Ecrire - Page 6
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Pour écrire sur les blessures des autres
Pas le choix : retourner la plume contre soi. -
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Avril sous les cris d'hirondelles, avait éclairé le jardin de promesses, les cerisiers coiffés de fleurs, les muguets en avance, les bosquets criblés de bourgeons, tout resplendissait. Et puis le gel franc en deux aubes, et puis la grêle d'un soir, avaient abattu ces plaisirs à venir. Il n'y aurait pas de cerises cette année, elles étaient éparpillées dans l'herbe, vertes et avortées, minuscules, sous la coupe du feuillage haché prématurément. Mai venu claironna un solo cuivré de thermidor cette année-là. On ne travaillait dehors qu'à la fraîche, on préférait à midi manger dans la pénombre des maisons mais on dînait dans le jardin bien sûr, on s'attardait avec les amis dans l'obscurité en riant, on laissait le soir mourir sur les épaules, on ne se couvrait pas. Les nuits furent clémentes. Mado et Léo, quand ils étaient seuls, s'offraient des heures également alanguies, leurs paroles, voix feutrées sous les arbres, tournées vers le couchant. Voix assourdies au point que les verdiers excités submergeaient leur échange. « On est heureux » se disaient-ils. La phrase revenait souvent, et souvent après un long silence, pas pour le rompre car ils n'en étaient nullement gênés, mais comme une réponse à leur bonheur incrédule. Ils se faisaient un devoir de se rappeler combien était précieux leur mode de vie. Ils vivaient dans le luxe de ceux qui ont renoncé à l'abondance pour savourer le temps.
Extrait de Mado. Roman en cours d'écriture.
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Dans le jardin, autour d'eux, la terre berçait le flanc de fantômes légers. La bonne vieille chienne des parents de Mado, ronde, sédentaire, polissonne, riante, gourmande, un peu veule, amicale avec les chats domestiques, achevée par dose létale, endormie soulagée du mal qui l'étouffait. Couchée sous la bignone, mufle tourné vers la maison et vers l'ouest, vers la Loire, une perspective où porte le regard, comme un lointain désirable à hauteur de truffe. La bonne vieille chatte des parents de Mado, mécanique alentie jusqu'à l'enrayement final, trouvée endormie pour toujours, en rond dans une corbeille. Ensevelie au plus près de sa vieille copine, dans la posture que la mort imprima. Les deux très gros et très vieux chats de Mado, dont elle ne supporterait pas de raconter la fin, présents quelque part sous les lilas, en des places choisies, tombes aplanies, invisibles au regard, inoubliables pourtant.
Extrait de Mado. Roman. Écriture en cours.
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S'effacent les signes sur le clavier, érodés par l'infatigable épreuve de la saisie. Les lettres devenues indiscernables, les touches usées jusqu'à l'abstraction, les mots nés de cette fragmentation partis ailleurs, sur l'écran ou dans le papier, échange naturel, un évanouissement sous mes doigts pour une apparition sous les yeux d'un autre, un peu de matière plastique pour un peu de lecture. Le troc digital à la source des textes.
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Comment dit-on à son père : « maman est morte » ? On le dit ainsi, sur le ton qu'on voudra, il n'y a pas de bonne manière, il n'y en a pas de mauvaise. Les existences, dans cette histoire, éprouvent les drames en mode mineur. « Oh, elle est morte ? » Mado expliqua, ses paroles lui semblèrent étranges, elles décrivaient une scène à laquelle elle ne comprenait toujours rien, à laquelle il lui semblait n'avoir peut-être pas assisté. Le père ne réagit pas tout de suite. Son visage s'inclina, ses mains sur la couverture firent un geste de fatalité. Les pleurs viendraient plus tard, toute lumière éteinte. L'encombrement du souffle retint d'éventuelles effusions. Le père observa la salle où il passait ses journées, la télévision qui palpitait devant lui, l'obscurité triomphante du soir par les fenêtres. Il pensa Cette fois, c'est mon tour. Il commença à mesurer l'écrasante solitude qui saisit les derniers vivants. Il vécut un an après ce jour.
Extrait de Mado. Roman en cours d'écriture.
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Je n'ai jamais connu le vertige de la page blanche, jusqu'à aujourd'hui. Je n'arrive pas à écrire en ce moment. Mes incipit s'exténuent après quelques pages. Expérience plus étrange qu'angoissante. Une des causes de cette impuissance réside dans la pratique de l'écriture elle-même. Pendant des mois, j'ai produit des textes dans le cadre d'un travail de rencontres, d'interviews, que je devais écrire assez vite. Des formes plus proches de l'article de magazine que du processus littéraire comme je l'entends quand j'entreprends un roman. Pour résumer, je crois que j'ai pris de mauvais habitudes. Par « mauvaises habitudes », je veux dire syntaxe peu imaginative, vocabulaire courant, moindre souci de la musicalité des phrases. Non par paresse, mais parce que ce mode sobre et lisible, direct, était le plus approprié aux contraintes objectives. Aujourd'hui, après l'équivalent de la production d'un court roman, décliné en portraits, en articles de fond, en pédagogie de l'histoire économique, élaborer un récit au fil de phrases dont chacune porte sa propre mélodie, son rythme, dont chaque mot est mesuré à l'aune double du sens et de la musicalité, est un exercice à réinventer. J'ai l'impression de repartir de rien. C'est extrêmement pénible. La solution, pensé-je : relire mes stylistes favoris. Réapprendre. Reconquérir le terrain perdu. Et se résoudre à éviter d'en perdre désormais.
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Bras repliés, songes, vertèbres soudées, pelures de craie, menthe, sabre, organdi, jade, solstice, poterne, calice, nourrague, pestilence, murailles, jacinthe, antimoine, acrotère, aiguière de vermeil, samba, labile, forceps, émonder, colibri, pente, négligente manière, parade, ombre salie de neige, génuflexion, sabir, orgues basaltiques, délire, taillis d'aiguilles pourpres. La palette des encres, l'encre chatoyante des mots sous le doigt de l'écrivant, L'ivoire des canines refermées sur la nuit, le soubresaut. La terre appuyée sous le talon. Une tache solaire, la main retournée, une cavité moulée dans l'épaisseur de l'âme, un tranchant d'obsidienne et le cœur sur les braises, une lampe sous la main, des cris, des balades, une gelée, un matin les pieds dans l'eau froide, la peau hérissée de bleu, un geste bleu, le spectre des doigts sur le mur, le jeu des rayons sur la pierre, le givre sur le verre, la pâleur du gisant, les phalanges repliées sur un insecte, des marbres étoilés, une figure dressée contre le ciel, un bras, une boucle, des miroirs, un drap, une peur, un pas sur le seuil, la nuit ouverte et franche, l'ombre de mon salut avalée par une flaque, le fantôme surgi de la bouche, un frisson, le bois, l'odeur de la cire, le parfum du lin, la joue tiède, les rideaux, les persiennes fermées, les jouets sous le lit. Les récits, les luttes, les agneaux égorgés. L'empreinte de la semelle sur la terre appuyée. Le temps entravé qui rampe sur le parquet.
Et pas un chapeau de vendu.
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À l'écart de la nausée, les exilés se reconnaissent et survivent, dressent l'un pour l'autre des étais de sourires et de complicité, des contreforts de calme et de travail silencieux. Ce n'est pas qu'ils sont meilleurs, les exilés, ce n'est pas qu'ils sont plus forts ou plus perspicaces, mais une vie pareille à celle des autres leur est interdite. À la réflexion, elle leur serait permise qu'ils y renonceraient. Ils vont comme ça, à côté du monde. Leurs jours ont, par leur seule volonté, une régularité qui semble la suspension éternelle du temps, sur l'Olympe. Ce sont des dieux anonymes qui devront mourir et se sont fait à l'idée.
Début de "Mado", roman. Écriture en cours.
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Planche 39.
Extérieur nuit.
1- La ruine d'un petit édifice envahi de ronces, au fond du parc. Tout près, le petit véhicule électrique qui a permis le transport. Au centre de la ruine, un puits, la grille qui le ferme est basculée. Renzo et Spathül balancent un cadavre dans le puits.
2- Spathül se penche pour saisir le corps de la femme, resté par terre. Renzo ne bouge pas.
3- Spathül : « Bon, alors, tu attends quoi ? »
4- Renzo est bouleversé. Spathül se redresse, mains sur les hanches : « Quoi ? »
5- Plan d'ensemble. Le puits, le corps de la femme, Renzo et Spathül. Spathül : « C'est comme ça, il faut t'y faire... » Renzo : « Monsieur... »
6- Renzo se met à vomir. Spathül : « Eh ! tu me connais maintenant, non ? Tu sais de quoi je suis capable, à force d'écouter mon histoire. Quelle sensiblerie ! »
7- Renzo, en pleurs : « Je comprends maintenant, ce qui reste, une fois la trace évaporée. » Spathül : « Ah ? »
8- Renzo : « Je suis maudit ! A cause de vous, je suis maudit. Les mots sont incrustés en moi à jamais. Vous m'avez empoisonné l'esprit. Même si on brûle tout, votre histoire fait partie de ma chair. »
9- Renzo s'agenouille, en pleurs. Spathül : « Ouais, bon. Aide-moi. »
10- Renzo : « Non, j'en ai assez, c'est horrible ! » Spathül, se précipitant sur lui : « Hein ? »
11- Spathül saisit Renzo par le col : « C'est ainsi que ça se termine, mon gars ! J'use le pouvoir jusqu'à sa dernière goutte. Cherche des rebelles autour de toi. Aucun qui me vaille. Je suis le dernier romantique. Aide-moi ou tu les rejoins. »Extrait du scénario d'une BD en cours de réalisation. Dessins Thibaut Mazoyer.
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"La vie volée de Martin Sourire" sur RCF, en compagnie de Jacques Plaine et Jean-Claude Duverger
L'émission "A plus d'un titre" est à écouter ICI.
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Il y a un moment, dans l'écriture d'un livre, où vous comprenez enfin ce que vous êtes en train de faire, révélation plus ou moins tardive selon l'entreprise. Pas : quel est le sujet de votre roman, cela vous êtes censé le savoir, tout de même. Plutôt : De quoi je parle, au fond, qu'est-ce qui, viscéralement, m'a imposé de rester autant de temps concentré et isolé, à la recherche d'un rythme et d'une justesse d'expression, qu'est-ce que je cherche à travers mon texte ? Et ce n'est pas forcément clair à l'amorce du travail. On peut même postuler que l'écriture d'un livre a pour but premier de révéler aux yeux de son auteur, les raisons qui ont poussé à l'entreprendre.
Le moment que j'évoque se manifeste par une sensation particulière, une émotion assez indescriptible. Pour moi, elle est similaire à une autre sensation, guère plus commode à exprimer, qui naissait, à l'époque où je dessinais ou peignais des portraits d'après nature (jamais d'après photo, cet expédient vulgaire), quand, la personne en face de moi, je voyais, trait après trait ou coup de pinceau après coup de pinceau, s'affirmer une ressemblance. Le visage qui apparaissait sur la toile ou le papier, était bien celui de mon modèle. J'y étais. Je ne savais jamais par quel détour ce petit miracle se produisait mais c'était ainsi : j'avais saisi et traduit cet étrange motif qui crée l'illusion de la ressemblance. Cela venait brusquement, au hasard d'un trait anodin, par surprise. Soudain, quelque chose s'était éclairci. Je savais que, désormais, je passais d'un autre côté de la réalisation. C'est ainsi que, dans la pratique de l'écriture, à des moments variables dans la construction d'un récit, je perçois avec étonnement (et quelle satisfaction!) que « j'y suis ». Tout devient net, tout prend sens : les phrases qui m'ont amené à ce point, les prolongements que ce basculement implique, ce que sera le roman achevé.
La difficulté réelle se situe par conséquent au début de l'écriture d'un roman. Quand rien n'est fixé, que tout menace de se dérober à tout moment, que le sens ne s'est pas encore affirmé, quand rien n'est évident. Il y a quelque chose d'absurde d'entreprendre l'écriture avec le secret espoir qu'un but s'annonce. Vous pouvez travailler des mois, peut-être des années, avant que se manifeste la sensation évoquée plus haut. Et il y a cette hantise : est-ce que vous y parviendrez ? Ainsi, il m'est arrivé d'aller jusqu'au bout d'un texte, de travailler plus d'un an sur un roman, de poser le point final, sans avoir connu cette grâce (et dans l'état d'incertitude que vous pouvez deviner). Assez logiquement, il se trouve que ces romans-là ne provoquent qu'une réaction embarrassée de ma première lectrice, augure du refus de mes éditeurs. J'espère sincèrement que les autres écrivains ne connaissent pas ces affres et entrevoient clairement dès l'origine, l'ensemble de ce qu'ils ont entrepris de créer. Je crois avoir une bonne notion des sentiments de Sisyphe, quand il appuie ses mains contre la pierre, s'arc-boute et pousse son rocher, au pied de la pente incessante.Peut-être parlerons-nous de cela, à partir de 16h30, avec Jacques Plaine, à la Librairie de Paris, à Saint-Etienne...
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3201
Comment écrit-on un roman ? Comment ose-t-on commencer, par quels mots, par quelle scène et sous quel angle ? C'est toujours difficile, et de plus en plus difficile avec le temps, malgré l'expérience. Paradoxalement. Parce que chaque roman est un prototype. Comme l'amour vrai se réinvente et ne connaît que des premières fois.
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Grand rendez-vous pour moi, vendredi 14 avril, à la libraire de Paris, à Saint-Etienne, (6, rue Michel Rondet).
D'abord, avec une rencontre autour de mes livres, animée par Jacques Plaine, à 16h30 (une des rares fois où j'aurai l'occasion de m'exprimer sur mon travail d'écriture, de mettre en perspective les thèmes, expliquer les passerelles entre les textes, etc. Je vois ça comme un beau cadeau, cette chance d'évoquer assez longuement parcours et choix) puis, à 18h30, l'enregistrement public de l'émission « A plus d'un titre » (RCF), en compagnie de Jacques Plaine, toujours, et de Jean-Claude Duverger, cette fois autour de mon dernier roman « La Vie volée de Martin Sourire », paru chez Phébus cette année.
N'hésitez pas à venir goûter au lieu, à la parole bienveillante de ce grand amoureux de la littérature qu'est Jacques Plaine. -
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Il y aura donc toujours d'autres matins. C'est incompréhensible, c'est impardonnable. Rien ne devrait survivre à la mort des innocents. Il nous faut apprendre l'indifférence de l'univers. L'apprendre c'est-à-dire l'éprouver dans sa chair par la blessure fondatrice de l'injustice. C'est le prix.
Extrait de "Le Radical Hennelier" manuscrit en cours de lecture chez Mnémos. (Suspense...)
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Suivons la trace de nos vieux étonnements qui dépendaient de l'enfant que nous étions. Arrivés au point de contact avec ces jours de merveille, évaluons la distance qui nous en sépare, réduisons-la. Et écrivons.
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L'écriture est une activité pousse-au-crime. Elle incite au dévoilement des secrets, à l'impudeur, elle se moque bien de la souffrance des autres et se nourrit de trahisons. Un écrivain est un traître. Il n'a aucune excuse, il n'a aucun remord, il charrie la boue insane des vérités pour les porter aux feux du questionnement universel. La bonne littérature ne s'encombre pas de complaisance et de détours, de morale. Et pourtant, je n'ai aucune envie de faire du mal. Quel projet littéraire vaut qu'on humilie quelqu'un, ou qu'on lui fasse du mal ? Il est rare (mais pas impossible) que je considère l'écriture avec assez de conviction pour lui sacrifier la sérénité des autres.
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J'espère que cette annonce (sur Kronix, où je fais quand même un peu ce que je veux), ne passera pas pour un effet de mon narcissisme (ce dont m'accuse une "amie qui me veut du bien"), mais sachez, lecteurs de ce blog (dont je n'ai pas la moindre idée du nombre vu que je n'ai pas d'outils pour mesurer votre affluence - autre reproche de cette "amie", qui me décrit à l'affût des statistiques et des prix (?) littéraires -allons bon !), que je serai (oui, moi, tout enflé d'orgueil et de prétention nombriliste), au Centre social de Riorges demain, jeudi 6 avril à 18h30, pour évoquer mon dernier roman "La vie volée de Martin Sourire". Ne venez pas trop nombreux, parce que mon "amie" pourrait y voir la preuve de la réussite de mon plan de carrière et de mon empressement à être un écrivain populaire.
Ses reproches n'ont pas été sans effet, je le reconnais. Je me suis interrogé sur la façon dont je "vends" mon travail sur le Net. Pour commencer, j'ai supprimé les photos de ma pomme, en bannière, là-haut, qui étaient, c'est vrai, la marque la plus manifeste de mon narcissisme. Au grand dam de ma douce qui se les passait en boucle en mon absence, ai-je su depuis. Mais je ne doute pas que ce gage de ma bonne foi (que, crétin influençable, je me suis cru obligé de donner), ne lui suffira pas.
Ses remarques hors de contexte (on échangeait simplement sur la façon dont j'avais traité la Révolution dans le roman), m'ont considérablement blessé et attristé.
Et puis, à la réflexion, je l'emmerde.
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Il suffisait d'adresser une prière et puis, bon, soit tout s'arrangeait et merci Seigneur, soit ça allait de mal en pis et c’est qu'on avait mal fait quelque chose. Ce n'était jamais de la faute de l’Église ou du curé. Jamais la faute de Dieu. En fait, je me demande si vraiment les gens ont cru en Dieu un jour. Je me demande. Parce qu'on est bien vite prêt à l'absoudre, nous, les hommes. Comme s'il ne comptait pas ou pas plus qu'un enfant. Tiens, voilà, c'est ça : on s'adressait à Dieu comme on tente d'apaiser un enfant capricieux. « Si tu es gentil, tu auras droit à ça... » Je te construirai une chapelle, je partirai en croisade, je quitterai ma maison pour te servir. Marchandages sordides. Bien sûr, on lui donnait du « Mon Père qui êtes aux cieux », on le redoutait, mais quelque part, loin dans les ténèbres de l'âme, on rusait, on se le conciliait, on trichait, on espérait s'en faire un complice ou s'en rendre maître. Comme on discipline un enfant. Évidemment, on n'irait pas construire de chapelle, et on ne mènerait une croisade que parce que les terres traversées étaient riches. On n'y croyait pas vraiment. Sinon, s'il fallait y croire, alors, tous promis à l'enfer, pas assez d'indulgence pour tout le monde. Le moindre geste était douteux, la moindre pensée était suspecte, le péché est dans notre nature. Les prêtres ont une formule pour ça : la chair peccamineuse. Oui. Impossible d'y échapper. Cela nous est consubstantiel. Donc, quand ça échouait du côté du gamin caractériel tout auréolé de voie lactée, à qui s'adresser ? Au vrai pouvoir, au vrai mystère qui hante les nuits depuis que la mémoire est mémoire. Ce qui persiste à la lisière, au seuil compris entre Dieu et la vieille Nature. Ce qui était là avant Lui, avant les clergés et les cantiques. C'est là, entre chien et loup ou bien sous la clarté lunaire, aux franges des brumes des marais ou dans l'ombre des forêts. Rien n'est sûr, tout devient possible. Quand sourdent les idées emmêlées, à peine revenues des rêves, là où la terre se confond avec l'eau, là où les résolutions naissent des limbes, là où les pensées prennent un tour étonnant. Là où Dieu s'absente.
Extrait de "Le sort dans la bouteille". Théâtre. Écriture en cours.
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Écriture, ce matin. De lettres. Manuscrites, sur papier. Pour prendre des nouvelles, en donner, remercier d'un encouragement ou bénir les louanges. Exercice salutaire, agréable tâche. Et pour cela, s'éloigner du clavier affamé, poser un paquet de feuilles sur la table, en étaler une sous la main, s'orienter en fonction de la lumière. Tout a son importance. Ne pas se rendre dans le bureau ou l'autre écriture occupe tout le terrain, changer d'atelier, s'installer à la cuisine (et arrêter d'utiliser l'infinitif comme ça ; c’est pénible).
Mes phrases alors ne sont pourtant pas différentes de celles de mes mails. Via le mode manuscrit, que dis-je d'autre, que dis-je autrement que ce que mes courriels attentifs ne diraient pas déjà ? L'échange épistolaire sur papier diffère surtout par les enjeux de la réception. C’est autre chose de découvrir dans sa boîte aux lettres une belle enveloppe décorée par mon précieux ami JMD, de la couper sans l'abîmer, de déplier devant soi ce ou ces rectangles qui murmurent fragiles entre les doigts ; c'est autre chose, cette irruption d'objet, que de voir s'afficher un début de message sur un écran.
J'ai l'impression qu'écrire une lettre sur papier est une demande d'exigence envoyée au destinataire. Quelque chose comme un pacte, qui n'est possible qu'entre personnes puissantes.