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  • Tout premier roman

    J’étais un gamin bizarre, moitié barbare, moitié bonze, lecteur de Hugo et de Rahan. J’avais quoi, douze - treize ans ? Des histoires me sortaient des mains à jets continus et se répandaient sur le papier dans une logorrhée inextinguible sous la forme de grands poèmes en alexandrins (coucou « la légende des siècles ») ou de bande-dessinées (influences trop nombreuses pour les résumer là). En été, mon père lisait le soir ma production écrite ou dessinée de la journée. Je l’entendais rire à travers la paroi de la chambre. Ma mère lisait volontiers mes petits machins, elle aussi. Tous les deux n’ont jamais eu besoin de m’encourager : produire des histoires était dans ma nature. Vers cet âge, j’ai voulu écrire un roman d’aventures. Une histoire de Yéti, qui venait enquiquiner des alpinistes, pourtant pas méchants. L’histoire se passait sur le Kilimandjaro, et j’avançais bravement dans l’intrigue, quand je me suis inquiété de vérifier quelques informations -sur le Kilimandjaro d’une part, et sur le yéti d’autre part. Je découvre alors que le yéti hante l’Himalaya, qui n’est pas du tout situé en Afrique. Qu’à cela ne tienne : mon yéti prend une belle couleur verte, et devient une espèce endémique au Kenya, et allez me prouver le contraire. Je suis arrivé au bout du récit en une grosse journée (nous sommes d’accord, c’était une nouvelle, mais à mon âge, l’effet de ces dizaines de feuilles noircies…). Et j’ai enchaîné sur une nouvelle aventure de mes héros, intitulée « la mer bouillante » (je sais, je sais) dans laquelle un équipage façon Cousteau part étudier de formidables phénomènes volcaniques. Quand mon père arriva au passage où la coque de métal du bateau se met à fondre à cause de l’activité volcanique sous-marine, il se permit de me dire que c’était tout de même un peu dur à avaler. Après réflexion, j’admis qu’il avait raison. Et je dus reprendre un long passage, le rendant nettement moins spectaculaire. La mer se contentait soudain de faire des grosses bulles, et soulevait des quantités de poissons morts à la surface.

    Maintenant, je me renseigne avant d’écrire. Plus jeune tu commenceras, plus tôt tu apprendras.

     

  • Pression sur la presse /2

    Notre pays était celui des droits de l'homme. Et voici où nous en sommes :

     

    http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/11/29/journaliste-et-pire-que-la-racaille_1124889_3224.html#ens_id=1124857

  • Pressé

    Parler aux journalistes. Sur Roanne, cela signifie peu ou prou, parler avec des amis ou des connaissances. Première expérience avec un rédacteur du bulletin municipal. Un ami. Comme j’en ai pris l’habitude chaque fois que j’en parle, j’évoque BdlN (puisqu’il s’agit de poursuivre notre chronique de l’édition, presque au jour le jour), en parlant de la difficulté particulière de ce texte. Je me répands en considérations sur la dureté du fond, l’âpreté de la forme, cette idée d’une écriture faite pour « décourager » le lecteur. Des choses qui fonctionnent bien à l’oral, qui restituent la manière dont j’ai conçu les choses. Le problème est que, restitués noir sur blanc, dans l’espace réduit d’un article, ces propos prennent un relief assez inattendu (le comble pour un auteur, de découvrir que les mots ont un poids).

    A la lecture de l’article, ma douce pâlit : c’est catastrophique. Personne ne peut avoir envie de lire un livre présenté de façon aussi négative. On dirait un sabotage. Pourtant, le rédacteur ne m’a pas trahi : tout est là, les expressions sont justes, l’intention était la mienne. Je ne peux m’en prendre qu’à moi. Que va dire l’éditeur quand il va découvrir cet article, le premier sur le livre, qui le présente simplement comme un texte insupportable ?

    De mon côté, désormais, je vais m’entraîner à parler –au moins- de l’écriture sous un aspect plus engageant. Pour le thème (un fonctionnaire devenu tortionnaire) je ne vois pas bien ce que je peux faire, en revanche.

    Ce matin, une autre interview a eue lieu, pour un journal local. Mardi 2 décembre à 9 heures, un autre journal, et à 11 heures une radio (je vous dis tout). J.P. Péju a évoqué la possibilité d’un passage à France 3. Curieusement, je suis plus serein avec la télé, surtout pour des formats courts, en général réalisés dans les conditions du direct. Je dis peu de choses, et je contrôle ce que je dis. A l’époque du festival de la SF, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de répondre ainsi, et j’étais déraisonnablement tranquille. L’enjeu n’était pas le même, aussi.

  • Baiser en ligne

    Voilà, il est désormais possible de commander "le Baiser de la Nourrice" à partir du site des éditions Jean-Pierre Huguet :

    http://www.editionhuguet.com/

    Aller dans "collections", puis "les soeurs océanes".

  • De confiance

    Vu l'autre jour en DVD (du coup, l'appellation "Cinéma" pour cette rubrique est assez spécieuse, mais tant pis), "Deux jours à tuer" de Jean Becker et avec Albert Dupontel. Film sans grand intérêt, mais qui m'amène à parler de confiance.

    Dupontel, très vite déplacé de ses stands up qui agaçaient les bien-pensants critiques de Télérama, toujours prompts à déceler racisme, antisémitisme dans les propos les plus second degré, et après quelques court-métrages, avait entamé une carrière d'auteur de films "en marge" avec "Bernie". Film fort, irritant, décalé, brutal. Un autre film, "Le créateur" 'avec Terry Jones dans le rôle de Dieu, était un de ces hymnes jubilatoires et décalés dont le cinoche nananère a bien besoin de temps en temps. Dans les rôles qu'il choisit, pour un cinéma plus conventionnel, Dupontel fait souvent preuve d'un goût sûr. Bref, j'aime bien Dupontel. Avec lui, je marche à la confiance. Donc, n'ayant pu voir "Deux jours à tuer" en salle pour raison de boycottage du multiplexe où il est passé, j'achète le DVD du film. De confiance, sans m'interroger sur le nom du réalisateur, dont je n'ai rien vu jusque là*. Le propos (un type qui craque, envoie promener famille et amis et se barre de chez lui), cautionné par la présence de l'acteur, me suffisent.

    "Deux jours en été", après un début assez jouissif et destructeur, se transforme en mélo insupportable et caricatural comme un dernier paragraphe de nouvelle policière, quand l'auteur tient absolument à caser la "révélation" censée mettre le lecteur sur le cul. Film autodétruit, curieux métissage de cynisme et de mièvrerie, le film de Becker n'est ni satyrique ni émouvant, du coup. Il échoue sur ces deux tableaux.

    Enfin -attention : je dévoile ici un ressort essentiel de l'intrigue- quand on apprend que Dupontel s'est fâché avec tout le monde (ses clients : il travaille dans la pub (très original), sa belle-mère est une garce qui terrorise son mari, ses amis sont des petit-bourgeois satisfaits et avides) pour partir, mourir auprès de son père, sans qu'on le regrette, quelque chose cloche a posteriori : le problème est qu'il a bien dit leurs vérités à chacun, dans une scène explosive (mais désamorcée du coup, puisque donnée ensuite comme une manoeuvre). Il a dit la vérité, mais c'était triché, insincère, calculé, ce qui signifie qu'il est du même monde, aussi cynique et amoureux de l'argent que les autres. Tout ça pour ensuite, quand la rupture est consommée, avouer la vérité à son père, et lui demander d'aller dire à sa femme, dès sa mort, qu'il l'aimait comme un fou. C'est nul. Niveau Alexandre Jardin et consorts.

    Dupontel, tu m'as déçu. Becker, je ne te connais pas*, et tant mieux.

     

    * Mais si, bien sûr, c'est le réalisateur de "l'été meurtrier", mince, pas de bol, pas tombé sur le bon scénario. Dur, ce métier.

  • Vieux et séniors

    Le politiquement correct a préféré le mot « sénior » au mot « vieux », pour parler de nos anciens (enfin, de nous-mêmes plus tard, il faut le garder présent à l'esprit), « vieux » étant suspect, brusquement, de dévaloriser le fait de ne plus être jeune. Cette subtilisation est pourtant perverse. Le latin avait deux manières de dire « personne âgée » : vetus et senex. Mais si le premier qualifia d'abord le vin de l'année précédente et, plus tard, vetulus, qui désigne simplement le vieux –dérivé en veteranus, le vétéran (et peut-être encore veterina, la bête de somme, trop vieille pour la guerre, d'où vétérinaire)– le second, dont on a retenu le comparatif senior (le plus vieux) pour nommer nos grands-parents, a aussi accouché de sénile et sénilité, de sénescence et, accessoirement, de Sénat. Je ne suis donc pas certain que « sénior » soit plus courtois que « vieux ». Mais les mystères du politiquement correct...

  • Adrénaline

    Il la fallait, elle était nécessaire, que serait une opération menée sans brutal suspens à la fin, sans montée subite d'adrénaline ?

    Samedi était le jour de réception du BAT (Bon à Tirer), ultime étape avant l'impression. Le moment des dernières corrections, où l'on ne débusque pratiquement plus aucune faute, tant elles ont été chassées dans les séances de lecture préparatoires.

    Je reçois donc la maquette au format pdf et là, dequoidequ'estcequemaperçois-je ? la maquette a été montée avec une version non-corrigée du texte. Je bondis sauvagement sur le téléphone pour joindre Jean-patrick. Nous vérifions ensemble : c'est bien la version corrigée qu'il a fait parvenir à l'imprimeur. En fait, une toute première version avait été envoyée, dès septembre, pour que l'éditeur se "fasse une idée". c'est cette version retravaillée chez l'imprimeur (c'est-à-dire débarrassée des coquilles typographiques) qui avait été utilisée.

    Comment ai-je reconnu la mauvaise version ? Vous vous souvenez peut-être du changement de nom du personnage principal ? Azer devenu Azert ? Dans la version que j'avais sous les yeux, c'est ce bon vieux Azer qui, dès la première page, lustrait ses chaussures.

    Tout est rentré dans l'ordre, nouveau point avec Jean-Patrick samedi, relectures samedi et dimanche à la maison... C'est reparti !

    Plus que quelques jours.

  • Pression sur la presse

    Avant les élections, je vous avais prévenus. Maintenant...

    http://www.rue89.com/2008/11/24/journaliste-en-france-un-metier-de-plus-en-plus-risque

  • Ecrire, avec quoi ?

    Une question, une remarque, plutôt, lancée vers moi avec parfois une lueur menaçante dans le regard : "Tu écris à la main ou sur l'ordinateur ?". C'est que le clavier est suspect de je ne sais quelle absorption d'âme ou de talent, suspect surtout de faciliter l'accouchement de l'oeuvre. La question pourtant, ne se pose pas, si l'on avoue écrire à la main, de connaître l'expédient : stylo encre ou plume d'oie sur parchemin. Ce n'est pourtant pas une question vraiment idiote, parce que, selon son degré de concentration, il peut exister une différence entre les deux écritures. Mais croire qu'il existe un "style" tapé à la machine et un "style" écrit manuellement est une erreur grossière.

    Mon premier roman, "A la Droite du Diable" fut à moins de la moitié écrit à la main. C'était avant l'ordinateur. Quand l'informatique arriva dans mon métier, je repris mes pages manuscrites, chaque jour entre midi et deux, et les saisis sur écran. La femme d'un ami m'aida aussi, et le retard sur ce qui suivait fut rattrapé. Plus tard, l'écriture s'est poursuivie directement sur l'ordinateur. Je retravaille beaucoup mes textes, reviens sans arrêt sur les parties déjà écrites, relis sans cesse. Aujourd'hui, impossible de distinguer ce qui fut écrit à la main et ce qui fut produit au clavier. Je peux donc témoigner que les deux formes sont pareillement valables. Depuis, j'écris exclusivement sur ordinateur, y compris les lettres très sensibles, adressées à mes chers amis. Avec un préambule, pour les béotiens, où je présente ce choix comme un effet de ma gentillesse pour "épargner le déchiffrage de ma tortueuse graphie". On m'a compris, jusque là.

    Il n'y a bien que pour une certaine lettre de déclaration que, tout de même, j'ai repris la plume et le papier. Ma douce, qui partage depuis ma vie, m'a dit que j'avais été bien inspiré de procéder ainsi.

  • La bonne longueur

    Un roman, pour la plupart des gens, est d'abord constitué d'un nombre respectable de pages, en tout cas, un volume en deçà duquel ils ont le sentiment d'une tromperie. Ce n'est pas faux, ce n'est pas vrai. Il existe des subtilités. Dans la postface de "différentes saisons", Stephen King propose de définir la distinction par un mode de calcul simple : au dessus de 40 000 mots, c'est un roman ; en dessous de 20 000 mots, c'est une nouvelle ; entre 20 000 et 40 000 mots, c'est "autre chose", un texte entre les deux, longue nouvelle, court roman.

    Le Baiser de la Nourrice, passe limite la barre en dessous de cette norme : le texte affiche 38 200 mots et des bananes. J'ai envie de dire que, malgré cela, on a tout de même affaire à un roman. La forme, le principe, la langue, le développement de l'histoire, le récit fictionnel, sont dans la tradition du roman, mais c'est un roman court, je l'admets. La mode est d'ailleurs aux textes courts, me dit ma chérie libraire. Cependant, j'ai de "vrais" romans dans ma besace. A la Droite du Diable culmine à plus de 111 000 mots. Jean F et Ce que Mica savait des hommes avoisinent les 80 000. Mon roman en cours, Le psychopompe, totalise déjà près de 60 000 mots, je pense qu'il rejoindra les deux exemples précédents. C'est une définition un peu basique (bien dans la simplicité de King, diront les mauvaises langues, et ceux qui se pincent le nez, en général, au dessus de la littérature populaire), mais cette possibilité d'encadrer un phénomène littéraire par une mesure quantifiable me convient.

    Pierre Michon, dans "Le roi vient quand il veut", parle du roman et de son foisonnement maladif, ces digressions qui en font un objet littéraire alourdi souvent. Il se méfie de l'inclination de certains auteurs à rallonger la sauce. Ses romans sont longuement mûris, réfléchis, alimentés par une documentation éventuellement, grandement assimilée. Enfin, il se lance dans une écriture rapide, concentrée, d'un souffle. Dans de telles conditions, le texte qui résulte ne peut pas être digressif. En lisant l'interview récente de Michon à ce sujet, je me suis aperçu que c'est ainsi que "le baiser" avait été écrit : d'un élan, en quelques mois (un bon élan quand même), concentré sur un sujet (malgré tout enrichi en cours d'écriture). Et c'est un livre très différent des autres. D'abord, je le voulais ainsi, comme un défi littéraire personnel.

    Les autres romans, je les prépare moins, mais j'en préserve le feu plus longtemps, je souffle sur les braises, la chaleur entretenue alimente une flamme sur plus d'un an, parfois plus de deux ou trois. Le roman que je suis en train d'écrire sera achevé en mars 2009, selon mes prévisions. Ensuite, je retravaille un texte court, bizarre, radical, mais fait pour être repris en plusieurs étapes. Je devrais le finir en septembre prochain, dans des conditions très particulières que je vous livrerai alors. Ensuite...

     Ensuite, mon rêve depuis longtemps, est d'écrire un énorme énorme roman historique. Mais voilà, j'en suis épuisé par avance. C'est pas bien, hein ?

  • "UNE" idée de roman

    La phrase qui tue : « j’ai une idée de roman ». Jean Dutour s’exclamait à ce sujet (après d’Ormesson, décidément, vous allez croire que ma culture est exclusivement académique) : UNE idée ! les cons, s’ils savaient le nombre d’idées qu’il faut pour faire un roman (cité de mémoire par Christian Degoutte, auteur d'un excellent roman : Trois jours en été).
    Quand j’ai vraiment découvert l’écriture romanesque (après un essai infructueux intitulé « Juste le regard du chien ») en m’enchaînant à « A la Droite du Diable », j’ai justement découvert cette vérité époustouflante : une phrase = une idée. Le nombre d’idées, en effet, qu’on peut alors dispenser dans un roman ! J’étais émerveillé d’avoir un tel outil à ma disposition. L’écriture de nouvelles, que je concevais comme une mécanique concentrée sur l’efficacité d’une fin (j’ai changé depuis, bien sûr), ne m’avait pas ouvert le même champ d’expression, la même liberté.

    Il ne faut donc pas « une » idée pour se lancer dans un roman. Il faut d’abord un sujet, c’est différent. Et ce sujet, parfois secondaire (est-ce que Moby Dick est vraiment l’histoire d’une chasse à la baleine ?) doit s’appuyer sur une motivation, un engagement, quelque chose de profond, de vital, d’essentiel, qui vous préoccupe, vous habite, noircit vos jours ou illumine vos nuits, fait de vos heures la constante interprétation d’un questionnement où se joue votre vie. Sans cela, sans cette tension qui vous relance incessamment sur l’écran ou la toile, à quoi bon créer, comment créer, peut-on même se permettre de créer ?
    Je peux parler d’obsession, même si l’écriture, justement, permet d’en atténuer les effets. Quelles sont ces obsessions, qui me tiennent depuis toujours devant une feuille de papier, une toile, un écran de montage ou un traitement de texte ?
    Pêle-mêle : le faux, la trahison, la manipulation, les arcanes trop complexes pour être perceptibles, les rouages qui nous dépassent, la nature humaine capable de changer d’idéal, de renoncer à ses principes, la fragilité de la démocratie, sa force aussi, la séduction des dictatures, la mort, la maladie, la solitude, l’exil, la miséricorde, la tendresse, la bonté, la brutalité, la mémoire, la disparition des choses, leur dissolution, l’identité, la culture, ce qu’est une culture, comment elle naît et meurt, la science, l’eschatologie, la mythologie, les religions, l’art, la fabrication de l’art, sa place dans la société, la définition de l’humain, etc. Que des types de pur divertissement, comme on voit.
    Il m’a fallu du temps pour analyser ce que je fais et discerner comment, même dans des travaux de commande, je revenais à ces quelques thèmes, et les traitais sous un angle nouveau à chaque fois.

    Il est né une peur, quand j’ai pris conscience de cet aspect obsessionnel. Celle du tarissement. Est-ce que j’ai encore quelque chose à dire, après 7 ou 8 romans (ce qui doit faire bien rire les auteurs qui ont derrière eux une centaine de livres) ? Inquiétude précipitée par un échec récent, un récit ambitieux à multiples niveaux de lecture, que je n’ai pas su maîtriser et que j’ai abandonné, la mort dans l’âme. J’ai eu la lucidité de voir que je revenais sur les thèmes de la démocratie et de la brutalité, sur la place de la transmission par l’écrit, sans me surprendre, sans apporter rien de nouveau. Ce n’est pas la seule raison de l’abandon, mais c’en est une. Heureusement, un nouveau défi, lancé par un ami sur un argument absolument magnifique, m’a vite remis en selle. Et c’est le thème de la mort qui est exploré, avec celui de la mémoire, des traces discutables que laissent les écrits sur les personnes disparues (enfin, il y a beaucoup de choses, n’en discutons pas maintenant).
    Finalement, c’est par la BD, grâce à la demande de JW, que le thème de la démocratie, lié à celui, qui m’est cher, de la séduction des dictatures, est revenu d’une façon pertinente sur ma table de travail. Mais nous en reparlerons.

  • Lire, mais quand ?

    A la radio, l’autre jour, j’entends le conseil judicieux et valable pour tous, de Jean D’Ormesson à qui l’on demandait quoi faire pour être écrivain : « Lire et écrire », répondit-il. Lire et écrire. Peut-être : beaucoup lire (enfin, des choses exigeantes), écrire de façon mesurée (de façon exigeante aussi, tout simplement). Le problème est que ces deux activités complémentaires, essentielles, ne sont évidemment pas simultanées. Et, si l’on organise son temps pour se ménager les plus longues périodes d’écriture possibles, alors lire devient difficile.

    Je ne lis en moyenne qu’un livre par semaine, en comptant des périodes de creux dans l’écriture (cela arrive). Là, je lis bouquin sur bouquin, je dévore. Romans, essais surtout, quelques documents et un peu de presse (et puis les textes des copains, qui sont persuadés que mon opinion peut leur être utile). Ensuite, quand je reviens à l’écriture, à cette discipline de deux heures d’écriture par jour et de dizaines d’heures dans le week-end, le temps dévolu à la lecture est radicalement réduit. En plus, dans ces périodes où je dois me concentrer sur chaque mot, chaque sonorité, j’évite de lire des auteurs au style trop marquant (je suis influençable), exit Céline, Gracq, Woolf, Proust, Michon… Ce n’est heureusement pas un interdit absolu, et avec l’expérience et une certaine maturité, l’influence est moins perceptible, mais tout de même, les premières phrases qui naissent après une journée passée chez Proust, rien à faire, c’est du sous-Proust. Je râle, biffe, reviens, détruis cet avorton et au bout d’un moment, voilà : le rythme s’établit, mon phrasé est au bout des doigts, la respiration est la mienne.

    Du temps pour lire, donc. J’ai trouvé un moyen : comme je me rends au travail à pieds (en général, si ma douce ne parvient pas à me convaincre qu’elle peut m’emmener en voiture : il pleut, tu n’as pas le temps, tu es fatigué…), j’ai mis au point une méthode pour lire en marchant. Il faut aussi que le livre ne soit pas trop volumineux, pas trop lourd, que la typo ait une certaine taille. Quatre fois quinze minutes « utiles » par jour, soit une heure ; cinq heures par semaine. Encore un peu de lecture en arrivant, ou le soir avant de se coucher. Un livre en une semaine, garanti. Une autre forme de discipline.

     

     

  • Ecrire, mais quand ?

    Pour ceux qui ne me connaissent pas, il faut que je vous avoue ma graphomanie. Depuis des années, j'écris tout le temps. Enfin, dès que c'est possible. Ce qui finit par porter ses fruits : 7 ou 8 romans, des dizaines et des dizaines de nouvelles, des contes, des scénars de films et de BD, des pièces de théâtre, etc. Rien d'extraordinaire, d'autres font des tours Eiffel en allumettes. Quand j'avoue deux heures d'écriture quotidienne en moyenne, on me demande souvent comment je fais.

    Deux heures par jour, ce n'est pas énorme. A une époque, je pense que c'était davantage d'ailleurs. Je suis seulement mieux organisé, plus efficace aujourd'hui. On apprend dans tous les domaines.

    Jadis, chaque minute était arrachée au quotidien. Ma compagne de l'époque, malgré toutes ses qualités, ne me ménageait pas. Heureusement, je me levais plus tôt que tout le monde, beaucoup plus tôt qu'elle en tout cas, et j'écrivais avant de préparer le petit déjeuner aux enfants. A midi, je restais sans manger au service dans lequel je travaillais (ne pas manger à midi, quand on a pris l'habitude, ce n'est rien) et je bénéficiais d'une heure au moins de tranquillité absolue, de silence, de solitude propices. Le soir, difficilement, je grapillais une demi-heure ou plus de deux heures encore, si l'émission que ma femme regardait me déplaisait, ce qui arrivait assez souvent, heureusement.

    Après mon divorce, ma chère compagne de l'époque m'apprit qu'on pouvait être attentif à mon travail, l'honorer plutôt que le moquer, et aménager du temps pour me laisser travailler. N., toi qui passes parfois ici, cueille dans ces lignes les remerciements répétés que je te livre. C'est auprès d'elle et de cette attention à mon écriture, qu'est né "le Baiser de la Nourrice", entre autres, grâces lui soit rendues.

    Aujourd'hui, ma très douce dépasse toutes les probabilités statistiques. Je ne suis même pas sûr de mesurer la chance que j'ai. Elle fait tout, mais vraiment tout, pour me donner du temps (tenez, là, tandis que je vous écris, elle vient de m'apporter du café). Elle fait tout ce que je faisais avant : ménage, cuisine, lessives, toutes les activités ménagères que j'exécutais et qui, effectivement, prennent du temps, elle m'en décharge. J'en suis souvent honteux quand, sur mon écran, naissent des phrases insipides ou que, par paresse, je relis d'autres textes dans l'espoir de retoucher un mot, d'effacer une virgule. Ce confort va finir par me rendre complètement macho si je n'y prends garde. Parfois, je me révolte, je saisis un balai, une casserole. Ma douce m'en dépossède aussitôt. Elle ne veut qu'une chose : que j'écrive. Alors, je me mets au travail. Bon sang, je me demande si, au bout du compte, elle ne m'enchaîne pas, par désir de m'épauler, par amour, à ma table de travail ? Vite, un balai !

  • Petits agacements - 2

    Du 16 janvier, toujours, sur le carnet que ma douce m'a offert si judicieusement en début de cette année, cet autre agacement : le logo du medef. Enfin, un constat plutôt.

    Pour mémoire (je sais, je devrais le scanner pour le placer là, mais tout brancher, attendre le réveil des périphériques, tout ça... ça m'agace) : Trois profils tournés vers la droite (vers l'avenir, quoi, soyez pas bêtes), mentons relevés fièrement, alignés comme des héros staliniens du travail (les mêmes codes rejoués incessamment pour vanter les mêmes désirs d'abnégation... des autres) et surtout, surtout, des étoiles à la place des yeux !

    Le Medef ne voit pas le monde normalement, il le voit de façon déformée. les scintillements que le regard de ses figures projette les aveugle sur ce qui les entoure. Très explicite, ce logo, finalement. Très adapté.

  • Petits agacements

    Nous avons tous, au hasard de nos déambulations, des occasions d'agacements. J'en trouve personnellement presque quotidiennement. Tous ne sont pas forcément dicibles (il y a des agacements minuscules, comme l'autre parlait des plaisirs), et ne méritent pas de chronique, et puis certains sont trop énormes pour être appelés seulement des agacements. (le matin, j'écris très mal, pardonnez-moi).

    Parmi les agacements moyens, je retrouve celui-ci, repêché dans les pages de mon carnet de moleskine*, datant du 16 janvier de cette année :

    Dans le hall du magasin XXX, le plagiat imbécile de la phrase de Saint-Exupéry (qui l'aurait recueilli auprès d'Amérindiens) : "On n'hérite pas la terre de nos ancêtres, on l'emprunte à nos enfants", en "On n'hérite pas la culture de nos ancêtres... etc."

    Est-ce qu'ils se sont rendus compte, ces fieffés commerciaux abrutis que ce détournement ne signifie absolument rien ?

    Demain, un autre agacement, noté le même jour (le 16 janvier 2008, va savoir pourquoi, des tas de choses m'agaçaient).

    *Tiens : Moleskine, vous savez d'où ça vient ? Mole Skin, peau de taupe.

  • Le cours du temps

    Demain soir, il est possible que je sois en mesure d'annoncer une autre bonne nouvelle. Ou bien attendrais-je ?

    Je me suis levé tôt ce matin, très tôt. J'ai fini de décorer mon ballon de rugby (difficile de dire que je l'ai peint, comme le suggérait la commande passée), il ressemble à un oeuf de Fabergé maintenant, brillant de ses feux dans la pénombre de l'appartement, accrochant le moindre jet de lumière. Je ne suis pas mécontent.

    Pour la signature du 13 décembre, je suis rassuré. Le nombre minimum que je m'étais fixé est dores et déjà atteint. Tout va bien. J'envisage plus sereinement la suite des événements. Merci les amis (et encore, je n'ai pas pu tous les contacter). C'est cette réponse affective, immédiate qui me fait vraiment plaisir. Chacun a compris que j'avais besoin de soutien. A travers ce geste, je lis tant de gentillesse que j'en suis bouleversé.

    L'amour des autres, il va falloir le gérer. Je veux dire qu'il m'est arrivé avec Kronix de ressentir une forte mélancolie, une tristesse oui, quand malgré mes efforts, les visiteurs uniques se faisaient plus rares. Avec le livre, il faut que je reste prudent, ne pas me morfondre dans un sentiment de désamour ou d'abandon, sous prétexte que, soudain, plus personne n'achète rien de moi. Je vois, sur les salons, une autre auteure, admirable, au talent singulier, éditée plusieurs fois, mais dont le dernier livre se vend très mal. Je sais qu'elle déprime en ce moment. J'ai tenté de la voir sur le dernier salon où j'espérais la rencontrer, la soutenir, l'encourager : elle n'est restée que quelques dizaines de minutes puis est partie, exaspérée de rester derrière sa table pour ne vendre qu'un exemplaire sur une journée. Même si je suis persuadé qu'elle se fiche de vendre, d'ailleurs, mais rencontrer quelqu'un, non.

    Il faut donc que je sois prudent, il faut que je sois convaincu de la vanité, du dérisoire de tout ça, que succès ou indifférence n'ont pas d'importance (pour le succès je suis tranquille, mais je sais que l'indifférence peut me blesser, inconsidérément).

  • Le nom d'un personnage

    Le « héros », ou plutôt le salopard, l’ordure vivante, le criminel à la fois violent et pleurnichard de lBdlN s’appelle Azer. Pourquoi ce nom ? Ce sont simplement les premières lettres du clavier, en haut à gauche. Une façon de dire qu’il est tout le monde, qu’il n’est personne, qu’il ne se rattache à aucune histoire en particulier. Pourtant, Michèle, la compagne de Jean-Patrick, le directeur de collection où je parais, s’inquiète soudain, l’autre jour, tandis que nous avancions sur la lecture du manuscrit : « J’ai un élève qui s’appelle Azer. Il est Afghan. » C’est très ennuyeux pour moi, ce rapprochement accidentel donne un sens que je ne souhaite pas. Je tiens pourtant à cette idée de lettres du clavier. Je propose d’ajouter la lettre suivante, et Azer est rebaptisé Azert. C’est peu de choses, mais le monde est fait de subtilités.

  • Transformation(s)

    En ce moment, j’écris des dizaines et des dizaines de courriels à tout le monde, en commençant par les amis, pour « promouvoir » le Baiser. Les réponses sont magnifiques, et me voici en partie rassuré sur l’accueil de mon bouquin notamment lors de la première dédicace, en terre natale. De son côté, ma douce, pour qui écrire signifie toujours dessiner des mots sur du papier, passe des heures à vanter mon travail auprès de ses amis et de ses anciens clients (une longue histoire, par les archives de Kronix vous pouvez en savoir plus, mais j’y reviendrai bien un jour). D’autre part, on m’a demandé de participer à une exposition autour du ballon de rugby (cherchez pas à comprendre). Nous serons une soixantaine de peintres à s’emparer de ballons pour les magnifier et les transformer. J’avais d’ailleurs proposé le titre « Transformation(s) », mais bon, ils n’en ont pas voulu, et ce sera l’exposition « Essais d’art ». Les ballons seront vendus au profit d’une association caritative.

    Le mien sera recouvert de pièces de monnaies, de perles et de strass (je n’avais pas assez de diamants). Je dois en être à 150 pièces de 1 centime. C’est très joli. Assez lent, mais joli. Ces jours-ci, le soir, c’est ambiance veillée rurale : ma douce gratte du papier, moi je colle des pièces, une à une. On discute, la musique nous berce, il fait chaud. Vous voyez ce que je veux dire ?

  • Une petite dernière pour Pao

    C'est que son travail m'inspire... (j'aimais bien celui-là, mis il a dû juger ça trop intello.)

    "Dans le carré –forme en laquelle les penseurs du moyen-âge voyaient le symbole de la matière et du concret– Yves Paoli ne cherche pas le cercle, cercle que les mêmes penseurs considéraient comme le symbole de la pensée. Il y a beau temps que le peintre a saisi la vanité du problème de la quadrature du cercle : le carré ne se transforme jamais en cercle, le concret ne restitue jamais la vérité d’une pensée.

    Yves Paoli a donc dépassé ce constat. Renonçant à transmuter l’idée en matière, il a fini par découvrir comment intégrer de la pensée dans du concret. Les carrés, qui sont la forme de toile qu’il privilégie depuis plusieurs années, sont découpés par plages successives, leur étendue subit plusieurs aménagements, qui la morcellent. Les surfaces ainsi travaillées isolent des matières et des couleurs, reconstruisent l’espace et, finalement, épaulent le regard, l’accueillent et le conduisent. Mais amicalement, avec délicatesse, avec la même élégance sereine qui fait se côtoyer un gris bleu et un gris ocre. Il s’agit pour le peintre de ne rien faire trompetter, de moduler sans mettre en avant un élément trop voyant, trop marquant. L’harmonie et l’équilibre sont recherchés. Et si les découpages jointifs entrainent l’œil du visiteur à se focaliser sur une surface particulière, une forme ou une couleur, cette progression à l’intérieur de l’œuvre s’est faite sans heurt, avec la complicité malicieuse de l’auteur qui est parvenu, sans tapages, à ses fins."

  • Exposition Yves Paoli à Roanne

    L'inauguration a lieu ce soir. Je vous confie cet autre texte.

    "D'un atelier à un autre atelier, d'un lieu d'exposition à un autre lieu d'exposition, d'un atelier à un lieu d'exposition, aussi court que soit le trajet, aussi attentifs que soient le peintre ou le galériste, le tableau est un errant inquiet, une chose perdue, un témoin qu'on trimbale d'une salle d'audience à un bureau, mais qui ne peut rien révéler avant l'heure du procès. Le tableau en transit est dépourvu de sens. Il attend. Il ne parlera qu'en présence de son visiteur.

    Dans cette attente, le tableau revenu à sa modeste condition d'objet, rayonne pourtant dans l'ombre où il est remisé. Tout son pouvoir est là, vibrant et pourtant contenu. Le visiteur est celui qui saura, par le charme de son regard, le réveiller. Et ouvrir ses merveilles."