La première apparition de la Vierge est très lointaine. Un peu précoce, même, si l'on se réfère aux représentations qui ont célébré l’événement, au paléolithique. De deux choses l'une : soit les vénus périgourdines ne rendent pas justice à l'apparition, soit les statuettes restituaient trop scrupuleusement la morphologie de Marie, et on comprend que, fâchée, elle ait mis du temps à revenir.
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Petit-fils posé sur ta poitrine, ce poids de fleur dormant. Aussitôt, te voici tout fondu de calme, tout amolli de paix, tu te découvres de vieilles bontés, là où tu te croyais sec.
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Ce billet est publié avec l'accord de Laurent Cachard, auteur que j'aime et admire, frère d'armes au pays de la littérature. Il a eu l'élégance d'approuver la mise en ligne de ce ressenti (je préfère "ressenti" à « critique » car je ne suis pas critique littéraire), qu'il faut prendre avec toutes les précautions d'usage. Ressenti, car il s'agit d'une réaction personnelle, subjective (voire épidermique, comme on pourra le voir) : nombre de lecteurs de Girafe Lymphatique ont fait un retour exactement inverse. Beaucoup ont été émus, bouleversés, travaillés profondément et durablement par le texte de Laurent.
Ce billet sera l'occasion d'un échange. Sur son blog ou ici-même, Laurent aura toute latitude pour s'exprimer, contrer mes arguments ou les réduire à un contre-sens éventuel*. Et, quoi que j'en dise, je vous engage à vous faire votre propre opinion sur le dernier livre de Laurent.
Pour être lymphatique, elle l'est, Clara Ville ! On a de ses envies de la secouer ! de la sortir de ses brumes océanes, où son père l'a laissée pendant trente ans… Et comme on a envie de prendre son père par le col à la fin, pour lui régler son compte ! Bon. Qu'est-ce que le dernier texte de Laurent Cachard, paru au Réalgar : une longue nouvelle, un court roman ? Allons-y pour roman, puisque le terme est revendiqué par l'auteur et son éditeur, en quatrième de couverture. L'histoire d'une femme dont le père a disparu pendant trente ans, la laissant avec sa mère dès l'âge de six ans, pour la retrouver (sans beaucoup d'efforts et pour des raisons obscures, une vague envie, peut-être, comme celle qui le décida à s'en aller) à celui de trente-six.
Les nombreux personnages créés par Laurent Cachard, au fil de ses récits, sont parfois incarnés et aimables (je pense au Robert de La jouissance..., aux enfants de La partie de cache-cache, à l'homme qui patiente de Valse, Claudel ou au Gérard de Tébessa), parfois tellement hors sol et désincarnés que leur psychologie frise, à mes yeux de lourd terrien en tout cas, l'extraterrestorialité (et voici que se profile l'agaçant Paul Herfray de Le poignet d'Alain Larrouquis). Mon admiration fidèle pour le travail de Laurent Cachard a produit assez de preuves lisibles sur ce blog, pour que, exceptionnellement, je me permette de dire, très subjectivement, que je suis passé à côté de ce roman. Cette modeste recension est donc inspirée par un questionnement : qu'est-ce qui m'a échappé, que d'autres ont aimé, manifestement, si j'en crois les nombreuses réactions enthousiastes des premiers lecteurs ? Qu'est-ce qui m'a arrêté ?
D'abord, un paradoxe. Clara ville, l'héroïne, nous est donnée, dès le portrait-préambule, comme « consciente de ses choix. » Or, attente, amours, désir d'enfant, départs, retours, ses choix m'ont semblé davantage dus au hasard ou à la volonté de l'auteur, qu'à celle de l'héroïne. Généralement, ils me sont restés absolument incompréhensibles, je dois l'avouer, l'absence du père n'étant le déclencheur spécifique d'aucun (un même profil, dans d'autres circonstances, aurait tout aussi bien pu traverser les mêmes épreuves, emporter les mêmes succès, prendre les mêmes décisions). Attention, qu'on me lise bien : cela ne m'est apparu qu'après réflexion, au terme de plusieurs jours passés à échanger avec ma douce sur nos lectures respectives, à laisser précipiter les effets du texte en moi. Je veux dire que cela ne nuit pas au plaisir de la lecture, car c’est un beau texte, soutenu par une tension permanente, traversé de nombreux moments de grâce, de vrais passages littéraires comme j'aime en trouver chez cet auteur. Simplement, je dois avouer mon incrédulité devant l'exposition de deux psychologies : celles du père et celle de sa fille, Clara. Leurs motivations, surtout. Un homme quitte île et foyer. Île (les îles sont les points d'ancrage dans l'errance des personnages, mais elles ne sont pas ou peu définies, on suppose Ouessant, on suppose un ou des Territoires d'Outre-mer...) et foyer (femme et fille qu'il semble aimer, en tout cas, rien de désastreux dans leurs relations), pour — si j'ai bien compris — travailler le Clair de Lune de Debussy. C'est limite suspect, mais pourquoi pas, l'auteur y croit, alors on le suit. On se figure alors un pianiste passionné à la Glenn Gould, abandonnant tout, concerts, famille et amis, pour s'exiler, et tenter d'atteindre, dans une ascèse absolue, la perfection de ses Variations Goldberg à lui : le joli poème musical de Claude Debussy (devenu, hélas, si mainstream, qu'il est aujourd'hui resservi avec chorale pour la bande-annonce du prochain Godzilla). L'art serait une cause d'abandon assez classe. Contestable mais supportable. Sauf que. Au lieu de cela, cet enfoiré fonde une nouvelle famille, pas plus brillante que celle qu'il a quittée sans explications, ne recontacte jamais sa fille, ne sait d'elle que les photos et informations transmises par son frère jumeau, pendant trente ans ! (Putain, mais : 30 ans ! trois fois dix ans, trois-cent soixante mois !) Et tout ça pour, enfin, quand père et fille se retrouvent, interpréter à son intention le fameux Clair de lune… en n'y mettant « aucune impression personnelle » en laissant « les thèmes s'imposer d'eux mêmes ». Trente ans à répéter ce machin, trente ans d'absence, un abandon familial caractérisé, sans pension alimentaire ni quoi, sans nouvelles, tranquille, tout ça pour ne même pas apporter le moindre remuement intime dans ce foutu morceau, pour le jouer exactement comme on l'écoute dans les ascenseurs et dans les magasins ? Hein ? Ah, pour être lymphatique, elle est lymphatique, la Clara ! « C'est pour ça que tu es parti, alors, brûle-t-elle de lui demander », mais je t'en foutrais, moi, de 'brûler de demander' ! Clara, qualifiée d'orgueilleuse, va s'installer et écouter bravement une interprétation terne, sans âme, et tout va bien, « comme si près de trente années passées n'avaient eu aucune incidence ». Ah ben merde ! Putain, mais Clara, va t'acheter un merlin, une tronçonneuse, une cognée ou une masse au Bricorama du coin et pulvérise-moi ce putain de piano, à défaut de défoncer le crâne de ce paternel de mes deux, d'écrabouiller à la pince rougie au feu ses petits doigts de virtuose de supermarché ! Je vois que ça, moi. Mais je suis un sanguin. Sûrement. Oui, je suis. En tout cas, je me suis coltiné physiquement à des types qui en avait fait beaucoup moins.
Laurent Cachard avoue depuis longtemps son amour pour le cinéma de Rohmer et, pour un lecteur comme votre serviteur, sa Clara a des airs de Marie Rivière espérant l'apparition du Rayon Vert, évanescente si on veut être gentil ; charisme aussi épais que ses lèvres, si on l'est moins (j'avais écrit : « si on veut être juste », mais ce serait injuste). Il faut donc s'arrimer coûte que coûte au qualificatif qui l'accompagne, dès le titre : lymphatique. L'orgueilleuse que l'on nous a présentée explique peut-être qu'elle n'a pas cherché à retrouver son père (activement, je veux dire, et à cet égard, sa mère accepte son sort de femme reniée, sans regimber davantage, mais quel est ce monde de spectres ?). Lymphatique, donc. Soit, nous précise par exemple l'ami Robert : « apathique, lent, indolent, mou » de quoi, déjà, exciter l'agacement, par réaction. La Girafe présente des personnages, père, femme, fille, oncle, etc. en délicatesse avec la réalité des autres. D'île en île, ils sont eux-mêmes des îles, complexes à aborder, récifs décourageants, terres stériles auxquelles on pourrait facilement renoncer. Une panoplie d'êtres qui se satisfont du désamour - et de l'absence, y compris à eux-mêmes. Malgré ses actes, et l'acte fondateur de son départ, il n'est pas évident que le père soit un monstre égotique ; il est plutôt apprécié de son entourage et il est probable qu'il ne se déteste pas. Quel regard ont les personnages sur leur propre identité ? On ne le saura pas. Seul le regard des autres pèse et influe. C'est étrange. Les seuls à s'aventurer hors des rives de leur île, hors d'une zone repérée (personnages secondaires, ils ne sont pas exploités), sont les fils surfeurs du père (d'un second lit, comme on dit si mal), capables, eux, de prendre la mer et de se confronter aux éléments et donc, à la vie vraie. Ou encore le second compagnon de Clara, colérique et alcoolique, un mauvais, dont la fonction sera de féconder notre héroïne. Lui, par ses failles, sa cruauté, ses limites, fait relief. Les autres personnages sont confinés dans leurs atermoiements insolubles, négligeables, cérébraux... rohmériens, quoi. On a le sentiment de rencontrer, l'un après l'autre, des condamnés que leur peine ne révolte pas.
Rappelons que, lymphatique ou pas, la girafe (l'animal) a deux cœurs. Notre Clara bénéficie peut-être, allégoriquement, de ce petit prodige de la nature. Un cœur pour elle, mystérieux, inaccessible, et un cœur pour les autres, qui battrait sans affolement. Un cœur en hiver, pour se référer à un autre cinéaste. Ou bien, l'entreprise est-elle de s'interroger sur la difficulté d'un romancier à cerner son héroïne, et les interventions d'un peintre (personnage fictif où l'on est tenté de deviner la présence bien réelle de Franck Gervaise, somptueux interprète des paysages de Ouessant, qui illustre au trait ce récit), sont là pour rappeler cette difficulté, voire cette impossibilité. Et c'est peut-être cela, la clé : une vie, même observée à la loupe, même créée de toute pièce, est une affaire trop vaste pour être pensée, y compris par le pouvoir de la littérature. J'y vois un constat, infligé par l'auteur à lui-même comme un défi personnel. Celui qu'il s'évertue à relever dans son prochain opus, son roman russe monumental dans lequel une certaine Aurelia a longtemps résisté à son auteur, défi dont nous savons bien qu'il triomphera.
Girafe lymphatique, Laurent Cachard, accompagné de dessins de Frank Gervaise. Editions Le Réalgar. 82 pages. 11 euros.* La réponse de Laurent Cachard est à lire sur son blog. Le lien ICI :
http://laurentcachard.hautetfort.com/archive/2018/09/14/reponse-a-un-forcene-6084622.html
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Cette année, nous désespérions de voir arriver les hirondelles. Elles ont enfin pointé le bout de leur bec une dizaine de jours après que je me sois un peu hâtivement désolé de leur absence, sur ce blog. Mais quelle récompense : deux nichées, cette année ! Nous avons constaté, d'ailleurs, que ce printemps-été 2018 est exceptionnel sur plusieurs points. Tous liés, je suppose. Une année « à fruits » : cerises par tonnes, prunes en veux-tu en-voilà, pommes, pêches, poires, fraises, etc. Le jardin n'a jamais été aussi généreux. Au point que, malgré confitures et conserves, nous n'avons pas pu tout utiliser. Une année « à insectes » : plus de papillons que d'habitude, et d'espèces différentes, et puis des sauterelles, des grillons (je n'en avais plus vu depuis des années), des guêpes, des abeilles… Il serait assez logique de relier cette provende aux deux nichées successives de nos hirondelles. Ça pourrait laisser croire que tout n'est pas fichu ; on s'accroche à ce signe. Ce qu'on est bête !
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Dans quelques jours, je me permettrai de promouvoir un album de BD, financé par une campagne de crow-funding. Dessiné et colorisé par Thibaut Mazoyer, story-boardé par Olivier Paire, c'est un projet assez ancien, basé sur un de mes scénarios. L'album s'intitulera A la Droite du Diable, titre qui fut celui de Mausolées avant que diverses considérations ne me fassent changer d'avis. A la droite du Diable est la chronique, en un album de 52 pages, des derniers jours d'un dictateur, auxquels assiste un candide : Renzo, embauché pour diverses tâches, dont celle d'écrire les authentiques mémoires de Florimont Spathül (le dictateur), sous sa dictée. Une relation étrange se crée entre ces deux hommes, faite de confiance fragile, de trahison assumée, du sentiment partagé de la dérision de la vie. C'est une histoire sombre, grotesque, terrible, drôle, avec complots et intrigues de palais. Je suis très heureux que ce scénario, auquel je tiens particulièrement, trouve enfin sa forme définitive. Les années écoulées avant que le chantier soit enfin pris à bras-le-corps l'ont été pour le bien du projet : entre temps, le trait de Thibaut s'est affirmé, ainsi que la sensibilité de ses couleurs (que nous verrons dans un autre extrait). Son style singulier souligne l'étrangeté de cette histoire. Selon moi, il convient parfaitement. Nous en reparlerons donc.
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"Rives, mines et minotaure" c'est finalement le titre étrange que je pense donner au texte rédigé en partie lors de ma résidence stéphanoise. "A propos de Saint-Etienne" me plaisait assez, pour sa référence à Vigo, mais il a paru un peu terne. D'accord.
Une première restitution sous la forme de lecture d'extraits, aura lieu le samedi 15 septembre à 15 heures, dans le cadre "décalé" de la maison François 1er, à Saint-Etienne.
Le comédien Roland Boully, aidé de Caroline Berlande, ajouteront leur voix à la mienne pour un peu plus d'une demi-heure de profération.
Et c'est donc le retour de Kronix...
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Revenir
Comme vous (ne) l'avez (pas) remarqué, Kronix était bien taiseux depuis quelque temps. Je n'étais pas en vacances, je travaille toujours, chaque jour, notamment sur un énorme roman qui occupe l'essentiel de mon temps (quand les amis, la lecture, le jardin ou les travaux domestiques ne prennent pas le dessus). Kronix reviendra, parce que j'ai toujours aimé ce laboratoire de textes courts (quand on s'acharne sur de longs romans, produire des miniatures ressemble à une récréation). Il n'existera sans doute plus sous sa forme quotidienne. L'exercice fut plaisant mais, après presque 12 ans à ce rythme, en plus d'être chronophage, il était devenu manifestement stérile. Kronix reviendra donc, à sa manière, avec des nouvelles, de courts axiomes, des coups de cœur littéraires et mon actualité éditoriale. Il sera donc bientôt question d'anthologie, d'essai, de théâtre, de BD, d'albums illustrés, d'écriture de roman(s).
A suivre...
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"De quoi sommes-nous tristes quand nous pensons à hier ? Du temps passé, passé trop vite, de la mort qui approche ? C'est ce qu'on dit généralement ; je n'en suis pas certain. Tu sais, la nostalgie nous amène confusément à croire que nous avons mal agi, autrefois. Nous étions immatures et bien que nous suspections des puérilités, nous ne croyons pas que nos actes soient par là plus excusables. Quand j'écoute Tipi, je pense à mes failles et, simultanément, je trouve les leurres qui me permettent de les absoudre. C'est pour ça que la musique, simultanément, nous déchire et nous réconcilie avec nous-mêmes."
Extrait de "Demain, les origines" écriture en cours.
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Le petit oursin à la foire du trône, bien triste qu'on lui refuse un ballon (et tout empêtré dans la barbe à papa qu'on lui a achetée en compensation).
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La maison est ouverte largement sur la campagne environnante, qui s'invite par de franches coulées de lumière. À l'intérieur, pourtant, il fait assez sombre. Sur la table, couverte d'une toile cirée fuchsia, je commence un rituel d'exorcisme, car une présence sinistre hante les lieux. Tandis que je pose sur la toile cirée une racine de gingembre qui ressemble fichtrement à une mandragore, je profère des incantations que j'improvise. Et je sens bien que ce galimatias, ces litanies grotesques ne vont pas fonctionner. La présence hostile ne semble guère impressionnée par mon jeu. Il me semble d'ailleurs que plus je poursuis mon absurde logorrhée, plus je renforce la présence maléfique. Effaré par cet échec prévisible (et imminent), je suis projeté hors de mon cauchemar. Incapable de retrouver le sommeil, il me faut longtemps pour me débarrasser de la sensation affreuse d'avoir entraîné dans mon monde, et précisément à côté de moi dans le lit, l'odieuse présence que je combattais dans le monde des rêves.
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Extrait de la pièce "Courage", interprétée par la classe de 2de 4, du lycée Jean Puy.
Scène IV – Évaluer.
Un(e) enseignant(e) face à un(e) élève. Une copie est posée entre eux.
- L'élève, tapant du doigt sur la feuille : Comment ça, quatre ?
- Le prof : Oui, quatre... Cinq ? Tu préfères cinq ?
- Lélève : Quatre ou cinq, merci. Comment je peux avoir une note pareille ?
- Le prof regarde la feuille, semble l'examiner un temps : En effet, c'est mal payé.
- L'élève : Ah !
- Le prof : Je pourrais mettre… Dix. Ça te plairait dix ?
- L'élève : Ah bon ? Vous pouvez doubler ma note, comme ça (elle fait claquer ses doigts) ?
- Le prof : Si ça te fait plaisir.
- L'élève : Ben alors, ça, c’est la meilleure : si ça me fait plaisir !
- Le prof : Oui. Si ça te fait plaisir, je te mets dix, ou douze. Qu'est-ce que ça peut faire ?
- L'élève : Et bien, moi, ça me fait. Je veux savoir combien vaut mon devoir.
- Le prof : Il n'est pas terrible. C'est pour ça : quatre.
- L'élève : Quatre ?
- Le prof : Tu préfères six, ou sept ?
- L'élève : Râah mais arrêtez ! Je préfère… je veux seulement que vous révisiez ma note, parce que je trouve que vous avez noté sévère, mais je veux aussi une note… adaptée à mon devoir. Pas n'importe quoi.
- Le prof : D'accord. OK. Je saisis. Tu veux combien ?
- L'élève : Mais... c’est pas à moi de vous le dire, quand même !
- Le prof : Voyons si nous pouvons tomber d'accord. Tu l'estimes à combien, ton devoir ?
- L'élève : Et bien, je ne sais pas, moi. Je savais que je m'étais un peu planté(e) sur la deuxième question et j'avais pas franchement révisé, c’est vrai…
- Le prof : J'ai fait le même constat. Alors ?
- L'élève : Moi, franchement, je pensais avoir un neuf.
- Le prof : Un neuf ?
- L'élève : Oui.
- Le prof : Selon toi, ce devoir vaut neuf ?
- L'élève : Ben je sais pas. C’est vous qui me demandez. Tout à l'heure, vous étiez prêt(e) à mettre un treize ou un quatorze.
- Le prof : Douze. Douze maxi. Faut pas exagérer non plus.
- L'élève : Je ne comprends plus rien, excusez-moi. Qu'est-ce que vous me faites, là ?
- Le prof : Elle signifie quoi, ta note ?
- L'élève : Quoi, elle signifie quoi ?
- Le prof : Oui, elle signifie quoi ?
- L'élève : Je ne sais pas. Quelle note ? Votre quatre ou mon neuf ?
- Le prof : L'une ou l'autre. Elles signifient quoi ?
- L'élève : Ho là là, arrêtez, vous me prenez grave la tête, là. C'est un cauchemar...
- Le prof : Mon quatre sanctionne le fait que tu n'as pas assez travaillé. On est d'accord ?
- L'élève : D'accord. Mais...
- Le prof : Et ton neuf sanctionne le fait que je ne t'ai pas assez bien noté, c'est ça ?
- L'élève : Euh… Oui, on peut dire ça, oui.
- Le prof : Ton neuf est la note de mon quatre, en quelque sorte. Faisons la moyenne de nos deux appréciations et la question est résolue. Neuf et quatre : treize, divisé par deux : six et demi. Bravo, tu as gagné deux points et demi. Je te les accorde bien volontiers. (il ou elle approche la copie, sort un stylo rouge, biffe la première note et réévalue). Voilà ! Six et demi.
(Prendre un temps.)
- L'élève : C’est presque la moitié de douze...
- Le prof : C'est un devoir de Français, ce ne sont pas des mathématiques.
- L'élève : Je veux dire : j'aurais pu avoir douze tout à l'heure, quand vous m'avez demandé si ça me ferait plaisir d'avoir douze...
- Le prof : C'est vrai.
- L'élève : Enfin, vous voyez bien que quelque chose ne va pas ! Vous faites comme si les notes n'avaient aucune importance. C'est dingue, ce truc.
- Le prof : Pas dingue... Dingue si tu veux, oui. C'est absurde plutôt. Les notes sont absurdes.
- L'élève : Les notes sont absurdes ?
- Le prof : Le principe de la notation, en fait. Je n'aime pas ça.
- L'élève : Et c’est pour ça que vous me faites tout ce délire ?
- Le prof : Tu veux un D ? Tu préfères un D ?
- L'élève : Mais je veux juste une note !
- Le prof : Un la ? Un do ?
- L'élève : ...
- Le prof : Je plaisante.
- L'élève : Vous m'avez fait peur. Je me suis dit : il (elle) a craqué…
- Le prof : Tu n'es pas si loin de la vérité, tu sais. Je craque. Bon sang, mais cette obsession des notes...
- L'élève : Attendez, il faut bien savoir où on en est, si on fait des progrès, non ?
- Le prof : Si je m'en tiens à cette courte expérience, c'est discutable. En quelques minutes, tu voulais passer de mon quatre à ton neuf. Est-ce que tu aurais progressé d'autant, par l'effet de cette simple correction ?
- L'élève : C’est moi qui vais craquer, là. Vous êtes pas sympa avec moi.
- Le prof : Non, sérieusement. J'aimerais pouvoir ne pas noter, tu sais. Ou que la note ne soit pas vécue comme une sanction. Je voudrais davantage mettre en avant les qualités d'une copie, plutôt que d'être contraint d'en souligner les défauts, tu vois ? Je crois d'ailleurs que je le fais mais pas suffisamment parce que... je suis engagé vers l'objectif de ce fichu bac ! Cette épreuve ultime et vénérée avec ses critères d'évaluation qui ne sanctionnent qu'une chose : votre adéquation avec le moule qu'on a fabriqué pour vous.
- L'élève : (Madame, Monsieur) Vous allez bien ?
- Le prof : Hmmm ? Oui, ça va, ne t'en fais pas.
- L'élève : Du coup, j'ai combien ?
- Le prof : On a dit six et demi.
- L'élève : Vous m'avez eu avec votre histoire de moyenne de nos deux notes. Je veux une note appropriée.
- Le prof : Allez, on va dire que j'ai écrit le « six » à l'envers. (il gribouille la feuille). Voilà, neuf et demi. Mais je ne trouve pas ça juste.
- L'élève : Oh non, on va pas recommencer ?
- Le prof : De toute façon, je m'en fiche. Ta véritable évaluation, c'est... regarde-moi.
- L'élève : Hein ?
- Le prof : Regarde-moi.
- L'élève : Je vous regarde.
- Le prof : Là, dans les yeux. Ta véritable évaluation elle est là. Dans mon regard sur toi. Quand je suis content(e) de toi. Tes actes de la vie, hein ? quand tu fais quelque chose de bien, c'est dans le regard de tes copains, de tes copines, de tes parents, de tes proches, que tu les évalues. (Soudain comme éclairé(e) par une révélation :) Désormais, je vais noter en vous lançant des regards d'approbation et de contentement. Ou bien un coup d’œil furieux, un air mécontent. Voilà, je vais noter comme ça, maintenant.
- L'élève : Et ben… Quand je vais expliquer à mes parents… Combien t'as eu en Géo ? J'ai eu « Soulèvement de sourcils ». Et en Maths ? J'ai eu « Moue affligée avec une nuance de mépris ». C'est sûr, ils vont adorer.
- Le prof (salue l'élève qui se redresse et s'en va) : Salue-les de ma part.
- L'élève : Oh, je pense que vous n'allez pas tarder à avoir de leurs nouvelles...
Noir. -
3527
Elle avait été agressée sexuellement par trois hommes masqués qui avaient filmé la scène. En toute logique, elle avait porté plainte contre XXX.
(Kronix est donc de retour et vous prie de l'excuser pour cette si longue absence, motivée par une formidable flemme. Vous allez me dire que, si c'est pour écrire des trucs pareils, il pouvait aussi bien rester couché, ce qui fait qu'il y retourne, à sa paresse.)
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C'est en cherchant les œufs de Pâques que les enfants étaient tombés sur la réserve de grenades de Papy. Heureusement, comme elles n'étaient pas décorées, ils les avaient jetées dans le jardin du voisin. -
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Ils sont pourtant nombreux, les acteurs de la valorisation du Furan, signe aussi que cela concerne une large population, pas seulement quelques citadins entichés d'écologie, dont un caprice serait de flâner le long d'une rivière, en pleine ville. Collectivités, établissement publics, associations, industriels, agriculteurs... la liste est longue. Je lis, je vois, je retrouve partout cette antienne : redécouvrir le Furan. Un document de 2009 produit par la Ville de Saint-Etienne, parmi d'autres, s'en fait l'écho, en illustrant le devenir du Furan par des croquis de puits ou de noria, qui ponctueraient le tracé de la rivière. On peut y lire : « ville sans fleuve qui a aussi longtemps vécu dans la dénégation de sa rivière, l'entreprise [la valorisation des berges du Furan et des cours d'eau] relève à la fois du paradoxe et du défi. » Les difficultés sont posées, l'ambition est déclarée, autant de signes que les esprits sont prêts. L'idée lancée il y a trente ans comme une utopie a fait école ou bien, aussi sûrement, le sens de l'histoire est pour une sorte de rédemption du genre humain. Il suffirait de la lui permettre. De lui donner l'occasion de faire accord avec ce qu'il a tant méprisé jadis, par indifférence, négligence, nonchalance, obsession de la rentabilité, autant de raisons irrationnelles, au regard des enjeux de qualité de vie.
Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.
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3524
Le Furan emmuré, plus ou moins souillé, que faire de ce fantôme en voie de résurrection ? Tandis que les galeries de mines s'enfoncent inéluctablement dans l'oubli, engorgées d'eau sale, qu'elles seront de plus en plus des traces indifférentes et muettes, s'élèvent dans les pensées et se manifestent aux citoyens les moins inconséquents, l'urgence et la présence de la vie de la mère rivière. L'idée n'est pas neuve. Il y a plus de trente ans, Yves Perret avait entraîné ses élèves de l'Ecole d'architecture de Saint-Etienne, dans le projet fou d'une réconciliation de la Mère rivière avec son rejeton urbain. L'étude s'évertuait à prendre les choses dans l'ordre. Il s'agissait d'abord de s'interroger sur ce qui est le socle de la ville, sur ce qui se passe dessous. Préoccupation incongrue, déplacée, quasi délirante, lui fit-on savoir. L'époque voulait ce mépris goguenard pour ceux qui suggèrent tout simplement de cesser de croupir dans ses propres déjections. D'abord assainir, donc. Avant de bâtir, de projeter, de rêver : s'inquiéter de la terre, de l'eau, de l'air. Pourquoi cette évidence n'était-elle partagée que par une poignée ? Surtout, comment se fait-il que l'urgence n'apparaisse toujours pas, aujourd'hui, à son vrai degré d'exigence, ne soit pas à l'origine et au cœur de toute réflexion ? S'il y a des générations futures, elles seront abasourdies au constat de notre inertie. Cependant, une prise de conscience, venue à la présentation de preuves incontestables un peu partout dans le monde, a lentement imprégné les esprits, au plus haut niveau. Grâce à de nouvelles réglementations, trente ans après l'initiative de l'école d'architecture, l'état du Furan s'est amélioré. Nous sommes loin du compte, comme on l'a vu (et senti), mais au moins, un espoir est permis. Maintenant, suivons la logique de notre architecte et rêvons avec ses étudiants d'une rivière rendue au jour, sur l'essentiel de sa traversée. « Oui, l'eau coule gaillarde et irisée en plein centre ville. Depuis les ponts, certains jours, les Stéphanois viennent voir moucher les truites. Les enfants jouent partout. Des prises d'eau alimentent les biefs qui courent dans les rues et arrosent jardins publics et jardins ouvriers. » Je cite ici un extrait d'un texte d'Yves Perret intitulé « Rêve » Et pourquoi pas ? Ce sera long, coûteux ? « Il a fallu cent ans pour recouvrir le Furan, ça a bien été fait, rappelle-t-il, on pourrait mettre cent ans pour le découvrir. » Les efforts techniques et économiques à consentir ne sont pas plus extravagants que ceux qui, il y a un siècle, ont conduit à l'enfouissement du cours d'eau (au passage, ça coûte combien, un stade, un centre commercial ?) Est-on obligés de s'interdire d'y réfléchir ? Tant d'exemples, dans l'histoire des entreprises humaines, nous rappellent qu'un projet insensé ne paraît tel qu'à cause d'une sorte de paresse. Une tour de fer de trois-cent mètres ? Mais pour faire quoi, grands dieux !
extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.
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Sur son radier, imperceptible désormais, le Furan parcourt des kilomètres, sa pente naturelle reprise par la grande rue qui, si on la laissait sur son élan, rejoindrait la Loire, à quoi est le ruisseau destiné. Il ne réapparaît qu'au flanc de la rue des Trois Glorieuses, vers La Terrasse, à l'autre extrémité de la ville. M'y voici en ce mois de mai. J'ai espéré plusieurs jours un moment de soleil avant d'aller, résigné, à ce rendez-vous, sous un ciel de gris massif et bas, un air sans mouvement. Triste atmosphère qui me prépare à un triste spectacle. Depuis la rue, son surplomb plus important qu'à Valbenoîte, la rivière est loin. Le Furan est pissé par la ville dans un bouillonnement dont la source est volée au regard par une épaisse végétation, broussailles inamicales qui envahissent chantiers et talus dans les zones que l'homme abandonne. Peu de courant, ce jour, le niveau est bas, l'eau est noire, quelques oiseaux, noirs, sautillent de roches grises en roches grises sous le jour gris. Sur la rive droite, une paroi minérale naturelle dont la base est travaillée par la sape du Furan, quand il abonde ; sur la rive gauche, des murs de béton séparent cette nature navrée d'un parking accolé à des bâtiments commerciaux. Avant d'achever sa course urbaine dans cette sentine, le Furan a accueilli les eaux de ses affluents devenus des collecteurs, et son odeur n'en fait pas mystère, même à distance. Je la définirai comme un mélange de vase et de vidange de machine à laver. On se console, si l'on veut, par la perspective du traitement de cette lie, enfin, à la station d'épuration du Porchon, imaginée dès 1938 mais lancée en 1972 (pourquoi les aménagements qui concernent santé et bien-être sont-ils toujours relégués ou retardés ?)
Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.
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C'est ce soir, à 19 heures, à la librairie Lune et l'autre de Saint-Etienne, 19 rue Bérard, que j'aurai le plaisir de vous faire partager mon enthousiasme pour le formidable roman d'Aurélien Delsaux, "Sangliers", en présence de l'auteur.
Enfin, un roman ample, ambitieux, riche tant du point de vue de la forme, du style, que du contenu. Enfin, enfin, un monument dans ce paysage littéraire de nains, une épopée nécessaire au milieu de cette théorie de récits timides, prudents, égotiques, souvent cyniques parce qu'incapables de grandeur.
Enfin, enfin, de la littérature, bordel ! (je m'excuse).
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Mais avant cela, pour le regard averti, l'urbanisme témoigne en plusieurs endroits de la présence de la rivière sous la ville. Remontons notre parcours, rebroussons chemin vers le sud. Le cours Victor Hugo dans cette direction, soudain se tord. Sa perspective, partie d'un élan net depuis les Ursules, s'arc-boute et vire dans le tracé curviligne de la rue du Général Leclerc. Docile, la ligne de tramway, superposée au cours de la rivière, arrondit également ses voies, rejoint l'avenue Gambetta. De l'autre côté, la rue Voltaire reprend en l'inversant, l'effet de courbe amorcé par la rue Leclerc. Un « S » géant vu du ciel, avec les bâtiments rangés le long de cette sinuosité, comme des berges verticales. Le dessin de souple balancement de ces deux rues, c'est un tribut à notre Furan, calqué sur ses méandres, le S majuscule final du Furens. De même, cours Victor Hugo, en face des halles, le promeneur remarque dans l'alignement des façades, un bâtiment nettement moindre que les autres. Le signe d'une prudence induite par le passage de la rivière : à l'époque de travaux d'urbanisme de ce quartier, on ne pouvait faire subir au recouvrement du Furan, aux fragiles voûtes qui portent la chaussée, le poids d'un bâtiment haut et fier, comme sont les autres immeubles de la même rue.
Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.
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La ville le dérobe aux sens, après cela : le Furan canalisé et le bief des usines qui est, en quelque sorte, jumeau de son chemin, passent en silence sous la ville, le long de la rue Gérentet, le long de la place Jean-Jaurès, non loin d'un autre entrelacs souterrain dont on parle peu : les abris contre les bombardements établis dans ce secteur — « vestiges d'une guerre finie », une du genre mondial, la seconde sans doute. Que sont devenus ces vastes couloirs de béton armé ? L'auteur de « Le Beau navire », Claude Gros, les situe du côté de l'église Saint-Charles. Dans ma ville natale, ils étaient enterrés sous la place de l'Hôtel-de-Ville, une configuration proche de celle de Saint-Etienne. Lors d'importants travaux dans les années 95, on pouvait y accéder par de lourdes trappes cachées sous le bitume depuis des décennies. J'avais eu le privilège de les parcourir, en tout cas déambuler dans les portions encore accessibles, jusqu'à des obstacles de maçonneries, empêchant que des squatteurs héroïques ne s'y installent durablement ou, plus probablement, que des intrépides ne s'y aventurent trop loin, jusqu'à des confins fragilisés et dangereux. Le complexe défensif s'étendait sous la place en des prolongements non-cartographiés, à un coup de pelle ou de pioche, à moins de cinquante centimètres sous la surface. C'est l'épaisseur de béton, plus que la profondeur d'enfouissement des galeries, qui assurait la protection des réfugiés. L'ouvrage stéphanois n'était probablement pas éloigné de l'ouvrage roannais et j'en déduis que le parking souterrain actuel, dépassant et englobant la profondeur des abris, les a phagocytés. C'est donc, contrairement aux galeries de mines, un réseau bel et bien disparu, comme la petite Daphné de l'ex place Marengo, bronze élégant avec son pas de course suspendu, nymphe emportée par la guerre qui avait fait naître les abris, pas tondue mais fondue, à la grande joie des canonniers (destin que n'a pas connu la délicieuse muse de Massenet, sculptée par Lamberton, enlevée clandestinement une nuit de 1940 et qui retrouva son square, la paix revenue).
Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.
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Je voulais noter de quelle façon, au vu de tous, se manifestent les effets de ce qui travaille secrètement les entrailles de la cité. Une certaine archéologie des caractères enfouis, c'est-à-dire tus. Et comment cela, inéluctablement, bouleverse la surface. En l'occurrence, j'ai digressé : la relation est mince entre la puissante forteresse commerciale sur laquelle je me suis attardé et le discret torrent qui palpite sous ses murs. Sans doute, un enquêteur autorisé à descendre sous le complexe voulu par Michel Durafour dans les années 78-80, percevrait entre les piles de béton solidement ancrées, l'eau confinée de la rivière, je l'imagine entre les puissantes fondations, miroitement nocturne dans l'ombre qu'elle ne quittera plus jusqu'à sa sortie de la ville. Des souvenirs du Fantôme de l'Opéra (le film, la version muette, avec Lon Chaney), plaquent leur imagerie sur la réalité certainement plus terne du souterrain. Rien à la surface ne manifeste plus le cours caché. Et puis, soudain, on retrouve le Furan un peu plus loin vers le nord. Non pas le cours et son chant ; sa trace, seulement. Je ne sais qui, sur le site de l'Université, à Trèfilerie, a veillé à rappeler que l'eau continue son train sous la ville immobile et minérale, mais c'est une idée cohérente : inscrire un signe mémoriel dans un lieu de savoir. Un trait bleu et droit, quelque peu râpé aujourd'hui, dessine une géométrie de rivière fantôme au piéton funambule qui l'arpente. Sur le campus, on peut s'accouder à une barrière qui protège une descente bétonnée au fond de laquelle des portes métalliques verrouillent l'accès au cours souterrain. Il suffit de tendre l'oreille pour constater que le Furan là derrière gronde et vit. Il se manifestera de la même manière, voix brouillée par la rumeur urbaine, sous les pas du promeneur à quelques kilomètres de là, place Dorian. Le sang rejoint le cœur premier qui bat. De grosses tôles séparent nos deux mondes. Vibrations de cascade là dedans, là dessous. Sur un affaiblissement des roulements de la ville, c'est plus net, c'est proche. La créature selon les saisons, rue ou somnole dans sa caverne. On guette, immobile là haut, attentif, comme on est attentif à soi, à l'écoute de ce que le corps au secret murmure de nous. Passant, il est utile de t'arrêter ici si tu veux apprendre ce que tu es et ce qu'est ton rapport au monde. C'est beaucoup, c'est trop ? Je suis sérieux : la méditation en présence de ce qui est enfoui n'est pas un exercice vain, il s'y produit un engouffrement en soi des embarras quotidiens, et cette opération laisse subsister en surface, sous la clarté de la conscience, ce qui mérite enfin d'être examiné. Le mystère d'une vie dont on ne perçoit que les efforts de fauve incessants à cogner contre sa cage, rince et ressuie la lie du trop-plein, et mène à l'essentiel. Ne haussez pas les épaules, essayez. Plantez-vous dans ce vertige et sentez la pulsion tellurique remuer en vous les vérités.
Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.
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