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  • La question du pseudo -1

    Une question très importante pour moi, dont j’ai même tiré un roman entier, intitulé « Jean F ». Question devenue cruciale pour la parution du « Baiser ». Alors ? Signer d’un pseudonyme ou sous mon vrai nom ? Tant de choses à prendre en compte…

    J’ai longtemps dessiné sous pseudo. Et j’en avais pléthore : G.I. Mass, Eben, Christal, jusqu’à l’imbécile Vladimir Kroumkroum, apposé au bas d’une affiche de commande dont le dessin était tellement maladroit qu’il me faisait honte. Il y eut récemment un « Christian Daniel », mais j’y reviendrai.

    Pour l’écriture, j’ai la plupart du temps signé de mon vrai nom, au début par absence de réflexion sur le sujet, et à un certain moment, par pure vanité, je l’admets. Dans notre petite province, les noms circulent, enrichissent la base de données des représentations mentales qu’on se fait des individus, les contacts sont plus faciles quand le nom est associé à un contexte, à un environnement bien repéré. J’ai ainsi gagné quelques concours de nouvelles, signées Christian Chavassieux.

    Nos noms, avec mon pote-et-plus-que-ça Lionel Létant, nous avions résolus de les poser en manifeste au bas des articles protestataires d’une sorte de samizdat, dans les années 90, intitulé « Le mouchoir à carreaux ». Articles sans concessions, adressés gratuitement au public le plus large, quoi que diffusé par système de photocopies, redistribuées par chaque auteur participant. L’idée était, tandis que s’imposait chaque jour plus fortement la présence haineuse du FN, de pousser l’aiguillon pour dire ce que nous avions à dire contre cette France qui se perdait, selon nous, et tenter de parvenir aux frontières où nous empêcherait de le dire. Le canard est décédé après son quatrième numéro, faute d’auteurs. Nous n’avons jamais eu aucun problème. Une indifférence vexante du monde politique et des extrémistes qu’on malmenait à longueur de pages, et qui se fichaient pas mal de nos rodomontades, aussi argumentées soient-elles. La diffusion confidentielle circulait donc parmi un cercle de personnes déjà convaincues. Toute une littérature bien inutile.

  • Une bonne nouvelle en passant

    En passant, vit fait, parce que je suis heureux de cette décision :

    Le tribunal administratif de Paris a annulé, jeudi 30 octobre, l'appel d'offres lancé en août par le ministère de l'immigration sur l'aide aux étrangers dans les centres de rétention. (AFP)

    Voilà, pour ceux qui avaient suivi l'affaire, ils comprendront. Les autres, je vous raconterai un de ces jours, mais faites-moi confiance, c'est une très bonne nouvelle.

  • Première marche - 7

    Quand je commence un roman, quand je jette la première phrase sur le papier, un certain nombre d’étapes a déjà été franchi. Il faut d’abord que je sois convaincu de l’intérêt du sujet, car je vais vivre plus d’un an avec des personnages et dans leur univers, presque quotidiennement. Cela mérite réflexion. Souvent, un sujet s’impose seul, et il me serait très difficile d’analyser toutes les arcanes qui le font naître. Ce sont des questions qui me taraudent, des choses qui mobilisent mon attention. La valeur et la fragilité de la démocratie, la trahison des idéaux que l’on s’est fixé, la subtilité et la volatilité de la mémoire des sociétés, sont des thèmes que j’affectionne, entre autres.

    Il se trouve que, cette année-là, mon fils, à peine âgé de 16 ans, faisait un stage d’été très physique. Il revenait exténué les soirs, partait très tôt le matin. C’était éprouvant de voir son jeune corps soumis à de telles contraintes. Je repensai alors aux enfants des mines, au XIXè, leurs perspectives de vie complètement bloquées, leur avenir d’ouvrier agonisant dans la poussière industrielle. Cette vision désespérée du monde, si elle était élargie à tous les degrés de la société, en poussant à l’extrême les valeurs du travail manuel –exténuant de préférence– comme vecteur de bonheur, pouvait donner un livre intéressant. Je me suis donc engagé dans l’écriture d’une grande fresque de politique-fiction, intitulée « l’Husine », le «H » majuscule ouvrant sur l’idée que l’usine du titre, vaste comme une agglomération, symbolisait l’humanité.

    J’y présentais Mido, un garçon comme le mien, entrant avec son père dans un des ateliers de cet incommensurable complexe industriel. Cela commençait ainsi :

    « L'Husine. Le froid du petit matin, les loupiotes accrochées au béton. Au milieu de la foule de têtes rases qui avancent, le petit Mido, inquiet mais fier, l'épaule meurtrie par un sac de nourriture trop chargé. La main de son père sur l'autre épaule. La silhouette de son père que Mido s'imaginerait longtemps massive et altière ; qu'avec le temps il admettrait voûtée et fatiguée.

    L'Husine et son goût de fer et de graisse, sensible de loin. Et les portes franchies, cette lumière inhumaine, pesant sur la nuque avec son haleine de bruit, qui écrase et vous dit d'obéir. L'Husine aux dimensions incroyables –où l'on apprend à faire son nid, malgré tout, avec l’âge– qui avale le trop jeune Mido, l'éloigne de son père et le propulse devant une machine terrible, vorace mais belle. »

    J’ajouterai plus tard de courts textes, extraits de notes circulant au plus haut niveau de l’organisation de l’Husine, et qui dessinent un portrait de la société dans laquelle se débat le jeune Mido. Cela donnait :

    « Le système est construit sur le principe du travail. Le travail n’a d’autre fonction que d’assurer la pérennité du système. Le travail doit être perçu comme le sens de la vie. Il est impératif qu’il soit non seulement apprécié mais désiré. Le travail doit être la préoccupation essentielle de chaque minute, la raison d’être de chaque geste, le but de chaque projet, la matière de toute pensée. Il doit être assimilé à l’air, au sang, à l’eau, à l’éventualité d’un lendemain. Il doit être inséparable de l’idée de vie. Le travail doit être aussi répétitif que possible et littéralement épuisant. Cet épuisement a pour objet de rendre inopérante toute pensée destructive pour le système. La liberté de penser hors du travail est inconcevable. L’ouvrier doit croire que sa liberté de penser, il la gagne au sein de son travail, grâce à la vacance des idées que permet une tâche abrutissante et répétitive… » etc.

    Des mois et des mois de travail, et petit à petit, le doute qui s’immisce. Je découvre que mon personnage est un personnage du XIXè siècle, que mon propos sur la démocratie peut-être confondu avec un manifeste à la Zola (d’où l’intérêt de tester auprès de lecteurs critiques, le travail en cours), que le véritable sujet est dissous dans une histoire trop « typée » culture ouvrière. Je me suis trompé. La mort dans l’âme, je finis par clore l’écriture alors que j’abordais la fin de la première partie, sur les trois prévues. Mais tout ce travail n’est pas perdu. L’univers de l’Husine, ses rues bouffées par la brume, la fatigue perpétuelle qui pèse sur les épaules des hommes, tout cela réapparaîtra dans « le Baiser… », livre dans lequel je trouve enfin le bon angle pour dire ce que je voulais dire. Entre les deux, j’ai simplement attendu, écrit un autre livre, très distrayant.

    Il y a peu, j’ai échoué de la même manière sur un autre roman, pourtant bien avancé, très ambitieux et foisonnant, mêlant trop d’éléments autobiographiques à un thème riche en niveaux de lecture. Comme pour l’Husine, j’ai fini par abandonner. C’est un renoncement douloureux, il me faut du temps pour prendre la décision, mais je sais que c’est mieux ainsi. Comme dans le cas de l’Husine, j’ai entamé à la suite de Magma (titre provisoire de ce livre avorté) et sans perdre de temps, un récit plus fluide (mais jamais anecdotique ou convenu), grâce auquel je me régale tous les jours (et ma douce première lectrice aussi).

    Serein, je sais que les thèmes abordés dans Magma resurgiront, et qu’alors, j’aurai trouvé la bonne manière de les traiter. Juste un peu de patience.

     

     

  • Première marche - 6

    C’était l’été. Nous étions en Ardèche.

    L’écriture du Baiser avait commencé un peu plus tôt. Tandis que j’achevais celle du roman précédent, je commençais à jeter les bases du suivant. Une méthode que j’utilise toujours, et qui me permet d’enchaîner roman sur roman, sans coupure. Méthode qui explique peut-être que j’écris chaque histoire, comme une réaction à la précédente. Je venais d’achever un livre facile pour moi, à l’écriture fluide, une histoire nu peu délirante, un vrai plaisir. J’avais envie de me confronter à un thème difficile, et de me lancer un défi littéraire. Le sujet du Baiser est dans la veine d’autres de mes livres, et explore par exemple la fascination des systèmes totalitaires, la séduction des dictateurs, mais surtout : comment les fascismes forment le milieu idéal où vivent et prospèrent les crapules. Pour raconter cette histoire terrible et noire, je voulais une syntaxe particulière, un effet d’étouffement, des phrases longues qui engluent. J’ai fait de nombreux essais d’amorce, écrit des pages de longues phrases, pas toujours en rapport avec le sujet d’ailleurs, pour obtenir la « musique » souhaitée. J’ai cherché ainsi tant que mon roman en cours n’était pas terminé. Enfin, je me suis lancé. Un peu plus tard, c’était les vacances, et j’étais avec N., ma compagne de l’époque, en vacances dans un ancien couvent, au fond des terres ardéchoises, au calme.

    N. m’avait prêté son portable. Le soir ou le matin, avant ou après une promenade, tandis qu’elle lisait ou s’alanguissait sous un figuier, j’écrivais. Comment ce récit brutal, excessivement noir, désespéré, a pu trouver sa forme presque définitive dans un environnement aussi paisible, auprès d’une femme attentive et rieuse, n’est pas si mystérieux, mais confirme que la littérature est un artifice.

  • Ma banquière aime les enfants

    Interlude. Parlons d'autre chose, aujourd'hui, si vous le voulez bien. L'actualité boursière me rappelle une entrevue avec la dame qui, un temps, s'est occupé de mon compte. A cette époque, il se trouve que j'eus subitement un peu d'argent de côté, et que je m'interrogeais sur une façon morale de le faire fructifier. Le mettre de côté, comme dit un ami, pour en avoir devant soi, ce qui est un joli paradoxe.

    Et voilà ma banquière, toute gestuelle parfumée en action, qui sort la panoplie de ses meilleurs produits, ceux qui "rapportent un max", quoi. Des actions en veux-tu en voilà, de la spéculation dont on a pas à se soucier, puisque confiée à des professionnels, qui se salissent les mains pour vous. Des rendements mirifiques. Et je refuse. Etonnement, que dis-je, pétrification de ma conseillère : "Il faut penser à vos enfants, faire fructifier cet argent pour eux." Holà. J'explique à la dame, bouleversée par un tel manque de discernement : "Ce que vous me proposez, c'est d'entrer dans cette spirale de rentabilité absurde, qui fait de la liquidation d'une entreprise qui marche bien, une opération plus rentable que de recueillir les fruits de sa production, aussi modeste soit-elle. Vous me demandez de participer au jeu dangereux de conseils d'administration avides, jamais satisfaits d'un rendement normal, mais à l'affût de pourcentages indécents. Vous me demandez d'apporter mon soutien à un mode économique qui a réduit cette agence de la moitié de son personnel. Oui, madame, je pense à mes enfants. Et c'est pour cela que je ne veux pas de ce genre de produits." On a donc tout mis sur un PEL, je crois. En attendant de trouver une banque solidaire pas trop loin de chez moi.

    Les placements mirifiques de ma brave banquière, aujourd'hui, doivent ressembler à des carnes faméliques. J'aimerai bien la croiser pour lui demander, cruellement, comment vont ses enfants.

  • Les Nabokiens

    Je viens d'ajouter un lien dans la liste des "vous pouvez y aller". Il s'agit du site qui recense les sites de tous les anciens de l'association Ikon & Imago, qui fit battre le coeur de notre commune au rythme de la BD d'auteurs. Chacun est aujourd'hui parti vers de nouvelles aventures, en général représentées dans des blogs ou sites personnalisés. L'idée d'Hector est de les rassembler à partir d'une même plateforme, que nous pourrions nourrir avec le temps, en parlant de nos projets (nombreux). Il se pourrait mêrme qu'un jour, on s'amuse à se gratifier de prix d'excellence au cours d'une cérémonie digne des Césars. Nous verrons. A suivre en tout cas.

    http://1oeilsurlegalet.blogspot.com/

  • Première marche -5

    Et la préface ? Ah. La préface... Le Baiser de la Nourrice est dédié à Jean Mathieu, il est donc tout naturel que je le sollicite. Je souhaitais aussi impliquer un autre auteur, connu de longue date : Jean-Pierre Andrevon. Jean-Patrick me rassure, il est possible de mettre deux préfaces, ils l'ont fait notamment pour l'édition précédente des "Soeurs Océanes" : La Chair, de Serge Rivron.

    Jean est évidemment d'accord. J'écris à Andrevon. Pourquoi Andrevon ? Parce qu'il fut l'un de mes premiers lecteurs. C'était dans les années 97 ou 99 je ne suis plus sûr. J'avais enfin mis la dernière main au premier roman qui me semblait être assez "professionnel" pour être proposé aux éditeurs. Cela s'intitulait A la Droite du Diable, c'était un gros volume, ressortissant manifestement du genre SF, dont Andrevon est un des maîtres, en France. A l'époque, je faisais partie de l'équipe d'organisation du festival de la SF à Roanne. Le président du festival, Jo Taboulet, me confia l'adresse d'Andrevon, à qui j'envoyai le manuscrit. Il le lut, me le rendit avec un mot griffonné, que j'ai encore, disant en toutes lettres : "C'est excellent. Si j'étais directeur de collection, je le publierais." Plus loin, il me conseillait de présenter le texte à "L'Atalante", éditeur de romans relativement "en marge", comme l'était le mien. La tentative échoua (de peu : le comité de lecture hésita longtemps, tergiversa, avant de renoncer finalement, évoquant une certaine "froideur"). Mon premier échec, ou semi-échec, puisque le manuscrit avait tout de même franchi divers seuils de sélection, pour être discuté in fine, par plusieurs lecteurs.

    Depuis, je lis autant que possible les derniers romans de Jean-Pierre Andrevon, auteur prolofique, et il m'arrive de lui écrire (rarement, j'admets). Il y a un mois donc, je m'enhardis (cette histoire est une longue suite de dépassements de ma réticence viscérale à croire en moi) à lui demander s'il veut bien écrire la préface de mon premier roman édité, le Baiser de la Nourrice, dont le texte est joint à mon courriel. La réponse est immédiate, c'est l'accord de principe que j'espérais, et c'est la briéveté du roman qui a été l'élément décisif.

    Quelque temps plus tard, Andrevon m'adressait une préface drôle, vive, à son image. Suivra celle de Jean, que je me permettrai de mettre en ligne ici.

    Ce sera pour demain, ou dans les jours qui viennent, si le temps me manque.

  • Première marche - 4

    Jean-Patrick et Michèle ont ouvert depuis peu une librairie-galerie, dans un village du livre, à mi-chemin de nos deux résidences. La librairie s'appelle Garalde, du nom d'une typographie élégante et noble. Quand j'y pénètre, il flotte une odeur de peinture fraîche et les couvertures des premiers livres arrivés là se réchauffent sous la paume du soleil, entrée par les fenêtres étroites.

    C'est une réunion de travail. Nous allons relire le manuscrit, chasser les fautes ou coquilles éventuelles. Haddock, qui n'est pas un labrador mais un Golden Retriever (ortographe incertaine), me présente fièrement l'os artificiel que ses maîtres lui ont récemment acheté, et ne me lâche plus après la première caresse vers les oreilles. Un petit café, on s'installe autour d'une grande table de travail. Michèle va lire, Jean-Patrick est sur l'ordinateur, avec lequel il vérifiera les points problématiques, les singularités grammaticales. Michèle prend une grande respiration et attaque. Je comprends pourquoi le rôle de lecteur lui est dévolu : elle lit à une vitesse vertigineuse, relève néanmoins le moindre incident, la moindre coquille (il y en a très peu, tout de même : je suis assez sourcilleux sur mes manuscrits), parfois, dans le souffle d'une phrase elle glisse : "C'est très beau, ça", et poursuit sans rompre le  rythme. Au bout de deux heures, nous avons parcouru un quart du livre. Il n'y a eu qu'une seule pose, très courte, histoire de reposer la voix, grâce à une moitié de biscuit, l'autre étant accordée à Haddock, qui n'a pourtant rien foutu.

    Samedi, c'est-à-dire hier matin, nous nous sommes retrouvés dans les mêmes conditions pour achever cette lecture critique. Tout cela est fait avec le plus grand sérieux, méticuleusement. Rien n'est critiqué sur le fond : ils ont choisi ce texte, l'aiment tel qu'il est, ne discutent aucun point sous cet angle. La lecture finie, je les salue, toujours un peu embarrassé de ne pas savoir leur dire le cadeau qu'ils me font. Je retrouve la route que la brume du petit matin a abandonné à présent, balayée par un soleil robuste et rieur. Je pense à demain, je pense à mon travail, je pense à ma douce, à mes enfants, à la beauté tellement fragile du monde. La route glisse, silencieuse, je conduis doucement. Il ne m'est jamais paru aussi urgent de rester en vie, un ou deux mois de plus.

  • Première marche - 3

    La première rencontre. Car il s’agit de se rencontrer, de se connaître, de se flairer. Qui sommes-nous, directeur de collection et auteur, quelles amours livresques avons-nous connues, quel chemin nous a menés l’un à l’autre, quelle littérature enfin, nous réunit ?

    Ma douce et moi, parvenons un soir d’été en fond de campagne, au bout d’un chemin si peu fréquenté que je crois m’être trompé de direction. Un coup de fil, non c’est bien là, la voix de Jean-Patrick nous guide et apparaît bientôt une ancienne ferme, refouillée sans artifice par des bras respectueux, des mains intelligentes. Des citadins qui ne voient pas le rural comme une contrée colonisée.

    Jean-Patrick nous accueille, avec ce doux sourire que je lui sais désormais, Michèle, sa compagne, nous rejoint et nous présente Haddock, le grand labrador au pelage clair, avide de fraternité, et Pipette (ce n'est pas ce nom là, mais l'intéressée me pardonnera) la mésange, qui épie notre venue depuis son fil électrique. Qui sommes-nous ? Nous nous racontons. Et eux ? Jean-Patrick est proche de la retraite, fils d’un libraire lyonnais très connu, frère d’un auteur non moins célèbre, il est magistrat, s’occupe notamment des parutions immédiates. Sa carrure et ses vastes mains racontent aussi qu’il fut éducateur. J’imagine la volonté et l'acharnement nécessaires pour atteindre ce niveau. Michèle est professeur d'université. Tous deux travaillent quelques jours en début de semaine, parviennent à préserver du temps pour eux, et pour leur collection. Et je ne sais pas encore tout.

    Nous mangeons dehors un poulet des environs, grand comme une dinde, aux cuisses athlétiques, que seul un paysan intrépide peut avoir le courage d’affronter autrement qu’avec un bazooka. Le monstre a cuit trois heures. La discussion et le repas sont délicieux. On parle peu de mon livre, parce que je ne peux m’empêcher sans arrêt, de détourner le sujet. Infernale pudeur. C’est que je n’ose pas encore croire que de vrais férus de littérature trouvent mon travail assez bon pour en envisager l’édition.

    Ma douce en est triste pour moi. Mais après le café, dans le refuge de la maison, tandis que la forêt rafraichit l’air du soir, je me rattrape. J’ai apporté mes autres romans, et j’assomme nos hôtes en leur détaillant mes sujets, mon univers, mes méthodes de travail, blabla bla. Je dépose également le manuscrit d’un ami qui, s’il n’est pas édité chez eux, mériterait de l’être, et mérite, de toute façon, d’être lu.

    La suite bientôt.

  • Première marche - suite

    Jean-Patrick Péju est un colosse, mais sa courte barbe blanche éparpille un sourire doux. Ce soir-là, à la Médiathèque, nous étions peu nombreux à attendre le début de la conférence. Je m’enhardis à lui présenter mon travail, lui expliquer le sujet du Baiser de la Nourrice, et l’enjeu littéraire que j’y avais mis, pensé-je. Jean-Patrick m’écoutait en souriant, parcourant les pages, disant « oui, oui. C’est intéressant. » Son œil exercé attrapait une phrase au passage « Ca me paraît très bien. Le sujet m’intéresse. »

    Plus tard, pendant la conférence, à la traditionnelle question sur les envois de manuscrits, il cita par exemple, des cas où l'auteur apportait lui-même son texte, ce qui est arrivé tout récemment, disait-il, et je pense qu'il s'agit d'un texte très intéressant. Parlait-il de moi ? A la fin de la réunion, Jean-Patrick m'assura qu'il lirait le manuscrit bientôt et que j'aurai une réponse dans dix jours.

    Dix jours plus tard, sa voix au téléphone m'annonçait : "Nous sommes tout à fait partants pour éditer votre texte."

     

    Suite demain.

  • Première marche

    Je tente de situer un point qui figurerait l’instant à partir duquel tout s’est déclenché, ou enclenché ; enfin, le moment qui a décidé de l’édition du Baiser, la source de tout… Je me rends compte, comme ces explorateurs lancés à la recherche de la source du Nil, qu’elle se dérobe sans cesse, toujours plus loin du regard, toujours plus en amont qu’on l’aurait cru. C’est ainsi, il faudrait remonter à cet âge qui me voyait, enfant de –quoi : 14 ou 15 ans- trouvant dans l’écriture de romans idiots, une manière d’être encore plus seul, et pourtant fort d’une multitude d’individus, nés de moi. Il faudrait. Mais ce sera l’objet d’une autre note, un jour.

    Tentons la description d’un moment décisif. Car il y en eut un, initial. Celui où je me laissai convaincre d’adresser à Jean Mathieu, que je connaissais mais dont un soir, soudain, la présence attentive, l’intelligence m’étaient devenu indispensables, ce texte déjà vieux de deux ou trois ans, qui me semblait le plus original de ma production. Pas de réaction pendant des jours et puis, en réponse à un courriel gêné dans lequel je demandai s’il avait lu, Jean me répondit :

    " Comme tu as bien fait de frapper à la porte, je me décide à te répondre, Christian, pour te dire : c'est en gros ce que j'aime, ce que je cherche à lire à haute voix pendant une heure -et suprême plaisir devant l'auteur lui-même. En fait de pénibilité, il n'y a bien que la trop banale accumulations des adjectifs qualificatifs en stéréotype qui m'agace au début (il semble que cela ne concerne que les six premières pages) passé cet agacement, c'est l'avalanche des questions à te poser : en premier, quel auteur as-tu donc bien lu, avalé, digéré pour écrire cela? où l'as-tu écrit?  quel réel t'a soutenu dans cette épreuve? t'a inspiré? mais j'aime, j'aime me lire cela. et en parler c'est autant parler de moi puisqu'il n'y a pas de lecteur tutoyé mais parler, parler après cet écoulement gigantesque, bien sûr c'est ce qu'il faudra faire (devant un verre, ou rien) mais surtout pour aller au fond de la chose et de la forme de la chose (...)"

    Comment éviter de devenir amis, dès lors ? Jean organisa une lecture du texte en public. Trois séances furent nécessaires. De (très) rares curieux assistèrent à l’ensemble. Je ne peux que les remercier de leur soutien. Parmi eux, hors un écrivain dont je me suis permis de parler ici, un directeur de théâtre fut assez convaincu pour me commander l’écriture d’une pièce, mais c’est une autre histoire. En tout cas, le débat qui suivit la lecture m’encouragea à présenter le texte à des éditeurs. Une nouvelle étape fut la réponse d’Alix Prenent, aux éditions de l’Olivier.

    Rappelons que le Baiser est l’un des six ou sept romans (je ne sais plus) que je tente de faire éditer. C’est le plus court, le moins consensuel, le plus difficile. Mais c’est celui qui suscite les réactions les plus fortes.

    Dans la librairie où travaille ma douce compagne, j’avais remarqué un livre « Cyclope, ou le livre de la mort et de la merde », chez Jean-Pierre Huguet éditions. Le sujet était radical, l’écriture sophistiquée et exigeante, la collection qui l’éditait, les « Sœurs océanes », revendiquait une ligne éditoriale sans concession de « textes dérangeants, irritants, voire provocants ». J’avais le sentiment que quelqu’un m’appelait par mon nom, en me lançant des œillades. Je devinais une parenté. Quelques jours plus tard, j’appris par un courriel de la directrice de la Médiathèque de Roanne, Isabelle Suchel, que deux auteures de la collection « Sœurs océanes », (dont Catherine Dessales, auteure de « Cyclope… ») seraient présentes le soir même, ainsi que le directeur de collection, Jean-Patrick Péju. L’accueil du Baiser dans les diverses occasions que je viens d’évoquer m’avait soulagé de mes pudeurs habituelles, et je décidai d’assister à la conférence, en apportant un exemplaire du manuscrit.

     La suite demain

  • Vanité

    Voilà ce que j'écrivais, il y a moins d'un an :

    " Quelques amis et collègues savent, de plus rares ont vraiment lu. Je pourrai me résoudre à n'écrire que pour eux, mais je vise l'universel, rien que ça. Récemment, j'écrivais à un ami précieux que j'avais fini de m'exciter là-dessus, parce que je considérais enfin, paisiblement, que j'étais un écrivain raté. Ce n'est pas si mal. Au moins ne me suis-je pas contenté de l'illusion d'une compilation autobiographique, comme j'en bouscule sur les stands de tous les salons du livre de la région. J'ai une ambition littéraire, chaque roman comporte un enjeu, mes sujets m'engagent, m'imposent un remuement d'idées et de concepts. Je prétends faire une oeuvre. C'était un secret naguère ; maintenant que plusieurs personnes le savent, c'est juste dérisoire. La fréquentation de bibliothèques monstrueuses où des milliers de livres oubliés additionnent leur reliure dans un pastiche de rempart, m'a habitué à l'idée que publier était vain. Mais écrire. Ecrire est un élan qui m'oblige et m'élève. On n'écrit pas pour soi, me disait un ami écrivain. Oui, j'écris pour un autre, multiple, qui ne me lira jamais. Je ne prétends à rien d'autre que d'élaborer, roman après roman, un univers. Et la création de cet univers m'impose l'éclaircissement de ce qui s'y trouve, et l'exploration de ses limites. C'est un enrichissement suffisant. La diffusion de la production que cette création engendre est une autre affaire. N'a pas d'intérêt en soi."

    C'est que je n'imaginais pas être édité. Aujourd'hui que c'est à ma portée, aujourd'hui que c'est presque fait, comment me situer, par rapport à cette vanité ? En fait, s'il existe une véritable solennité à la métamorphose de son écriture sur un écran en cet objet aux charges magiques qu'on appelle un livre, cela ne change rien. Je n'ai pas choisi d'écrire, je le fais comme la pierre s'effondre, comme le bateau chavire, comme le regard se porte sur l'horizon. J'écrirai tant que cette inclination me mobilisera l'âme.

  • Le baiser quand il mord

    Juste une info : Sortie de mon roman le 15 décembre.

     

    On en reparle (bien sûr qu'on en reparle)

  • Alors...

    Bon, voyons, tentons d'être clair. Il s'est passé beaucoup de choses depuis mon dernier billet. L'actualité est chargée. Je crois que je vais revenir. Pas pour réagir sur le monde comme il va (mal, vous savez bien, merci quand même), plutôt pour raconter comment les choses se déroulent, étape après étape, pour un graphomane, quand soudain ce qu'il a produit intéresse un éditeur.

    Je suis cette fin de semaine à Paris, et j'ai nombre de choses en chantier, comment trouver le temps désormais pour évoquer tout ça ?

    Surtout, j'aimerais parler aussi des autres projets, des amis, des jeunes auteurs qui s'émeuvent et palpitent sur ma planète, tout près de moi...

    Oui, nous verrons, on y vient, on y va. L'année 2009 va être extraordinaire.

    J'arrive, j'arrive. (mais à qui je m'adresse, là ? il n'y a plus personne sur ce site. Bref. demain, lundi, mardi, bientôt, je reviens). Il suffit que je ferme l'application "Spider solitaire" et que je me mette à vous écrire. Pas compliqué, hein ? je vais y parvenir, je sais que je. Que je. (ferme ce jeu, quoi !). Voilà. Ah : au passage, j'écoute tandis que je vous écris, les chansons de Joanna Newsom, notamment "Emily" et "Only Skin" des bijoux, des vrais bijoux je vous assure ! Mettez-vous du feu au coeur, écoutez-moi ça !

    Je vous laisse un bref espace-temps de quelques jours et kilomètres, et après, promis me revoici, revoici Kronix.

    Revoici Kronix.

  • La question du pseudo -3

    Les lecteurs de Kronix m’ont, pendant des années, vu signer Léo Kargo. Encore un personnage de mon petit univers. Le héros de « A la droite du Diable ». Toujours une histoire de sonorité. Un personnage que j’aime bien. Plus jeune que je ne l’étais à l’époque de la rédaction, mais aussi veule, incertain, pusillanime que moi. Je l’ai gardé longtemps.

    L’an dernier, ce questionnement autour du pseudonyme revint au devant de mes préoccupations à l’occasion de l’édition d’un livre sur la vie dans les bordels, à Roanne, ma ville. L’éditeur que je connaissais bien, me demanda si j’aurais envie d’illustrer « Elles sont closes, nos maisons… ». J’acceptai, pour le plaisir de reprendre crayons et pinceaux. D’emblée, je souhaitais…

    Je tergiversai longtemps sur la signature, décidai que Christian Daniel conviendrait (Daniel est le nom de jeune fille de ma mère), et puis…