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Livres - Page 11

  • 2780

    Jour de Congé
    Christian Degoutte
    Thoba's éditions.

    degoutte.jpgUne femme, qu'on imagine jeune (« tendre cycliste, juste vêtue des particules de la vitesse … les cuisses … dans le fourreau d'abeilles de la lumière ») profite d'un jour de congé pour se promener en vélo, « sous un soleil massif ». On suppose un été dans le sud de la France, Tarn, Ardèche ou canal du Midi... la jeune cycliste traverse le paysage. Sous la lumière, sa robe oscille entre le vert et le bleu. On est à son rythme, elle prend des photos, cueille l'eau d'une cascade entre ses paumes, s'attarde sur les insectes qui sont autant de petits dieux, fait une sieste dans l'herbe, s'attable au hasard et mord dans une pizza « grande comme sa figure », s'étend au bord d'un lac pour goûter « cette presqu'île du temps qui s'étire sous l'herbe souple », longe un canal, sa course est alors une corde fine « c'est du Bach au clavecin ». Elle va ainsi « à peine plus audible qu'une abeille chargée de pollen », jusqu'au soir où elle rêvera, accoudée à son balcon au dessus de la nuit citadine, revivant le souvenir de sa promenade. Le chemin, les enfants qui s'ébattaient dans la rivière au fond d'une gorge, les familles chargées de glacières qui s'installaient, les préparatifs d'une fête de village qui sonnaient dans l'air (« tubes d'acier ... gong sous les platanes »).  
    Comme souvent (toujours ?) chez Christian Degoutte, la vie est sensuelle, tout respire et tout bat, la chair est partout sous le soleil : « les mamelles de bruyère » ; « une fillette sur une balançoire, échevelée jusqu'au sexe » ; « les cailloux gardent mémoire de la sueur » ; « le temps est un animal qu'elle caresse contre sa cuisse » ; mais c'est comme ces vanités où la corruption guettait la rondeur charnue des fruits. La cycliste se sait minuscule, elle connaît la fragilité des choses, ou bien est-ce l'auteur qui ne peut s'empêcher de la lui rappeler ? Il sait, lui, que sa belle photo prise au dessus d'un ravin, est ratée, que les roues sont passées innocentes, « entre les larves qui boulangent la terre » ; que « la graine qui a élu le bord du ravin » est devenue un pin tordu ; que le vent n'a pas plus de visage que « le bassin de couleurs » d'un écran de télévision ; et que les idées qui naissent pendant la promenade ne changent rien à la prétention de vivre : « comme si penser lentement allongeait la vie » !
    Le texte de Christian Degoutte est accompagné, dans cette belle édition à l'italienne, des œuvres de Jean-Marc Dublé. L'artiste a choisi le mode étonnant du « mail-art » pour apporter ses couleurs au poème. La lecture est rythmée par les reproductions d'enveloppes peintes envoyées à des amis. Echo chaleureux des lettres de vacances, du voyage, du parcours, de toute une vie qui reste scellée dans le secret du papier. Jean-Marc Dublé a travaillé graphiquement les notions de boucles, de circuits, la succession cinétique des verticales, évocation de la déformation des éléments du paysage, autour de notre cycliste.
    Une réussite manifeste que je vous invite à découvrir. Christian Degoutte sera mon invité, avec Emmanuel Merle, à Gilly-sur-Isère, le 3 juin. Et je sais que Jean-Marc Dublé sera présent. Comme le monde est bon de produire infatigablement des êtres aussi précieux !

    « Ton seul chemin, c'est ton corps, dit-elle en tapant
    du pied sur le goudron, file ! En un rien de temps
    le vipéreau se mélange à l'herbe. »

  • 2779

    Quelques Roses sauvages
    Alexandre Bergamini
    chez arléa.


    arton987.jpgL'auteur doit sentir encore la présence de son ami défunt quand il marche dans Berlin, sur les dalles façonnées par les prisonniers des camps nazis, il a probablement encore en tête le suicide de son frère quand il entre dans le Musée du mémorial et se trouve face à une photographie étrange : deux jeunes rescapés des camps descendent un boulevard et fixent l'objectif en souriant. La légende précise la date : été 1945 ; l'origine du premier : juif hollandais ; le camp où il était prisonnier : Sachsenhausen, et les noms des deux amis dont il imagine aussitôt qu'ils sont homosexuels (étant homosexuel lui-même, sa vision est possiblement orientée). Oui, l'auteur est dans le deuil quand il amorce l'enquête que lui inspire le cliché. Aussi, le vide, la perte, le trou noir de la mort, soutiennent tout le récit d'Alexandre Bergamini, et expliquent peut-être qu'il était essentiel pour lui de l'écrire.
    A la fois échappée, bataille, enquête, rencontres (avec l'administration allemande, pas toujours amène, avec de jeunes couples allemands, avec un des hommes de la photo, par téléphone, qui ne dit rien, meurt quelques jours plus tard, et avec une vieille dame accablée par une faute qu'elle n'a pas commise), essai criblé de chiffres, d'anecdotes, de citations et de témoignages pour comprendre, comprendre, comprendre... Quelques roses sauvages mêle sans s'emmêler, les réflexions nées des rencontres, des confrontations avec les lieux, avec la mauvaise conscience d'une civilisation qui s'est condamnée là. On réalise que l'univers des camps de la mort, la logique qui les a fait naître, est en nous, désormais, que cette logique est parente de celle qui règle nos vies, le tourisme de masse, l'élevage de masse, l'industrie et l'asservissement des masses, la chosification des corps, la marchandisation de tout et de l'art. Ces thèmes universels s'ajoutent à la démarche intime de l'auteur. On notera d'ailleurs que l'un des hommes de la photo, sur les traces duquel il est lancé, est nommé par ses initiales : A. B., qui sont aussi les initiales de l'auteur, Alexandre Bergamini. Dès lors, questionnement personnel et recherche sur l'extermination dans les camps de la mort, sont inextricables. On côtoie dans sa démarche, le fils d'un père qui refuse toute responsabilité dans la mort de son autre fils, les enfants de bourreaux qui portent le poids de la culpabilité des pères, tout s'imbrique au fil des pages, sans que rien n'accouche d'une morale ou que la pédagogie de l'Histoire et des chiffres ne constituent les clés définitives qui permettent de la dépasser.
    L'enquête de l'auteur le mènera jusqu'à la fille du responsable du camp hollandais à partir duquel les juifs, homosexuels, résistants politiques, étaient envoyés dans les camps de la mort. Scène bouleversante où la compassion prend la place, où le répit est offert au lecteur, à la vieille dame qui ne retient plus ses pleurs, à l'auteur qui a ce pouvoir immense d'offrir sa sollicitude, parente du pardon.

    NB : au mois de mars, Actes Sud publiera un roman de Daniel Arsand sur un homosexuel survivant d'un camp de la mort. Son titre : Je suis en vie et tu ne m'entends pas. Je vous en parlerai, parce que je crois que c'est un coup de maître.

  • 2778

    Le Réalgar poursuit son travail obstiné d'édition de textes subtils, gracieux, étonnants. Kronix a déjà eu le plaisir d'évoquer plusieurs titres parus dans cette maison stéphanoise, tout entière portée par Daniel Damart, également galeriste dans la même ville. On doit à son goût pour la peinture cette importance de l'illustration, en couverture et à l'intérieur des livres. Je parle d'illustration par convention, car les œuvres choisies ne sont jamais serviles, à raconter le texte d'une autre manière ; nous voyons s'élaborer au fil des pages et des publications de véritables dialogues. Il arrive aussi que la peinture et/ou le peintre soit le sujet du texte. On l'a vu avec l'excellent Icecolor d'Emmanuel Ruben à partir du travail de Per Kirkeby, on en trouve encore un exemple avec l'une des dernières productions du Réalgar : La petite aquarelle de Bruno Duborgel, qui appuie son discours sur une œuvre de Zoran Music.
    couv-LPA-page001.jpgLa petite aquarelle du titre est un paysage rocheux peint sur un papier de format modeste. L'image semble une sorte de mosaïque ou de concrétion de prismes hétérogènes, enchâssés dans une gangue blanchâtre (on pressent que la reproduction d'une aquarelle aux teintes aussi délicates dans le livre ne peut être qu'une approximation, aussi scrupuleux puissent être le travail de l'imprimeur et la vigilance de l'éditeur). Duborgel ausculte ce dessin de la façon la plus précise, allant jusqu'à remarquer (et ne pas omettre de décrire), de minuscules trous d'épingle, détail à partir duquel il imagine une exposition prolongée à la lumière de l'atelier, qui explique un certain jaunissement du papier.
    Le paysage (ce mot que le peintre a « désenclavé de son usage étriqué ») choisi par l'auteur date de 1978, il fait partie d'une série intitulée également Paysages rocheux. Pour Duborgel, la petite aquarelle est le viatique de tous les départs pour l'appréhension d'une œuvre riche et puissante. Elle rejoue le parcours de l'artiste dans son art, son passage par l'abstraction dans laquelle il pense s'être fourvoyé un temps et son retour, après ce filtre, à une figuration débarrassée d'anecdotes ; elle dit aussi l'âpreté et la sécheresse de paysages de son enfance quand, entre 4 ou 5 ans, le petit Zoran traversait en train « les pentes et plateaux calcaires nus du Karst » ; le blanc du calcaire, la sécheresse lumineuse qui s'en dégage, évoque des amas de cadavres, dit quelque chose du « givre mortifère » qui nappait Dachau, le camp de l'horreur dont l'artiste est revenu ; même le format réduit de l'aquarelle (19X28 cm.) constitue un enjeu dans l'œuvre de Music : le recours fréquent à de petits formats affirme la nécessité de proposer une image « rassemblée, dépouillée » pour mieux ouvrir sur « des espaces d'interrogations fondamentales, universelles ».
    A petits pas bienveillants, prenant à l'épaule le lecteur comme pour une visite parmi les tableaux, Bruno Duborgel affine et rehausse à chaque ligne les niveaux de compréhension d'une œuvre. La démarche pourrait s'appliquer à d'autres, mais on sent une connivence, une évidence, une clarté d'aquarelle dans la manière dont l'auteur aborde sa déambulation, qui fait de ce texte une de ces belles passerelles qui sont jetées parfois entre écrit et peinture.


    couvSentiments.jpgOn me pardonnera (peut-être) ce lien audacieux, mais il y a chez Jean-Noël Blanc une qualité de l'image et du portrait qui en aurait fait, en plus de l'écrivain admirable, un peintre précis, s'il avait ajouté les pinceaux à sa plume (houlàlà...). Le Réalgar publie trois nouvelles de cet auteur dans un recueil intitulé de façon plaisante Avec mes meilleurs sentiments. Il y a souvent de l'humour chez Jean-Noël Blanc, il permet de cueillir le lecteur au moment où il l'a désarmé. Ce n'est pas un procédé, entendez bien : c'est une occasion de jouissance. On jubile beaucoup chez Jean-Noël Blanc. Son talent de nouvelliste n’est plus à démontrer (s'il est à découvrir pour vous, saisissez-vous au plus tôt, par exemple, de ce bijou qu'est Esperluette et Cie). Les trois nouvelles du recueil ne forment pas un « tout » manifeste mais elles égrènent de passionnantes tranches de vie, plus ou moins longues.
    Ce que c’est que le printemps nous place aux côtés du vieux paysan Victorien qui assiste aux derniers râles de sa vieille Roberte. Des gémissements qui rythment le texte, donc le quotidien, des râles si forts qu'il faut un orage pour les assourdir. Si Victorien se fout bien de la dignité, c'est qu'il n'a rien à sauver, aucune apparence à accrocher en boutonnière. Il n'y aura pas de miracle, aucune rémission. C'est le moment, « c'est le moment où tu tombes. Peu importe que ce soit moi ou un autre. Les hommes tombent, voilà tout. » Victorien va faire ce qu'il faut. J'ajoute que les peintures d'Elzévir, artiste choisi par Le Réalgar pour accompagner ces nouvelles, sont ici le prolongement idéal du texte. Les objets du quotidien, les silhouettes ternies par l'âge, créent une gamme complémentaire de sensations, absolument bienvenue.
    Madame Veuve, la nouvelle suivante, est un portrait de femme, Yvonne, qui a appris la couture à l'école du Sacré Cœur de Jésus. Une trajectoire bien installée sur des rails, des évidences : ne pas se fier aux paroles des hommes ; « regarde d'abord leurs pieds. Tel pied, tel homme. » ça ne se discute pas, de même que « les études, c'est pour les garçons » (on vous parle d'un temps, d'un temps où l'on plume les volailles chez soi, où l'on tricote en écoutant la TSF, un temps où les femmes sont recluses en cuisine et tout va bien). Yvonne va travailler à la ville comme couturière, taisant ses regrets pour les yeux d'un Amédée à qui elle n'a rien dit et qui s'est marié avec une autre. Dans l'atelier où elle travaille maintenant, les ouvrières lui apprennent que pour jauger un homme c'est ni les pieds, ni les yeux, ni les paroles : c’est les fesses. Et les chansons populaires ponctuent la vie. Les couplets évoquent le temps qui passe, les années, leurs paroles sentimentales se font l'écho des émotions et des tragédies vécues. Cuisses écartées, allongée sur une toile cirée, aiguille à tricoter, les problèmes qui s'en suivent, l'hôpital, la dureté des autres, l'absence de compassion, des autres femmes même... les rituels de ce temps. Les ambitions étaient minces, elles se réduisent encore. Maréchal nous voilà est passé, on en est à comme un p'tit coquelicot mon âme quand Yvonne finit par s'installer avec Félix. Oh, pas l'amour, pensez bien, « disons, l'existence en couple » et ce sera déjà pas mal. On est vite veuve, en ce temps-là, veuve de riche ne signifie pas riche soi-même, la famille veille, les yeux fatigués d'Yvonne retournent à la couture. Et la fin de cette nouvelle, bon sang, la fin, c'est bien sa vie, c'est bien la vie de ces femmes, tout est là, dans ce précipité de désespoir, cette contraction ultime au bout de la perspective d'une vie longue et dérisoire. Comment se résoudre à ce médiocre bilan ? La condition humaine. Jean-Noël Blanc au plus juste, ça vous remue, que dire de plus ?
    Bonjour Mademoiselle clôt la trilogie avec un monologue à la fois cruel et drôle mais, lue dans la foulée des autres, on ne peut s'empêcher d'avoir au cœur le serrement des existences qu'on vient de croiser, et ça grince toujours, malgré l'humour.

  • Rencontre Lettres-Frontière

    Amis Genevois ! Ce soir, à 19 heures, la médiathèque municipale Minoteries, à Genève nous reçoit, Xochitl Borel et moi, tous deux heureux lauréats du Prix Lettres-Frontière, pour une rencontre, la première de l'année, animée par Sita Pottacheruva (que j'avais eu le plaisir de découvrir en 2009, pour le Baiser de la Nourrice et qui fait le merveilleux métier de "guide cyclo-littéraire !). Autant d'occasions d'être heureux.

  • 2767

    Khan fixait le jeune homme avec une intensité inhabituelle, où se lisait un désir d’adhésion totale. Kargo ne la lui refusa pas. Il promit de continuer l’œuvre, dans la mesure de ses moyens. Il renonça à tricher, à dire : « mais nous n’en sommes pas encore là, tu as de nombreuses années devant toi, tu poursuivras toi-même ce travail, et toi seul… », toutes ces formules qui seraient ridicules à cet instant. Lui revinrent les mots de Jhilat, quelque chose d’étrange à propos des hirondelles et du sens de l’Odyssée. Un propos autour « du sens des choses et du sens des livres… » Khan opina, il connaissait l’histoire : « Je me souviens, oui. À la fin de l’Odyssée, Ulysse, déguisé en mendiant, caché même à sa femme, participe à l’épreuve que Pénélope a imposée à ses prétendants. Il s’agit de bander son arc. Aucun prétendant n’y parvient. Ils font chauffer le bois au feu, ils essayent chacun leur tour, impossible. Il faut être un héros de l’Iliade pour réussir, apparemment. Quand le mendiant propose d’essayer on le moque d’abord, mais finalement on le laisse faire. C’est Ulysse, il a assez de force pour courber le bois à sa volonté et parvient à placer la corde (il mima les gestes). Ainsi fait, pour vérifier la tension de la corde, Ulysse la fait vibrer. Dis-moi, Léo, as-tu déjà entendu le cri d’une hirondelle ? » Kargo rappela qu’elles avaient disparu bien avant sa naissance, et Pavel conclut : « Voilà. La corde de l’arc d’Ulysse répond à la tension en émettant le cri de l’hirondelle, dit Homère. Nous ne savons donc plus, aujourd’hui, quel son faisait la corde de l’arc d’Ulysse. Si les choses qui donnent le sens d’un livre disparaissent, l’une après l’autre, est-ce que ce livre a encore un sens ? Voilà ce qui obsédait Iradj, et qui le rendait insensible à mon amour des livres. »

     

    Extrait de Mausolées. Editions Mnémos, 2013.

  • 2762

    Le problème, avec la Révolution française, c'est qu'on croise des personnages de roman à chaque coin de rue (et sur les toits, sur l'eau, dans les champs, derrière le moindre bosquet). Et je n'ai qu'un roman à écrire.

  • 2761

    " Nos amis brouille, brouille, nos parents brouille, brouille brouille, nos bienfaicteurs brouille brouille, nos pères brouille brouille, nos conducteurs brouille brouille, nos maîtres brouille brouille, nos pontifes brouille brouille, nos juges brouille brouille"

    Mme de Laveine. Convulsionnaire. 1736. (Martin fréquente de drôles de gens...)

  • 2760

    « Il arrive qu'un bouleversement est si profond que ses témoins ne peuvent imaginer un avenir ; surtout un avenir où ce qu'ils ont aimé, ce qui les a construits, n'aurait pas disparu. Ce qui paraît perdu à jamais, et qui leur était si précieux, résiste pourtant mieux qu'ils le croient aux changements les plus radicaux. Tout demeure. Secret, tenace comme un parfum, rien n'est absolument détruit. Mais ils ne vivent pas assez vieux pour en faire le constat et en être rassurés. C'est cela, le drame de notre condition. »

    Les Nefs de Pangée. Extrait. où l'on devine qu'il s'agit de parler d'autre chose que de la transformation de la civilisation Ghiom...

     

  • 2758

    La dernière ligne droite sur l'écriture de La Grande Sauvage. Par dernière ligne droite, entendez encore un mois d'écriture, avant de retravailler l'ensemble du manuscrit pour veiller aux équilibres, à la dynamique de l'ensemble, au traitement de chaque aspect, le relief des personnages, etc. Enfin, je discerne la lumière, là-bas. J'approche. Je ne sais trop dans quel état d'esprit j'étais quand j'ai entrepris ce roman. Le projet s'est modifié, entre le moment où j'étais tenté de me gausser de la superficialité de l'ancien régime en racontant la vie de fermiers qui faisaient de la figuration dans le hameau de la Reine, à Versailles, et celui où se sont imposées les notions de fanatisme et de reconstruction, parce qu'une certaine actualité est venue s'immiscer dans le processus.
    Avant d'en avoir fini, j'ai supprimé déjà plusieurs passages, sacrifié quelques personnages qui n'étaient là que pour ma satisfaction personnelle. L'idée est de réduire le volume final. Je voulais écrire un roman court. Ce ne sera pas le cas, hélas. Il dépasse dores et déjà L'Affaire des Vivants, et menaçait de se hisser au niveau du volume des Nefs de Pangée avant que je me décide à cette opération de chirurgie salutaire. Faisant cela, je rêvais d'une version avec bonus, comme les DVD de films en offrent la possibilité. Il y aurait, en appendice, les scènes coupées du roman. Ce n’est guère envisageable. Je me dis que Kronix pourrait avoir cette fonction.
    En tout cas, en mars, quand j'en aurais fini, y compris avec un glossaire que je crois devoir écrire à la suite du roman, comme pour L'Affaire..., je profiterai de mon passage au Salon du Livre de Paris (c’est confirmé), pour livrer mon manuscrit à mon éditeur, avec deux mois d'avance sur mon propre planning et quatre d'avance sur le sien. Ne voyez pas cette annonce auto-satisfaite comme une anecdote : une telle avance signifie que je peux, avec mon éditeur, travailler le texte pour l'améliorer encore, et préparer très en amont sa sortie. L'enjeu est le suivant : ce livre doit me permettre de maintenir mon statut d'écrivain en 2018. Vous imaginez que ce projet m'importe assez pour me sentir tout le courage nécessaire.

  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    Cette fois, par un écrivain ! Laurent Cachard embrasse tout le récit, s'interroge et, autant vous prévenir, spoile un peu. Les lecteurs prudents attendront donc d'avoir fini (ou d'avoir au moins avancé des deux-tiers), les Nefs, pour prendre connaissance de cette superbe et riche chronique.

    Je lui suis d'autant plus reconnaissant que cette forme ne lui est pas habituelle et que je l'avais mis à l'aise : dis-moi juste ce que tu en penses, tu n'es pas obligé de chroniquer (oui, parce qu'on se connaît, et ça, ce n'est pas trahir un grand secret).

  • 2754

    On allait comme ça, entre deux nuits, décalotter les calotins, faire mordre la poussière aux coquins, les phrases que trouvait Huché quand il était inspiré, à marcher dans cet hiver qui nous enfonçait le chapeau dans les épaules, éparpillait nos balles dans le pays à cause de nos mains tremblantes, à reprendre les cris des loups et les cris des corbeaux, nos compagnons de mort et de froid. Je sais bien ce qu'on était, charognards semblables, animaux guère plus, enfin je crois que c'était nous, ce qui restait de nous. Il y avait bien une noble mission, à l'origine, là-bas, au premier de nos pas, il y avait une idée de grandeur et d'élévation quelque part à la source, mais les loups et les corbeaux sont de piètres ouvriers pour accomplir si noble tâche, ils font tout salement, dévorent les proies sans les occire tout à fait, se foutent des plaintes des corps qu'ils déchirent, on se voyait à distance, hardes et hardes, on se reconnaissait, les loups nous auraient jamais attaqués par exemple, je crois qu'ils avaient appris nos uniformes, notre odeur, on devait leur paraître comme des pourvoyeurs, des alliés surgis de l'enfer pour leur faire le cadeau de l'abondance, bien leur tour, après tant d'années de fuite, on leur livrait les entrailles fumantes de leurs chasseurs, on punissait ceux qui les massacraient.

     

    La Grande Sauvage. Extrait. En cours d'écriture. A paraître chez Phébus en 2017.

  • 2752

    Donc, pas de publication majeure cette année. La Grande Sauvage sortira en 2017, Minotaure sera créé au Théâtre de Roanne dans un premier temps, en 2017 également, et Voir Grandir, ce récital de textes mis en chansons par Jérôme Bodon-Clair, ne sera produit qu'en 2017, lui aussi. Du coup, ce sera exagérément chargé. C'est dommage, j'aurais aimé qu'au moins un de ces axes de création trouve un aboutissement cette année, puisque de mon côté, tout est écrit. C'est ainsi ; on ne décide pas tout.
    En attendant, côté publication, ce sera très calme disais-je ; il y aura tout de même un joli recueil sur l'utopie, édité par les excellents Moutons électriques. J'en reparlerai avant sa sortie.
    C'est surtout grâce aux rencontres consécutives au coup de cœur Lettres-frontière pour l'Affaire des Vivants, que mon emploi du temps va se remplir. Je serai :
    le 26 janvier à la Médiathèque de Genève-Minoteries,
    le 4 février à la Médiathèque d'Annemasse,
    le 3 mars à la Médiathèque de Saint-Cergues,
    Les 12 et 13 mars pour un salon du livre à Villefranche-sur-Saône,
    le 18 mars à la Médiathèque d'Allonzier-la-Caille,
    (et/ou normalement : au Salon du Livre de Paris sur le stand des Indés de l'imaginaire)
    le 24 mars, à la Médiathèque de La Part-Dieu (Lyon), pour évoquer avec Aurélien Delsaux notre travail sur les romans en cours. Nous sommes tous deux bénéficiaires de bourses d'écriture de la DRAC et c’est à ce titre que nous nous exprimerons. Débat organisé par l'ARALD et animé par Danielle Maurel (qu'on aime),
    le 1er avril (oui) à la Médiathèque d'Arenthon,
    les 7/8 et 14/15 avril, je serai à Paris par procuration, sur la scène du Théâtre du Point-du-Jour, pour une série de représentations de Pasiphaé,
    le 9 avril, à la Médiathèque de Mégevette,
    le 30 avril, à la Médiathèque de Thonon,
    le 19 mai, à la Médiathèque de Saint-Etienne (je ne sais plus laquelle, je préciserai en temps utile),
    le 27 mai, à la Médiathèque des Houches,
    les 3 et 4 juin, pour la traditionnelle carte blanche organisée par la Médiathèque de Gilly-sur-Isère. J'aurai le plaisir et l'honneur de recevoir et de présenter Christian Degoutte et Emmanuel Merle, des auteurs qui, des auteurs que... pour qui il faudra que je trouve les mots, voilà,
    le 11 juin, à la Médiathèque de Saint-Haon-le-Châtel, pour une petite « causerie » autour de 10 œuvres choisies dans le domaine des arts plastiques.
    C'est tout pour l'instant.

  • 2744

    Paco sous la lumière

     

    Couv_Paco_LC.jpgEncore une très belle livraison de la maison d'édition stéphanoise Le Réalgar, en cette fin d'année.

    En une soixantaine de pages, Laurent Cachard, (auteur de Valse, Claudel chez le même éditeur et de tant d'autres textes poésies et romans, souvent présentés ici), s'efface pour donner la parole à Paco de Lucia, immense musicien de flamenco disparu en 2014. Il prévient : c'est une fantasia, un livre amoureux, que les puristes rangent leurs anathèmes, que les vétilleux veuillent bien s'abandonner à la confiance (d'ailleurs, on devine derrière le texte, l'appareil documentaire mis en œuvre, le souci de précisions techniques dans tous les aspects du jeu, un grand soin qui devrait satisfaire les gardiens du temple). Il s'agit de partager une passion ancienne et sincère. L'auteur a choisi d'entrer avec respect dans le monument pour lui faire raconter sa vie à la première personne, un monologue intérieur adressé à son fils. Diego avec qui il jouait au foot sur une plage de Cancun, Diego qui lui tient la main pendant que le guitariste se laisse gagner par la sensation de partir, foudroyé par une crise cardiaque à l'âge de 66 ans. Une soixantaine de pages extrêmement denses, riches de références, de noms, de termes musicaux, parce qu'il y a tant à dire pour un aficionado, et parce que le temps se précipite, toutes les heures de la vie se concentrent dans ces derniers instants. On apprend ainsi que Paco est parti pour l'Amérique à l'âge de 12 ans, avec son frère Pepe, qu'il a côtoyé, là-bas les plus grands, enregistré avec les stars du flamenco exilées à New-York, et qu'on le considéra très vite comme le musicien qui assurerait la relève. Plus tard, on tentera de lui coller l'étiquette vague de « fusion », déjà appliquée au jazz par exemple, mais Paco ne veut revendiquer que sa démarche qui est de « transposer les inflexions du chant dans la guitare, seul élément qui caractérise mon jeu ». Avec José Camaron qu'il admire (mais avec lequel il est fâché, ce sera sa grande blessure), il est un créateur, un découvreur, un inventeur, il intégra le son sec du cajon, découvert au Pérou, percussion que tout le monde adopta ensuite, il fit jouer des saxophonistes, des bassistes, des harmonicistes, autant d'instrumentistes non traditionnels pour une culture nourrie de rituels. Ses officiants s'effrayèrent à l'idée, sans doute, de perdre cette grâce qui doit « présider au jeu », cette force (« le goût du sang dans la terre ? ») qu'est le mystérieux et intraduisible Duende que l'auteur, dans un véritable tour de force, parvient à nous faire ressentir (nous, pauvres cartésiens). 
    On sent chez Laurent Cachard la constante préoccupation de tout mettre en œuvre pour au moins cerner les contours du mystère d'un être hors du commun, énigme pour lui-même, et cela produit un de ses textes les plus forts et les plus accomplis. Mais ce n'est pas la seule raison.
    Paco est un livre de la reconstruction, le long mûrissement qui l'a mis en œuvre, les raisons de son écriture et l'élan qu'il va désormais permettre à son auteur, sont des arcanes intimes dont rien ne sera dévoilé ici, mais le lecteur doit savoir que le livre qu'il tient entre ses mains est un moment essentiel dans le parcours littéraire de Laurent Cachard. S'il était plus tard, s'il était trop tard, (si on osait) on pourrait quasiment parler de testament, ou d'une sorte de fin de boucle entreprise avec son premier opus édité (car il existe, nous confie l'auteur, un lien entre ce livre-là et son premier). De même, si « le flamenco a toujours eu peur de la mort, tout en la chantant », le daemon, l'esprit du flamenco, l'essence de cette musique, peut se décrire comme un cycle. Musicien, tu accompagnes, « tu recommences, jusqu'au remate. Tué deux fois. (…) en musique, on fait tourner, continuellement, à force, on finit par croire que la vie est pareille. » Paco ainsi a vécu entre deux plages, l'une pour sa naissance, l'autre pour sa mort, entre deux eaux, Entre Dos Aguas, un morceau qui durera le temps qu'il doit durer, cette durée-là, que personne d'autre ne connaît, le maestro, le maître, maître alors de son destin, la contrôle, seul. L'auditeur n'en sera quitte qu'une fois le voyage accompli. Et la boucle est bouclée, il est l'heure de revoir sa vie, d'en tracer un bilan en forme de courbe donc, et de s'interroger sur ce l'on transmet. « Ce fut parfois dur d'être Paco », se dit-il en repensant peut-être aux 10 heures quotidiennes de guitare imposées par son père dès l'âge de 9 ans (« serrer les dents, libérer les notes »), ce que Paco saura épargner à son fils. Il devine que ce sera dur d'être le fils de Paco, plus dur que d'avoir été le fils de Lucia, le nom de sa mère, adopté comme nom de scène. Paco espère son fils assez fort pour devenir lui-même. « j'aurais bien aimé voir Diego me dribbler encore », songe-t-il simplement. Une vie sacrifiée à son art, mais dont il ne souhaite pas qu'elle soit une charge pour ceux qui suivront. C'était son affaire. L'Andalou « ne sait rien de la masse et de la revendication, il est seul face à sa souffrance ». Les solistes sont seuls, même au cœur d'un orchestre. Même quand il s'agit de faire renaître, à l'unisson, les jardins d'Aranjuez.
    Le final du livre cause un surcroît d'émotion au terme d'un texte qui en est riche. Il prend la forme d'un épilogue où Paco revit sa participation au célèbre concierto de Rodrigo. "Et quand je me revois avec l'orchestre symphonique, je ressens l'impression, encore, d'être la partie d'un tout sans lequel on est rien."
    Cette conclusion est le signal du regain pour un auteur que l'on a hâte de voir reprendre la grande symphonie littéraire entreprise il y a quelque temps. Ses aficionados attendent.

    Paco, Laurent Cachard. Editions Le Réalgar. 65 pages ; 8 €. La couverture est le détail d'une toile signée Claude Poty.




  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    Une chose que je n'avais pas anticipée : en cette période, les blogueurs font le bilan de leurs lectures de l'année. Ici, OToulouse, blog toulousain (j'imagine), liste ces chouchous. Et quel est leur chouchou de 2015 pour la catégorie Fantasy, hein ? Hein ? Allez :

    "Le Roman Fantasy de l’année

    Les Nefs de Pangée, de Christian Chavassieux

    éditions Mnémos

    Un monde original débarrassé des poncifs de la fantasy habituelle, un propos non manichéen, une histoire en un seul tome : le dernier roman de Christian Chavassieux dispose de toutes les qualités que l’on attend de la bonne fantasy française, et c’est déjà pas mal. Mais c’est loin d’être tout, car s’il recèle effectivement la plupart des meilleurs aspects de ce que peut nous offrir ce genre, il en évite aussi l’air de rien la majorité des pièges. Bien qu’il nous décrive l’histoire de tout un monde, ses peuples, ses coutumes et ses croyances, il n’en fait pas pour autant un univers figé, sclérosé, factice. Pangée vit, évolue, change. Surprend. S’il nous narre en parallèle les destins de multiples personnages sur plusieurs décennies et plusieurs pays, il manie l’ellipse avec une efficacité redoutable, laissant au lecteur le soin de remplir les blancs à sa guise. Quant au style, il passe sans effort d’un lyrisme digne des sagas antiques pour nous faire vivre la mythique Dixième Chasse à une plume plus intimiste pour les nombreux moments de vie et d’émotions qui parsèment cette épopée à l’échelle d’un continent. Un quasi sans faute donc, jusqu’à sa magnifique couverture !"

  • Les Nefs de Pangée - Nouvelle critique

    " s’il n’y avait qu’un livre à découvrir cette année, je vous dirais sans doute que c’est celui-là !" conclut l'auteur de la chronique courte mais stimulante. Celle de cet E-maginaire, datée d'hier, titrée "dernière ligne droite avant Noël" où les Nefs figurent en tête et sont le coup de cœur de l'année pour le chroniqueur. Merci à ce lecteur (cette lectrice ?).

  • 2728

    "L'Affaire des vivants" va continuer d'exister un peu en 2016, grâce au prix Lettres-Frontière et aux rencontres qu'il va inspirer aux médiathèques partenaires. En attendant, de temps en temps, des lecteurs le découvrent par hasard, et continuent à l'apprécier.

  • 2719

    Attend tranquillement l'annonce d'un nouveau massacre. Dans les urnes, cette fois. A voté, histoire de faire un pied-de-nez à tous ceux qui trouvent ça inutile tout en découvrant qu'on a mis en place pour eux des systèmes qui ne leur conviennent pas.

    Chacun a ses raisons, après tout, je m'en fiche. Je crois faire ce qui doit être fait.


    En tout cas, hier, à la Médiathèque de Fleury, c'était très agréable. Il y avait du monde. Des têtes nouvelles, des amis. Je crois que j'ai été un peu soporifique. J'ai lu des passages de La Grande Sauvage, qui ont suscité quelque gourmandise. Parfait. Des livres, des rencontres, un public venu remplir la salle, des discussions autour d'un pot, ensuite.

    En fait, je sais pourquoi je vote.

  • 2717

    Aujourd'hui, à partir de 15 heures, j'ai le plaisir d'être invité par la Bibliothèque de Fleury-la-Montagne, en Saône-et-Loire. J'y évoquerai Les Nefs de Pangée surtout, mais aussi L'Affaire des Vivants, puisqu'il n'était pas encore paru lors de mon dernier passage dans les lieux, il y a deux ans. Je conclurai par une lecture d'extraits de mon prochain roman, à paraître chez Phébus : La Grande Sauvage.

    Entrée libre, petit pot préparé par les bénévoles, bonne ambiance et public en général assez nombreux. Je me prépare à un agréable moment. Je vais faire en sorte que ce soit réciproque.
    Il ne sera fait aucune remarque aux personnes qui sont venues pour seulement écouter, et il se peut même qu'on les remercie d'être venues.C_Chavassieux_Fleury_Les Nefs-2015.jpg

  • 2714

    « Je vous trouve tous aussi assommants les uns que les autres avec cette affaire* » dit la duchesse de Guermantes qui, au point de vue mondain, tenait à montrer qu'elle ne se laissait mener par personne. « Elle ne peut pas avoir de conséquence pour moi au point de vue des Juifs pour la bonne raison que je n'en ai pas dans mes relations et compte toujours rester dans cette heureuse ignorance. Mais, d'autre part, je trouve insupportable que, sous prétexte qu'elles sont bien pensantes, qu'elles n'achètent rien aux marchands juifs ou qu'elles ont « Mort aux Juifs » écrit sur leur ombrelle, une quantité de Mme Durand ou Dubois, que nous n'aurions jamais connues, nous sont imposées par Marie-Aynard ou par Victurienne... »

     

    Marcel Proust. Le Côte de Guermantes I (extrait : ben oui, extrait !)

    * Il s'agit de l'affaire Dreyfus, bien sûr.