Ce matin, j'entre comme apprenti dans une confiserie.
A suivre.
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Ce matin, j'entre comme apprenti dans une confiserie.
A suivre.
- Tiens, vous avez mis de la moquette dans votre cuisine ?
- Non, ce sont les poils de chats, c'est la saison...
Je marchais avec un bon copain. On se baladait comme ça. Et puis, sur le trottoir, on voit devant nous une énorme crotte de chien. Un truc ignoble. Et j'entends mon pote dire : « Tiens, quel goût ça a ? » Je crois qu'il rigole, je le regarde, mais il a un air sérieux et buté qui me fait soudain douter de son équilibre mental. J'insiste : «Tu déconnes ?» Mais il ne répond pas, il avance comme fasciné, et répète : « Il faut que je sache. » Il se penche vers la matière ignoble répandue par terre, il va le faire, ce con ! je tente de le retenir, je l'engueule, rien n'y fait, je le vois avec horreur plonger ses doigts dans les fèces qui cèdent avec un bruit qui me révulse, il porte ce qu'il vient de cueillir aux lèvres. Je voudrais détourner le regard mais j'assiste au spectacle hallucinant de mon pote qui enfourne un morceau de merde et se met à le mâcher. Là, soudain, il écarquille les yeux comme s'il venait de comprendre son geste. Il me regarde comme cherchant de l'aide. Impuissant, je le vois alors, plié en deux, vomir sur ses chaussures. Je ne sais pas ce qui lui a pris. Il n'est ni plus bête ni moins instruit qu'un autre.
Ah oui : hier, il a voté RN.
Invité, avec son organisateur, à parler en public de ma résidence d'auteur à Saint-Etienne en 2018, je découvre que cela devra se faire sous la forme d'un Pecha Kucha (dont je découvre simultanément le principe).
Voilà, c'est typique de notre société, ça : cette adhésion instantanée aux concepts à la mode, sans qu'on s'interroge sur les raisons qui valent d'adopter une forme plutôt qu'une autre. 5 minutes à deux pour évoquer un temps de rencontres étendu sur trois mois, et le texte qui s'en est inspiré. Bien sûr, que c'est faisable, bien sûr... Des milliers de gens s'apprêtent à voter pour une liste dont ils n'ont pas écouté plus de cinq minutes d'arguments. Et puis, on tente de nous convaincre que personne ne peut être attentif au delà de cette durée.
Les pecha kucha vont donc se succéder, les paroles et les images vont marteler des raccourcis d'idées, des résumés de vie, pour un public qui attend quoi ? Marre !
Allez, on a bien mérité le monde dans lequel on patauge.
Il faisait un temps superbe. J'étendis une couverture sur l'herbe pour que la famille s'y installe, à l'ombre de nos cerisiers. Je surpris l'air inquiet de mon gendre, qui expliqua ses réticences : « Euh… Je ne sais pas, pour le petit, c'est pas prudent. Il risque d'y avoir des insectes, non ? » Je me moquai gentiment de ses craintes en lui affirmant que, si jamais une fourmi audacieuse tentait de s'emparer du petit, je saurais m'interposer. Soudain, un cri nous fit nous retourner : une fourmi était en train de kidnapper mon petit-fils.
La voix du pilote s'éleva dans le compartiment. Un incident technique risquait d'imposer un atterrissage d'urgence. Il fallait boucler les ceintures et prendre la position de sécurité montrée par l'hôtesse. Il y eut d'abord beaucoup d'agitation parmi les passagers puis, étrangement, flotta une sorte de bourdonnement : des murmures, des paroles chuchotées, chacun appelait un être aimé, un parent, pour tenter un ultime message, au cas où… Ma voisine immédiate était du nombre. Penchée en avant, recroquevillée sur son portable, elle se confiait à un répondeur, des sanglots dans la voix : « Je te demande pardon pour tout le mal que je t'ai fait... » Enfin, après quelques turbulences angoissantes, des cris de désespoir et des silences médusés, l'appareil se stabilisa et un nouveau communiqué venu de la cabine jaillit des haut-parleurs. Le problème était apparemment résolu, la voix du commandant de bord nettement apaisée, et l'hôtesse passait dans les rangs, souriante, pour achever de nous rassurer. Ma voisine serrait son téléphone dans le poing, comme si elle voulait l'écraser. Elle serrait les dents mais je l'entendis nettement souffler : « Et merde... »
(D'après une idée de Jean-Noël Blanc.)
Est-ce qu'un bon vivant fait un meilleur mourant ?
Pour le petit fakir, l'histoire de la princesse au petit pois n'était ni drôle ni merveilleuse, mais simplement inconcevable.
J'avais abandonné mes rêves de cow-boy pour me contenter de tracer ma route. J'avais encore pas mal de dollars à l'abri et je pouvais raisonnablement espérer tenir encore deux semaines aux States. Après, ma situation ne serait plus celle d'un touriste. Il me faudrait un job, faire les démarches pour la Green card... Affronter tout ça ne m'inspirait pas trop. Pas que j'étais très attendu en France. Plus de copine et une famille assez indifférente. La seule promesse de bon accueil à mon retour était celle du service militaire. Et puis j'étais fatigué. Depuis des mois, je parcourais le pays au hasard, aucune rencontre n'avait été durable ou seulement satisfaisante. Le statut d'étranger me pesait énormément. Alors, j'allais rentrer. J'abordais le Delaware. Je pensais reprendre le bus pour Trenton avant de rejoindre New-York, ma ville américaine préférée. Ma ville européenne préférée. Je sentais naître en moi une nostalgie de ce pays que je n'avais pas encore quitté.
Alors voilà. J'étais là, attablé dans ce café crépusculaire, avec vue sur la gare de bus. Les grands véhicules aux flancs chromés soulevaient, en démarrant, d'esthétiques volutes de poussière. Les baies vitrées frissonnaient à leur passage. Il n'y avait pas plus de cinq personnes dans le café, en comptant la serveuse, appuyée à la caisse, les yeux dans le vague. Elle avait de l'allure, malgré son tablier et la spatule avec laquelle elle cueillait les pâtisseries. Un sourire éclatant quand un client lui lançait une vanne ; carrément Rita Hayworth quand elle ramenait ses cheveux roux sur la nuque. Moi, j'avais la gorge lestée de sable comme si j'avais couru derrière un de ces bus pendant des kilomètres. J'étais fatigué. Je me sentais plutôt James Cagney que Cary Grant. On était tous fatigués, je crois. Elle aussi, malgré son air malicieux.
Elle vint prendre ma commande. Il me fallait du café pour me rincer de la route, et pour me fortifier, des œufs. « Vous les voulez mollets ou brouillés ? » Je lui répondis qu'il n'y a qu'une manière, celle qu'elle déciderait. Ce faisant, je m'interrogeai. Est-ce qu'elle était seule, est-ce qu'on pouvait lui parler, voire la draguer gentiment, pour rendre hommage à la magie cinématographique du lieu ? Cliché pour cliché, il me parut soudain que mon road-trip américain ne serait pas complet sans un jeu de séduction avec une serveuse de café. La fatuité et la vacuité de l'idée s'imposèrent aussitôt. Faire un brin de cour, ça n'avait pas de sens. J'avais juste envie de l'écouter, de percer le mystère de sa lassitude, à elle. En moi, de la patience cristallisait. En moi, une clarté me disait d'être amical. Elle me servit une large rasade de liquide vaguement bruni, inerte. Clair et tiède : le café qui déprime. Sauf qu'il y avait son sourire.
Elle m'a demandé d'où je venais, en essayant, d'après mon accent : « from France ? » J'ai acquiescé. La fatigue physique abîme les sourires sans en atténuer la bienveillance potentielle. Elle les rend seulement un peu gauches, attendrissants. En tout cas, c'est comme ça que je recevais les siens. Elle relaya ma commande en cuisine et, à ma grande surprise, revint à ma table, direct. Debout, cuisses appuyées au formica, bras croisés, attentive. Elle voulait que je lui raconte. Je lui expliquai une partie de mon périple. J'avais peur de l'ennuyer, j'allais vite, cherchant mes mots, tendu, me demandant à quel moment elle allait soupirer pour me signifier que mes aventures étaient d'une banalité affligeante. Non, elle appréciait, m'encourageait. Elle revint avec une assiette bien garnie et la plaça devant moi comme s'il s'agissait d'une offrande. Elle jeta un œil alentour : les autres clients discutaient entre eux. Des habitués qui traînaient là, faute de mieux. Dehors, la gare était éteinte, la nuit s'installait ; ici, on entendait derrière le comptoir des bruits de rangement et de nettoyage venus de la cuisine. Sans manière, elle s'assit face à moi et me pria de continuer. De son pays, je n'avais plus rien à dire, j'avais plus à raconter sur mes années de galère en France. Comme c'était douloureux, les silences qui entrecoupaient mes histoires se firent plus nombreux. Elle ne me souriait plus. Elle était concentrée sur mes paroles. Je devais incarner une sorte d'exotisme, je suppose. Je ne devais pourtant pas être le premier français à s'arrêter ici. Je lui demandai d'où elle venait. Elle ricana : « Vous ne connaissez pas » me dit-elle en sortant un paquet de cigarettes de son tablier. Je voulus tout de même savoir : « Loin ? » Elle fit un mouvement de tête en direction de la station déserte, comme si le bus qui l'avait déposée là il y a des années, venait de repartir : « Newark. » Ce n'était pas très loin. « Vous comptez y retourner un jour ? » Elle alluma sa cigarette, m'en proposa une que je refusai, prit une bouffée qu'elle souffla sur le côté et planta ses yeux dans les miens : « Il n'y a plus rien qui m'attende à Jerzey. Pas même l'homme que j'ai laissé derrière moi. » Le type en question avait été généreux, lui avait offert un semblant de luxe, une belle vie artificielle, avant de se tirer pour une autre, comme ça, en se fichant pas mal de la meurtrir à jamais. Ses yeux se posèrent furtivement sur mes bagages. J'avais fini mon assiette et reposai mes couverts. Je la considérai longuement. Son regard ne me gênait pas. Nous pouvions nous fixer sans éprouver d'embarras. C'était bien. C'est rare. Je lui dis : « Il ne faut pas parier sur un type qui n'a qu'une valise et un ticket de retour. » Elle opina. « Sûr, dit-elle. Vous pouvez rester un peu. » Après tout, moi non plus, personne ne m'attendait à Jerzey. Je sortis de ma poche mon ticket de bus. « Je vais peut-être rester là. Ils cherchent quelqu'un pour bosser à la station. Je peux bien dormir au Squire, à côté, et manger là tous les soirs. Vous, vous pourriez partir. Demain. » Elle fixait le billet de car comme s'il était enchanté.
De la cuisine, monta un blues qui emporta les conversations des clients, repoussa la nuit, et changea l'instant en éternité. Est-ce qu'on partirait demain ?
Inspiré de la chanson « Invitation to the blues » de Tom Waits.
Dans la cellule, ça s'embrouillait, la discussion partait dans tous les sens. Dédé le Nantais imposa le silence et déclara à ses codétenus : "Revenons à nos matons."
Nous étions à table, discutant de la toxicité de diverses plantes. Mon frère les étudiait et mon père était professionnel. Moi, j'aimais apprendre. On s'arrêta sur le chapitre des pommes de terre. Vertes, elles sont réputées vénéneuses. Mortellement. « Pas du tout » intervint ma mère. On se tourna vers elle. « Je vous en ai fait manger un jour. Et vous êtes toujours là. » Sur ces mots anodins, elle retourna à ses occupations. Je ne sais plus ce qu'exprimèrent alors nos visages. Une sorte de sidération, je suppose.
Il n'y avait, pour seul outil, qu'un chalumeau, posé sur la table de l'esthéticienne. Profitant de son absence, la cliente descendit prudemment de la couchette et s'enfuit. Renonçant à la nouvelle méthode d'épilation définitive vantée par le cabinet. Une intuition…
« Alors, on écrit toujours ? (Geste de main noircissant une feuille)
- Oui, oui, toujours. (Sourire embêté, je sais qu'il vaut mieux écourter cette conversation)
- C'est bien. Au moins, ça vous occupe. »
L'exigence et la rigueur de Einrich Sturmayer eurent pour désagréable effet d'abréger son existence. Légiste, expert en balistique, sa première affaire fut celle d'un suicide à l'arbalète. Par conscience professionnelle, il braqua l'engin sur lui-même pour vérifier s'il était possible d'appuyer sur la gâchette en se tenant dans la position de la victime. Il n'eut hélas pas le temps de notifier que c'était le cas. Bien entendu, il fallut s'assurer que Einrich s'était infligé la blessure mortelle. On eut soin de missionner un expert moins radical.
« Tout déraciner des légendes qui nous obsèdent, des défiances et des colères, tout oublier, sauf notre travail d'homme, qui est de se présenter face à la mort, meilleurs que nous n'avons jamais été. »
Demain les Origines. Vol. 1.
Alléger son pas sur la terre. Effleurer le monde. Ne plus proférer, ne plus nuire. Ne pas se croire si important. Prendre enfin la voie de la sagesse…
Bon. Déjà, l'envisager. C'est pas si mal.
Juste un peu de froid, et nous voici petits dieux créateurs de nuages.
J'avais été embauché pour mettre en scène une soirée, dans un restaurant mondialement réputé et très étoilé. J'investis le garage où, d'habitude, s'engouffraient les voitures de luxe de la clientèle, pour simuler un marché, en plaçant sous des bouquets de parasols, les maraîchers, primeurs, viticulteurs, qui fournissaient le célèbre restaurant. Il y avait un groupe de musiciens, j'ajoutais des « trucs » de théâtre : nombreux projecteurs et une machine à fumée pour créer une atmosphère censée faire oublier le triste décor du parking. Le chef très étoilé et sa femme furent charmants, je dois le dire. Agréables, souriants, amicaux. Le personnel avait été mis à ma disposition pour concrétiser ma « vision », préparée sous forme de croquis. L'enthousiasme général eut sur moi un effet étrange. Je me sentais indigne de leur confiance. « C’est donc si facile, me disais-je, gagné par un fort sentiment d'imposture. On peut donc si facilement les satisfaire ? » Je fus envahi d'un profond dégoût de moi-même qui se traduisit par une hostilité envers mes commanditaires. La soirée commençait. Je voyais affluer des êtres d'un autre monde. Je réalisai que je n'avais rien à faire ici. Ma frustration, encore confuse à ce moment-là, me conduisit à une tranquille auto-destruction. J'attendis que le chef très étoilé me dise : « Il faut commencer, maintenant » quand les premiers visiteurs pénétrèrent dans mon décor, pour me promener entre les étals reconstitués, machine à fumée bien visible au bras, balançant des jets de vapeur bruyants dans les jambes des bourgeoises, un peu décontenancées. De plus, je gratifiai chaque invité de mon regard mauvais. Une agressivité que personne n'avait méritée. Surtout pas mes commanditaires qui, très occupés par ailleurs, ne prirent pas garde à ma mauvaise humeur incompréhensible.
Ils ne m'ont jamais recontacté. A mon grand soulagement.
Je m'interdisais les moqueries. L'effet d'un enseignement fait de compassion, sans doute. C'est le monde du travail qui m'a transformé, sous cet angle. La fréquentation d'esprits affûtés, dans le milieu de la communication, les mots qui fusent, les saillies terribles, la jubilation des traits venimeux, être méchant et drôle faisait partie de la panoplie. Me suis acclimaté à cette sorte de créativité, car c'en était une. Jusqu'à ce qu'elle décèle son véritable sens : l'élaboration d'une caste. Quand j'ai rejoint les rangs du milieu scientifique et patrimonial, les signes de connivence ont changé. La méchanceté n'était plus gratuite, plus drôle, plus créative. Les piques avaient pour but de déclassifier l'autre, voire de le tuer, professionnellement. Sans l'humour, les sarcasmes ont pour contrepartie de vous salir considérablement. Évadé aujourd'hui du milieu salarié, je ne peux affirmer avoir complètement renoncé à placer dans la conversation un bon mot, bien cruel, bien vif. Il m'arrive de rechuter. Encore un chantier dans le vaste territoire des améliorations possibles. Pourquoi faire cet effort ? Parce que je sais, qu'à la fin, je me sentirai mieux. Plus propre. Allégé de quelque chose. Je vais commencer par Kronix : ne plus dire de mal de qui que ce soit, ici. Même de Christian Bobin, même s'il me provoque avec un nouvel opus.
Voilà, ça recommence...
L'exploit lui paraissait finalement douteux. Tout ce qu'il avait entrepris, sa vie entière, la moindre de ses décisions, les accidents et les hasards, tout cela avait conduit à ce qu'il se trouve là, seul sur la planète Mars, déconnecté de la Terre, à se morfondre dans l'ennui le plus complet. Sa seule distraction était cette démangeaison au niveau des testicules que son encombrant scaphandre lui interdisait de soulager.