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  • Etc.


  • Les mots du liseur


  • Je ne vous trahirai pas

    Il m'effrayait déjà avant, mais quand il a conclu son premier discours de président par « Je ne vous trahirai pas », j'ai senti comme un frisson. Curieuse parole, improvisée celle-là, d'ailleurs, après la lecture de son texte, tandis qu'il levait les bras devant l'assemblée de ses fans. « Je ne vous trahirai pas », curieux, pourquoi ce besoin de le dire ? Pourquoi cet avertissement ? Pensait-il que, déjà, ses électeurs pourraient le croire susceptible de trahir ? De trahir qui, quoi ? Quels gens, quel concept, quelle idée ? N'était-ce pas en somme, une façon d'exorciser sa propre nature, de se convaincre lui-même que, pour une fois, cette-fois là, il ne ferait pas comme d'habitude, que cette-fois c'était du sérieux, qu'il était président bon sang de bois, et qu'il lui faudrait rester fidèle à ses engagements ? « Je ne vous trahirai pas », étrange, tout de même, de finir par cette phrase, lancée comme un salut. Etrange. Déclare-t-on à une femme qu'on rencontre : « Je ne te tromperai pas » ? La question ne se pose pas, a priori, à moins qu'on soit suspect à ses propres yeux, de rechuter. Si on éprouve le besoin d'en parler c'est que, me semble-t-il, la trahison germe et se contient, attend de trouver sa forme et de se manifester. On a vu, merci.

  • Lire et dire

    Aujourd'hui est un jour assez spécial, mais là, ça ne se voit pas.




  • En panne d'écriture...

    ... on fait autre chose.




  • La vertu, nu en avion

    J'ai découvert au hasard de mes lectures* cette lettre de Saint-Exupéry, adressée à Pierre Chevrier et datée du 30 juillet 1944

    "J'ai failli quatre fois y rester. Cela m'est vertigineusement indifférent.

    L'usine à haine, à irrespect qu'ils appellent le redressement, moi je m'en fous. Je les emmerde. Je suis sous le danger de guerre le plus nu, le plus dépouillé qui soit possible. Absolument pur. Des chasseurs m'ont surpris l'autre jour. J'ai échappé juste. J'ai trouvé ça tout à fait bienfaisant. Non pas le délire sportif ou guerrier, que je n'éprouve pas. Mais parce que je ne comprends rien, absolument rien que la qualité de la substance. Leurs phrases m'emmerdent. Leur pompiérisme m'emmerde. Leur polémique m'emmerde et je ne comprends rien à leur vertu. La vertu, c'est de sauver le patrimoine spirituel français en demeurant conservateur de la bibliothèque de Carpentras. C'est de se promener nu en avion. C'est d'apprendre à lire aux enfants. C'est d'accepter d'être tué en simple charpentier. Ils sont le pays... pas moi. Je suis du pays. Pauvre pays !"

    Le lendemain, Antoine de Saint-Exupéry disparaissait.

    *(Antoine de Saint-Exupéry, oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléïade. Tome II, page 979)

     

  • Dilemme

    Il y avait bien une possibilité de ramener les ouailles à l’église : dévoiler la châsse de Saint-Benoît. Mais le prêtre hésitait encore : quel impact pourrait avoir l’exhibition de la relique ? Car il s’agissait des vestiges du sexe du saint homme et sa taille était suffisamment remarquable pour créer la gêne, le rire et, peut-être, l’émoi.

  • Quotidien

    Comme tous les mardis, le boucher m'assomma avec ses lieux communs : la masse manquante de l'univers l'inquiétait fort. La cliente derrière moi réclama du mou pour son chat de Shrödinger. Je n'osai balancer ma vieille blague éculée sur le principe d'incertitude et ressortis sans avoir même évoqué avec mon commerçant le paradoxe de la flèche du temps qu'il faisait.

  • Mes plus belles gaffes (3)

    Avec Amora, on n’aimera pas

    Dans le cadre des bonnes relations avec ma copine de l’époque, qui deviendra ma femme, je m’habille le plus bourgeoisement qu’il est possible et me rends dans ma future belle-famille d’où l’on doit se rendre en groupe au mariage d’une amie. Je ne connais personne, je suis à l’aise comme une ballerine sur une plateforme pétrolière. Quand on me demande de me présenter (ma copine s’est évaporée je ne sais où), je tente une plaisanterie trop longue « je suis le fils de la sœur du frère de l’oncle de la mère d’un ami de la mariée » que personne ne goûte et surtout pas la maman de la mariée que je viens de tenter de dérider et qui conclut ma blague par un « houlàlà » glacial qui me recroqueville la tête dans les épaules. Je reprends plus sérieusement mon véritable pédigrée mais il est trop tard, je suis catalogué comme un type bizarre, sûrement fou, la journée commence bien. En effet, elle déroulera une longue perspective de solitude, goûtée minute après minute, avec quelques apparitions de ma future qui s’amuse comme une folle et que je n’ose supplier de rester près de moi. Enfin, tout de même, après moults apéros et digressions bruyantes dont les mariages sont riches, la soirée va commencer. Toute la noce s’agglutine dans une salle des fêtes où un orchestre se met en place. Un grand buffet froid est à disposition. Les parents invitent tout le monde à se restaurer. Voilà au moins une activité qui va me procurer une contenance ; on se sent moins stupide avec une assiette à la main. Je me retrouve à côté de la mariée devant le buffet. Je prends un petit pot de moutarde, soulève le couvercle en plastique et, avec la lenteur d’un cauchemar, je vois une giclée de moutarde bondir littéralement du pot et sabrer d’une longue déjection jaune le corsage immaculé et certainement déraisonnablement coûteux de la mariée. Nous restons également interdits, face à face ; elle, bouche ouverte sur un cri qui ne se décide pas à sortir ; moi, en somme plutôt mort, les neurones paralysés, le regard rivé sur la tache immonde et spectaculaire qui vient de ruiner le reste de la soirée, les photos de toute une génération de souvenirs et le peu de bienveillance qu’on pouvait encore me témoigner ici. Je me confonds en excuses incrédules, je suis atterré. Sans un mot, la jeune femme file vers les toilettes, suivie de la mère indignée. Le reste de la soirée est absolument inracontable. Des groupes, formés autour de ma victime, déplorent la tache qui refuse de s’effacer complètement et chuchotent en me regardant ; on m’évite, à moins qu’on me moque dans un verbe alcoolisé, ce qu’à tout prendre, je préfère. Je ne sais pas de mariage dont le souvenir pût m’être agréable, y compris le mien, mais celui-là a en quelque sorte couronné les autres, et me permet aujourd’hui de repenser la notion de solitude humiliée quand j’en ai besoin pour un de mes personnages.

  • Mes plus belles gaffes (2)

    Conducing Stravinsky


    La musique. A cette époque, ce n’est pas que je l’écoute : j’y plonge, chair et tête entiers. De la musique classique essentiellement. Dvorak m’a initié, j’ai de multiples amours toutes également entretenues, mais à ce moment-là, c’est Stravinsky qui me transporte et surtout : le Sacre du printemps. Je dois être en sixième, je crois, et certains mercredis après-midis solitaires, je mets le disque, j’écoute debout les paupières serrées sur mon délire, j’écoute à fond, le son pareil, à fond, moi stylo en main pour battre la mesure dans une parodie grotesque de chef et voilà le passage de la danse du sacrifice, je conduis un orchestre invisible, je balance mes poings, dressé comme un fou dans des mouvements frénétiques, Zi-Zam Boum ! Ce que c’est bon, cette musique, cette violence, cette puissance ! Enfin, l’orchestre s’apaise, le sacrifice est consommé, j’ouvre les yeux. Stupeur. La belle tapisserie blanche de la salle à manger est constellée –mais vraiment constellée- d’éclaboussures bleues. Je considère ce putain de stylo encre qui a perdu son capuchon dans un de mes mouvements enthousiastes et sa plume qui dégoutte encore un fond de cartouche. Tout le reste du contenu est passé dans des drippings magistraux, entrecroisés selon une variété étonnante de directions et de longueurs. A son retour du travail, je raconte à ma mère ce qui s’est passé et pourquoi je suis juché sur une chaise avec un stylo correcteur à la main. Elle acquiesce avec fatalité ; tout cela est dans la norme des lubies de son fils étrange.

  • Mes plus belles gaffes (1)

    Sans pouvoir les reprendre (ils ont définitivement disparu) je reviens ici au thème d’une série de billets, effacés de Kronix dans un moment de remords générique, qui avait entraîné la suppression de près de quatre années de textes, de 2004 à 2008, année de reprise de ce blog. J’évoquais alors (ils sont rares, ceux qui suivent Kronix depuis assez de temps pour s’en souvenir), quelques unes de mes meilleures gaffes. En voici donc une nouvelle version, et pardon pour les rarissimes qui en auraient déjà pris connaissance.


    En voiture


    J’attends un copain devant chez moi, dans la nuit et sous la pluie. Aucun abri, je commence à être trempé. J’ai dans un sac de quoi travailler : nous devons rejoindre un troisième larron. Ensemble, nous formons un trio brièvement connu dans notre ville sous le pseudonyme collectif de Chris FrankEr. Chris FrankEr écrit des films à budget zéro, les réalise et les diffuse, ce qui ne fait de mal à personne, hormis quelques jaloux. Mon pote tarde un peu, je trépigne, j’ai froid. Enfin, la voiture s’arrête de l’autre côté de la rue. Je fonce ; assis côté passager, je pose mon sac et vérifie que mes notes sont sèches en pestant contre le mauvais temps et les conducteurs qui sont en retard. Alors, j’entends « Ah. Il doit y avoir une erreur… » Je lève le regard : ce n’est pas lui. Enfin, pas mon pote. Nous nous considérons, très surpris l’un et l’autre. Je me confonds en excuses, ressors puis reprends ma place, secoué par un fou-rire bizarre, qui éclate sporadiquement, pendant les longues minutes de mon attente renouvelée. De l’autre côté de la rue, une vieille dame, surgie d’une maison de retraite, pénètre dans la voiture qui lui était, donc, destinée. Je suppose que son chauffeur va avoir de quoi lui raconter.

  • 17 : 23 (sixième et dernière partie)

    Il arrivait chez lui. La vingt-troisième minute expira quand il stoppa le moteur. Il savait que son portable, à cause de son décalage, égrenait une autre vingt-troisième minute, déroulait un temps différent et comme regagné sur le temps écoulé. Un bégaiement de soixante secondes. Un enfer renouvelé. Autour de la voiture dans laquelle il restait, rien de particulier, aucun danger en vue. L'image de la mort dans son cauchemar et la sensation de son invite silencieuse lui revinrent, mais comme estompées, une impression qui s'évapore. Il se concentra sur le silence, dans l'habitacle. Sa méditation le rendait sensible à l'infime déclenchement de l'aiguille des secondes sous la protection du verre, aux rumeurs lointaines de la ville, aux passages de moineaux insolents. Il éprouva la texture du volant sous sa main, se souvint qu'il avait voulu un temps, l'envelopper de cuir, ce qui lui parut soudain idiot. La pendule du tableau de bord, enfin, afficha 17 : 25. Il osa cette fois sortir son téléphone de la poche et l'allumer. Après l'animation du logotype sur l'écran apparut l'heure certifiée. 17 : 24. Il se rencogna dans son fauteuil, respira. Après un temps, s'autorisa à sortir. Dehors, debout, appuyé contre sa voiture, il huma l'air doux, y décela les parfums de chèvrefeuille ; le bleu rosé du ciel s'était dégradé pour s'assourdir et se nuancer d'un gris soyeux ; très haut, des martinets croisaient leurs trajectoires virtuoses ; l'herbe de la pelouse réfléchissait dans l'air la lumière d'un vert frais. Il pensa que son père lui avait apporté des légumes du jardin, la veille. Des tomates, des poivrons, des oignons, du piment, des échalotes, du cerfeuil... Longtemps qu'il n'avait pas pris le temps de préparer un bon repas avant que sa femme et les enfants ne rentrent. Il entra chez lui, résolu à faire un peu de cuisine.

    Fin

  • 17 : 23 (cinquième partie)

    Anonyme parmi des centaines de voitures, il lui sembla qu'il était ce jour-là le seul être compréhensible et concret, la seule créature en prise avec la réalité. Les autres, à leur volant, stressés ou souriants, cigarette aux lèvres ou musique à fond dans l'habitacle, étaient-ils conscients de l'imminence d'une catastrophe, ou tout au moins de la fragilité de leur existence ? Il évitait de regarder l'heure et regardait pourtant. 17 : 13. Il renonça à mettre la radio. Il se pourrait que ni son portable ni sa voiture ne soient bien réglés. Il était peut-être plus tard qu'il pensait. Désagréable incertitude. La voiture avançait, chacun dans la file prenait patience. Cette lenteur était tranquillisante. Il en profita pour tenter de penser à autre chose, mais réussit moyennement. Au delà du prochain carrefour, le trafic s'accélèrerait. 17 : 14. Voilà, le carrefour, faire attention ; on allait pour l'instant encore à une allure raisonnable. La plongée dans le carrefour fit sans doute grimper sa tension dans les artères, il sentit plusieurs fois -tout en se maudissant d'être tellement bête- des vagues de sueur le couvrir des tempes aux lombaires, quand un avertisseur donnait un peu près ou qu'un échappement pétait comme un coup de feu. Enfin, il fut dans la rue qui mène à son quartier. Une longue rue silencieuse et tranquille, où rien ne pouvait arriver. Le jour était beau, particulièrement. Il perçut pour la première fois depuis longtemps, la qualité de la lumière à cette heure-là, au dessus des toits ; son incidence dorée sur la couleur des façades bien entretenues. Il regarda la pendule presque distraitement. 17 : 23.

    A suivre

  • 17 : 23 (quatrième partie)

    Il aurait pu rétorquer qu'il était bien ici, qu'il ne gênait en rien le passage des autres voitures, mais il considéra l'homme, sa carrure, ses tatouages et son crâne rasé au-dessus d'une face prolongée par une épaisse barbe noire, et décida qu'il valait mieux ne pas prendre de risque avec un tel individu. La pendule du tableau de bord indiquait toujours 17 : 11. Le coeur prêt à exploser, il mit en marche et fit maladroitement ronfler le moteur pour dégager la place. Une voiture pila et klaxonna sur sa droite, le barbu s'en retournait en rigolant, le chiffre des minutes se transforma en 2, poings serrés sur le volant, il démarra dans un crissement de pneus, coeur affolé, malmené par l'adrénaline, il s'éloigna en regardant cette fois de tous côtés, ralentit, se calma, 17 : 12. Son portable, dans la poche, était déjà une minute plus loin, une minute plus près de la fin, de la toute fin, il avança prudemment entre les files de voitures, bon sang, il ne gênait personne tout-à-l'heure, il fut pris d'une véritable haine pour le barbu qui l'avait délogé d'une place apparemment sécurisée. Son coeur, sous l'effet de cette colère, accéléra encore. Il posa sa main à plat sur sa poitrine oppressée. Il n'allait tout de même pas clamser ici, dans sa voiture, d'un malaise cardiaque ? Le souffle lui manquait. Il aurait voulu s'arrêter, mais des voitures, celle du conducteur qui l'avait klaxonné, celle du barbu et d'autres encore derrière, le suivaient, bien décidées à le pousser devant, sur la route. Nauséeux et en sueur, il fut contraint d'aborder la voie où le trafic, depuis quelques minutes, s'était densifié. 17 : 13.

     

    A suivre

     

     

  • 17 : 23 (troisième partie)

    Il avait environ cinq-cent mètres à parcourir jusqu’à sa voiture. Il marchait, dents serrées, tentant d’afficher pour sa propre conviction un sourire tranquille mais, au fond de lui, surveillant chaque organe, son cœur surtout, trop rapide, lourd, inquiétant. Tout son organisme semblait à chaque pas plus fragile et plus erratique, les viscères indifférenciées d’habitude retrouvaient leur nom, l’usage de leur fonction, il les énumérait, les auscultait sans arrêt, attentif au moindre changement. Cependant, il étudiait les corniches branlantes, les balcons délabrés, les jardinières dangereusement suspendues, les toitures vieillies et les câbles mal attachés, aussi les passants croisés dans les ruelles, les voitures et les motos rapides. Toute la ville menaçait de s’écrouler sur son passage, les véhicules s’aventuraient trop vite et trop près du trottoir, les gens s’activaient étrangement, et leurs regards étaient peut-être hostiles. Il s’évertuait à ne pas regarder son portable, à ne pas consulter l’heure, présageant que la seconde de distraction nécessaire pourrait lui être fatale. Sa marche plus lente qu’à l’accoutumée, prolongea son parcours et il retrouva sa voiture un peu pus tard que d’habitude. Après avoir vérifié autour de lui, il lut enfin l’heure sur son portable. 17 : 12. Plus que onze minutes à vivre, ne put-il s’empêcher de dire, dans un ricanement bizarre. Il ouvrit, s’installa. L’horloge de sa voiture indiquait 17 : 11. Cette découverte le découragea. Il était décidé à rester sur le parking pour ne pas risquer de prendre la route avant l’ultimatum du cauchemar, quand un coup de poing contre la vitre le fit sursauter. Un homme, costaud, l’allure puissante, l’interpela : « Faut dégager votre voiture, vous gênez les autres ! »


    A suivre

  • 17 : 23 (deuxième partie)

    La journée se passa ainsi, avec une sourde angoisse qu’il tentait sans arrêt de liquider en répétant à sa compagne, ses amis et collègues, le rêve étrange qu’il avait fait. Il le racontait de façon plaisante pour avec eux, rire de bon cœur. N’empêche, les heures passaient et, malgré lui, il en redoutait le glissement inexorable. Heureusement absorbé par le travail, il parvint, crut-il, à oublier son inquiétude irrationnelle. Au fond de lui, de temps en temps, l’affichage digital de la montre du rêve réapparaissait avec sa netteté de cauchemar, le son hyperréaliste qui l’accompagnait, et les chiffres fatidiques, du même vert indélébile sur leur fond de nuit. 17 : 23. Il ne pouvait retenir son cerveau d’échafauder des hypothèses, de renier la tentation magique de la prémonition et dans le même temps, il calculait que l’heure était à peu près celle de sa traversée de la ville. Il revint également à la défiance pour son cœur, suspect selon son médecin, d’être plus fatigué qu’il ne le croyait. Le temps enfin accomplit sa marche lente et le délivra, comme d’habitude, après 17 heures. Il sortit du bureau et salua ses collègues qui plaisantèrent en souhaitant le revoir le lendemain. Il rit à leur adresse et se tourna vers la rue, visage soudain fermé. Arrêté sur le trottoir, il s’attarda pour considérer le ciel, les façades des bâtiments, les passants ; il écouta avec attention les bruits, respira l’air agité par le vent d’ouest, celui qui apporte l’orage. Pas de voitures dans son angle de vue. D’un pas décidé, il traversa la rue.

    A suivre

  • 17 : 23 (première partie)

    L’architecture d’un palais déroulait ses arches autour d’un escalier qui en était toute la forme, et les couleurs traversaient par intermittences l’espace, révélant de nouvelles colonnes, des voûtes et des vitraux sombres comme l'eau des mares. Il venait de courir à la recherche de quelqu’un, ou de fuir peut-être, quand une montre inhabituelle sonna à son poignet. C’était un son électronique aigu et bref qui lui parut venir d’une autre dimension. L'écran de la montre était entièrement occupé par l’image nette d’une porte taillée dans la roche. L’ouverture était noire, mais il lui sembla percevoir comme une silhouette immobile dans l’obscurité. Il appuya sur le côté du boitier, déclenchant un nouveau signal aigu par lequel s'amorça un zoom vers la porte et ses ténèbres. La silhouette qui y était figée s’approcha, devint plus perceptible. Il la reconnut : c’était la mort. Sous une capuche encroûtée de moisissures, elle le fixait d’un œil unique, touché par une lumière dorée de tableau ancien. Il ne perçut ni son sourire ni sa voix, pourtant il était évident qu’elle l’attendait, tranquille, sûre qu’il ne se déroberait pas au rendez-vous. La montre sonna une troisième fois et il lut avec une clarté parfaite, sur l’écran : 17 : 23 en chiffres à cristaux liquides verts. Il se réveilla avec cette certitude : il mourrait ce jour-là, à dix-sept heures et vingt-trois minutes.

    A suivre

  • Mythologies à lire

    Demain, de 15 heures à 17 heures, au musée Alice Taverne, à Ambierle (42), lecture des Mythologies de Barthes par le collectif "Demain dès l'aube". C'est gratuit, bien sûr, vous venez quand vous voulez, vous restez le temps que vous souhaitez, on ne lèvera pas même un sourcil de désapprobation. Nous ne sommes que des passeurs. Qu'on se le dise.

  • Le secret de Zyon

    Vu sur le gravier de cette place que je traverse chaque jour, le tracé d'une marelle où le mot « Terre » est remplacé par « ZYON ». Non loin, une inscription : « ZYON, saucisse d'amour ». Le nombre de mystères qui naissent sous la semelle, au hasard d'une maussade matinée de retour au travail...

  • En plein été

    J'allais rendre une visite régulière à cette vieille grande-tante, que les aléas d'une vie sans bienveillance avaient entraînée loin de sa famille d'origine. La ville où elle habitait se trouvait être celle de mes études secondaires. Je m'y ennuyais dans des cours de mécanique industrielle. Ce jour-là, c'était en fin d'année scolaire une magnifique journée, et la ville réputée noire gagnait un peu d'éclat sous le soleil, à presque croire en l'été. Les vacances approchaient, elles étaient à portée de conscience, et l'on se promettait des soirées longues dans le jour qui s'attarde. Ma grande tante me reçoit, m'explique les dernières avanies de la famille Ewing, et me demande, entre deux couplets sur ses nombreux maux (elle en avait de véritables, qui légitimaient ses plaintes), ce qu'il advient de moi. Je vais bien, je suis heureux, en plus il fait beau, c'est l'été. Sa moue maussade me rétorque que le 21 juin est passé et que, déjà, les jours raccourcissent, qu'en quelque sorte l'hiver s'annonce et qu'il n'y a guère à se réjouir. Je crois même qu'elle a amorcé son verdict d'un « Tu parles. » Cette révélation que cette magnifique journée recèle comme en germe, l'amorce de sa corruption, de son agonie, m'a causé une déception, presque une vexation, comme j'en ai rarement ressenti, je crois. Cette triste vérité a désormais atténué, pour la vie, toutes les joies que je peux éprouver quand les beaux jours arrivent. Je sais maintenant que, à peine perçus, ils ont déjà reflué vers les ténèbres qui les engloutiront bientôt. Merci, tatan !