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kronix - Page 187

  • Mrs Dalloway

    Virginia Woolf - Folio classique Gallimard, 1994.

     

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    Mrs Dalloway dit qu'elle se chargerait d'acheter les fleurs.

    (...)

    Et justement, elle était là.

  • Je m'en veux (vraiment), mais je n'y crois pas.

    (d'après une réponse adressée à un ami, ce matin-même)
    "J'ai lu le discours de Boulogne. J'ai lu aussi le discours d'investiture. Réaction.
    Il faut d'abord que je sois convaincu de la sincérité de notre président. Je doute, mais je comprends l'option politique : il mise beaucoup sur une réaction de son électorat par rapport à ce qu'il pense être l'esprit soixante-huitard : un mépris des notions d'autorité et de patriotisme. Je dois dire que je suis très mal à l'aise avec l'autorité et avec le patriotisme, mais pas de la façon dont le conçoit sans doute Sarkozy, c'est à dire pas sans raison. Je ne suis mal à l'aise avec l'autorité que quand elle ne me semble pas légitime, je ne me méfie du patriotisme que quand il est sublimé dans un but douteux : partir en guerre, distinguer les héros des lâches...
    Pour moi, ce doit être ça l'esprit de mai 68 : ne pas acquiescer aveuglément à une décision verticale. Douter. Ce qui est le fondement de l'humain à mon sens. Le discours d'investiture est traversé de clins d'oeil en direction de ceux qui ont besoin de certitudes. A l'entendre, la France est la terre des héros, elle a toujours résisté, elle a toujours combattu du bon côté, elle a toujours défendu les valeurs des droits de l'homme. C'est le type qui a fermé Sangatte, fait condamner les gens qui portaient secours aux immigrés démunis (de vrais résistants donc), qui s'est employé à diviser la nation, à dresser les intellectuels contre les manuels, à stigmatiser les banlieues en leur réservant un traitement "ethnique", qui fiche génériquement les gamins en révolte (les mêmes dont il s'applique à souligner le sacrifice à Boulogne); c'est ce type qui magnifie le rôle lumineux de mon pays ? Je ne lui reconnais pas ce droit. Sa vision volontairement aveugle et enamourée de la France séduit un peuple qui souhaite s'appuyer enfin sur des certitudes. Peut-être que les gens ont besoin de ça pour avancer aujourd'hui. Sarkozy les a compris.
    Quant à moi, je n'ai pas besoin qu'on magnifie mon patriotisme pour être fier de mon pays quand, manifestement, il est digne de son passé ; je n'ai pas besoin qu'on m'assène la nécessité d'une autorité quand je constate que la justice est humaine, mesurée, bienveillante et égalitaire, quand la police protège les plus faibles et n'agit pas impunément. Je sais être fier de la France, de son histoire, là où elle s'est montrée noble et généreuse. Le problème est que cette noblesse et cette générosité n'ont été que rarement incarnées par les tenants des valeurs morales, du travail de la famille et de la patrie. L'histoire, lue objectivement, nous apprend plutôt l'inverse. Les forces du conservatisme font peu de cas du malheur des plus pauvres. Quand NS dit solidarité, j'entends charité, quand il dit respect, j'entends préservation de la propriété, sens de la hiérarchie, quand il chante la Marseillaise, j'entends maréchal nous voilà. Quand on chante la Marseillaise, avec les copains (celle de la commune par exemple, la marseillaise comme chant de révolte, interdite par les Thiers, Napoléon, etc.), j'entends le chant des partisans, les vrais, ceux qui ont été obligés de prendre les armes, parce que les mêmes conservateurs avaient un besoin désespéré de retour à l'autorité, de retour au sens de la famille (les femmes à la maison), de salut à un drapeau qu'ils ne voyaient qu'en bleu et blanc.
    Voilà, cher ***, à gros traits, ce que je pense des récentes interventions de notre président. Je m'en veux, je t'assure, d'être aussi peu enthousiaste à l'écoute d'un discours qui, dit par un autre, me comblerait d'aise. Mais dans la bouche de certains, les mots prennent une saveur amère."

  • La tache

    Philip Roth - Folio, 2000.

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    A l'été 1998, mon voisin, Coleman Silk, retraité depuis deux ans, après une carrière à l'université d'Athena où il avait enseigné les lettres classiques pendant une vingtaine d'années puis occupé le poste de doyen les seize années suivantes, m'a confié qu'à l'âge de soixante et onze ans il vivait une liaison avec une femme de ménage de l'université qui n'en avait que trente-quatre.

    (...)

    Il est rare qu'en cette fin de siècle la vie offre une vision aussi pure et paisible que celle d'un homme solitaire, assis sur un seau, pêchant à travers quarante-cinq centimètres de glace, sur un lac qui roule indéfiniment ses eaux, au sommet d'une montagne arcadienne, en Amérique.

     

    Ce livre a été adapté (et ma foi, pas mal) dans un film intitulé "la couleur du mensonge" avec Hopkins et Kidman.

  • Madame Bovary

    Gustave Flaubert - Press Pocket, 1990.

      

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    Nous étions à l'étude, quand le Proviseur entra, suivi d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre.

    (...)

    Il vient de recevoir la légion d'honneur.

     

    Lire aussi l'excellent article de Dantzig sur "qui est l'auteur de madame Bovary" ? Dans son "dictionnaire égoïste de la langue française".

  • Incentive. Traduction.

    Lu dans une plaquette de promotion d'un festival de la région, axé sur la gastronomie. Le festival propose des "incentives" aux entreprises. Mon esprit provincial s'interroge. Incentive... Qu'est-ce? Découverte d'un mot, plongée dans les dictionnaires qui font mon quotidien : rien. Je soupçonne l'emploi abusif d'un anglicisme, dans le but de donner une image moderne à la démarche. Notons au passage qu'utiliser l'anglais est moderne depuis 1945, ça commence à bien faire, non ?

    J'ouvre donc mon "Robert & Collins", qui traduit incentive par motivation. Les incentives de la plaquette sont, deviné-je, des sortes de séminaires de motivation pour le personnel cravatté et malléable des grandes entreprises qui veulent performer, manager, et foutredelargentparlafenêtreter.

    Je propose donc l'expression suivante, pour éviter l'usage d'un terme anglais qui a déjà sa correspondance en français.

    Incentive : enculage de mouches.

  • Les voleurs de beauté

     Pascal Bruckner

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    Bruckner n’est pas un romancier. Il est peut-être essayiste, si l’on en croit la critique littéraire la plus répandue, mais la lecture des voleurs de beauté, m’a convaincu qu’on édite vraiment des merdes sous prétexte que l’auteur est connu. D’où un certain agacement au fil des pages ! Récit invraisemblable, aux développements mal raccordés, imaginés parfois in extremis pour rallonger la sauce, thème plat. Même pas malsain : ah, ce qu’aurait pu faire le méprisé Brussolo à partir du même argument ! Ici, aucune ambiance, personnages improbables, clichés, phrases toutes faites (genre : les chiens qui copulent au grand jour contrairement aux humains qui se cachent, mais eux ils ont le droit ; ce sont des bêtes– je vous jure !), références d’une profondeur bistrotière : « Les fous sont ceux qui ont tout perdu sauf la raison », assénées avec un sérieux de lycéen découvrant la philo, enfoncement de portes ouvertes, descriptions bien moyennes. C’est un écrivain, ce type ? Merde, merde, merde… Et ma compagne libraire me confesse que peu d’auteurs français publiés depuis dix ans tiennent vraiment la route au niveau littéraire. Affligeant.

  • A la recherche du temps perdu

    Marcel Proust -Editions Quarto Gallimard en 1999-

     

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    Longtemps, je me suis couché de bonne heure.

    (...)

    Aussi, si elle m'était laissée assez longtemps pour accomplir mon oeuvre, ne manquerais-je pas d'abord d'y décrire les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place considérable, à côté de celle si restreinte qui leur est réservée dans l'espace, une place au contraire prolongée sans mesure puisqu'ils touchent simultanément, comme des géants plongés dans les années à des époques, vécues par eux si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer -dans le Temps.

  • Un communiqué de la famille de Léon Blum

    Nous  avons entendu avec stupéfaction, en boucle ce matin sur LCI, la déclaration de monsieur Vincent Bolloré selon laquelle sa famille aurait « reçu Léon Blum  à son retour de captivité  en 1945 ».

    Nous, proches parents de Léon Blum,  opposons un démenti formel à cette
    allégation.

    Léon Blum n’a jamais eu aucun lien avec la famille Bolloré, ni avec la
    moindre famille du milieu des affaires.

    A son retour de déportation, en mai 1945, Léon Blum ne dispose d’aucun
    logement habitable, son appartement ayant été pillé et dévasté, la maison de
    son épouse Jeannot à Jouy en Josas ayant été détruit .

    Léon Blum trouve refuge auprès de Felix Gouin, président de l’Assemblée
    Consultative, qui siège au Palais du Luxembourg, en attendant de pouvoir
    habiter la maison de son épouse à Jouy en Josas où il finira ses jours, et
    qui est aujourd’hui le musée Léon Blum.

    Dans un état de santé très délabré, il ira, rarement, se reposer dans la
    maison, peu luxueuse, d’amis proches en région parisienne.
    Est-il utile de rappeler que Léon Blum, en dehors d’une magnifique
    bibliothèque aujourd’hui à la Fondation des Sciences Politiques, ne
    possédait aucun bien, qu’il n’a vécu que de ses traitements d’homme d’état,
    et que ses frères et lui, ont donné, au long de leur vie, une bonne part de
    leurs  revenus au parti socialiste ...

    Est-il utile de rappeler (voir les biographies dont celle de Lacouture) que
    Léon Blum, qui n’avait aucun goût pour l’argent et le luxe, est mort dans un
    relatif dénuement, ses traitements ayant beaucoup de retard après la guerre

  • La rage de l'expression

    Francis Ponge - 1976- Editions Gallimard. nrf.

     

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    Que rien désormais ne me fasse revenir de ma détermination : ne sacrifier jamais l'objet de mon étude à la mise en valeur de quelque trouvaille verbale que j'aurai faite à son propos, ni à l'arrangement en poème de plusieurs de ces trouvailles.

    (...)

    Un jour, dans quelques mois ou quelques années, cette vérité aux profondeurs de notre esprit étant devenue habituelle, évidente -peut-être, à l'occasion de la relecture des pages malhabiles et efforcées qui précèdent ou bien à l'occasion d'une nouvelle contemplation d'un ciel de Provence- écrirai-je d'un trait simple et aisé ce Poème après coup sur un ciel de Provence que promettait le titre de ce cahier, mais que -passion trop vive, infirmité, scrupules- nous n'avons pu encore nous offrir.

     

  • Demain la nuit sera parfaite

    Alain Borne -1954- Editions Rougerie. (N°18 sur 25 du tirage numéroté. Ce livre a été tiré en 225 exemplaires.)

     

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    Par un jour de grand vent les hommes s'assemblèrent pour tuer, tuèrent, mangèrent, jetèrent de légères orties dans l'eau, blanches de fleurs, moururent, et tout le ciel s'engouffra dans leur tombe, et la terre fut comme une médaille au cou de Dieu.

    (...)

    On eût dit qu'il saluait. Le plus gr

     

    (N.B. : pas de faute de frappe. C'est bien ainsi que s'achève ce recueil de poésie.)

  • Une chaussure 2/2

     

    Grand-père était cordonnier orthopédiste. Il imposa à la plante de mes pieds plats, que l’enfance aurait dû rendre malléable, des semelles de sa création, outrageusement cambrées. Il confectionnait avec amour ce cartonnage rigide de couches de cuir, assemblées à l’aide de rivets chromés. Une merveille technologique, un instrument de torture individualisé, comme j’en connus plus tard avec les appareils redresseurs de dents rebelles. Inéluctablement, je grandissais, mes pieds aussi, mais les voûtes plantaires ne se voûtaient pas ; grand-père accentuait la cambrure de ses semelles, qu’il glissait à l’intérieur de la nouvelle paire de chaussures que mon changement de pointures exigeait. Les premiers jours, c’était horrible. Tout mon corps se révoltait contre cette sensation de marcher sur des galets embarqués. Dès que possible, je cachais ces maudites formes de cuir et marchais, soulagé, dans l’espace réintégré de mes chaussures neuves. A l’approche d’un parent, je boitillais en plissant le front, mais la supercherie ne dura pas.

    L’expression de souffrance que j’employai une fois sous le regard de ma mère, la fit s’insurger contre la trop forte contrainte que l’on imposait à mes jeunes membres. Elle demanda illico à son beau-père de remédier au problème : « Non, mais regardez comme il a mal ! ». Mon grand-père, s’excusant, contrit, me déchaussa pour assouplir les semelles immédiatement. De semelles, point. Sarcasmes du grand-père, confusion et colère de la mère, déconfiture du jeune comédien. Il me fut impossible ensuite d’échapper à la rééducation douloureuse de mes arcades plantaires. Je concevais désormais la vie comme un martyr interminable. Je compatissais au sort de la petite sirène, dont la lecture répétée m’offrait le frisson, incessamment renouvelé, de la description de sa marche sur ses pieds neufs : « A chaque pas, comme la sorcière l'en avait prévenue, il lui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des couteaux aiguisés ». Mais cela n’atténuait pas la hantise de devoir déambuler sur les semelles maudites.

    Il y eut pourtant une éclaircie. Il m’était conseillé de marcher pieds nus le plus souvent possible, et sur des terrains particulièrement irréguliers : chemins caillouteux, plages de galets, etc. Je découvris la volupté de marcher ou courir pieds nus dans l’herbe, sur les chemins empoussiérés ou les berges sablonneuses. Plus rien ne m’arrêtait : les sous-bois criblés de ronces, les gravières au relief blessant, les lits de rivière sournois… Je martyrisais mes pieds avec une frénésie masochiste. Au hasard des aventures, je me déboîtais les orteils, m’écorchais la plante des pieds, me tordais les chevilles si souvent qu’elles se fragilisèrent à l’excès. Je redoutais tellement le retour des semelles de grand-père, que je laissais mes parents dans l’ignorance de mes nombreux accidents. Mon obstination se solda par une sensibilité permanente de la cheville droite, un déhanchement discret, une position anormale du pied droit, plus tard des rhumatismes à cette articulation… et une espérance de vie abrégée de toutes mes chaussures droites.

    Je repose mon soulier démoli. Pas peu fier d’avoir élucidé le mystère de la pompe droite qui se désagrège prématurément. Et je réajuste mon écharpe autour de mon cou endolori.

    Pourquoi est-ce que je porte toujours une écharpe, même lorsqu’il fait chaud ?

  • Une chaussure 1/2

     

    La première chaussure qui cède est celle de droite. D’abord, une série de veinules dans le caoutchouc annonce qu’elle agonise. A ce stade, je commence à éviter les flaques, sans quoi j’arrive au travail les chaussettes humides. Là, discrètement déchaussés dans l’ombre de mon bureau, mes pieds sèchent, plus ou moins vite selon l’agitation de mes collègues et les effets de ventilation qu’elle provoque. Je continue pourtant d’ignorer la crevasse qui, sous la godasse, s’élargit de jour en jour. Enfin, la semelle s’ouvre complètement par le milieu. J’achète une autre paire ? Non, j’attends que la chaussure de gauche parvienne au même degré de détérioration que sa soeur. Il lui faut en général un peu plus de deux semaines. Cela me laisse le temps de ruminer cette interrogation obsédante : pourquoi la droite en premier, toujours ?

    Quand je considère cliniquement mes souliers défunts, ou que j’observe leur lent effondrement dans les derniers jours, je constate que sur celui de droite, un affaissement précoce du contrefort s’est opéré. Je reconnais là le stigmate de déshabillages hâtifs au terme desquels pied et chaussure sont désolidarisés de force, sans délaçage préalable. Le geste qui, du bout du pied gauche arrache le talon du pied droit, est le même qui envoie les pompes en direction du meuble où elles devraient s’aligner proprement, mais où elles percutent leurs congénères et retombent au hasard, parfois trop loin pour être repêchées avant le lendemain. Voilà l’explication des contreforts abîmés, mais la semelle fendue ?

    L’hypothèse absurde que je marcherais davantage avec le pied droit qu’avec le gauche, causant ainsi une usure plus rapide de ce côté-là, m’amuse un temps avant d’être abandonnée. Une inquisition plus précise me révèle une déformation vers l’intérieur de tout l’appareillage, déformation inédite à gauche. En fait, il apparaît que je marche différemment, plus « en dedans » du côté droit. Ah. Cette position anormale de mes tarses et métatarses sur le sol occasionne une torsion du cuir, des coutures et du caoutchouc, finissant par briser le matériau le moins résistant à cette contrainte particulière. Menant la réflexion plus loin, je rappelle le souvenir de sensations corporelles assez coutumières. Il s’agit de ces petits embarras, de ces élancements chagrins avec lesquels on apprend à cohabiter. Oui, c’est au côté droit de mon dos que j’ai constamment mal ! Et certains jours de marche forcenée –car cela m’arrive malgré mes préventions contre toute forme d’exercice physique- la douleur grimpe jusqu’aux cervicales. Je regarde mon pied avec suspicion. Ce serait toi, toi seul, le responsable de ma démarche lasse, de mes courbatures, de mes nuits gênées, de mes maux de tête ? Et même de la musculature étonnante de ma jambe droite ?

  • Après l'éclipse

     
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    Le jour de l’éclipse, j’étais face à la mer.

    Le vent frais s’était levé, l’air avait brusquement changé de timbre. La terre a basculé dans l’or, l’ambre et le brun. Puis dans la nuit. Une main divine a jeté des étoiles dans le ciel éteint.

    Fasciné, j’étais ailleurs, j’étais autrement, j’étais autre. Au bout de mes doigts, mes enfants, ma femme ; plus loin, des touristes, des inconnus, tous soulevés par la même énergie inédite. Une harmonie incompréhensible nous unissait, tous humains enveloppés d’une nuit extraterrestre.

    Aussitôt, chancelant encore, je m’interrogeai. Il m’avait semblé retrouver dans l’émotion qui m’avait emporté une minute auparavant, une sensation connue. Je cherchai. Quand avais-je ressenti pareil éblouissement, pareil abandon de la raison à une émotion qui me submergeait ? Il me fallut longtemps pour trouver, je crois, et ce ne fut pas ce jour-là en tout cas. L’éclipse était achevée, la fête finie, les touristes et notre famille rejoignaient à regret les voitures. La lune s’était séparée du soleil, la terre avait recouvré ses couleurs.

    Pendant le trajet qui nous ramenait au camping, pendant le temps de l'endormissement ce soir-là, pendant les jours qui suivirent, je remuais le souvenir de cette sensation extraordinaire, mais que j'étais convaincu d'avoir éprouvée déjà. Cela ressemblait à l'émotion ressentie devant la beauté d'un paysage, mais d'une manière plus élevée, c'est-à-dire moins première (pas la sensation de petitesse face à l'infini, par exemple). Cela avait à voir avec le dépassement, la sensation d'assister à un spectacle mystique, plus élevé que la compréhension humaine. Et soudain, cela me revint.

    C'était au Louvre, que je visitai dix ans plus tôt, sans parcours établi. Au détour d'un couloir, la cloison d'une salle s'escamota et je me plantai devant un nouveau tableau. Il s'agissait du Saint-Jean Baptiste de Leonardo da Vinci. Les larmes aux yeux, le souffle coupé, je tentai de comprendre ce que mon corps et mon âme tentaient d'organiser, sous le choc, et sans ma volonté. Voilà : c'était cela, cette sensation. Cette impression d'être confronté à une oeuvre surhumaine, de jouir d'une beauté qui dépasse la pensée commune, de contempler un objet pourvu des forces incontrôlables et indifférentes de la nature. Le même élan, le même soulèvement de l'esprit, la même paralysie face à cette évidence. La beauté indépassable, qui rend muet le commentateur. Une expérience de Dieu sans Dieu. La révélation que de l'homme, naît ce qui peut l'élever hors de lui-même. Le faire donc exister.

  • La vie obstinée

    Wallace Stegner - 1999 - Editions Phébus. Traduction (magnifique) de Eric Chedaille.

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    Je n'étais pas descendu depuis une demi-heure que la pluie s'est mise à tomber.

    (...)

    Je serai, toute ma vie durant, plus riche de ce chagrin.

  • Les clients d'Avrenos

    Georges Simenon - 1935 - Folio.

     

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    On n'attendait pas encore de clients, bien qu'un étudiant qui venait pour Sadjidé fût déjà accoudé au bar.

    (...)

    Et le lendemain la vie continue.

  • Figures de poupe

    Nouvelles brèves.

    Marcel Mariën - 1996 (réédition de 1974) - Didier Devillez Editeur.

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    Fils d'une sibylle et d'un badaud, Nicolo Svolta exerçait à Florence, dans une échoppe voisine du palais Strozzi, le rare métier de vitromancien.

    (...)

     Un jour, excédé, incapable de supporter plus longtemps les affres de l'indécision, il mit une fois pour toutes le feu à sa demeure, s'en fut, et tourna le coin pour toujours.

     

     

  • Suite française

    Irène Némirovsky - Prix Renaudot 2004 (écrit en 1940) - Folio.

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    Chaude, pensaient les Parisiens.

    (...)

    Bientôt, sur la route, à la place du régiment allemand, il ne resta qu'un peu de poussière.

     

    Extrait de notes : "Mon Dieu ! que me fait ce pays ? Puisqu'il me rejette, considérons-le froidement, regardons-le perdre son honneur et sa vie. Et les autres, que me sont-ils ? Les Empires meurent. Rien n'a d'importance."

  • A mes amis, électeurs de droite

    Nous y sommes. Comme promis dans le billet précédent, des arguments plus longs que le gag de l'affiche qui résumait seulement tout ce qui suit.

    Le personnage, d'abord :

    Il y a une droite fréquentable, démocrate, cultivée et solidaire. Souvent appelée démocrate-chrétienne. A l'aune de certains engagements de cette droite-là, il m'arrive de me demander si je suis vraiment de gauche. Sarkozy ne vient pas de cette tradition tolérante et sensible. Il s'est nourri, construit politiquement, avec la logique de la droite ultra-conservatrice américaine. Sa fascination pour l'Amérique (pourtant, il échoue son diplôme de fin d'étude à cause de sa mauvaise note en anglais) et pour Bush est connue, revendiquée. Pour lui, « les français aiment bien l'Amérique. La preuve : mes enfants préfèrent les films américains » (sic). C'est sur ce genre d'arguments que se base notre futur président. Pour cette raison, avec Sarkozy, nous serions embourbés en Irak en ce moment-même. Pour cette raison, il a employé toute son énergie pour faire venir Tom Cruise de passage à Paris, jusqu'à Bercy et se faire prendre en photo, serrant la paluche du pape de l'Eglise de scientologie. Pour cette raison il a intrigué de toutes les manières pour obtenir une poignée de main de Bush, prise entre deux portes à Washington. Dobeulyou doit encore se demander qui était cet agité qui voulait absolument garder un souvenir de sa visite à la maison blanche (pas du tout invité, rappelons-le). Le beauf capable de toutes les bassesses pour briller. C'est vrai que, déjà, là, j'aime pas, et je ne parle même pas du début de campagne où il invite tous les candidats à déclarer leur patrimoine (ce à quoi tous répondent positivement, livrant à la presse le détail de leurs impôts), ce qu'il oublie de faire, en définitive, lui. Gonflé. Mais s'ajoute le caractériel, celui qui fait virer le directeur de Paris Match à cause des photos de sa femme, celui qui fait pression sur le syndicat de la Presse Quotidienne Régionale pour empêcher le débat Royal-Bayrou, qui convoque un éditeur pour lui intimer l'ordre de retarder la sortie d'un livre sur Cécilia, celui qui pique une crise à France 3 (si je suis élu, je vous vire tous !), celui qui exprime son avis sur la possibilité ou non de publier « la vie sexuelle de Catherine M. » (depuis quand est-ce à un ministre de l'intérieur de donner son aval à ce sujet ?), celui qui trahit son propre camp (Balladur en 95, vous vous souvenez ?), celui qui vient en province avec un gilet anti-agression (contre les coups de couteau, pas contre les balles -pas encore), tellement paranoïaque que chacun de ses déplacements, même en terrain conquis (bord de Seine, Paris, le 4 avril !), déplace 80 à 100 policiers, avec police fluviale et mobilisation de la police urbaine. Un dispositif digne d'un chef d'état. Des ouvriers en grève n'ont pas pu manifester lors d'un meeting du candidat de l'UMP : Les CRS Les ont bloqués direct à la source. Confinés dans l'usine. Que craint-il, ce matamore ? Pas la confrontation frontale, pourtant : incapable de maîtriser ses nerfs. Au téléphone, ça donne, à un autre ministre : « Connard, déloyal, salaud, je vais te casser la gueule ! » etc. Dans les journaux, sous pseudonyme, il zigouille son propre camp : François Fillon ? « Un nul qui n'a aucune idée » ; Barnier ? « Le vide fait homme » Douste-Blazy ? « La lâcheté faite politicien » (on notera la pauvreté dans la variété de la syntaxe) ; Juppé ? « Fabius en pire », Chirac ? « Mort, il ne manque plus que les trois dernières pelletées de terre ». Quant à Villepin, il lui a promis de finir « pendu au croc d'un boucher ».

    Et on va confier l'arme nucléaire à ce malade ?


    Et puis, il y a les idées...

    Là, on ne rigole plus du tout. Il y a tellement d'horreurs que je ne sais plus par quoi commencer. Avec les musulmans, par exemple. Pour régler le problème des banlieues, et compte-tenu de sa vision communautariste et anglo-saxonne du phénomène, le processus de pacification des banlieues, dans la logique sarkoziste, est le suivant : on confie aux religieux musulmans la direction objective des âmes communautaires. C'est simple (la religion est un opium puissant, capable de calmer les excités durablement), pas cher (moins cher que les travailleurs sociaux, la police de proximité, l'investissement dans les logements sociaux, les aménagements urbains) et on peut espérer garder une certaine autorité sur des imams nommés. Mais tout cela produit des effets pervers : le jeune de banlieue est donc renvoyé, non pas à sa citoyenneté de français, mais à sa seule appartenance religieuse, il n'est donc pas un citoyen entier, respecté pour ses choix, et la remontée de doléances se fait donc, concrètement sans que ce soit dit techniquement, par les religieux, qui tiennent alors lieu d'interface entre la société et « l'autre société », celle des ghettos périphériques. Comme si on me demandait à moi, de me plaindre du mauvais état de mon trottoir via le curé de ma paroisse. Vous comprenez le problème ?

    Sarkozy souhaite revenir sur une des lois fondamentales de notre république : la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Sur le fond, on comprend l'intention. Il s'agit de contrôler -parce qu'on les aide financièrement- les structures cultuelles. Ce qui signifie d'abord, construire des mosquées sur les fonds publics, de façon à évincer l'influence des saoudiens waabites (tendance intégriste de l'islam, qui financent des mosquées -de leur obédience évidemment) et à redonner un peu de dignité aux minuscules lieux de prière musulmans actuels, genre arrière-cour de maison. Mais est-ce vraiment aux contribuables de faire construire des lieux de culte ? Il me semble que depuis la loi, personne n'a eu recours à l'état pour construire temples, pagodes, églises... Ensuite, la séparation donnait à l'Etat la mission de l'enseignement. Ce ne serait plus le cas. Vous imaginez l'influence des imams ou des intégristes catholiques sur les cours d'histoire ? C'est vraiment ce que vous souhaitez, chers amis électeurs ?

    Sarkozy et la génétique. Aïe. Le scientifique Sarkozy chausse ses lunettes, et son vieux fond de pensée manichéenne lui permet de croire que l'homosexualité et la pédophilie, ainsi que le goût pour le suicide sont génétiques. Bon sang, pitié, électeurs de droite, vous n'êtes quand même pas tombés si bas ? Réveillez-vous ! Nous sommes donc prédestinés. Les êtres violents le sont à la naissance, inutile pour expliquer un comportement brutal, de considérer l'environnement social et familial, la pauvreté, l'alcool, etc. Rappelons-nous aussi qu'un grand mouvement de scientifiques et de professionnels de la pédiatrie a réussi, à force de contestation, à faire reculer le chéri des sondages sur son projet de dépistage des comportements délinquants dès l'âge de 3 ans !

    Si Sarkozy fait une confiance aveugle dans la génétique, c'est peut-être parce que le fichage de l'ADN lui a rendu quelque service. Il en a élargi le registre, limité d'abord aux seuls délinquants sexuels, à toute personne soupçonnée d'un quelconque délit ! (sauf financier, ben tiens : pas fou). C'est ainsi que des faucheurs d'OGM (qui ne font qu'appliquer la loi, puisque la culture d'OGM est interdite en France) et des étudiants anti-CPE ont été fichés. Vous avez vraiment envie de ce monde ?

    Si vous n'avez pas encore la nausée après tout ça, vous pouvez éventuellement continuer la lecture, parce que moi aussi, je suis à bout de force et d'écoeurement.

    Je rappelle donc en vrac que deux livres de Sarkozy sont préfacés dans leur version italienne par son ami Gianfranco Fini, président du parti néo fasciste italien, que son projet de ministère de l'identité nationale n'a pas, contrairement à ce qu'il dit, d'exemple dans les autres pays européens. Ou plutôt si : dans le rêve de grande serbie de Milosevic. Et je dirais encore qu'il a une vision de l'Europe comme d'un grand marché ultra-libéral (alors les délocalisations, vous imaginez...), que le téléchargement que je considère personnellement comme une petite saloperie est pour lui un crime, et que le nouveau traité européen ne sera pas soumis au vote des français.


    Allez, y'en a marre. J'arrête, j'en suis malade.

    Je voudrais juste demander aux électeurs d'une droite humaniste, les supplier, de ne pas voter pour ce fou dangereux.

    Une dernière chose : Chirac parlant d'une possible présidence de Sarkozy : "Ce serait comme faire un barbecue géant dans le massif de l'Esterel en plein été".

    On avait bien besoin de ça...



    Sources : Magazine Marianne N°521, Le Canard enchaîné N°4511, Libération.fr, Le monde.fr, communiqué des journalistes de France 3, P.-Y. Ginet, Wikipédia, « la république, la religion, l'espérance » de N. Sarkozy ; Blog de Michel Onfray, des témoins de la visite du ministre de l'intérieur dans ma ville.


  • Enseeeemmmble ! Sauf...

    L'effet qu'a sur moi la critique, quelle qu'elle soit, est de me faire réfléchir, d'abord.

    La réaction de Joven writer a exigé que j'examine en quoi je pouvais avoir déçu. Il devait donc y avoir, dans l'édition de cette parodie d'affiche de Sarkozy, quelque chose qui ne convenait pas à Kronix. Je suppose que Joven a trouvé ça un peu court et basique. En gros, pas digne du niveau de ce blog. C'est donc plutôt une critique positive, si l'on y pense.

    Je m'empresse donc de supprimer cette image (rigolote quand même, non ?) qui rappelait au fond ce qui motive mes choix antagonistes : c'est que le personnage en question a joué le clivage, la haine, le sectarisme des communautés pour parvenir à ses fins. C'est-à-dire, tout le contraire, exactement, de ce à quoi doit ressembler une communauté humaine selon moi : une force solidaire, préoccupée du sort des plus faibles. Et pas seulement entre les deux tours.

    Ce qui serait du niveau de Kronix, alors ? La fable de La Fontaine postée hier, j'imagine. Et un propos argumenté qui explique pourquoi un démocrate conscient ne PEUT pas voter Sarko, quelles que soient ses idées politiques. La problématique droite-gauche est en effet dépassée, ici. Il s'agit de savoir si l'on veut vivre ou non dans une démocratie. Rien de moins.

    Ce soir, je m'imposerai donc cet exercice d'un argumentaire approfondi. Tant il est vrai -joven writer a raison- que lutter contre un adversaire ne doit pas avoir pour conséquence de lui opposer des idées de son niveau : courtes et simplistes en l'occurence.

    A dès que possible.

  • Les Grenouilles qui demandent un roi

    Les grenouilles se lassant
    De l'état Démocratique,
    Par leurs clameurs firent tant
    Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
    (...)
    Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
    Qui les croque, qui les tue,
    Qui les gobe à son plaisir,
    Et Grenouilles de se plaindre ;
    Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
    A ses lois croit-il nous astreindre ?
    Vous avez dû premièrement
    Garder votre Gouvernement ;
    Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
    Que votre premier roi fût débonnaire et doux :
    De celui-ci contentez-vous,
    De peur d'en rencontrer un pire.

     

    Jean de la Fontaine