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  • Rebut

    C'est une grande toile. Plus d'un mètre cinquante de hauteur, plus d'un mètre à la base. C'était un grand autoportrait où je figurais assis, torse nu, m'apprêtant à commencer un tableau vierge. En retrait, l'air moqueur, j'avais représenté mon épouse (cela date de l'époque où j'avais une épouse). Ce tableau était remisé comme les autres au grenier. Pas oublié, mais négligé, y compris par moi, qui ne me soucie guère des traces qu'ont laissé mes tentatives.

    L'autre jour, à l'occasion d'une exceptionnelle réunion de famille, je me rends dans cette maison que j'ai léguée. En repartant, dans un coin du terrain, au milieu d'un tas de meubles en pièces, de vestiges illisibles, je vois le revers d'une toile. Au détour de ma marche, je découvre qu'il s'agit de mon tableau, balancé au milieu des gravats. Mon ex me raconte une anecdote qui la dédouane de cet acte désinvolte. Je m'en fiche. Se confirme seulement que je suis bien heureux aujourd'hui.

  • Et peluche si affinités

    Seuls visiteurs sûrement depuis des lustres, nous entrons chez ce petit homme solitaire. Connaissant notre amour des livres, il a décidé de nous montrer sa bibliothèque. Une bibliothèque exclusivement consacrée aux sciences, dans tous les domaines. Ma douce et moi nous frottons les mains par anticipation depuis que l'invitation a été lancée : cela fait des années et des années, quarante ans de professorat, qu'il achète régulièrement des ouvrages sur la biologie, l'astronomie, la physique, la géologie, les mathématiques, la paléontologie. Quelle merveille ce doit être !
    Nous voici dans le salon comble de rayonnages. Quelle surprise ! Nous ne voyons d'abord qu'une invraisemblable collection de peluches. Les rayons présentent des dizaines d'oursons musiciens, plâtriers, garçons de café ou docteurs, un orang-outang est juché sur l'ordinateur et une énorme girafe encombre le passage. Les livres ? Oui, on les devine, bien là, mais tapis, discrets, remisés derrière les bibelots, inaccessibles, invisibles, dévorés par un peuple de douceur figée, une foule de créatures endormies dans les limbes de la vénération enfantine.
    Nous apprenons qu'il s'agit d'une collection achetée pour sa mère, disparue depuis peu. Ce n'est pas une bibliothèque, mais deux mausolées confondus, que nous visitons. Une vie célibataire vouée aux deux amours de son existence, sa maman et la science. Et l'une des deux a triomphé de l'autre, l'a confinée, masquée, réduite, rendue à la thésaurisation d'un savoir stérile. Le petit homme n'est pas malheureux, non, il a concilié ces deux dévorations et y a consacré sa vie. L'appariement insolite des deux collections, tellement opposées dans leur caractère, entre érudition pointue et décoration poussiéreuse, forme le manifeste d'une solitude irréparable.
    Nous repartons, convaincus davantage qu'une bibliothèque est un patrimoine vivant qui se partage.

  • Aux instruments

    Le pianiste est encore reparti en oubliant son instrument ; c'est la troisième fois cette semaine, et on ne peut déjà plus tirer les rallonges de la table du salon. Il vaudrait mieux que ça ne se reproduise pas. Tiens, voilà la harpiste : quelle tête en l'air celle-là aussi !

  • Tintin et Picsou

    Grâce à laurent Cachard, j'ai eu connaissance de ce procès qui agite la tintinoplanète. Aujourd'hui, l'opinion publique est le dernier levier qui reste pour faire bouger les lignes grâce au fric triomphant.

    "Apportez votre soutien à Bob Garcia; passionné par l'oeuvre de Hergé et tintinophile depuis son enfance il est attaqué en justice par Moulinsart pour avoir "commis" de nombreux ouvrages en hommage à tintin et son maître, il suffit d'ouvrir ses livres ( tous éditeurs confondus) pour voir qu'il ne s'agit en aucun cas de "contrefaçons". Au terme d’un procès scandaleux et grotesque, Moulinsart et Rodwell sont parvenus à condamner l’écrivain et tintinophile Bob Garcia à payer la somme délirante de 50.000 euros. Son tort : avoir écrit 5 petites études sur Hergé tirées à quelques centaines d’exemplaires par une association tintinophile sans but lucratif. Personne n’a gagné d’argent dans cette entreprise, ni fait le moindre tort moral ou financier aux « ayant-droit » de Hergé.
    Toutes les tentatives de négociation et de discussion ont échoué, y compris la demande de paiement par étalement. Les pétitions, lettres ouvertes à Moulinsart et à de multiples responsables politiques, articles et communiqués de presse, etc., ont été traités avec mépris et indifférence par Moulinsart et de Rodwell. Il était clair qu’ils voulaient « la peau de Bob Garcia » (intention annoncée par eux-mêmes depuis le début) afin d’en faire un exemple et de dissuader d’autres auteurs d’évoquer le nom de Tintin au travers d’études, de parodies ou de tout moyen jusqu’alors légal.
    Aujourd’hui Moulinsart et Rodwell mettent deux hypothèques sur la maison de Bob Garcia. Demain, ils peuvent ordonner la vente forcée et le jeter à la rue pour exercer leur racket."

    Rejoindre le groupe sur Facebook (pour une fois que ça me semble servir à quelque chose...)

    http://www.facebook.com/group.php?gid=91196878131&ref=mf

  • Cette fois...

    C'est officiel : sortie de mon livre, "le Psychopompe", les 6-7 avril. Signature à la librairie Lauxerois, le samedi 24 avril, à Roanne (Loire). Qu'on se le dise !

  • Vidé

    Michel Houellebecq est à l'ouvrage. Il s'agace. Il est sec. Il reprend continuellement ses premières pages, les efface, éteint, fait un tour, fume et revient, s'installe, retrouve clavier et écran puis sans un soupir s'acharne. Rien ne vient. Il découvre qu'il a déjà tout dit, qu'il a vidé son sac -formidablement, avec panache et talent, mais vidé- qu'il ne lui reste plus rien à transmettre. C'est peut-être un effet inattendu de quelque chose qui se manifeste malgré lui en son for intérieur. Il découvre qu'il lui est impossible de tricher.

  • Avec une majuscule

    Un sociologue s'est interrogé sur cette pratique qui consiste à parler d'Internet, sans utiliser d'article. On dit la voiture, le courrier, l'ordinateur, le tournevis, le logiciel mais on dit (majoritairement) « Internet », avec cette majuscule. Il n'y a qu'une occurrence d'un principe devenu paradigme devenu concept devenu croyance. C'est Dieu, avec une majuscule pareille. Le sociologue en question refuse d'aller plus loin dans ce rapprochement, mais il est peut-être utile de s'en inquiéter aujourd'hui. Ou bien, susurre ma petite voix athée : « Réjouis-toi, Internet est en passe de détrôner les religions. » Bon, si ce n'est pas pour les remplacer par un dogme mais par le foisonnement d'une pensée universaliste, alors...

  • Restons modeste

    Je fais cet exercice quotidien (ou presque) de me convaincre que, l'an prochain, et à partir de là, plus rien de ce que j'écris ne sera publié. Dans cette anticipation, j'évalue mes réactions, les implications que cela peut avoir sur ma vie. Force est de constater que cela ne peut en avoir, en effet, que sur moi, et que le reste de la planète en restera absolument inchangé. Ça aide.

  • Le creux

    L'autre jour, dans un échange épistolaire, mon étrange amie Corie (oui, « étrange amie », mais ce serait trop long à expliquer) me dit avoir découvert que le patronyme Chavassieux signifierait « Creux » à l'origine. Malgré l'intérêt qu'elle y décelait, j'avoue que j'ai du mal à considérer cette révélation comme vraiment positive, ou simplement plaisante.

     

  • A l'index

    En son temps, l'arbalète avait été condamnée par l'Eglise comme décidément trop meurtrière, et l'interdit rigoureusement; on vit très vite sur les champs de bataille de l'époque, le cas qu'on faisait des préceptes chrétiens. Forts de cette expérience, plus aucun pape ne se discrédite désormais en interdisant une arme, fut-elle nucléaire. Parce que chacun sait, que tôt ou tard...

  • Casse-cou

     

    J'ai failli ne pas dépasser les dix ans :

    1/ quand j'ai décidé d'imiter ces mecs en moto qui bondissaient en prenant appui sur un tremplin. Dans le pré, en contrebas, il y avait un rocher dont la ligne ressemblait à ces tremplins. Je n'avais pas de moto, mais n'est-ce pas... J'ai foncé, foncé, et mon vélo a suivi la verticale du rocher, tout naturellement. Je ne sais pas comment je m'en suis sorti indemne, mais le vélo est mort, lui.

    2/ quand, me prenant pour Panoramix, je fabriquais des potions magiques avec tout ce que je trouvais, plantes en tout genre, macérées pendant des jours dans une boîte de conserve rouillée. Cela produisait un jus noir avec des taches irisées, que je buvais. J'ai survécu. Je n'ai jamais été malade de ma vie. La force acquise des anticorps, je suppose.

    3/ quand je fonçais dans les murs tête la première, pour éprouver cet intéressant vertige qui accompagne le choc. Je me demande si mes problèmes de cervicales ne viendraient pas un peu de là.

    Ah là là, qu'est-ce que je rigolais !

    Par ailleurs, je n'ai jamais accepté que mes enfants prennent le moindre risque. Une peur rétrospective ?

  • Anticipons un peu

    Un jour, il sera seul, sa belle femme l'aura quitté, aucun éditeur ne trouvera intéressant de publier ses mémoires et ses amis seront morts ou auront fui, on ne l'évoquera plus nulle part, et nous, à l'occasion d'un souvenir, verrons sa figure resurgir, et nous nous demanderons bien quel accident s'est produit, quel abrutissement des foules a bien pu le créer, comment une majorité de personnes ont pu le mettre au pouvoir. Des électeurs dont on ne trouvera d'ailleurs plus trace. Son règne sera le sujet d'études de sociologues, de psychologues, de spécialistes de l'opinon publique et de ses dévoiements. Et des copains me diront : "tu te souviens, quand tu disais qu'il serait un danger pour la démocratie ?", et je rirai de mes peurs, étonné de nous avoir cru si faibles alors, tandis qu'en fait, nous le tenions en respect. Grâce à notre vigilance.

  • Revue de web

    Lu dans LIbé.fr, cet entretien avec le démographe Emmanuel Todd, à propos du premier tour de régionales, et la déroute de la droite. Extrait final.
    Sarkozy est-il durablement atteint ?

    Depuis 2007, je ressens sa situation comme pathologique: cet homme n’est pas à sa place, son personnage est absurde, le cœur dirigeant de la France n’a aucun projet économique - par contraste, dimanche, le corps électoral s’est montré sain et raisonnable. La nouveauté est que la situation générale elle-même devient absurde. Le seul moment où le chef de l’Etat a semblé efficace a été la crise financière. Or, un an et demi plus tard, la finance est repartie de plus belle, mais pas l’emploi. Du coup, l’absurdité du personnage Sarkozy et celle du système semblent se rejoindre et fusionner, faisant du chef de l’Etat le symbole de la folie des temps.

  • Sous les moules, le quotidien

    Nous veillons scrupuleusement, ma douce et moi, à nous épargner les considérations les plus triviales du quotidien. Quand nous échangeons le soir à table, c'est avec l'intention de ne rien évoquer qui ne soit pas noble, élevé, détaché des contraintes bassement matérielles. Il faut être très vigilant. Il y a des chutes douloureuses. Ainsi l'autre jour, je nettoyais quelque chose dans l'évier, et je me suis surpris à m'exclamer, pour que ma douce m'entende, là où elle était : "J'ai acheté des moules pour ce soir !"

  • Zone extrême, extrêmement bien.

    J'écris ces lignes le lendemain de la diffusion sur France 2 de l'extraordinaire documentaire intitulé « le jeu de la mort ». L'idée du réalisateur était de reprendre les principes de la fameuse expérience de Milgram et de les transposer dans le milieu du jeu télévisé trash, dont les normes s'imposent à quelques chaînes avides d'audience. Superbe documentaire, très éprouvant et à la fin duquel on ressort, épuisé nerveusement et angoissé, évidemment inquiet sur sa propre nature.

    Rappelons que l'expérience de Milgram consistait à faire croire à des cobayes humains, volontaires, qu'ils envoyaient réellement des décharges électriques à un candidat moins chanceux qu'eux, supposé avoir tiré le mauvais numéro, se retrouvant dans le rôle du questionné. Le questionné était en fait complice de l'expérience, ne recevait aucune décharge. L'expérience consistait en fait à observer le degré de soumission d'un citoyen lambda, chargé de soumettre à la question une personne innocente, qu'il ne connaissait pas, et, en cas de mauvaise réponse, de le punir par des décharges de plus en plus fortes. Dans l'Amérique des années 60, 65 % des cobayes acceptaient de se transformer en bourreau, sous l'autorité d'un scientifique en blouse blanche, et d'infliger des décharges, explicitement douloureuses, puis mortelles.

    La transposition d'hier dans le domaine des jeux télévisés a donné des résultats inattendus pour les expérimentateurs : le taux de soumission ultime, c'est-à-dire de personnes qui sont allées jusqu'à pousser la dernière manette, était de plus de 80 % Que s'est-il passé, pourquoi une telle différence ?

    La conclusion du documentariste et des psychologues qui ont aidé à construire le programme, est que la télévision, par le fait notamment qu'elle est la deuxième activité en temps consacré après le sommeil et avant le travail, est pourvoyeuse de normes, préceptrice de comportements depuis maintenant quarante ans, qu'elle arrive en cela devant les religions et les pouvoirs politiques. En bref, c'est une entreprise décérébrée de totalitarisme. Un totalitarisme doux, mais bien réel. Sa capacité à soumettre les personnes dépasserait beaucoup de systèmes affichés comme totalitaires.

    Si j'ai trouvé que le raccourci était un peu rapide, il n'en reste pas moins que les témoignages des candidats, leurs réactions, soulignaient à quel point nous sommes des individus fabriqués par et pour la soumission. A la lecture d'un entretien de Libé.fr avec Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l'Université de Grenoble où il dirige le laboratoire universitaire de psychologie, il apparaît que l'expérience de Milgram, reprise dans plusieurs pays et auprès d'un grand nombre de personnes selon des modalités variées, a pu générer des cas de soumission allant jusqu'à 90 % ! La télé n'est nullement un système spécifiquement totalitaire, selon lui. Pour Laurent Bègue, la démonstration de l'émission d'hier est que l'expérience de Milgram fonctionne aussi dans le milieu télévisuel, mais rien de plus. Enfin, pour un type comme moi, je peux me raccrocher à un de ses commentaires : « Dans les rebelles, nous avons des hommes et des femmes de gauche: être à gauche, c'est lié à la rébellion. Ou avoir participé à des grèves, des manifestations,. Les rebelles dans la vie le sont plus dans l'expérience ». ce que le réalisateur ne pouvait bien sûr pas assené dans l'émission. Il évoquait seulement que le refus, ça s'apprend.

    Un regret cependant, à moins que le débat qui suivait (j'ai abandonné quand Morandini est venu défendre la télé-poubelle) ait abordé le sujet : quelles étaient les pensées du public invité ? Public persuadé qu'il assistait bien « en vrai » à un jeu télévisé où l'on torturait quelqu'un et, enfin, où quelqu'un pouvait mourir. Nous avons vu une foule « chauffée » professionnellement, hurler sa satisfaction après la dernière décharge envoyée, applaudir à la mort d'un innocent. Je ne sais pas si la télévision est un système totalitaire qui s'ignore, mais en tout cas, hier soir, ce que j'ai compris, c'est que nous étions prêts pour l'accepter.

     

  • Pas de panique

    Il ne faut pas s'inquiéter pour l'art. L'art s'en sortira toujours : soit que l'on veuille conserver et montrer un art officiel et aristocratique, soit que l'on espère des artistes alternatifs, désargentés et enragés ; l'une ou l'autre part de la création artistique s'en sortira toujours. La première, parce qu'elle est chouchoutée par les états, la seconde parce qu'elle n'est jamais si inventive que dans les périodes les plus noires. Restent beaucoup d'artistes qui ne font qu'embellir notre quotidien, le rendre plus supportable ou préparer le terrain des enragés. Ceux-là souffrent et tremblent. Mais ils sont de toute manière voués à la disparition. Ne me faites pas dire qu'il n'y a pas à le regretter, ne croyez pas que je m'en réjouisse ou que j'y sois indifférent, mais dans les périodes sombres de l'histoire comme dans les plus éclatantes, il n'y a de place que pour les aristocrates et les enragés. Les seconds étant suceptibles de se voir intégrer d'ailleurs, par l'âge ou une reconnaissance tardive, parmi les premiers.

  • Jean Ferrat et les régionales

    Ferrat était le symbole d'une période riche en utopies, d'un temps où le politique semblait, quel qu'il soit, une réponse aux problèmes du monde, en tout cas, un espoir incarné. Les dernières élections et le fameux taux d'abstention disent, après une participation exceptionnelle aux présidentielles, tout le désenchantement ressenti par une population lasse de se prendre des taloches à longueur de journée et, qu'en plus, on stigmatise pour son goût indécent du confort et de la sécurité de l'emploi.

    La voix de Ferrat se faisait rare et, j'admets, malgré la collection intégrale de ma douce qui a tous ces cd, que je ne l'écoutais plus depuis longtemps. En fait, mon dernier contact avec une chanson de Jean Ferrat se produisit pendant plusieurs semaines, dans un cours de musique, en quatrième. Nous étions dans une institution religieuse, et un professeur de musique révolutionnaire nous faisait entonner "Potemkine", à quoi nous ne comprenions rien. La conscience politique ne vient pas comme ça : il faut de l'expérience et surtout, il faut de l'espoir.

  • C'est pas moi qui l'ai dit

    Lu sur le blog d'Eric Chevillard :

    "Le président de la République s’est dit très affecté par la disparition de Jean Ferrat et n’a pas tari d’éloges sur la qualité de ses chansons. Des chansons, rappelons-le, écrites dans l’espoir d’en finir avec les politiciens tels que lui et de les éloigner à jamais du pouvoir."


    Je vous laisse savourer.

  • Gauloise amère

    Vercingétorix, dans son cachot romain, revivait ses grandes chevauchées, ses baignades dans les ruisseaux libres de la Gaule, ses victoires contre l'envahisseur. Et de se voir là, dans une fosse putride à attendre qu'on l'étrangle, lui fit se demander tout de même, ce qui lui avait pris de s'exciter comme ça contre des types qui, finalement, étaient venus construire des routes et établir un commerce florissant. Commerce dont aujourd'hui, probablement, se repaissaient ceux qui l'avaient encouragé à se battre. Il se sentit triste, voire un peu cocu.

  • La mesure des choses

    Ceux qui, comme moi, ont vécu longtemps au sein de leur ville natale, ne s'en sont échappés que brièvement, en sont imprégnés de façon profonde. J'avais évoqué cette fusion dans un roman inachevé, Magma, qui sera égrené par bribes, dans « le psychopompe » (qui sortira un jour, parait-il). Extrait.

    « Nous n'y prêtons pas attention, mais la ville nous a investis depuis longtemps ; elle a formé nos pensées, nous respirons son air, nos gestes ont pris la mesure de ses trottoirs, nos bras ont enregistré l'amplitude de ses rues, elle a moulé nos corps à sa mesure. Où que l'on soit, nos yeux captent d'abord les couleurs coutumières de notre berceau : les ocres délavés, les roses salis, les bruns et les nocturnes humides. Nos oreilles sont accoutumées aux sirènes d'alerte, aux vocables gueulés des terrasses, au rythme des machines. Nos nez repèrent avant tout, et distinguent les putridités d'avant l'orage, quand les canalisations jamais cartographiées d'anciennes tanneries ou de teintureries engorgent l'atmosphère de parfums à l'agonie.
    Où que la vie nous entraîne, dans un souk ou à Brooklyn, soumis à des bruits et des odeurs semblables, nos corps y décèlent sans que la pensée les relèvent, des nuances d'écho et de réverbération qui nous feront éprouver l'émotion propre au dépaysement, par ce savoir intime que nos corps ont appris de la ville.
    Nous partons donc, parfois très loin, le sang chahuté par des couleurs neuves, des sons différents, des froids autres, et nos pensées au retour, disent cet exotisme. Pourtant, là-bas, à chaque pas, dans le sable ou sur l'herbe, nos pieds se souvenaient du bitume de notre ville, nos narines et nos yeux rappelaient le souvenir des modestes façades sur les rues, et tout ce que nous racontons de nos voyages, pour la délectation des amis, n'est que le récit d'une comparaison. Les buildings sont mesurés en hauteurs de fenêtres, l'éclat du ciel en fonction du nôtre, et tout fleuve est un multiple de celui sur lequel nous sommes penchés depuis toujours. »