On ferma la ménagerie du cirque. L'éléphant maltraité fut réintroduit dans la jungle malaisienne qu'il n'avait jamais connue, étant né à Aubervilliers. Deux ou trois ans plus tard, les biologistes témoignaient, images à l'appui, des comportements inédits des éléphants sauvages : assis sur leur derrière, levant la trombe, faisant le poirier, marchant en rond en se tenant la queue. Et au milieu de cette étrange agitation, un éléphant à l'air revêche, tenant une grande baguette de bambou.
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« Vous êtes venu pour quoi, déjà ?
« Je sais plus. »
« Je reprends mes notes, attendez… Où ai-je mis ces foutues notes ? »
« Mais c’est pas vous qui êtes venu me voir, plutôt ? »
« Vous croyez ? »
« Je me demande. Je vais vérifier. Où ai-je noté ça ? »
« Bonjour messieurs. »
« Bonjour. »
« Bonjour. Que puis-je pour vous ? »
« Pour moi ? Je vous signale que vous êtes dans mon bureau, messieurs. »
« Ah bon ? »
« Ah bon ? »
« Oui. »
« Ce n'est pas mon bureau ? »
« Ce n'est pas le mien, plutôt ? »
« Non. Vous êtes tous les deux dans mon bureau. Vous à ma place et vous… vous, vous, là, avec votre costume d'Aztèque, vous êtes sur la chaise dévolue aux personnes que je reçois. »
« Ah bon ? »
« Ah bon ? »
« Oui. Et je vais vous demander de sortir. Sans faire d'histoire. »
« Bon. »
« Bon. Sauf qu'on vient d'en faire une, justement, d'histoire. »
« Et bien, allez donc raconter ça dans le bureau d'à côté. C'est celui d'un auteur de blog en mal d'inspiration, ce matin. »
« Oh ? Ça tombe sacrément bien alors ? »
« Oui. Je pense qu'il sera ravi. Ses lecteurs, je ne sais pas, mais lui... trouver un sujet (même pas terrible), un jour comme aujourd'hui, je suis certain qu'il va vous accueillir avec enthousiasme. »
« Bon, on y va. Merci. Je peux vous demander ce que vous faites, vous ? »
« Vous voulez dire : dans la vie, ici ? »
« Dans ce bureau. Votre métier, c'est … ? »
« Oh, moi… je n'ai pas de mission précise. Lui m'appelle l'inspiration, le hasard ou la discipline, selon ses interlocuteurs et selon les circonstances. Je redirige, j'oriente, j'expose… J'angoisse. Souvent. Je revisite les drames et les joies. Je me prends pour un dieu ou pour une merde. Je me mets face à lui et je l'insulte, je le cajole, je l'encourage. Ou, comme en ce moment, je lui envoie des visiteurs. Il fera ce qu'il en voudra. Allez-y. C’est juste là. »
« D'accord. »
« Bon, merci. Un message à lui transmettre ? »
« Dites-lui de tenir bon. On croit que tout est foutu, que plus rien ne peut advenir, que vous n'intéressez plus personne et puis, un jour, un metteur en scène vous annonce que sa troupe a bien travaillé sur une pièce écrite trois ans auparavant, un ami dessinateur vous relance sur une foule de projets, un éditeur vous contacte pour une opération qui va durer plusieurs années… Il y a de l'espoir. Dites-lui qu'il n'est pas si nul et pas si vieux que ça. »
« On lui dira. »
« Parfait. Ne vous offusquez pas s'il vous ricane au nez. C’est juste qu'il ne veut pas qu'on le soupçonne d'être satisfait. »
« Votre boulot, ça doit pas être facile tous les jours. »
« C'est vrai. Mais je ne vois pas ce que je pourrais faire d'autre. » -
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Passer la main, passer puisque l'on passe.
Je marche devant toi, je marque le passage, la trace lentement se creuse.
Le jour pousse sa pointe entre la terre et l'horizon, je t'emmène vers cette aube que je ne pourrai respirer.
Moi, je vais trouver la nuit et te laisse la maladresse du jour.
Je passe la main, dans ta main je laisse des mots, un jeu, une clé, une recette de gâteau, une démarche, un accent, un tour d'automobile, des chansons et quelques anathèmes.
Passer puisque l'on passe.
Sur le chemin tu vas vite, tu passes devant moi, tu t'éloignes. Je te vois là-bas, aminci, découpe noire dans la toile cirée du soleil.
Je m'arrête où je suis, au seuil du soir.
Tu te retournes, tu me salues, je réponds à ton salut, ne m'oublie pas, va, ne perds rien de moi.
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Voilà, c'est quand j'écris des scènes comme ça qu'on comprend mieux pourquoi j'ai un jour préféré le travail de scénariste à celui de dessinateur :
Planche VI1- Plan général. Extérieur, orage, foudre et pluie. Les grandes plaines chaotiques du nord. Arbres déracinés ou calcinés, larges fossés, failles dans la terre, geysers. Dumor, jeune, armé et casqué, ses soldats en ligne derrière lui, sur une hauteur. Texte : Il faudrait d’abord parler d’une dette première : celle du dieu Balder envers son plus précieux soldat, le roi Dumor.
2- Plan large. Zoom arrière. La colline où sont amassés les soldats paraît au fond. Au premier plan, le sol de la plaine craque, se soulève et se fend, sous la pression d’une force formidable. Texte : Il faudrait revenir au temps de jeunesse du seigneur, quand les forces de l'Autre Monde tentèrent la Grande Invasion.
3- Plan d’ensemble. Dans un jaillissement tellurique accompagné de jets de vapeur, une forme surgit, encore indistincte.
4- Plan moyen. Sur la colline, Caroc, jeune druide alors, mais également armé, montre une direction au roi. Les hommes dégainent leur épée, assurent les lances dans les mains, serrent les mâchoires.
5- Gros plan. D’une faille nouvelle, surgit un énorme sanglier, illuminé par le flamboiement infernal du magma, sous lui.
6- Vue générale de la plaine. Des centaines de sangliers noirs identiques sortent du sol.
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Je l'ai toujours vue, assise sur cette chaise, sur le trottoir, à nous regarder passer. Déjà vieille quand j'étais petit. Toujours là. Depuis l'enfance quand nous allions à l'école, jusqu'à la semaine dernière quand, par hasard, je me suis retrouvé dans mon ancien quartier. Elle n'avait pas changé, pas bougé. Un demi-siècle environ d'immobilité. La conquête spatiale, les guerres, les attentats, le réchauffement climatique, les grandes crises, tout a glissé sur elle, qui a préféré observer la rue et le trottoir d'en face, plutôt que l'agitation colorée des écrans. J'ai alors réalisé qu'elle était peut-être la sagesse incarnée. Une conscience plus élevée que celle des Sadhus ou des stylites les plus aguerris (et les plus exotiques). Cette minuscule créature, dans ma petite ville, détient peut-être le savoir ultime. Elle est peut-être Bouddha ? Pour en avoir le cœur net, je suis retourné la voir, bien décidé à lui parler. Comme j'approchais d'elle, qu'elle ne me voyait pas, je pus assister discrètement à l'échange qui se déroulait à cet instant : un vieil homme passa devant elle, s'inclina respectueusement en lui adressant un gentil bonjour. Un voisin sûrement. Quand il fût plus loin, mon ermite, sans même regarder le dos du personnage, étendit son bras dans sa direction, et le prolongea d'un superbe doigt d'honneur. J'ai rebroussé chemin.
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On a souligné avec raison l'influence de Jean le Baptiste sur Jésus, mais il ne faudrait pas sous-estimer celle de Jésus sur le prêcheur du désert. La secte de Jean avait une déplorable réputation quand intervint le messie, qui conseilla judicieusement de laisser ressortir les candidats aux baptêmes, après les avoir immergés.
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Son journal ne comportait que la date de son ouverture, un mardi du mois d'août. Suivaient des centaines de pages décrivant cette journée mémorable. Le reste de sa vie fut d'une banalité telle qu'il renonça à ajouter quoi que ce soit. Il se contenta désormais de se relire, jouissant à se remémorer les quelques heures de grâce de son existence. On le retrouva, vieillard solitaire, la joue écrasée sur un carnet dévasté par l'usage incessant. Son expression figée avait conservé la trace d'une forte contrariété. Sa main était crispée sur le crayon avec lequel il venait de faire, au terme d'une ultime relecture, le bilan de ce mardi d'août qui l'avait tant inspiré : « 'tain mais en plus c’est complètement nul ! »
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Nos vies volontairement et scrupuleusement exposées sur les réseaux. La notion d'intimité s'est diluée. Selfies et caméras de surveillance, webcam, « story »… nous participons avec plus ou moins de complaisance à nos propres dévoilements. Est intime ce qui, montré au delà du périmètre de partage initial, cause une blessure à qui s'est exposé.
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La longévité de Bouteflika est la preuve que les EHPAD algériens sont bien plus performants que les nôtres.
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Conte horrifique
Le patient souleva sa chemise : « Regardez » dit-il. Le médecin ne put réprimer un cri d'effroi. Une plaie atroce barrait tout l'abdomen. Cela ressemblait à une grande gueule écarlate. « Le pire c’est quand ça crie. » Le docteur opina, avant de comprendre que cette phrase avait été prononcée par la blessure et non par le malade qui se mit, justement, à hurler.
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Rêve étrange où l'on a l'impression, au réveil, d'avoir vécu la vie d'un autre. Immédiatement, j'imagine une réciprocité des rêves, où quelque part, un autre aurait vécu ma vie. Le veinard.
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Ni alcoolique ni fumeur de havanes, pas drogué, pas traumatisé dans l'enfance, en relative bonne santé et vivant relativement heureux, entouré d'amour dans un pays relativement en paix. Bon sang, d'où me vient cette colère qui m'oblige à écrire ?
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Je coupe les cheveux de ma douce, avec des succès variables. Cette fois, je crains d'avoir poussé un peu trop loin mon concept (déjà spécieux) de 'flou asymétrique'. Elle vérifie le résultat dans la glace ; je lui exprime mes doutes. Ma douce me rassure : « Mais non, c’est très bien. Ça fait deux styles différents sur la même tête. »
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Les prochaines rencontres
Samedi 27 avril, je serai aux Intergalactiques de Lyon, où je participerai à une table ronde sur l'effondrement.
Dimanche 28 avril, je serai au Salon du livre de La Clayette, près de Charlieu.
Vendredi 3 mai, est la date retenue pour ma traditionnelle Carte Blanche, à la médiathèque de Gilly-sur-Isère. Cette année, mon invité est le dessinateur Thibaut Mazoyer, avec qui j'ai commis la BD « A la droite du Diable ».
Samedi 4 mai, nous serons tous les deux pour une séance de dédicaces, à la libraire Accrolivre, à Albertville.
Samedi 15 juin, j'aurais l'honneur d'ajouter ma causerie à celles de nombreux intervenants, invités chaque mois à évoquer « mes livres préférés » à la bibliothèque de Saint-Haon-le-Châtel.
Lundi 9 septembre, l'association « Lire pour en sortir » m'invite à intervenir au centre de détention de Roanne, pour évoquer devant un public (captif…), « L'Affaire des vivants ». Très honoré de cette marque de confiance. J'espère être à la hauteur. Dans cette prison d'hommes et de femmes, ces rencontres sont une des rares occasions pour les deux sexes de partager un temps en commun. Il paraît que c'est, pour cette raison notamment, très attendu.
En octobre, je serai (sous réserve) à la Fête du livre de Saint-Etienne pour présenter « Rives, mines et minotaure » texte sur Saint-Etienne écrit pendant ma résidence en 2018, publié par les éditions Le Réalgar.
A partir de la rentrée, il est possible que je participe à un projet assez enthousiasmant, à l'appel d'une belle maison d'édition. Rien n'est encore réglé, je vous tiendrai au courant.Quant aux sorties de romans... Ma récente production est en lecture et j'attends, que voulez-vous...
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Je suis un écrivain qui creuse. Un écrivain mineur, quoi.
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Sous les pavés, le sable certes, mais aucun rivage, aucune mer, aucune oasis, un désert à perte de vue. On replaça les pavés un peu hâtivement descellés.
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Les pages s'étaient mélangées, indéniablement. Moby Dick suppliait le capitaine Crochet de la croire : ce n'était pas elle qui lui avait dévoré la main. Quant à Achab, son projet de chasse au crocodile qui lui avait mangé la jambe, avait été accueilli avec perplexité par son équipage.
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On peut voir le racisme d'une quantité de façons, l'une d'elles est de considérer à quel point c’est une limitation, une infirmité, une faiblesse pour soi-même, pour ce que l'on pourrait faire, si l'on était débarrassé de ce handicap. Raciste, on est pauvre, on se réduit, on s'empêche, on renie son pouvoir d'humain.
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Tenez, une difficulté de la fiction : quelle transcendance est-elle possible chez un personnage dépourvu de la culture classique qui permet d'exprimer la mienne - de transcendance, (quoique discutable, déjà) ? Créer un personnage inculte (en tout cas, sans culture livresque, sans cinéphilie même peu élaborée, ayant arrêté ses études de bonne heure), une quadragénaire assez artificielle, toute préoccupée de son apparence, n'est pas très compliqué. Décrire ses impressions ou ses émotions, guère plus : nous en avons tous, et elles sont universelles. Mais une spiritualité, une philosophie, une transcendance ? Sans l'appui d'un langage qu'elle n'a pas appris et que, par cohérence, je ne peux lui prêter, je constate que l'expérience tourne court. Je tente alors de m'appuyer sur ses actes, sur ses sentiments, pour laisser transparaître quelle réflexion inexprimable l'y a amené. En espérant que le lecteur (auquel je fais le crédit de la spiritualité qui manquerait à mon personnage), fera le chemin par lui-même.
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Les gilets gênent
17, 18, 19 semaines ? autant d'actes, qu'importe la comptabilité, sinon celle du nombre de blessés et d'interpellés. J'écris ce billet, la veille de la mobilisation du 16 mars, vue comme cruciale par les manifestants eux-mêmes, qui la font coïncider avec la fin du grand débat dont ils ont estimé, d'emblée, qu'il était un attrape-nigaud, un leurre tendu par la présidence. Nous voici quelque part dans le cours d'un mouvement qui, on s'en doute, est loin d'être fini, efficience du 'grand débat' ou pas. Comme toujours, des choses très intelligentes ont été dites. Je n'ai pas la prétention d'y apporter quoi que ce soit de neuf. Je voulais ici faire un point sur mon état d'esprit. C'est un peu différent. Je veux dire que je ne peux prétendre avoir compris et correctement analysé les faits, les causes du phénomène, les perspectives qu'il ouvre, ses limites ou ses promesses. Je veux juste tenter de décrire comment j'ai perçu les choses et où j'en suis de mon ressenti face aux gilets jaunes. Parce que je suis passé par diverses phases. J'imagine ne pas avoir été le seul.