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Ecrire - Page 8

  • 2981

    Un journal local veut informer ses lecteurs sur les relations auteurs-éditeurs, et je lis, concernant les écrivains de ma région (je résume) : « Certains auteurs préfèrent une meilleure diffusion et choisissent un grand éditeur. » Ils préfèrent... Ce n'est pas qu'aucun éditeur ne veut de leur bouse, c'est seulement qu'ils "préfèrent". Donc, tu ponds ton roman, tu téléphones à Gallimard (ou au Réalgar, par exemple): « Bon, maintenant, j'en ai marre de diffuser mes plaquettes auprès de ma famille et de mes amis, alors, je vous envoie mon manuscrit. Démerdez-vous, faites-moi ça bien et envoyez-le dans tout le pays, OK ? »
    Je vous conseille de pratiquer comme ça. Surtout, après, vous me dites comment vous avez été reçus.

  • 2980

    Écrire, quel bonheur. Ne plus écrire, quel soulagement. Entre les deux, une sorte d'enfer.

  • 2947

    « Mirvel, aconte mun pèr, fut ville médite. Qunq temps, heul'soil vint pu dssu là, ne radia les genss, claira les arbes nonque. Rin ! C'tait grand jour beute tot' virait de noc. C'tait laube beute tot' de bscur and'froid. Els asters seu Mirvel cantaient des voix heud'glass. Els hums épeurés arcquaient dssou, san rin sachant. Al'meur l'vait sun mur de noc, tot' de beau, tot' de nar gercé d'asters. Même de feu qu'duns fesaient, que tassaient tant de boud'arbes, tant de feu ne clarait qu'seu deux marches. Heul'rest 'tait tot' de glass and'noc. Car l'meur montait dssou terr vec heud'gémissans, and'épeur glassait l'sang. Al'meur fesait de noc tote al'terr. C't'un temps que tomuche de vies pu d'beaut n'était. Heul'beaut'est dans l'rare. » Les changeurs méditaient. Il y eut donc un temps où l'humanité fut si nombreuse que la vie n'en eut plus de valeur. Et qu'on put se permettre de gaspiller les existences. Les anciens avaient été généreux de la mort des autres. « L'viet monde, c't'ainsi, de beauté, heud'vie, heud'mour, nonque. » Ils avaient la chance d'être nés dans un monde où la vie comptait.

     

    Cryptes (titre provisoire). Prochain roman à paraître chez Mnémos. En cours d'écriture. (va encore être facile à vendre, çui-là, tiens).

  • "Un jour, je serai un bel idiot heureux et je n'écrirai plus."

    Alexandre Bergamini n'est pas un auteur dont on aborde l’œuvre dans l'insouciance, en se disant qu'on va passer un joli moment de détente entre une tarte aux fraises et la sieste qui suivra. Avec lui, c'est notre exigence (de citoyen, de lecteur, d'auteur) qui est convoquée. L'interview qui suit a été imaginée à partir d'une rencontre et des lectures de trois ouvrages seulement (dont l'un a été chroniqué ici), cités à répétition dans les questions. Votre serviteur ne saurait trop vous inviter à aller plus loin, comme il le fait lui-même.

    Grand merci à l'auteur pour sa patience et sa gentillesse.


     
    Kronix: Votre production alterne poèmes et textes en prose, parfois au sein du même livre, vers libres et prose se succèdent. Qu'est-ce que la poésie peut exprimer, qu'une autre forme littéraire ne peut pas ; qu'est-ce que la prose permet de dire que la poésie ne permet pas ?
     
    Alexandre Bergamini : La poésie me donne la liberté que je ne trouve pas dans la prose. Elle permet d'être, et de comprendre, sans se faire comprendre. Quand la prose implique le besoin et la nécessité de se faire comprendre et très rapidement. (Sinon votre lecteur vous a lâché au bout d'une page ou moins). Cette nécessité de compréhension est aliénante. J'aime la liberté elliptique de la poésie, sa force révélatrice du monde. Une compréhension tacite, imaginaire, sensible, laisse au lecteur la possibilité d'être non plus en face mais à côté, dans un sens qu'il croit identique et partagé. Vain certes, mais qui déplace le lecteur de mon côté. Frank Smith, un auteur que j'apprécie, m'a écrit « ce que vous dites jamais ne recouvre ou n’enferme, au contraire.» Il dit aussi que je ne demande pas au lecteur de faire comme moi mais « de faire avec moi ». Je trouve cela très juste. Le lecteur devra faire avec moi. Ou pas.  
    Je ne demande aucun pacte de croyance, comme on peut le demander (tacitement) pour une fiction. J'en parle dans Quelques roses sauvages : « Je préfère appeler le lecteur à la vigilance, contre mon propre livre et ses limites, contre moi-même, que de faire appel à sa crédulité, à son désir de crédulité. L’artifice littéraire n’est pas ce qui rapproche le plus de la vérité de l’expérience humaine ; pas dans le cas des massacres, des génocides et des pertes. Cela fait partie de la légende et du mythe de la littérature de laisser croire qu’elle se rapproche du vrai en annonçant et en utilisant le faux. Pour dire la vérité, il n’y a que la vérité, rien d’autre. La vérité avec sa violence, ses manques et ses traces. »
    J'essaye d'être à ma place, avec ce que je suis. Je ne parle à la place de personne. Je ne propose donc pas un pacte de croyance, mais un pacte de présence. Et la poésie accorde une forme de présence immédiate et brute, un peu folle, directement reliée à soi-même, qui passe par la langue mais au-delà du langage. La poésie n'est pas un jeu de langage scolaire. Elle est l'expression pure de la vie avant même la venue du langage. Elle me permet de me connecter rapidement à mes sensations, à mes émotions, avec ce que je suis quand je ne suis pas défini, lorsque je ne suis rien à mes propres yeux (la plupart du temps). J'espère qu'il en est de même pour le lecteur. Je le pense. Je l'espère encore.  
     
    K : Cargo Mélancolie, un voyage sous des latitudes froides puis brûlantes. Il faut vivre ainsi, se confronter aux extrêmes ?  
     
    A. B. : Froides puis brûlantes puis polaires (qui associent le froid et la brûlure). Dans les pays brûlants se sont dévoilés des rapports économiques glaçants, et dans le froid polaire, les retrouvailles et la chaleur du frère perdu. C'est comme cela que tout a commencé, en vrai, dans la vie. Ce que j'écris n'est jamais loin de ce que je vis. Ayant une vie intérieure intense, et à fleur de peau, le moindre événement anodin -en apparence- a de multiples répercutions. Donc imaginez le suicide d'un frère, un père tyrannique et une maladie qui frappe...  
    Mais je suis écrivain et non romancier. J'ai donc -peut-être- devant moi quelques livres à écrire. Une dizaine, guère plus. Étant séropositif, le temps m'est compté. Cela me va parfaitement. Je suis déjà un survivant. Je n'ai aucun problème avec mon temps de vie. Je n'ai qu'un problème d'espace. Où vivre alors que tout espace me convient? Pourquoi suis-je ici alors que je pourrais vivre là-bas ? Nue India parle de cela je crois aussi. Il faut être en soi-même, partout. Parce que nous ne sommes nulle part chez nous.  
    Conjuguer la chaleur humaine dans les extrêmes me ressemble. J'aime les livres à la fois glaciaux et brûlants. Distants et très intimes (sans être familiers). Verticaux et profonds. Le grand froid vous brûle, vous consume. C'est un paradoxe. Mais la vie est comme cela pour tous, non? Nous désirons aimer la vie et nous faisons face à la mort, nous désirons avec tant d'ardeur l'amour et nous rencontrons la perte. Et si nous voulons nous protéger de la mort et de la perte, de la vie et de l'amour, et bien nous n'aurons rien. Absolument rien. Ce sont des forces qui ne sont pas opposées mais complémentaires, qui fonctionnent en ogive. Forces dont nous tirons notre survie. Puisque nous sommes tous des survivants de notre propre vie, n'est ce pas ?  
     
    K : Sang damné est hanté par le suicide de votre frère et cet événement est aussi à l'amorce de Quelques roses sauvages. S'ajoute dans les deux cas un règlement de compte avec la figure de votre père. La colère semble être un excellent carburant de l'écriture chez vous (et peut-être aussi chez les auteurs que vous aimez ?)
     
    A. B. : Au-delà de la colère, il y a un sentiment de perte et d'absence qui est une source plus profonde de l'écriture. Mon frère et sa disparition sous-tendent tous mes livres.  
    Il y a des choses irrésolues et qui le resteront. Mon père a une responsabilité dans la mort de mon frère, responsabilité qu'il nie. Son déni violent est une violence faite au frère suicidé.  
    Le monde est violent. La vie aussi. Il faut de l'énergie pour écrire. La colère et l'injustice sont un formidable mélange d'énergies.
    J'écris sans doute pour que plus personne ne meurt sous mes yeux.
    Une illusion fondamentale.
     
    K : Où situeriez-vous Sang Damné ? On a parfois affaire à une vision documentaire (et nécessaire). Pourquoi ne nommez-vous pas les responsables politiques de l'affaire du sang contaminé ?
     
    A. B. : C'est ce qu'on appelle un récit documenté. Mélange de récit intime et de documents réels. Rapport entre l'intime et le politique qui nourrit mon travail et ma vie, en strates d'écriture, en couches verticales... Le politique au cœur de notre sexualité. La cité au cœur de l'intime. Dans Quelques rose sauvages il s'agit de l'inverse, comment notre histoire personnelle et intime présente, est déjà inscrite -en réalité- au cœur de la grande Histoire passée, sans que nous le sachions, sans que nous en ayons conscience.  
    Sang Damné est un livre où j'ai pris le lecteur pour un punching-ball. Dans son coin, je ne lui laisse que peu de temps de répit. Et quand il pense qu'il peut s'en tirer, je le coince dans les cordes. Je voulais qu'il se sente cerné, de tous côtés. Ce que nous sommes en réalité.  
    Les responsables politiques sont tous là. Tous indirectement décrits et reconnaissables. Je ne voulais pas, étant moi-même séropositif, que l'on me reproche une quelconque bataille d'égo avec des noms cités, tous responsables. Des personnes qui me font penser à Eichmann. Et nous (l'éditeur et moi) voulions éviter des procès en diffamation trop faciles. Le livre a été relu 3 fois par des avocats. Je décris un système. Comme le système nazi, où chacun est le maillon plus ou moins conscient d'une chaîne destructrice mais dont il se veut irresponsable et surtout déresponsabilisé. Je fais un lien entre ce système administratif et économique du sang contaminé et le processus de la contamination du sida en France (et dans le monde) qui ont amené au désastre que nous connaissons. Depuis nous comprenons mieux les enjeux des laboratoires. J'espère y avoir contribué...
    J'ai proposé dans un blog une analyse complète de l'affaire du sang contaminé. La seule analyse effectuée du début jusqu'à la fin, sur plus de vingt cinq ans de cette affaire d'Etat. Certains journalistes s'en servent toujours...  
    Je vous invite à le visiter. (Cliquer sur le lien. NdK : ) http://sangdamne-alexandrebergamini.blogspot.fr/
     
    K : Dans Quelques roses sauvages, notamment, (mais c'est aussi abordé dans Sang damné), vous posez le constat d'une société de consommation dévorante, de son goût pour l'accumulation industrielle, le nombre, la massification des hommes et des bêtes, la chosification des êtres, et tout cela, si je vous ai bien lu, découlerait en partie de la logique des camps de la mort. Nous en sommes là ?
     
    A. B. : Oui sans aucun doute. Nous sommes des poulets en batterie. (Nous-mêmes écrivains sommes les esclaves les plus pauvres de l'Economie du livre). La planète entière est devenue un immense camp. Qui aujourd'hui peut nier l'état d'exploitation de l'humanité à l'échelle de la planète ? Ceux qui veulent avoir toujours raison contre le réel ? Il suffit de bien ouvrir les yeux, de bien se nettoyer les oreilles.
     
    K : Vous avez été comédien de théâtre. Vous avez confié un jour que vous aviez arrêté cette « carrière »*, parce que vous vous étiez rendu compte que l'état de grâce dans lequel vous étiez allait disparaître. Vous êtes-vous imaginé qu'il pourrait en être de même pour l'écriture, un jour ?
     
    A. B. : L'état de Grâce avait disparu et le désir du Théâtre s'est arrêté. C'est gentil de supposer que je puisse être dans un état de grâce en écrivant, ce qui n'est pas du tout le cas. Je travaille et je me bats. Je ne suis pas carriériste, ni stratège, ni virtuose. La fleur du secret de Zéami, la grâce du moment, n'existe pas en littérature pour moi. Écrire est un long chemin et un écrivain arrive à maturité après un certain nombre de livres, non ? Pas de grâce, mais du travail d'écriture en ce qui me concerne. Et un chemin difficile. Cette difficulté que je reconnais comme chemin. Peut-être Autopsie du sauvage échappe à cela par ses maladresses. Mais je ne parlerai pas de Grâce mais d'urgence, de souffle, de brûlure...
    J'écris, je passe mon temps de présence au monde à écrire, je ne fais rien d'autre de ma vie. C'est un choix et un combat permanent. Je fais partie des boxeurs plutôt que des acrobates. Les moments où je n'écris pas, je continue de vouloir écrire ou de penser à l'écriture ou de penser à détruire cette langue de la nation qui m'empêche d'écrire et à détruire toute une partie de la littérature que je trouve prétentieuse, inconsistante et qui se répand.  
    J'aime la littérature si elle est vitale. Si elle est capable de me sauver de moi-même. Sang damné a sauvé une vie au moins, je le sais, j'ai rencontré celui qu'il a sauvé.
     
    Nous sommes vivants, parce que nous sommes fragiles. Nous sommes vulnérables parce que nous sommes en vie. Écrire est une nécessité qui me tient le nez au vent et me remplit de vitalité. Le combat n'est pas encore fini. J'arrêterai avec plaisir lorsque je serai tout à fait heureux. Vaincu ou vainqueur. Je me suis fait cette promesse : Un jour, je serai un bel idiot heureux et je n'écrirai plus.

     

    (* J'aurais dû parler de parcours. Ah, les mots et leurs pièges !)

  • 2943

    "L'enfant avait marché dans la poussière au milieu d'un vaste désert rouge. Il avait croisé des gens qui ne lui parlaient pas, tous étaient couverts de poussière. Tellement couverts de poussière qu'ils semblaient des statues en marche. Marche lente, un pas, puis un autre. Ils semblaient avoir marché depuis un autre temps, depuis d'autres générations, une préhistoire commencée avant l'horizon. Ils étaient nombreux, avançaient par petits groupes dispersés. L'enfant en avait croisés tellement et depuis si longtemps qu'il n'y prêtait plus attention. La nuit ne tombait pas et ça n'étonnait pas l'enfant parce qu'avant d'arriver dans ce grand désert rouge, quand il était encore dans son pays, il s'endormait avant que la nuit tombe et il s'éveillait quand le soleil était déjà haut. Alors, il n'avait toujours connu que le jour. Ceux qu'il croisait venaient de la nuit, il le sentait bien. Il le voyait dans leurs regards. Au milieu de leur visage de latérite, leurs yeux ressemblaient à des galets noirs qui brillent. Brillent de fatigue et d'épouvante. Un jour – mais « un jour » ne veut rien dire ici – un enfant de son âge s'arrêta. Ses yeux de galets noirs fixés sur les siens. « D'où viens-tu ? » dit l'enfant couvert de poussière. L'enfant lui montra la direction de l'horizon, là d'où il venait. Et l'enfant rouge aux yeux noirs reprit sa route sans un mot, il allait dans la direction indiquée par l'enfant. L'enfant le vit s'éloigner. Il savait qu'ils ne se reverraient plus. Ce n'était pas grave et pourtant, cette image de l'enfant, de dos, maigre et couvert de poussière, qui reprenait sa marche obstinée, l'emplit d'une tristesse insupportable. Alors, l'enfant tourna les talons, se joignit à l'interminable colonne des voyageurs et marcha comme eux, à pas lents. La poussière soulevée le recouvrit. Il y avait un voile obscur au dessus du paysage, posé sur l'horizon."

     

    Minotaure (extrait).

    Cette pièce qui ne sera peut-être jamais jouée.

  • Les Nefs de Pangée - Critique

    Une de plus, et figurez-vous que je ne m'en lasse pas. Quand on a un égo plus ou moins en miettes, que l'on quête constamment l'intérêt (sinon l'amour) des autres, on ne néglige aucun message positif. On voit là que j'ai toujours peur de ne pas paraître légitime, rien à faire, ça ne passe pas. Alors, l'accumulation d'éloges est un moyen comme un autre d'épaissir l'armure. Et puis, je pense aux heures passées sur ce livre, au manque de sommeil, aux derniers mois d'écriture, aux tensions avec mon éditrice, ma chère Stéphanie, à ma douce qui s'inquiétait et s'épuisait à me rassurer. Quand je pense à ce que ce roman m'a coûté d'énergie et de travail, merde, je me dis que j'ai bien le droit de récolter les louanges, et puis, personne n'est obligé de lire les articles en lien, non plus. (Pourquoi est-ce que je me défends comme ça ?)

    "Magistral, un monument ! " titre ce joli billet. Merci à Choin de Senscritique.

  • 2935

    Et donc, c'est officiel : La Grande Sauvage sortira en janvier chez Phébus. Cependant, le roman ne gardera probablement pas ce titre. On cherche.

  • 2926

    Encore une sélection pour Les Nefs de Pangée. Cette fois, dans un prix donné par les blogueurs, qui ont été un soutien essentiel pour la reconnaissance de ce livre. La presse générale n'ayant pas levé un sourcil à la parution d'un roman de genre, considéré comme insignifiant, je suppose. Prix ou pas (le lauréat sera désigné en octobre, pendant les Utopiales) j'en profite pour remercier tous les blogs qui m'ont soutenu.

    Quatre finalistes, là encore des confrères de haut niveau, c'est le prix Planète Sf 2016.

  • 2924

    C'est quoi, une chanson populaire ? (un aperçu du travail en cours sur Portrait de Mémoire(s)")

    Après un de nos rendez-vous les plus touchants, celui où les mots de la vieille dame que nous avons rencontrée nous laissent deviner la fatalité d'un destin, nous nous retrouvons chez moi pour faire le point sur la suite. Le monologue de notre ancienne ouvrière, seule dans sa maison abîmée, nous revient. C'est typiquement un récit qu'une Berthe Sylva, une Piaf ou une Damia auraient interprété. La jeune femme tabassée par la vie, que les événements entraînent sur une voie non choisie. Des chansons de cette veine (en plus tragique tout de même) sont restées dans les mémoires. De petits contes affreusement tristes, des mélos insupportables aux couplets déprimants : « En haut d'la rue Saint-Vincent... », « Elle habitait la butte Montmartre... », « Moi j'essuie les verres... » Je cite Les Roses blanches, à cause d'un roman de Gil Jouanard que je viens de lire et qui s'achève par cette chanson célèbre. Le dernier couplet de cette histoire accablante est tellement tragique qu'il produit un effet comique, à voir les moyens mis en œuvre pour tirer les larmes des auditeurs.
    Nous entrons aujourd'hui, en ce 19 juin 2016, dans une phase où se pose la question concrète de la forme de nos chansons. Nous convenons que chacune pourrait être une sorte de nouvelle, pas forcément attachée à une personne, mais un précipité des ambiances et détails que nous avons captés. Il faut échapper à la vision sociale trop manifeste, au « détail qui tue ». Dans nos créations précédentes, essentiellement écrites pour la scène, nous sommes d'une résolue modernité, nous avons souvent frisé le conceptuel le plus hermétique. Je ne peux pas écrire un petit mélo ou une historiette sentimentale. Il me semble que chaque mot regimberait, qu'il me faudrait maîtriser un rodéo de phrases révoltées. Pareillement, Jérôme ne se voit pas en train d'écrire une rengaine à la Vincent Scotto. Marc a le même souci avec les photos qu'il prend. Que ce ne soit pas un énième témoignage documentaire sur le passé industriel et les pauv'zouvriers qu'on tant souffert.
    Bref, c'est quoi, une chanson populaire aujourd'hui ?
    En fait, au terme d'un échange amusé et riche, nous concluons (provisoirement) qu'il nous faut être modestes. Les textes seront simples, la musique mélodique pour être facile à retenir et les images s'attacheront à évoquer la vérité d'une personne. Nous allons tenter de formuler l'impression que nous laisse chaque témoin rencontré, sans tomber dans le cliché. Nous inscrire dans une tradition sans la ressasser. Réinventer le récit chanté des vies minuscules. Nous serons des funambules, marchant entre le précipice de l'extrême modernité et celui du pastiche rétro. Difficile, et passionnant.

  • 2923

    Je trouve en lien, pour les amateurs, la captation de notre rencontre, Aurélien Delsaux et moi, lors de La Fabrique de l'écrivain, en mars dernier, à la Bibliothèque de La Part-Dieu, à Lyon, organisée par l'ARALD et animée par l'excellente Danielle Maurel. Pas loin d'une heure trente de dialogue. Aurélien y dit des choses très belles sur le roman comme genre démocratique.

     

  • 2907

    Le romancier se frotta les mains. Il venait d'inventer un détail qui ne s'invente pas.

  • 2900

    Comme le laissait présager son silence de plus d'une semaine, ce blog ne reprendra sans doute pas son rythme quotidien. Je me vantais il y a peu, auprès d'amies venues à une dédicace, de ma discipline de fer, de la nécessité d'une écriture quotidienne. Dès le lendemain, Kronix était suspendu. Mise en œuvre effective d'une réflexion initiée ici. Ce bref abandon a deux raisons, au moins : une panne d'ordinateur et le retour de mon éditeur à propos de La Grande Sauvage, qui me lance dans une énième révision du manuscrit. Non pas que ses remarques me contraignent à beaucoup de corrections et modifications, j'en veux pour preuve ce résumé de ces commentaires (je n'ai supprimé que des détails qui dévoileraient des aspects de l'intrigue) : « encore plus que dans mon souvenir (c'est dire), j'ai été séduit par la singularité thématique de ta première partie, la puissance lyrique de la seconde, et la tragique violence de la troisième. Le personnage de Martin est complexe, et son évolution, bien qu'originale, reste toujours vraisemblable aux yeux du lecteur. Tu es parvenu à tirer la substantifique moelle de ton énorme documentation sans nuire au récit. C'est dire que ces commentaires ne te seront malheureusement, j'en ai peur, que de peu d'utilité. Que te dire ? Que te dire ? » suit tout de même une remarque d'importance sur un chapitre dont nous sommes convenus qu'il était trop long, avant cette conclusion : « Voilà. Je suis vraiment navré de t'avoir fait patienter autant pour si peu de commentaires. Mais, il me semble que l'éditeur doit, comme le médecin, avant tout veiller à ne pas nuire à l'ouvrage réalisé. Et le tien est d'une grande valeur ! Qu'y pourrais-je améliorer ? »
    Vous pouvez croire que ça me rassure. En fait, je suis plongé depuis dans une réécriture maladive de chaque phrase. Paradoxe. La peur de décevoir, sûrement.

  • 2899

    Ce soir à 19h., nous pouvons, si vous le voulez bien, nous retrouver à la bibliothèque de Servoz pour mon avant-dernière rencontre autour de L'Affaire des Vivants, coup de cœur Lettres-Frontière 2016. La soirée est organisée conjointement par les bibliothèques de Servoz et Les Houches.
    L'entrée est libre, comme les propos, les questions, et les réponses aux questions.
    Bientôt, s'achèvera ce cycle heureux qui m'a lancé sur les rails à la rencontre d'amis inconnus. Tout cela trouvera sa vraie conclusion en novembre, à Thonon, où, avec Xochitl Borel, lauréate pour le côté suisse, nous remettrons les prix à nos successeurs. Le relais sera passé, nous regagnerons nos cabinets de travail, la solitude de l'écrit que nous avons ponctuellement laissée au profit des contacts et des sourires, des accueils bienveillants, partout où nous étions. Quand on met bout à bout nos phrases dans la double intention d'écrire le meilleur live possible et de délivrer ce qui l'exige en nous, nous ne pouvons imaginer les prolongements contenus dans chacun de nos mots. Nous ignorons que chaque paragraphe nous rapproche de vous. C'est une belle conclusion, c'est une belle surprise. Prochain et dernier rendez-vous de la tournée Lettres-Frontière : le 16 juin, à Saint-Cergues.

  • 2896

    Ce soir, à Saint-Etienne, l'équipe de la médiathèque de la Cotonne m'invite pour évoquer "L'Affaire des Vivants" dans le cadre des rencontres organisées par Lettres-Frontière.

    Comme pour Thonon-les-Bains, il s'agira d'un retour sur les pas de mes premiers rendez-vous littéraires. C'était en 2010, pour "Le Baiser de la Nourrice."

    Là aussi, je viendrai avec quelques pages de "La Grande Sauvage" en avant-première. C'est à 19 heures, l'entrée est libre. On sera bien.

  • 2890

    Certains chantiers d'écriture apportent des questions inédites. En l'occurrence, une résidence d'auteur qui m'a été confiée pose comme principe que la chanson est le vecteur de mémoire le plus populaire et le plus pérenne qui soit. Il s'agit de dessiner, à l'aide de vraies chansons faciles à mémoriser, les portraits de personnes rencontrées. Des artisans, des ouvriers, des ingénieurs, tous témoins d'un passé industriel révolu. Et la question cruciale qui se pose à Jérôme Bodon-Clair, le compositeur, et à moi, devient : Qu'est-ce qu'une chanson classique créée aujourd'hui ?

     

    C'est le projet "Portraits de Mémoire(s)" dont le site dédié sera en ligne pour l'été. A suivre.

  • 2884

    A Thonon-les-Bains, l'autre jour, je revenais. Six ans écoulés ou presque depuis ma première venue en médiathèque, ici, à l'occasion de la sélection Lettres-Frontière du Baiser de la Nourrice. Sur un présentoir, mes livres disponibles pour les adhérents de la bibliothèque. Logiquement, il y a un exemplaire du Baiser. Il est dédicacé. La dédicace date de mon premier passage, en 2010 donc. Je souris : un dessin représentant un milicien dans la brume est accompagné de quelques mots souhaitant « bon courage » au lecteur qui s'aventurerait à emprunter ce roman. Je pensais sincèrement qu'il en fallait, du courage, pour affronter 150 pages d'angoisse et d'étouffement. Je sais dans quel état d'esprit j'ai écrit ces mots. Un goût pour la dérision, une distance par rapport au merveilleux moment que je vivais. J'espérais bien sûr que suivraient d'autres parutions, mais je cherchais à me convaincre que mon aventure éditoriale s'arrêterait là. Il ne fallait surtout pas que je me prenne au sérieux, que je me mette à « y » croire. Alors, « bon courage », oui, rions ensemble, je ne suis pas vraiment un écrivain vous savez, pas plus que Simon Jérémi n'est vraiment acteur, tout cela n'a pas d'importance, je n'y crois pas moi-même, je fais semblant, nous faisons semblant n'est-ce pas ? (tandis qu'intérieurement : j'y mets ma vie ! ne me regardez pas mais je tremble, ne m'écoutez pas mais je hurle). Retrouver cette dédicace m'a fait penser à une chose : il m'arrive encore de dédier un livre en ajoutant « bon courage » ou une formule qui sous-entend que tout ça est risible. Ce qui signifie au fond que je me dénie le droit de me considérer comme écrivain. Je ne sais quel franchissement permettrait de m'accepter. Et si ce franchissement, cette acceptation, est un enjeu ou pas.

  • 2878

    Réservé aux connaisseurs :

    "J'ai frissonné involontairement. Malika a saisi ma main. Elle me fixe, l'air grave. Elle a cru à un spasme de douleur ; je lui souris. « Tout va bien. Je vais essayer de dormir. » Elle libère ma main, me retient par son regard insistant, pas convaincue. « Je t'assure. Tu devrais te reposer, toi aussi. » Apaisée, elle glisse sur la banquette et se colle à la vitre du ferrail, tente de l'essuyer pour contempler le paysage. Le verre est opacifié de projections de créosote et de pluie sale, mais on devine à travers ce filtre, se détachant sur la plaine comme des aiguilles de quartz qui brodent les nuages, l'éclat cristallin des flèches du mausolée de Movorin. L'air me manque soudain. Je dois me calmer. Prochain arrêt, Sargonne."

     

    Extrait de "Cryptes". Roman en cours d'écriture.

  • 2842

    La Grande Sauvage est entre les mains de mon éditeur. Il ne pourra vraiment s'occuper de mon manuscrit que le mois prochain et je ne saurai probablement rien avant mi-avril. Les recherches sur ce roman m'ont fait renouer avec la pratique ancienne du carnet de notes, des croquis de voyages. C'est ainsi que j'ai visité le hameau de la reine, à Versailles, sur les pas de mon personnage, Martin. Textures, dimensions, précision des circulations... j'avais une liste de points qu'il me fallait vérifier. Et puis il y eut des découvertes, comme ce "potager" meuble mystérieux jusque là, dont je voyais enfin un exemple concret dans les sous-sols du petit Trianon, et qui aura une certaine importance dans le récit.

    Croquis_Ferme.jpgCroquis_Ferme2.jpgCroquis_Potager.jpg

  • 2833

    Ce soir, à 19h30, j'ai le bonheur de poursuivre les rencontres organisées par Lettres-Frontière, aux côtés de l'équipe de la médiathèque d'Arenthon.
    Le lendemain, je file à Paris pour le Salon du Livre où vous pourrez passer me dire bonjour dimanche, entre 11 heures et 15 heures. Pensez à moi, parce qu'alors, j'aurai livré ma copie à mon éditeur. La Grande Sauvage débutera ainsi son périple éditorial avec deux mois d'avance sur l'échéance que je m'étais fixée, et quatre mois d'avance sur celle qui figure sur le contrat. On m'a laissé entendre que c'était rare, dans le milieu.
    Grâce aux lectures des amis, grâce à ma douce pour ces ultimes journées, le manuscrit que je donne à lire a été sévèrement amendé, retravaillé, peaufiné jusqu'à la dernière minute. Il y aura sûrement encore des aménagements (j'ai encouragé mon éditeur à être impitoyable), mais je suis confiant. C'est un moment étrange, ce passage de relais, quand l'auteur pose devant son éditeur (et ami) une pile de papier, trace résiduelle de l'entreprise entamée - disent mes premières notes - en juillet 2014.
    Il sera justement question de ce chantier d'écriture et plus généralement de la manière dont un écrivain « fabrique » son roman, le 24 mars à la bibliothèque de La Part-Dieu, à Lyon, en compagnie d'Aurélien Delsaux. Je reparlerai bientôt de ce « dialogue sur les coulisses de l'écriture » que j'attends avec impatience (et pas mal de stress.)

  • Les rencontres de mars

    Le mois de mars, et surtout les jours qui viennent, sont assez chargés, pour moi. Je me permets ici une petite synthèse. J'en profiterai pour évoquer l'actualité d'un autre écrivain, à propos d'un livre majeur, puissant, dont je vous parlerai plus longuement bientôt.

    Vendredi 18 mars à 19h 30, je suis accueilli à la médiathèque d'Arenthon (joyeuse équipe, à ce qui m'a semblé lors de premiers contacts) das le cadre de Lettres-Frontière, pour évoquer surtout L'Affaire des Vivants, coup de cœur pour la sélection française cette année. On m'a parlé d'un jeu… Je ne suis pas inquiet, je sais qu'on va aborder les choses avec légèreté. C'est bien.

    Le Week-end qui vient est celui du Salon du Livre de Paris. Dimanche 20 mars, par exemple, n'hésitez pas à rendre une petite visite sur le stand des Indés de l'Imaginaire (Mnémos, ActuSf, Moutons électriques) où de nombreux auteurs seront présents pour signer leurs ouvrages. Pourquoi dimanche ? Eh bien, ce jour m'intéresse particulièrement parce que c'est celui de ma participation (à votre vais, de qui on parle, sur Kronix?). Je serai là, entre 10 heures et 15 heures. Je signe et je fais des petits dessins sur la page de garde. Si, si.

    Jeudi 24 mars, retour dans la région occupée par les troupes de Wauquiez. Une rencontre que j'attends avec impatience. Aurélien Delsaux et moi avons été les heureux bénéficiaires d'une bourse d'écriture DRAC + Région. Cette aide est allouée après l'étude d'un dossier, c'est-à-dire, pour un projet de livre. Celui d'Aurélien, Sangliers, et le mien, La Grande Sauvage, approchent de leur conclusion. Ce rendez-vous organisé par l'ARALD est le second d'un cycle intitulé La Fabrique de l'écrivain. Il s'agira pour nous, avec l'aide de Danielle Maurel,  de tenter de décrire le processus qui aboutit à un livre (roman en ce qui nous concerne). C'est un exercice difficile, parce que chaque roman est un prototype, que les engouements ou résolutions initiales connaissent des détours et des renoncements, c'est difficile parce que c'est intime. Disons que d'essayer de jeter de la clarté sur ces longs et mystérieux moments nous apportera sans doute beaucoup, à Aurélien et moi. Ensuite, j'espère que de remuer ce magma indécis apportera aussi à notre auditoire. Ce sera à partir de 18h30, à l'amphithéâtre, Bibliothèque de la Part-Dieu (30 boulevard Vivier-Merle, 69003 Lyon) La pression, croyez-moi. Je prends ça très au sérieux.

    Ensuite, une actualité qui ne me concerne qu'indirectement, puisqu'elle est celle d'un ami très cher et d'un auteur remarquable. Daniel Arsand sera le 26 mars de 9 heures à 12 heures, à la librairie Ballansat, à Renaison (Loire), pour dédicacer son dernier ouvrage : Je suis en vie et tu ne m'entends pas paru chez Actes Sud. Un roman incroyable, dévastateur, implacable, qui raconte le retour d'un jeune allemand du camp de Buchenwald, où il a passé quatre ans, pour la simple raison qu'il est homosexuel. Arsand nous rappelle qu'en 1990, lors d'une cérémonie du souvenir en France, on repoussa des homosexuels venus inscrire leur mémoire dans le cortège des autres douleurs, au cri de « Au four les pédés ! ». Je vous parlerai bientôt de ce roman formidable, enragé, et je vous conseille dores et déjà de le lire. Je suis surpris et un peu atterré du peu d'écho qu'il rencontre, malgré son intérêt. Pour information, Daniel Arsand sera également accueilli à La Grande Ourse à Dieppe, le 8 avril, et à la librairie Ombres blanches à Toulouse, le 13 avril. Je me fais fort de le recevoir dans l'année à la libraire de ma petite ville d'adoption, Charlieu.

    Le mois d'avril est aussi très chargé pour moi ; Kronix vous en dira plus dans une semaine.