Le contenu de ce billet pourra paraître extrêmement prétentieux, mais je viens de comprendre un principe assez étrange. A la relecture d’un manuscrit relativement ancien que je m’apprête à envoyer chez un éditeur, le considérant avec ce mélange d’innocence et de vigilance qui conduit le travail critique d’un texte qu’on a –non pas oublié- mais rangé plus ou moins dans la catégorie des livres publiables à revoir, je me suis aperçu que certaines idées, certaines réflexions esquissées par les personnages, sont (je rougis, la prétention arrive, attention), plutôt bien vues, assez originales et pour tout dire, dépassant la hauteur de pensée qui est généralement la mienne. Ce que je veux dire c’est qu’il m’apparaît que les livres sont plus intelligents que leurs auteurs. C’est un mystère, ça, tout de même. Comment, dans un cerveau à peu près normé tel que le mien, peuvent s’échapper des formes qui me dépassent, qui m’enseignent des idées, neuves pour moi-même ? S’il y a une réponse, je serais tenté de la trouver tout simplement dans le temps de maturation extraordinaire qu’est celui d’un texte littéraire. A force de se pencher sur chaque virgule, de réfléchir à l’attitude du moindre personnage, d’entrer dans sa vie et dans ses émotions, à force de revenir et revenir sur une idée, jour et nuit (blanche), des heures et des heures sur une phrase parfois, sur une bribe, un embryon d’idée qui vient de nous traverser, il me semble que nous finissons par produire une pensée plus élaborée que celle qui, d’habitude, nous sert à communiquer avec les autres. C’est peut-être pour cela aussi, qu’un auteur n’a pas toujours les clés pour expliquer son œuvre. Parce qu’elle est issue d’un autre, meilleur que lui-même.
Ecrire - Page 30
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Un peu de prétention, et pourquoi pas ?
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Comme d'autres, à l'aventure
Il y a en ce moment deux de mes textes chez deux éditeurs de poésie.
L’un d’eux, prépublié sur un blog spécifiquement dédié avant d’être effacé, a connu deux années de reprises continues, qui l’ont fait mincir et l’ont métamorphosé. De l’état de nouvelle de 25 pages, intitulée « l’ermite » à la sécheresse d’un poème de dix pages aérées et ténues, découpées différemment et réécrites, intitulé « De Terre », ce texte n’a trouvé sa conclusion (s’il est accepté ainsi) que lors d’une décision récente et radicale : changer la fin. Voilà tout ce qui m’a poussé à reprendre, à modifier le procédé littéraire, à choisir la brièveté, à travailler ce texte pendant si longtemps : l’insatisfaction dans laquelle j’étais et qui ne tenait en fin de compte qu’à la résistance de mon personnage à la fin que je lui destinais. Quand la dernière phrase a été modifiée, inversant carrément le propos, quand j’ai résolu de ne pas laisser mon héros dans l’état de colère et de frustration que je voulais initialement pour lui, c’est-à-dire quand je lui ai offert la paix, toute la perspective du poème a trouvé sa cohérence, et il m’a paru que le texte prenait enfin sa force. Deux ans de travail qui n’ont pas été inutiles pourtant. Cherchant un accomplissement par des chemins détournés, j’ai travaillé la forme d’un texte pour, finalement, découvrir quel sens cette forme pouvait bien receler. Il n’y a pas de règle, on le voit.
L’autre texte a trouvé sa forme immédiatement, pendant l’écriture. Il s’agissait d’une improvisation faite à l’écoute de la troisième symphonie de Gorecki, dite « symphonie des chants plaintifs ». Le court texte généré ainsi, dans les larmes véritablement, s’appelle pour cette raison « Les chants plaintifs ». Avant de l’envoyer, je l’ai assez peu retouché. Deux textes poétiques dont les modes d’exécution sont directement opposés, et qui produisent d’ailleurs des effets sensiblement différents. Le premier, j’espère, entraîne une médiation, une volontaire absence de soi, il invite à se regarder et à s’interroger. Le second, j’en suis sûr (car je l’ai lu en public), tonne et supplie, gémit et prie, il atteint les entrailles et le cœur.
La semaine prochaine c’est la dernière version d’un roman déjà patiné par plusieurs années d’assoupissement au fond d’un tiroir, qui va tenter sa chance auprès d’un éditeur. Toute ma vie s’appuie ainsi sur deux repères essentiels : écrire et attendre qu’on publie ce que j’écris. Croyez-le ou non, pour difficiles qu'ils soient, ces deux statuts sont mieux que supportables. -
une bille ou des touches
Pour mon prochain livre -une sorte d'essai mêlant de façon très imbriquée littérature, souvenirs, géographie, histoire, sentiments- j'ai repris le papier et le stylo. Je suis convaincu que cela ne change rien au résultat, à la qualité de l'écriture, mais la sensation est plaisante. Brève jouissance cependant, gagnée au détriment du temps qu'il faudra pour reprendre mes notes, les retranscrire sur la machine. Je dois avouer aussi que, esthétiquement, voir bleuir les pages du carnet sous les traits de ma graphie, est une sensation que n'offre pas l'écran. Pourtant, ce ne peut être qu'une étape. Quand les choses deviendront sérieuses, c'est-à-dire quand j'aurai trouvé le rythme, le bon phrasé, la manière d'intégrer ces données par une telle sophistication que le résultat en paraîtra naturel, je reviendrai au clavier de l'ordinateur. De toute façon, quelle que soit la méthode, personne n'en saura rien (sauf vous, passant ou fidèle). Le livre pourrait s'appeler « Pourquoi Roanne ? »
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Teaser
Surtout parce que je manque de matière pour els jours qui viennent (un billet par jour, vous n'imaginez pas le travail), je vous confie ici un extrait de ce fameux livre qui se déroule au XIXème, qui ne sera sans doute jamais édité, et que je ne prévois pas de finir avant qatre ou cinq ans. Pour vous donner une idée de la tonalité de l'ensemble. Un minimum de contexte : Alma vient d'enterrer son mari, sans grand regret. Elle a demandé à son fils, Ernest, de la laisser seule; La voici, dans les premières minutes de sa solitude.
A présent, tout va se dérouler comme prévu. Elle a prémédité chacun de ses gestes, les a imaginés, et répétés à force d'imagination. Elle a voulu être seule, a congédié les domestiques, a supplié Ernest de respecter son vœu. Le prétexte de la douleur a suffi pour éviter les remarques ou les protestations. A présent, Alma referme la porte en baissant les yeux sur les derniers mots de sollicitude dont on l'a accablée toute la journée. Les visages familiers, les têtes inconnues venues comme une houle au parvis de l'église tout-à-l'heure, elle les efface d'un basculement de battant, les fait taire d'un tour de clef. Elle se retourne et affronte l'espace vide de la grande maison. Elle engage la moire ténébreuse de sa robe dans le vestibule, soulève la soie de son jupon qui soupire dans l'escalier, frappe les marches avec le mol accent de ses talons-bobines. Elle observe avec admiration ses mains criblées de dentelles, appuyées au lacet de la rampe, leur trouve une féminité, une grâce ‒ une féminité, une grâce qui lui font penser aux années perdues. Elle défait à présent, d'un geste qui se sait voluptueux, sa longue mante de deuil, l'abandonne au sol, quitte son chapeau qu'elle laisse pareillement tomber dans son sillage. Et les sons infimes de ses fragments de chaîne, amortis par l'épaisseur de l'air, sont comme les baisers d'amants insoupçonnables, évaporés, jamais arrivés ; et l'indécence de cet éparpillement, cette insoumission à l'ordre du deuil dont personne n'est témoin, est pour elle un poing levé. Elle gagne sa chambre aux volets clos, ouvre la porte du cabinet de toilettes où elle se désarmure, quitte le paletot, la robe, les jupons, le cache-corset, le corset, la chemise, le pantalon, les bas et les jarretières, qu'elle a portés comme autant de cilices depuis le matin. Elle se déshabille entièrement et, terriblement nue face à son reflet, désespérément offerte à son seul regard, elle élève avec lenteur ses bras en arche au dessus de sa tête, en arche comme elle croit bien se l'être dit autrefois, l'arche de ses bras blancs noués par les mains au sommet de sa chevelure, dans l'exacte réplique du jour qu'elle fit ce geste pour son jeune mari. Enfin, le barrage des épingles rompu, le chignon délivré se brise et s'effondre, cascade et serpente sur sa nuque, ses épaules, son dos, sa gorge, et ravit au monde toute gloire.
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Essaye encore
Bon, ce ne sera pas encore pour cette fois. L'un de mes manuscrits a failli être édité chez un « grand » éditeur parisien. Après quelques semaines d'atermoiement, finalement, c'est non. Ma douce en est très dépitée ; je souris et la console : il faut se blinder dans ce milieu. On sait bien que jamais rien n'est tangible et sûr. Le bilan est plutôt positif en ce qui me concerne : la directrice de collection connaît mon nom, qui sait si un autre manuscrit ne franchira pas plus facilement certaines étapes ? En tout cas - comment faire autrement ?- Ça m'a permis de rêver un peu.
Pour l'instant, je viens d'achever une nouvelle version de « Peindre » sur laquelle je me suis régalé. J'ai presque abouti un texte poétique intitulé « De terre », pour une petit maison d'édition de poésie, et, enfin, je reprends l'écriture de mon roman « historique ». Le plaisir d'écrire est toujours aussi vif. Et c'est là l'essentiel.
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Les voix du passé
Un très précieux ami, premier lecteur à haute voix du « Baiser de la Nourrice », grand lecteur en général et écrivain secret, revient souvent sur cette idée que, quelque effort qu'on fasse, il existe une impossibilité de faire revivre la pensée des hommes d'un temps révolu, que le langage, même le plus scrupuleux par rapport à l'époque donnée, est toujours impuissant à en convoquer l'esprit. J'ai voulu, par les mots qui suivent, faire partager mon expérience et ma conviction que, si je partage sa certitude, en ce qui me concerne, l'impuissance n'est pas si grande, et ses implications dans le projet littéraire, minime.
C’est que nous savons bien, lecteurs et auteurs, qu’aucune fiction ne peut retrouver la vérité d’un ressenti dans le passé. Cette règle tacite, expérimentée par chacun au quotidien, quand il s’agit de raconter un souvenir (est-on dans la vérité de ce qu’on a ressenti alors ? Impossible, et même impossible de le savoir), est partagée « naturellement ». Personne n’est dupe du fait qu’une fiction ne peut (et comment le pourrait-elle ?) décrire la vérité d’une émotion ressentie par une personne défunte. Aucun auteur ne le prétend, je pense. Il peut éventuellement s’acharner à un vérisme, mais dans le seul but de rendre son propos plus vivant (lisant je ne sais quel bouquin médiocre, l’auteur me propose un moment de visiter les pensées de Moïse. Soit l’intention menée avec talent permet des digressions intéressantes, soit on en reste au spectacle de patronage et j’arrête de lire. J’ai refermé le livre). Tous nos grands auteurs ont été confrontés à ce dilemme (l’Hamilcar de Flaubert s’exprime en français -et alors ?). Madame de la Fayette explorant les affres affectives de sa princesse, évoque un passé déjà lointain dont elle ne connait finalement que des chromos et des relations édifiantes (la description initiale de la cour est à ce titre involontairement comique, avec cette accumulation de superlatifs pour décrire tel ou tel. On est dans la féérie, ou pas loin). S’est-elle condamnée à ne pas raconter son histoire ? Elle a fait comme les autres : elle a imaginé ; et nous, lecteurs, acceptons ou non cette élaboration. Mais, qu’on l’accepte ou pas, une chose est sûre : nous savons que les sentiments de la princesse de Clèves sont des fabrications, d’autant plus qu’elle est elle-même une fiction.
Un auteur récent, Laurent Binet, a fait un très bel exercice sur ce thème : dans « HhHH » il raconte Heydrich et les hommes qui lui ont tendu une embuscade en 1942, à Prague. Tout le long de ce livre captivant qui alterne « méta-fiction » (les coulisses du travail d’un écrivain plongé dans l’Histoire) et récit, l’auteur s’interroge sans arrêt sur ce qu’il a le droit de raconter, note scrupuleusement par exemple quand il décrit la voiture d’Heydrich le jour de l’attentat : « verte » (mais tous les témoins et les historiens disent « noire ». Il vérifie dans un musée, regarde la voiture sensée être celle de l’événement, la trouve définitivement verte. Et raconte son enquête sur ce point particulier, ses doutes, etc.), se reprend à chaque fois que, pris par l’élan de l’histoire, il prête des sentiments à ses héros, admet alors qu’il ne sait pas, qu’il n’a pas le droit de dire, etc. Et fait ainsi un livre d’un respect immense pour les hommes dont il a entrepris de raconter le destin.
Ensuite, la convention qui lie lecteur et auteur est valable sur un autre niveau. Bien entendu, jamais il n’est question pour qui que ce soit (ou alors nous sommes dans un travail d’histoire, un mémoire solidement étayé) de prétendre raconter la vérité stricto sensu d’une époque. C’est déjà complexe quand il s’agit de parler des années 70 ou de la guerre d’Algérie ; on comprend bien que c’est impossible pour la bataille d’Hastings ou les débuts de l’âge de pierre. Évoquant le passé (ou le futur, le principe est le même), nous ne parlons jamais que de notre époque. D’ailleurs, une histoire n’est intéressante que par ce qu’elle dit de notre vie, au moment où l’écrit est produit. Là aussi, le lecteur le sait bien. Et c’est bien cette approche, cette forme détournée d’exotisme, qu’il est venu chercher. Quand Pierre Michon raconte la construction du Mont Saint-Michel, qu’ai-je à faire qu’il soit au plus juste des pensées de ses protagonistes (personnages historiques pour certains mais dont on ne sait presque rien) ? Il m’importe d’être au contact avec ce qu’on peut imaginer des préoccupations de l’esprit d’un temps révolu, pétri d’une autre culture (cela, l’historien le peut). Ensuite, à l’écrivain de jouer, et de me proposer un fonctionnement crédible, mais surtout, sensible à la vie d’aujourd’hui.
L’écrivain sait bien que le passé est muet, disparu, impossible à retrouver, et le faire revivre ne peut être qu’affaire de fiction, avec les réserves qu’elle amène. Proust l’a bien compris, qui raconte un passé où il n’est lui-même qu’à des degrés divers. Toute une vie crédible, peuplée de personnages tangibles, traversée d’événements probables, mais une fiction.
Pour ma part, dans ce fameux roman que j'ai entrepris et qui se déroule au 19ème siècle, comment est-ce que je me situe ? J’essaye de me mettre tout de même dans l’ambiance de l’époque. Et si c’est impossible, fondamentalement, je m’appuie cependant sur plusieurs critères : les récits contemporains, la littérature abondante où les moindres atermoiements psychologiques sont le matériau des Balzac, des Flaubert, des Zola, des Maupassant ; la correspondance familiale, les journaux intimes, (je me méfie de la presse et des gazettes)… Avec cela, voilà de quoi ne pas trop s’égarer. Je ne place pas de propos révolutionnaires dans la bouche d’un jeune métayer inculte, je ne donne pas à mes bourgeois provinciaux de compétence critique sur l’art le plus à la pointe de leur temps et dont ils ignoraient pratiquement tout, je ne cite un événement que quand il est avéré que la presse de l’époque en a parlé, au moins quelques jours avant. Je ne fais paraître aucun personnage connu, ne prête pas de sentiments à des personnages ayant existé. Dans le roman, tous ceux dont j’explore les passions sont des personnages de fiction. Et leurs émotions ne sont jamais contradictoires ou anachroniques avec celles que les auteurs cités plus haut ont déjà prêté à leurs protagonistes. Si Alma est une oie blanche en apparence, c’est parce que l’époque s’acharne à en fabriquer selon des modèles affichés et promus, mais que cette édification n’empêche nullement de conserver, au fond, une âme en colère prête à revendiquer sa juste place. Si Charlemagne est un jeune entrepreneur matois et hyperactif, violent parfois, monarque sur son domaine, c’est que toute une littérature de l’époque m’en offre l’exemple, etc.
Enfin, selon moi, le problème que tu soulèves (je m'adressais là à mon ami) avec tant d’acuité et de passion pourrait bien être un faux problème. En effet, s’il n’existait pas des remuements identiques, universels, intemporels, si l’âme humaine n’était lisible qu’en fonction de son époque, ni Molière, ni Homère, Virgile ou aucun autre ne nous seraient restés, et aucun ne nous paraîtrait proche, à jamais. -
Pompier
Après des jours d'interruption, l'écriture de la pièce « Peindre » exige une concentration très difficile à retrouver, mais dont les efforts qui la veulent faire revenir sont eux-mêmes des vecteurs d'inspiration, et pourvoyeurs d'écriture. Ce qui s'appelle faire flèche de tout bois. Ou feu de tout bois, selon qu'on est dans la métaphore guerrière ou pyromane.
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Cinquième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis, de proche en proche, retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles et le basculement lourd de la porte de la cellule. Sa cellule. Charon attendait l'irruption des visiteurs dont il avait perçu la progression jusqu'à lui, malgré l'engourdissement des drogues. Ils entrèrent. C'étaient quatre matons qui accompagnaient un homme.
Le visiteur considéra Charon. Le prisonnier était assis, menotté, bras en arrière, tête hirsute tombée sur le torse. L'homme écarta la frange qui masquait le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Un gardien approcha un tabouret en s'excusant de ne pouvoir offrir mieux. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. Laissez-moi écrire, souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et si ça le calmait ! ajouta un autre, non : ça l'excite ! ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé des somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Soudain, Charon redressa la tête, fit basculer sa chaise vers l'avant et se projeta tout entier pour tenter de mordre le visiteur. Les mâchoires claquèrent tout près du médecin horrifié. La chaise retomba en arrière et le visage de Charon s'effaça de nouveau. Un gardien ricana. Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » D'une main tremblante, il biffa une phrase dans son carnet. Le détenu murmura quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un... C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Quatrième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles, de proche en proche.
Charon, paumé dans les limbes d'un médicament, perçut à peine l'irruption des quatre matons et de l'homme qu'ils accompagnaient. Ils restèrent dans la cellule tandis qu'il entrait.
Le visiteur considéra l'homme plicaturé devant lui, entravé, menotté sur une chaise. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hmm ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé des somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Charon redressa brusquement la tête, bascula le corps entier sur sa chaise et fit claquer ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il biffa une phrase dans son carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Troisième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit un feulement. Puis retentirent des claques de ferrures et des pas, le feulement d'autres grilles, de proche en proche.
Charon était seul. Il ne fut pas surpris par l'apparition des quatre matons. Ils accompagnaient un visiteur et restèrent dans la cellule tandis qu'il entrait.
Le visiteur considéra l'homme plicaturé devant lui, entravé, menotté sur une chaise. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendit sa herse entre eux. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas de réclamer. Enfin, il dit qu'il écrit mais il ne fait que remplir des feuilles avec des lignes. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. » Charon redressa brusquement la tête et fit claquer ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il biffa une phrase dans son carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête et se mit à hurler : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Deuxième version
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit une sorte de feulement. Puis retentirent des claques de ferrures, des pas, le feulement d'autres grilles.
Charon était seul. Il abimait son regard dans la porte de la cellule, face à lui. Il ne fut pas surpris par l'apparition des matons. Ils étaient quatre, qui s'écartèrent pour laisser entrer un visiteur.
L'homme s'approcha de lui, considéra l'homme entravé, menotté sur une chaise qui se tassait devant lui. Il écarta une frange hirsute pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne lui répondit. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. » Charon ne réagit pas. La frange retombée descendait sa herse entre lui et le visiteur. « Je m'assieds. D'accord ? » Lucas approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux : les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas. Enfin, il dit qu'il écrit mais il va tellement vite que ça ressemble à des lignes. Illisible. » Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, ce matin il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché là ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. Les gardiens échangèrent des regards embarrassés. « M. Charon, j'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. A ce propos, vous écrivez quoi ? Une espèce de roman ? On m'a dit que vous étiez écrivain avant de venir ici ? C'est ça ? » Charon redressa brusquement la tête et referma ses mâchoires tout près du médecin qui eut un geste incontrôlé de frayeur. Dédaignant les ricanements derrière lui, Lucas recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il prit des notes sur un carnet. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête : « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Le Psychopompe II
Rassurez-vous, ce n'est qu'un exercice. Il y a peu, sur un des carnets de moleskine généreusement offert par ma douce, je me suis amusé, entre deux travaux sur mon prochain roman, à imaginer une suite au Psychopompe, qui s'intitulerait "Le Thaumaturge". J'ai produit ainsi quelques pages, et je vous propose ici la première mouture de la toute première séquence. L'idée est de vous faire partager, un tout petit peu, le travail de l'écriture. En effet, demain je posterai une version corrigée, idem le lendemain, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le résultat me satisfasse. La démonstration n'a rien de spectaculaire, et les nuances sont parfois subtiles, mais c'est la façon dont je travaille, personnellement, et je crois n'être pas le seul. Dans l'exemple qui suit, deux éléments ne "bougeront" pratiquement pas : la première et la dernière phrase. La première, pour une référence évidente (pour les lecteurs du "psychopompe") à la première phrase du livre précédent ; la dernière, pour une raison qui m'est propre, qui tient à la mécanique du récit, au développement de l'histoire. Parce que, même s'il s'agit d'un exercice, je ne peux m'empêcher de le construire entièrement.
La grille du couloir ne grinça pas. Elle émit une sorte de feulement. Puis retentirent les claquements des serrures, le bruit des pas, le sifflement des autres grilles, de proche en proche.
Charon était seul, attaché par sécurité. Il abimait son regard dans l'écran de la porte de la cellule. Il ne fut pas surpris par l'apparition des matons, dont il avait suivi la progression dans le couloir, depuis loin. Il en avait sûrement deviné le nombre. Ils étaient quatre, s'écartèrent pour laisser entrer le psychiatre.
Le médecin s'approcha et souleva une mèche de cheveux pour mieux découvrir le visage du détenu. « Il est drogué, non ? » Aucun agent ne se donna la peine de lui répondre. C'était évident, Charon était devenu dangereux pour lui et pour les autres. Impossible pourtant de le faire transférer en hôpital psychiatrique. Le juge voulait absolument qu'il soit considéré comme responsable de ses actes et, tandis que les experts débattaient, la prison devait essayer de gérer une pathologie de plus en son sein. « M. Charon, je suis M. Lucas, on m'a nommé pour expertiser votre responsabilité dans les meurtres que vous avez commis. Je m'assieds. D'accord ? » Il approcha un tabouret. Un gardien s'excusa de ne pouvoir offrir mieux. Les espaces plus confortables étaient tous pris. « Ça ne fait rien, n'est-ce pas M. Charon ? On peut discuter comme ça, hein ? » Il feuilleta un dossier et entama une prise de notes. « Laissez-moi écrire » souffla Charon, sans force. Un homme expliqua : « Il n'arrête pas. Enfin, il dit qu'il écrit mais il va tellement vite que ça ressemble à des lignes. Illisible. » « Et ça le calme pas, ça l'excite, ajouta un autre, il devient complètement taré quand il écrit. Ce matin, il a gravé un codétenu au stylo. C'est pour ça qu'on l'a isolé et attaché sur sa chaise ; et qu'on lui a refilé deux-trois somnifères. » « Sans avis médical, j'imagine » s'agaça Lucas. Les gardiens échangèrent des regards embarrassés. « M. Charon, Nathan Charon. J'interviendrai pour que vous puissiez continuer à écrire. Mais nous allons parler un peu, si vous le voulez bien. A ce propos, vous écrivez quoi ? Une espèce de roman ? On m'a dit que vous étiez écrivain avant de venir ici ? C'est ça ? » Charon s'ouvrit sur un bâillement burlesque et referma ses mâchoires dans un mouvement de tête, une menace de morsure qui effraya le médecin de façon irrationnelle. Lucas émit une petite toux et recula son tabouret de quelques centimètres. « Voyons... » il aligna quelques mots. Charon bafouilla quelque chose et échappa un filet de salive. Le docteur avait compris le début de la phrase. « Il veut appeler quelqu'un. C'est ça, M. Charon, vous voulez appeler quelqu'un ? » Alors, il sembla que le condamné rassemblait toutes ses forces. Il releva la tête. « Laissez-moi écrire. Ou bien rappelez les morts : j'ai à leur parler. »
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Pense-bête
Aujourd'hui, bien penser à écrire un truc génial.
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Partir, revenir
Une simple promenade, une marche dans la campagne, quand l'écran se fait surface de verre opaque devant moi. Un tour tranquille, les mains dans les poches, une herbe entre les lèvres, l'écharpe bientôt dénouée. Le soleil, les champs repus d'ombelles blanches et de boutons d'or. La vie alentie des moutons et des poules intriguées. Le pas solitaire entre deux haies hirsutes, le concert des insectes innombrables, les cris des chiens réveillés de leur farniente. Arrivé au faîte de la colline, la vue grisée de soleil sur la plaine jusqu'au Forez, le temps arrêté, le regard assuré, campé sur deux jambes. L'heure qui s'écoule par mes narines. Tout est calme, les génisses tendent leur mufle vers moi, reculent pour un geste, reviennent m'interroger et me regardent reprendre le chemin. La petite route revient à la maison, à l'escalier, au bureau. Je retrouve l'écran qui a repris sa transparence. Écrire.
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Mode d'emploi
Un compliment : à peine une main sur la blessure. Une critique : un carnage de tout l'être.
C'est comme ça. Il faut apprendre à se protéger. Le problème, surtout, est quand les réserves révèlent une lecture « à côté », c'est-à-dire que le lecteur s'est arrêté à un seul aspect du livre et n'a pas vu vraiment quel en était le projet. Là aussi, apprendre à ne pas s'en trouver anéanti. Sur « le Baiser », facile : il ne pouvait pas y avoir de contre-sens, le propos, basique, manifeste, n'ouvrait qu'à peu d'interprétations dévoyées. Sur « le Psychopompe », je vois que beaucoup ne se sont pas arrêtés sur ce propos de la fiction comme seule trace de nos vérités. L'ironie d'un mensonge comme porteur de mémoire. Quand le lecteur ne se contente pas d'une lecture politique ou satirique. On ne peut quand même pas livrer un roman avec son mode d'emploi. Si ?
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Nos futurs
Désolé, cher lecteur. J'ai supprimé le texte de ce billet qui devrait prochainement (j'écris cette modification en octobre 2013) connaître une belle existence éditoriale.
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Après Michon, Rumine
Selon le fameux principe de Cachard, il y a peu de monde au palais Rumine pour assister à la lecture du « Baiser de la Nourrice » suivie d'un débat animé par Geneviève Bridel, journaliste de Radio Suisse Romande. Alexandra, qui a organisé la rencontre est un peu déçue, mais je lui assure que ce n'est en tout cas pas grave pour moi. Elle m'apprend que, quelques temps avant, la bibliothèque a reçu Pierre Michon, rencontre évidemment passionnante et riche, marquante, mais ne dit rien du nombre d'auditeurs. Je ne demande rien non plus. Pudeurs.
Lausanne me semble une ville agréable, vivante, les belles architectures XIXème ouvrent sur des murs de miroirs contemporains et, vers mon hôtel, un énorme viaduc enjambe un boulevard et couve un pont de métro aérien. La vision est digne de Metropolis ou des Cités obscures de Schuiten. Le palais Rumine où je dois me rendre est une merveille à flons-flons et marbres monumentaux qui abrite un musée de Beaux-Arts, des collections de géologie, de paléontologie (avec un grand mammouth que je n'aurai pas le temps de saluer) et la Bibliothèque Universitaire de Lausanne où m'accueille Alexandra.
Je suis arrivé tôt, la journaliste et moi prenons un café une heure avant le début de la séance, pour discuter à bâtons rompus. Elle ne souhaite pas vraiment préparer l'entretien en me donnant ses questions (je préfère aussi, nous sommes d'accord sur l'effet de spontanéité ainsi recherché).
A 19 heures, peu de monde donc, une dizaine de personnes (mais de qualité : Emmanuelle Pirerd, poétesse, est dans le public), et la lecture commence. Une jeune femme est installée sous le halo d'une lampe de bureau rouge, une musique bien étudiée pose l'ambiance. « La brosse raya la surface de cirage noir... » ce sont mes mots, bien eux, mais qui les a écrits ? Ce n'est pas la première lecture de mon texte à laquelle j'assiste, mais la première exécutée par une voix féminine (hors des lectures de courts extraits, je précise). Une nouvelle approche. L'interprète lira ainsi 40 minutes, s'amusant parfois à donner vie aux colères d'Alceste Badin créant un effet comique et glaçant tout à fait approprié. Le montage du texte, élaboré par la compagnie Marielle Pinsard est très intelligent. Les scènes de torture sont évitées par l'utilisation d'un passage qui est une suite de verbes « étripé, écorché, énucléé » etc. qui synthétise toutes les saloperies perpétrées par Azert. C'est une approche axée sur le personnage de Gilda qui a été choisie pour concentrer le récit sur un temps si court (relativement). Ce montage, cette lecture de femme, me révèlent que Gilda est le seul personnage par lequel je décris de véritables émotions intimes, plus élaborées que la peur et la haine. Comme quoi, même après tout ce temps, le regard des autres m'apprend encore des choses sur ce que j'ai produit.
Ensuite, le débat s'établit, mené par Geneviève, parfaite. L'occasion de rappeler les conditions de création du livre, mes obsessions, la construction du récit, son improvisation parfois. Le temps passe vite, je me suis perdu dans mes démonstrations comme d'habitude et je me suis peut-être trop attardé sur celui qui motive mes agacements les plus fréquents, ici, sur Kronix. Geneviève a bien lu mon blog et elle conclut par une note optimiste, une phrase écrite un jour sans doute où je me suis mis à espérer. Il fallait la trouver : il y en a si peu. Il est bientôt l'heure de se quitter et je salue Geneviève qui doit partir. Une passante de plus parmi ses heureuses rencontres permises par Lettres-frontière, mais nous resterons en contact, elle recevra bientôt « le Psychopompe » et j'attendrai son jugement. De la même façon, je garde les coordonnées d'une auditrice qui, miracle, connaît Roanne où elle peut être hébergée et ainsi, venir assister aux 24 heures de lecture organisées en juin par « Demain dès l'aube ». (Cette année, les Confessions de Rousseau). Et aussi, plus tard le soir, autour d'une table dans un bar bruyant mais sympathique, j'apprends d'Emmanuelle Pirerd, qu'elle devait passer à Roanne en avril, rendez-vous manqué, mais qu'elle sera sans doute de retour dans ma vile en septembre. Cette fois, nous aurons du temps pour discuter (et puis, d'ici là, j'aurai lu son travail, que je lui avoue ne pas connaître). Roanne, vortex littéraire ?
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Le sujet
Complexe question du sujet. Quand est-ce qu’une étincelle vous fait penser : « C’est ça ! » ? Je crois que c’est lié d’abord à l’écho que le sujet provoque chez l’auteur. Qu’il prenne naissance dans un fait divers, une rencontre, une sensation ou une histoire célèbre, le récit initial ne mobilise assez d’énergie pour tenir deux ans, voire trois ou cinq, que s’il fait écho à des préoccupations profondes, charnelles, mobilisatrices depuis toujours. Ce qui motive l’écriture doit être un brasier qui couve, et le sujet n’est là que pour souffler sur les braises. Tout est déjà en place.
Il arrive de se tromper. J’en ai parlé plusieurs fois ici. Non pas que le sujet soit mauvais, il n’y a pas de mauvais points de départ, mais l’angle choisi peut ne pas être le bon. L’histoire rejoint alors les autres inspirations remisées, jamais oubliées, intégrées parfois dans de plus vastes récits, condamnées sinon à de très longs endormissements. On n’en finit jamais vraiment avec les idées qui vous sont apparues un jour assez puissantes pour vous lancer dans un récit. Parce que l’évidence avec laquelle elles se sont imposées a un sens. Elles disaient quelque chose dans quoi on se reconnaît. Elles parlent d’un mystère qu’on fouille sans cesse.
S’il y a un gisement, une source susceptible de tarir, il faut admettre que l’épuisement peut survenir. Mais ce n’est pas forcément un mal, une fin. Ce peut être une libération, un soulagement. En fait, c’est quand les braises ont refroidi, peut-être, que la question du sujet se pose vraiment. Quand l’auteur dépassé et stérile a fait place à l’écrivain qui connaît son métier.
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Courtes ondes
Bon, après on n'en parle plus (chiche ? non, je plaisante).
Une petite interview (2 minutes) sur Virgin radio
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Comme ça, c'est complet !
Publiée cette semaine dans une journal local, mais considérablement raccourcie, je me permets de donner in extenso l'interview faite par mail, que m'a accordé Anabel Plence :
Le Baiser de la nourrice et aujourd'hui Le Psychopompe, le thème de la psychose collective semble récurent chez vous. Avez-vous peur de quelque chose en particulier ?
Surtout, je suis motivé par des révoltes, des répugnances, des incompréhensions. Le manque de bonté, le mépris pour les formes de pensée et de culture, la cruauté envers les plus démunis imposent que je m'y confronte. Côté peur, c'est vrai, l'exaltation des foules, l'abrutissement organisé des populations sont une de mes hantises permanentes. Dans le Psychopompe, il ne s'agit pas de psychose collective, à moins que l'on situe la vanité et la fatuité au rang des névroses. Nathan Charon, ce « psychopompe », un chroniqueur de nécrologies dans un journal local, est possédé par une névrose atypique : rendre leur vérité aux défunts. Une vérité que la vie leur a bien souvent dérobée.
Quel plaisir trouvez-vous dans l'écriture des récits noirs ?
J'aimerais tant écrire un doux récit d'amour, une bluette inoffensive ! Je peux vous jurer que j'ai essayé ! Rien à faire, dès que je pense à une histoire, même positive, la réalité des êtres et du monde me rattrape, se met à tordre le bel ordonnancement des lumières, et tout vire au pessimisme. J'y suis tout de même parvenu dans un roman, inédit à ce jour, mais qui n'a encore convaincu aucun éditeur. Je suis peut-être condamné aux récits noirs (néanmoins drôle : c'est le cas du Psychopompe).
Existe t'il un Charon dans votre entourage ?Moi, je suppose. Je ne suis pas aussi misanthrope que lui, pas encore aussi alcoolique et défait, pas aussi vieux, mais il y a sans doute beaucoup de moi chez lui. Mais cet aveu est un leurre : tous mes personnages sont moi, ils sont aussi inspirés par les modèles que fournissent l'actualité, les rencontres, les souvenirs. Ensuite, tout se recrée. Une autre humanité se met en place dans la fiction, qui est celle que l'on connaît, en étant tout autre. Pour répondre : non, je ne connais aucun vieil érudit capable de tuer par amour de l'art et dégoût de l'humanité. Quant à moi, je dois admettre un manque d'enthousiasme à l'idée de tuer des gens. On ne se refait pas.
Le Baiser de la Nourrice a-til "bien marché" ?Nous sommes dans le milieu de la petite édition, ce qui implique de petits tirages mais oui, « le Baiser » a bien marché. En plus du public, il a reçu un excellent accueil critique dans des revues comme « le matricule des anges » ou « Verso », qui sont d'une grande exigence littéraire et ça, c'est magnifique. La sélection Lettres-frontière a donné un puissant élan aux effets durables, et j'ai pu, grâce à ce prix, rencontrer des lecteurs, débattre, expliquer mon travail dans les médiathèques. Je suis invité encore en mai à Lausanne (Suisse) et en juin à Saint-Etienne. Pour « le Psychopompe », la médiathèque de Roanne me recevra, avec mon éditeur et une lecture de François Podetti, le 18 mai. C'est stimulant de parler de ce qu'on fait.
Ecrivain compulsif (si je ne m'abuse ! ) avez-vous un nouveau roman en chantier, ou une intuition littéraire ?En dehors de l'écriture quotidienne sur mon blog, plusieurs choses, toujours : sortira bientôt un livre sur l'artiste peintre Christine Muller pour lequel j'ai écrit un long texte, j'ai en chantier le scénario d'une série de BD pour le dessinateur Rivera, une pièce de théâtre intitulée « Peindre », qui devrait être jouée en avril 2011, et je travaille sur un roman historique (à ma manière) qui commence dans la seconde moitié du 19 ème siècle et s'achève à la fin de la première guerre mondiale. J'estime avoir encore quatre ans de travail pour l'achever. Je veux dire que je vais probablement écrire un « petit » roman dans ce laps, pour ne pas m'ennuyer.