importants dégâts. Lors d'une crue mémorable, il épargne une statue de Vierge (c'est une tradition un peu partout dans le monde : la nature contourne parfois quelques symboles, et les superstitieux battent des mains, voient se confirmer par là leur foi, en oubliant les destructions des mêmes, incomparablement plus nombreuses... suffirait de tourner la tête, d'aller voir à un kilomètre des lieux du miracle. Bref.) Le Furan tue, aussi. Combien de Stéphanois ignorent encore que la rue Gérentet est baptisée du nom de ce brave négociant nageant au secours d'un infortuné emporté par une crue, en plein Saint-Etienne, et se noyant avec lui ? (il faudrait avoir mauvais esprit pour y voir une distinction de classe, la glorification d'un acte d'une charité exagérée, d'un bourgeois se sacrifiant, contre la coutume, pour un pauvre anonyme. Le sacrifice inverse s'est sans doute produit, valut sans doute une messe, mais il faudrait, disais-je, avoir mauvais esprit pour donner crédit à un tel déséquilibre de traitement, je m'insurge donc contre une hypothèse d'un tel cynisme. Re bref). Nous voici en 1860, la municipalité veut privilégier la rubanerie en centre ville, il faut pour cela une eau raisonnablement propre, alors on déplace les activités les plus polluantes. La Manufacture d'armes et la Compagnie des Forges et Aciéries de Saint-Etienne quittent le quartier des Rives et s'installent au nord de la ville dans le quartier du Marais, que dessert le chemin de fer. Le Furan perd alors de son utilité, et sa couverture est envisagée sur le quartier des Rives et de Valbenoite, c'est-à-dire sur l'amont.

     

    Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

  • 3501

    Est-ce qu'un modéré peut se radicaliser ?

    (je veux dire, être d'une modération radicale)

  • 3500

    Quand je marche sur la flaque minérale de la place du peuple, je me représente les lieux à l'époque où cet espace relativement réduit était nommé le Pré de Foire. Un pré donc, dédié, une étendue herbue traversée par le Furan, cours rapide, vif, caractère qui a motivé son nom (Furan, du latin fur : voleur. Leste et agile comme le furet, voleur qui fouille et fourgonne, éventuellement furtif mais pas forcément « furieux », comme le croyait le voyageur Stendhal en extrapolant une étymologie intuitive). Les grandes foires annuelles furent bientôt à l'étroit dans la cité médiévale, bornée à l'est par la rue des Fossés, au pied de la colline des Pères. Hors des remparts, en contrebas et tout proche de la porte de la cité médiévale, le large pré et son courant limpide offraient tous les avantages. C'était ouvert, plat, sans doute ombragé par endroits, une vision que n'aurait pas reniée Honoré d'Urfé. Un tableau champêtre, pour résumer. Nous sommes au XIIIe siècle, le Furens est à l'air libre. Ça dure plusieurs centaines d'années, et puis on en a assez du manque de place. Celle qu'on nomme pourtant la « Mère Rivière », tantôt torrent impétueux, tantôt ruisseau exsangue, en impose de moins en moins au milieu d'un urbanisme de masures greffées à ses rives déjà malsaines. Pour tout de même boire une eau potable, on construit une conduite depuis la plaine de Champagne, vierge d'artisans et d'effluents, dans le quartier de Valbenoîte au sud de la ville, et on la transporte jusqu'à une fontaine, au point central et populeux de la place du Pré de Foire. En 1636 le Sieur Alléon se voit autorisé à couvrir ce ruisseau, qu'il faut se donner la peine d'enjamber en été, qu'il faut franchir avec difficulté lors des débâcles de printemps. Des voûtes sont jetées sur la rivière, le Pré de Foire fait place à un continuum urbain. Comme dans nombre d'autres villes du monde en quête d'espace à bâtir, on apprend à s'émanciper de la césure du cours d'eau. La marche vers l’oubli est amorcée.

    Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

  • 3499

    On s'effraie de la pertinence des algorithmes qui surveillent nos moindres choix sur internet et en déduisent nos psychologies avec une acuité vertigineuse et, conséquemment, influencent nos votes et trient les publicités qui s'affichent sur nos écrans. Un exemple récent me dit qu'il faut relativiser : une publicité ciblée, envoyée sur mon adresse mail, me vante l'incontournable match de je ne sais quelles équipes dans je ne sais quelle discipline. Après plus de vingt ans à traîner mes clics sur le net, une telle méconnaissance de mes intérêts par des ordinateurs extrêmement pointus, est plutôt rassurante. Ils sont nuls, qu'on se le dise.