Le titre d'un roman est un enjeu véritable. C'est une alchimie complexe, cela doit sonner, dire (ou malicieusement refuser de dire) ce que sera le livre, donner la couleur, l'atmosphère générale. Il doit intriguer le lecteur qui n'a pas encore lu, hanter la lecture en cours (le lecteur est bien en train de lire un livre qui porte ce titre) et, le roman achevé, confirmer que c'est bien le livre dont le titre a séduit, que le lecteur referme.
Souvent, il s'impose avec netteté à l'amorce des réflexions, ou complète l'élan de l'écriture. Parfois, il semble une notion qui échappe, un rêve dont on ne parvient pas à clarifier le souvenir. C'est alors une pénible quête. Parfois encore, le titre initial, que l'auteur lui-même a trouvé excellent, qui a accompagné des années de chantier d'écriture, s'avère ne plus correspondre avec la réalité du roman terminé. Car l'écriture peut vous entraîner, sinon ailleurs, parfois vers un décalage par rapport au projet initial. Dans mon parcours, j'ai connu trois changements de titres.
Le premier, parce que celui que j'avais choisi, avec lequel j'avais vécu pendant des années, fut, à quelques mois de sa sortie, rendu caduc par l'avènement d'un autre roman, dans le même genre, portant ce titre-là. C'était « A la droite du Diable » et je fus très heureux de trouver à cause de cette coïncidence, un titre bien meilleur (plus juste relativement au livre) : « Mausolées ».
Le second a posé d'autre problèmes. Pendant les trois années de sa fabrication, il était de ceux qui échappent. On lui trouvait des formes approchantes, on cherchait trop loin, pas assez loin, on paniquait, rien ne convenait. C'était « L'Affaire des Vivants », qui passa par toutes sortes de couleurs et d'approches avant de se voir attribuer, enfin, un nom convaincant. Dans ce cas, la difficulté de voir s'imposer un titre légitime venait du fait qu'il m'était impossible de comprendre clairement de quoi j'avais bien voulu parler, quel était le sujet de ce fichu roman. Ici, c'est le titre qui a en quelque sorte donné la clé, qui a éclairé l'essence du roman. Phénomène étrange.
La dernière occurrence est celle du prochain roman à paraître chez Phébus, en janvier 2017. A l'origine, je voulais écrire un roman brutal et radical, onirique, vaguement cauchemardesque, bizarre, sur la Révolution française. J'avais alors été très marqué par la lente dérive sanglante et sordide du roman de Cormac McCarthy, « Méridien de sang », et j'imaginais un livre de cette veine. Il était juste alors que ce roman s'intitule : « La Grande Sauvage ». Or le roman prenant sa propre tonalité, l'étude de la période m'apportant un nouveau regard, le récit a pris une autre ampleur, une autre direction. Le titre ne convenait plus. Mon éditeur m'a proposé qu'on y réfléchisse. Après quelques échanges, nous sommes tombés d'accord hier sur un nouveau titre, plus adapté. Je vous confie ici en avant-première cette idée nouvelle, avec cet avertissement : le titre est en ce moment en cours de test au sein de la maison d'édition. Il n'est pas encore absolument confirmé. Tout de même, je vous le donne, ce qui aura valeur de test aussi. Que penseriez-vous d'un roman intitulé : « Sa Majesté le peuple » ?