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  • Un peu de mauvais esprit

    Sinistre affaire de pédophilie. Un avocat explique l'aculturation des coupables, incapables de donner le nom du Président de la République ou même les couleurs du drapeau français. On parie combien qu'ils connaissaient les résultats des derniers matches de football ?

     

  • Phrases en vacances

    Désolé pour les lecteurs de mes statuts facebook : je recycle, pour cause de vacances.

    Assis sur un banc, j'attends le vaisseau spatial qui va me ramener chez moi. Parce que je ne peux pas être de cette planète, c'est pas possible.

    L'ogre-humanité, ses étrons de la taille d'une planète

  • Où sont mes racines ?

    A quel endroit est-ce que cela s'est passé, entre quelles lignes ? Je tente de me souvenir de mon premier contact avec la littérature. Quand ai-je compris pour la première fois que je lisais un texte, c'est-à-dire plus que des mots ou des phrases : une voix qui me disait quelque chose d'important ? J'avais lu beaucoup de cette littérature accumulée par mon père, du temps de sa jeunesse, après la guerre. Des romans traduits de l'anglais W.E. Jones (il me semble), avec le héros Biggles ou l'héroïne Worraghls (des mots imprononçables pour mon frère et moi, quand nous échangions à ce propos). Mais encore, ce n'était pas le choix littéraire dont je veux parler. Pagnol peut-être ? Ou bien ces « Signes de pistes » dont j'ignorais la nature prosélyte, ou encore  la guerre du feu, dès les premières lignes ? Plus sûrement chez Hugo. « La légende des siècles ». Je ne sais plus quel âge j'avais. Mais j'avais besoin d'emphase, de grandeur, d'un souffle qui me submerge. Je voulais (je suppose), un mode d'émotion qui me surpasse. Avec le père Hugo, comme vous imaginez, j'ai été servi. C'est peut-être bien là qu'il faut trouver la racine de mon goût pour le verbe, l'épique, le « plus grand que nature » que j'aime malgré mon intérêt pour la sobriété et contre quoi, naturellement, je lutte. Chaque phrase que je produis est un combat pour étouffer cet élan vers l'énorme, le surhumain, l'édifiant. Ne soyez donc pas surpris que j'y cède parfois.

  • Le détail qui fait vrai

    Le bouton perdu de la prose du transsibérien, c'est le détail qui fait vrai. Comment ça se construit, un détail qui donne de la vraisemblance à la fiction ? Un exemple : je marche dans ce chemin et cueille des mûres au passage. Je prends garde de les prendre un peu haut, parce qu'il est toujours possible qu'un promeneur avant moi se soit soulagé sur les fruits, en bas. Aussitôt, j'imagine un faux souvenir d'enfance où, grimpé sur les épaules de mon frère, je pisse sur les mûres les plus hautes ; j'y ajouterai des éclats de rire, l'anecdote du jet qui tressaute, secoué par l'hilarité, la rigolade qui se poursuit en rentrant. Pendant la balade du lendemain, nous suggérons innocemment à nos cousins de choisir les mûres qui sont au sommet de la haie. Celles du bas étant susceptibles d’avoir été arrosées par des promeneurs indélicats, précisons-nous. C'est plausible, je ne l'ai jamais fait (techniquement, à la réflexion, c'est un peu compliqué), mais c'est plausible. Avec deux ou trois détails de ce genre, on peut entraîner le lecteur où l'on veut - et jusqu'en Sibérie. Le récit crédible ne s'appuie ni sur l'imagination, ni sur la réalité, mais sur la légère torsion de la réalité que pose sur tout une logique à l'affût.

  • Aux assises

    Le procès avait été long et l’affaire plutôt sordide, mais ce qui mettait mal à l’aise le juge, maintenant que le verdict allait être prononcé, c’était la formule qu’il devait adresser à l’homme-tronc convaincu d’homicide : « Accusé, levez-vous ! »

  • déclaration

    « Je prends acte de mon impopularité et de mon incompétence. J'admets n'avoir rien fait de bon pendant mon quinquennat, sinon m'en mettre plein les fouilles. C'est vrai. Mais quelque part, il faut que nous soyions tous certains que je ne peux pas faire pire. Et pour cela, une seule solution : me réélire. Je vous remercie de votre attention.»

  • Tous les voyants sont au rouge

    Brice nous le répète : tous les voyants sont au rouge. La menace terroriste n'a jamais été aussi forte sur notre pays. Voilà où nous en sommes. Voilà où en est ce gouvernement pour paralyser l'opinion, la ranger à ses côtés, nolens volens. Chaque semaine, ils vont plus loin. Aura-t-on des élections démocratiques en 2012 ? Vous croyez qu'une telle question est délirante ? Reprenez la courbe graphique de l'exacerbation du pouvoir depuis 2007. Observez par l'imagination cette montée constante de l'utilisation de la peur, de la division, du nationalisme, de la xénophobie ; considérez la longue litanie des coups donnés aux contre-pouvoirs et à l'expression libre en général (justice, presse, procès aux contestataires, intimidations, gardes à vue...), le mépris affiché des intellectuels et des penseurs, le populisme des déclarations, chaque fois plus extrêmes, chaque fois plus autistes. A votre avis, quelle est la suite logique de cette courbe, quand le pouvoir se sentira concrètement menacé par l'expression d'un vote populaire ? J'exagère ? Nous sommes en démocratie, on en n'est pas là ? Si vous le dites.  Pour moi, effectivement, tous les voyants sont au rouge, mais je pense à une autre menace. Je serais vous, je m'apprêterais à lutter contre un pouvoir totalitaire et je commencerais, si ce n'est fait, à établir des réseaux de résistance. Juste comme ça, au cas où.

  • Le vent qui ne se lève pas (encore)

    Dans le car qui me ramène à la maison, les conversations de très jeunes adultes. Elle et lui sont assis comme toujours côte à côte. En général, ils parlent musique et sorties. Ce soir, on dirait qu'elle boude. Peut-être pour écarter le malaise qui s'installe, le garçon est plus volubile qu'à l'accoutumée, il parle de sa journée, raconte des choses sans grand intérêt. Dans un silence, la fille place : « Sinon moi, ça va, j'avais mon rendez-vous à l'ANPE, je me suis bien fait pourrir, merci de prendre des nouvelles. » Je ne le vois pas, mais j'imagine le garçon se mordant les lèvres. « Ah oui, et comment ça s'est passé au fait ? » « Ça t'intéresse pas de toute façon, tu t'en souvenais même pas. » Il grogne, se défend, ne s'excuse pas par orgueil mais on sent le type embarrassé de sa gaffe. Ils sont un moment silencieux, puis il insiste et elle finit par raconter. « Il a vu que j'étais au chômage depuis plus de trois mois, il m'a dit qu'il fallait que je me bouge. Je lui ai dit que, oui, je me bougeais, que je cherchais. Il m'a demandée où j'avais cherché, si j'avais demandé à telle boîte, là ou là, j'ai dit oui, mais que j'avais pas de réponses. Il m'a dit « Mais vous savez, il faut pas rechigner, prendre tout ce qui passe, pas hésiter » j'ai dit faut pas croire, je rechigne pas (le garçon râle : qu'est-ce qu'y croit, lui ?), j'ai dit je cherche hein, je prendrais ce qui se trouve, mais y'a rien. Il m'a énervée, comme si je voulais pas bosser. Et puis il me fait la leçon comme quoi il faut bien présenter, bien s'habiller, être poli. Je lui ai dit que je savais (le garçon répète « qu'est-ce qu'y croit ? ») Que j'étais polie, que je parlais correctement pour me présenter, pour faire bonne impression, tout ça. » j'écoute et je suis bouleversé par cette jeune fille que j'imagine se débattant avec les difficultés de son milieu, obligée de s'excuser devant un type bien installé, de ne pas trouver assez vite du travail, dans une région où la pauvreté est galopante, où le chômage grimpe à 13%. J'ai honte de cette société qu'on leur a fabriquée, qui non seulement exclue, mais culpabilise ceux qu'elle exclue. Je les trouve bien gentils, bien patients, ces jeunes, qui devraient foutre le feu partout, une fois pour toutes.

  • La confession

    Dans le car qui me ramène à la maison, les conversations des adolescents entre eux. Le lait de la tendresse humaine. Souvent, leurs paroles me traversent. J'abandonne ma lecture, j'écoute, ému. Il y a eu ce garçon, expliquant à une copine le mauvais sort qu'une petite bande a voulu lui faire, quelques jours plus tôt. « Il me dit Viens, je veux te parler , j'avais pas envie mais j'y vais, dans une petite rue comme ça. » « Mais tu y es allé ? C'était un piège et tu y es allé ? » « Ouais, c'était un piège mais j'étais coincé, j'y suis allé. Au fond de la petite rue. Ils étaient tous là. Cinq-six. Ils commencent à me prendre la tête, que j'ai dit des trucs sur eux, tout ça. Il fait venir sa copine. Elle dit : « Je sais plus ce qu'il a dit mais il m'a insultée de pute » « C'est vrai, tu lui as dit ça ? » « Ouais, peut-être, j'en sais rien, de toute façon c'est une pute. Ouais, je l'ai peut-être dit » (la fille à côté de lui pouffe, approuve le verdict) « Alors, l'autre il me donne des baffes. Je l'ai laissé faire. » « Tu l'as laissé faire ? » « Oui » « T'as raison. » « De toute façon, ils étaient six, si je me battais, ils me cassaient la tête. » « T'as raison. Qu'est-ce que t'as fait ? » « Ben je me suis mis à courir, j'ai couru, j'ai foutu le camp. Ils m'ont suivi. On a couru dans toute la ville. J'avais peur. » « Ils t'ont pas rattrapé ? » « Non. Ils ont dû me prendre pour une vraie fiotte. » (La fille pouffe à nouveau. Je sens dans sa réaction, un large sourire, une bienveillance. Aucun jugement. Elle est seulement heureuse que le garçon s'en soit tiré indemne). Je souris aussi. L'honnêteté de ce gamin, le tranquille détachement de son récit et son humour, me font apprécier ce que je crois lire comme une évolution de mentalité. A son âge, peut-être aurais-je fui, ce qui n'est pas sûr (il m'est arrivé de ces petits événements où je me découvrais un héroïsme imprévisible), mais en tout cas, jamais je n'aurais avoué ma fuite à une fille. Orgueil des petits mâles d'une époque révolue. Ou bien ai-je écouté le récit d'une exception.

  • Moment d'histoire

    Il y a quelques jours, je venais retrouver ma douce à la sortie de son travail. Le lendemain serait le premier jour de son chômage. Elle a vécu de l'intérieur un moment historique -au niveau local s'entend. La fermeture de la seule grande librairie de notre ville. La librairie qui a nourri des générations d'enfants scolarisés et fourni des milliers de lecteurs depuis plus de soixante ans. La fin d'une institution. Depuis trois ans, ma douce y travaillait, espérant ainsi boucler sa longue carrière de libraire. Il aura manqué quelques années. Inutile de blâmer les propriétaires de ce magasin hors-normes : elles ont saisi une occasion financière, et comment leur en vouloir ? Malgré tout, le paysage culturel qui s'en suit désespère un peu plus les vrais lecteurs, qui devront aller loin désormais pour trouver les titres que les grandes drogueries livresques ne proposent pas. Il y avait l'autre soir, une ambiance de deuil et d'amertume qui imprégnait ces dernières minutes. Ma douce en était profondément affectée, ses collègues avaient des gestes plus las. Nous savons aussi que, la vie étant ce qu'elle est, les chemins de chacun se séparent ici et il faudra compter sur le hasard pour que tous se revoient. C'est ainsi. L'idée un temps caressée d'ouvrir notre propre librairie (montage financier difficile mais « jouable »), a fait long feu. Nous ne sommes plus si jeunes et l'avenir du livre sous sa forme papier est incertain sur les dix ans qui viennent, le risque est trop grand pour de simples passionnés. Je lance donc ce chant élégiaque, dolent, d'un lecteur désemparé et accessoirement d'un auteur qui, si jamais son éditeur lui fait encore une fois confiance, n'aura personne pour défendre son travail.

  • Chute de texte et chutes de vélos

    Pour meubler, en attendant que je produise les billets des jours à venir (oui, c'est les vacances et paradoxalement, j'écris moins pour Kronix), je colle ici un extrait d'un roman avorté "L'Husine", qui doit dater des années 2000, avant l'écriture du "Baiser de la Nourrice". Le petit Mido bosse dans l'Husine (avec ce "H" majuscule, qui évoque celui de l'Humanité) et rentre tous les soirs en vélo, mêlé à la migration monstrueuse de milliers d'ouvriers. Le nombre forme une sorte de fleuve bio-mécanique extraordinairement serré dont les cohortes de fourmis peuvent donner une idée. Ce soir-là, les vélos vont de plus en plus vite, lancés dans une course insensée. Soudain...

     

    Soudain tombe une averse démente. Un bombardement de flotte. Le rideau sombre percute le train des vélos lancé à toute allure. Les deux précipitations mêlées produisent un fracas d’armure froissée. On ne voit bientôt plus le groupe qui précède, puis les ouvriers devant Mido s’évanouissent, puis sa roue avant, enfin le faisceau de la lampe devient un halo chancelant, projeté contre un mur de paillettes argentées. Mido est trempé, brusquement glacé et terrifié. Autour de lui, on crie confusément, on essaie de s’arrêter, mais le flot des travailleurs est si dense et rapide que l’arrêt est impossible. La foule poursuit sa course étrange, fonce dans la nuit opaque, absolument perdue. Mido hurle avec d’autres, se retourne, supplie d’arrêter, mais continue d’appuyer sur les pédales, pour rester dans le rythme. Il ne perçoit de la cohue qu’une succession de gestes confus, de halètements mystérieux, de cris, hachés par le vacarme de la pluie. Brusquement, comme dans un cauchemar, Mido entend un bruit qui traverse l’écran de l’orage depuis l’avant du convoi ; c’est une bouillie de cris terrifiés et de tubes en valdingue, de corps qui rebondissent sur l’asphalte mouillé, puis de cris encore, et cela enfle enfle, grandit devant comme un souffle de loco et approche approche. Mido est d’un coup balancé en l’air, il a le temps de comprendre qu’il est projeté au-dessus d’un monstrueux carambolage, invisible sous la pluie. Il retombe brutalement sur une anarchie de corps et de vélos enchevêtrés. Un bout de métal vient le percuter immédiatement. « Mon vélo » se dit-il. Sa main le cramponne à tout hasard. Il cherche à se relever mais des dizaines de types lui sautent dessus, immédiatement suivis d’un vélo en perdition. Mido est heurté durement à plusieurs reprises. La pluie redouble de force, devient une sinistre avalanche de fouets gelés, une douche violente qui crucifie les hommes sur le sol. Mido est englouti sous des corps épais, trempes, inertes ; il essaie de se dégager en vain, renonce, épuisé. Le fracas des chutes s’éloigne légèrement, mais la mêlée frémit sous les chocs répétés, comme une masse sensible. Mido étouffe, gémit. Les corps partout s’immobilisent, des râles s’évanouissent dans le grondement torrentiel de la pluie. Une immense tristesse submerge le garçon. Il se voit mourir, il a froid. Les vélos continuent de tomber plus loin. Les tressautements faiblissent à travers la masse mobile des corps qui jonchent la route. Un des hommes qui le recouvrent remue enfin, grogne et se réveille. Mido l’encourage, rassemble ses dernières forces et ensemble, ils parviennent à soulever l’enchevêtrement des corps qui les écrasent. C’est une mêlée atroce de morts et d’agonisants, de tubes tordus, pédaliers déchirés, éclats de chaînes et chairs crevées, vestes gonflées d’eau, noircies de sang. L’homme s’éloigne, titubant, marchant au hasard sur les autres. Mido se traîne sur les corps agglutinés, s’agrippe aux haillons des gisants. Il rampe, les gestes alourdis par les fringues trempées. La pluie est comme un animal trapu, greffé aux épaules, Mido en perd le souffle à chaque mouvement. Il se dirige à l'aveugle, doigts plantés dans des membres indistincts, vers ce qu’il pense être le côté de la rue. Une lumière débile, chancelant dans la confusion de l’orage, semble indiquer un réverbère. Mido parvient en effet au pied d’un réverbère. Le garçon s’y adosse, il réalise alors que sa jambe est cassée, que ses côtes sont douloureuses et rendent difficile chaque inspiration.
    De loin en loin, malgré le vacarme de l’averse, Mido perçoit bousculade de fer et vociférations rageuses, le chaos de bataille qui se poursuit. Combien de centaines d’ouvriers, fonçant tête baissée, aveuglés par ce déluge, viennent s’écraser contre les précédents. Cela pourrait durer des heures. Pourtant, le bruit de course ne cesse pas : une portion de rue est donc encore libre et le flot s'y écoule sans encombre, comme un torrent indifférent. La pluie s’arrête enfin, aussi soudainement qu’elle était tombée. Une bruine tenace la relaie, embue le fatras de corps et de machines. Le train des ouvriers qui a pu poursuivre sa route est passé, a rejoint ses pénates. Les lumières de la rue gagnent à nouveau sur l’obscurité et soulignent l’amoncellement serré des victimes. Un silence apparent succède au grondement de l’orage. Bientôt, un râle, puis un autre, enfin une plainte continue s’élève de la rue. Des mains se dressent, on gémit, on appelle. Mido, dans un brouillard de douleur, devine des fenêtres allumées, de rares voisins qui descendent mais, pense-t-il, la plupart des habitants de ce quartier sont ici : masses grises qui encombrent la rue. Il voudrait bouger, au moins appeler, mais la douleur le paralyse. Tout à l’heure, la peur et l’instinct de survie lui ont permis de dépasser son handicap. A présent, les os brisés envoient des piques aiguës dans son cerveau et il ne veut que se reposer. La rue s’abîme dans le silence total. Les rumeurs de collisions sont éteintes. Quelques gémissements s’échappent, poussés par un chapelet de vapeur froide.

  • l'Eternel retour

    Ulysse revient à Ithaque, dépenaillé, vieilli, au point d’être invisible aux yeux de son épouse, mais reconnu de son seul chien, dont la vie a été extraordinairement prolongée dans ce seul but. Que veut en réalité Odysseus ? Il pourrait très bien paraître avant l’arrivée des prétendants de Pénélope, lasse de résister depuis 20 ans. Il prouverait  son identité de la même façon que dans le chant final : son arc à lui seul obéissant. Pourquoi ne le fait-il pas ? Parce qu’il réalise un fantasme partagé par beaucoup : assister à ce qui se passera après notre mort. Observer l’affliction de ceux qui nous ont aimé, le cynisme des autres, découvrir l’affection que des inconnus peut-être nous ont porté, voir tomber quelques masques… A peine au large d’Ilion, peut-être imagine-t-il d’abord de surgir, en histrion, trop heureux d’arriver : « C’est moi ! Enfin ! Pénélope, dans mes bras ! » et puis, tandis que les sirènes s’époumonent, tandis que Circé tente de lui faire goûter la fadeur de l’oubli, qu’Eole cherche à le noyer, que Polyphème le maudit, finalement, peut-être se met-il à ruminer une vengeance, parce que les années s’additionnent et qu’il sait que, là-bas, dans son petit royaume, la roue tourne. A force, dans sa solitude, il doute aussi de son épouse. Qui aurait résisté si longtemps ? Il prend lentement cette résolution, dans le temps des épreuves : débarquer incognito et observer. Savoir. Connaître le monde après sa disparition. Et il découvre, avec la mort de son chien, que le monde va sans lui. Les récoltes sont faites, Pénélope va se marier. A Ithaque, le règne d’Ulysse est inscrit dans le passé, dans la déjà fabuleuse légende troyenne. Ce que fait Ulysse en révélant son identité ? Il remet les pendules à son heure, soit vingt ans en arrière. Il gomme la guerre, les compagnons disparus, les enfers et les délires. Il est arrivé dans son fief, sa jeunesse accrochée aux semelles, et il en redistribue les mânes autour de lui, comme on plie le monde à ses désirs, dans les rêves. Enfin, quand tout est achevé, rejoignant Pénélope dans sa couche, peut-être la mère de Télémaque, soudain contaminée par ce souple regain qui vient de gorger le palais de sang jeune, revit-elle aussi ? Et son époux, sec et noueux, tanné et hâlé, retrouve une beauté sidérante, épargnée par le temps, plus jeune que lui et prête à revivre un amour recommencé.

  • 1000 témoins


    Mon grand-père avait reçu de son grand-père, une histoire qui était arrivée au grand-père de ce dernier à l’âge de dix ans. Si j’ai un jour un petit-fils, je pourrai la lui dire et transmettre vers 2020 disons, un fait qui a eu lieu en 1790 environ. 220 ans parcourus par 5 personnes ! A cette échelle, la mémoire des faits survenus pendant le néolithique (il y a plus de 7000 ans) n’a besoin que de 160 personnes-relais. Ce n’est pas énorme, il me semble. Avec mille témoins, on peut remonter à l’époque de l’arrivée de Crô-Magnon en Europe. Que des traumatismes collectifs, de grandes sagas héroïques, les angoisses et les réjouissances primitives nous soient demeurés comme les arcanes incontournables des récits universels ne paraît plus si impossible.

  • La logorrhée solitaire du diariste

    Evidement, un billet par jour, cela implique nombre de textes de pur verbiage. Et la logique désaffection des lecteurs. Ensuite, seul auteur et seul lecteur, tout en un, le blogueur diariste s’amuse de ses trouvailles, s’inquiète de ses audaces, conteste ses raccourcis. Il n’a plus besoin de personne. Mais dans le vaste monde numérique, chacun ainsi est renvoyé à l’écho de sa voix dérisoire, aussitôt perçue qu’oubliée. Et les plus influents jouissent d’une réputation pendant quelques années, se voient ouvrir les portes de l’édition la plus complaisante, produisent par conséquent quelques ouvrages périssables, aussi vite noyés dans le reste des sorties de papier. Une production textuelle immense, inédite sans doute dans l’histoire de l’humanité, dont le foisonnement des traditions orales constitue peut-être le seul corpus en mesure de lui être comparé. Et tout cela, contrairement à la ténacité des récits fabuleux, déjà condamné à la disparition des données. Parce que leur support numérique est encore plus fragile que la parole, parce que l’ordinateur ne peut s’assoir un jour sur une pierre, prier l’enfant d’écouter un instant, et proférer pour rien, pour le sourire ou l’édification de l’autre, une bribe de la grande geste humaine.

  • Merci, président !

    Je place ce lien en urgence (j'expliquerai après) : il faut absolument écouter cette déclaration du président.


  • Mes plus belles gaffes (4)

    Ouh la boulette

    Nous mangeons en terrasse avec A. et D., des amis. Il fait beau. La conversation va son train et nous évoquons le récent magnifique cadeau de ma douce (enfin, une partie des magnifiques cadeaux) pour mon anniversaire : un repas dans le meilleur restaurant de notre bonne ville, longtemps considéré tout simplement, comme le meilleur restaurant du monde. Et je me mets à expliquer comment un autre ami, C.,  a pu goûter lors d'un repas dans ce fameux restaurant, les vins parfaitement adaptés à chaque plat. Et je m'attarde sur la chance qu'il a eue, sur son témoignage, sur quel vin avec quel plat, sacré C., je n'en finis pas. Je lève les yeux de mon assiette pour planter mon regard dans le regard arrondi sur un avertissement muet de ma douce, face à moi. Et là, je comprends, je plonge le nez dans mon assiette, un grand vide en moi : C. est celui qui a arraché sa femme à D., assis avec nous, et qui m'écoute depuis cinq longues minutes en tirant nerveusement sur sa cigarette.

  • Au pied du monument Chabrol

    De Chabrol je me souviens du rire étouffé, la pipe un bref instant écartée des lèvres larges, d’une manière d’évoquer la métaphysique de la musique d’Herman, de mes agacements devant le jeu impossible de Bernadette Lafont ou le parasitage d’images par la musique ringarde de Matthieu Chabrol, de la lumière trop propre, trop brillante de certains films, des cadres trop serrés, des champs/contre-champs décevants. Je me souviens aussi de la puissance de films comme « l’enfer », « les biches », « la cérémonie », « le boucher » ou « que la bête meure ». Des œuvres marquantes, dérangeantes, installées longtemps dans les replis de la mémoire pour y œuvrer à une compréhension de la malveillance du monde. Chabrol disait ne pas vouloir faire de chefs-d’œuvre, mais réaliser une œuvre. Je me dis qu’il a accompli les premiers et que je suis encore loin d’avoir saisi  la seconde, tant il est vrai que je n’ai peut-être vu en tout qu’une vingtaine de ses films, sur les plus de 70 que compte sa filmographie. La visite du monument ne fait que commencer.

  • Au coeur des ténèbres

    A côté de moi, dès les premières minutes de sommeil, ma douce s'agite, murmure puis se met à articuler clairement : "Il est dangereux, il est dangereux". Habitué et amusé, je sais que je peux dans ces moments-là, poser des questions, et qu'on me répondra. "Qui est dangereux?" Sans hésiter, ma douce répond : "Ce président, il est dangereux, il est vraiment dangereux. Il faut l'arrêter."

    Je vous laisse deviner de quel président il peut s'agir et la profondeur de l'impact des sinistres actualités sur l'âme de ma chère compagne.

  • Le chant du Limule

    "Me défaire de tout" pour ma douce et moi, est la chanson symbole de la pièce "le rire du Limule" et de son propos. Mise en musique par Jérôme Bodon-Clair (dont on retrouvera le travail, sous la forme d'une symphonie, dans la prochaine pièce de la compagnie NU), "mimée" sur scène par Virginie Noël, interprétée par Amandine Correa et mise en scène par François Podetti sous la lumière de Dominique Dupin (quel monde il faut pour obtenir certain résultat...), elle est ici filmée par Yohann Subrin.

    J'ai découvert ce lien hier, j'ai trouvé bien de vous le faire partager. Comme la prise de son est parfois défaillante, je vous donne le texte, ci-dessous :

    Je n'avais pas de pistolet, mais des envies de fin du monde
    Je n'avais pas de guillotine, mais une soif pour mes petits
    Je n'avais pas de bombardiers et pas de pièges pour les colombes
    Je n'avais pas de sabre aux dents, pas de couteau, pas de fusil
    J'ai juste voulu, un jour, juste voulu
    Me défaire de tout
    Me défaire de tout


    On détruirait bien des bastilles, on referait souvent Paris,
    Si on avait pour seule fortune, la terre des tombes que je rejoins,
    J'ai pas voulu prendre les villes, et j'ai abandonné Paris
    La fin du monde est pour les autres, moi je m'en vais seul(e) dans mon coin
    J'ai juste voulu, un jour, juste voulu
    Me défaire de tout
    Me défaire de tout


    Je vais là où le vent a planté mes racines,
    grimper quelque rocher, troubler quelque ruisseau,
    Regarder le soleil verser le vin du soir sur les collines,
    Et repenser que j'y peux rien si les humains sont comme ils sont
    J'ai juste cru, une fois, j'ai juste cru
    Qu'on changerait tout
    Qu'on changerait tout.

  • Salon de l'aigri

    Vous pouvez me retrouver encore cet après-midi au salon de l'écrit de Commelle-Vernay, dont l'organisation est partagée avec plusieurs communes limitrophes. L'originalité de ce salon est qu'il est accueilli chaque année dans une commune différente de la région. Lectures, dictées, débats, et surtout stands avec auteurs (c'est une rafle : il y en a une cinquantaine, presque tous édités à compte d'auteur). L'an dernier, c'était charmant : nous étions alignés comme des boeufs au salon de l'agriculture, et les promeneurs du dimanche, venus par curiosité avec leur poussette et leur grand'mère, passaient devant nous en nous observant. Tout juste si on ne nous flattait pas la croupe.

    Autrement, les écrivains se jaugent et médisent de l'un ou l'autre, observent combien untel a vendu. On y retrouve aussi des auteurs amis, car il y en a. De ceux dont les exigences sont parentes.