- Papa, je m'ennuie !
- Et bien arrête.
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- Papa, je m'ennuie !
- Et bien arrête.
Une petite faim
Oh, un restau !
On regarde la carte, on lit :
« Salade bleu marine »
On repart.
Plus faim.
Il y a six mois, je déposai sur le bureau de mes supérieurs les clés de mon travail et partis. Six mois déjà. Je savais, nous savions ma douce et moi, que tout cela passerait très vite. Plus que deux ans et six mois à présent pour consolider mon entrée dans le milieu littéraire, pour produire encore et trouver de quoi survivre. Je savais, nous savions que ça irait vite mais là, c'est le passage de la foudre. Qui laisse abasourdi et interroge sur la réalité de ce qui vient de se produire. Et cela risque de se résumer à ça, au terme des trois ans : Nous étions heureux ? C'était bien ? C'était quand ? C'est fini ?
Dans le roman sur lequel je travaille (encore situé dans l'Histoire), je vais me permettre de faire ce que je m'étais plus ou moins interdit dans "L'Affaire..." : mettre en scène des personnages ayant existé. Ce seront des personnages secondaires, mais tout de même, il faut que je me fasse une opinion sur Marie-Antoinette, son architecte, Louis XVI, etc. Comment faire ? Car je m'étais jusque là censuré en arguant qu'il est impossible et prétentieux de croire qu'on peut le moins du monde accéder à la vérité d'une époque, surtout si elle est lointaine (même proche, même une génération, et encore dans notre propre archéologie : suis-je vraiment sûr de ma façon de penser quand j'avais douze ans ?). En fait, la solution que j'ai adoptée est que tous les personnages du roman -et ce que nous pouvons savoir de leurs pensées et réactions- seront passés par le filtre du regard d'un personnage qui lui, est fictif.
Je crois que ça se tient.
La France est le pays développé où l'espoir en l'avenir est le plus bas, statistiquement. C'est aussi celui qui, proportionnellement, compte le plus d'athées.
C'est qu'on a appris ne pas croire aux contes fées, je suppose.
Et bien oui, défendons le nucléaire !
Défendons-le absolument, à tout le monde, tout le temps, et dès maintenant.
Bon, après le coup de blues de l'autre jour à l'issue des Mots Doubs, les désillusions de certains partenaires (et d'autres petites choses, mais passons), ces tout derniers jours ont été une suite de retours rassérénant. Des personnes que je connais ou pas, des mails, des lettres ou des témoignages, des mots venus de libraires, qui assurent que "L'Affaire des Vivants" s'accroche, prend ses marques, existe parmi le grand Tohu-Bohu de la rentrée littéraire et qu'il "sera un vrai livre de fond, sans grosse médiatisation, mais qui survivra,(...) et qui par le bouche à oreille sera un succès de librairie...et de cœur!". En fait, selon mon éditeur, il y a les libraires qui l'ont lu et le défendent, et les autres.
Je vous livre ce témoignage d'une amie, du genre qui allège les doutes et permet tout de même d'y croire : "Je suis allée commander le dernier livre auprès de ma petite librairie ..., inutile de commander m'a-t-elle dit, ils sont en rayons, ils s'arrachent, ce n'est pas par un que je commande mais par 25 ! (Là, j'ai des doutes). Devant tout le monde, elle a parlé de son coup de cœur, de la belle langue. Une cliente a acheté juste après moi. (...) J'étais un peu abasourdie, et contente, elle ne me connait pas et je ne lui ai pas dit que je te connaissais, ainsi c'est spontané..."
Bon, bon bon... Il y a donc de la place pour autre chose que les nouvelles délayées et inconsistantes.
Contre la démagogie anti-parlementariste des Chouard, Soral et autres Le Pen ou Dieudonné, pour se rassurer sur le fait que les élections sont utiles et le travail des députés passionnant et sérieux, je ne vois qu'une solution et elle n'est pas compliquée : suivre de bout en bout le travail des commissions de l'assemblée sur LCP. Mais, bien sûr, ça demande du temps, un effort intellectuel, ça demande au téléspectateur d'être sérieux et concentré. En fait, ça demande au citoyen ce qu'il exige de ses élus. Mais il est toujours plus facile et plus rapide de critiquer.
Il y a les lecteurs, fidèles ou ponctuels, attirés dès le premier roman, il y a longtemps, ou découvrant un dernier opus avec l'envie immédiate de connaître les précédents, les lisant l'un après l'autre et m'écrivant, me témoignant leur joie. Et puis il y a ceux qui ne m'ont jamais lus, ne me liront sans doute jamais, mais me félicitent pour les articles parus dans la presse nationale. Une de ces deux catégories m'est essentielle.
Tant pis, nous resterons à l'abri. Tant pis. Aveugles, sourds, autruches, pas indifférents mais égoïstes, pas détachés mais conscients d'être impuissants. Allez au massacre, faites-vous mal, vous nous avez assez fait comprendre que nous ne pouvions plus rien. Vous ne nous épargnerez pas, je le sais, mais venez tard, laissez nous un peu de répit. Que nous soyons repus de tous nos festins quand vous viendrez enfoncer la porte.
L'instituteur a imposé l'achat d'une télévision aux parents de la seule enfant de sa classe qui n'en possédait pas. Il est triomphant : « tu te rends compte, ils n'avaient pas de télévision, à notre époque ». « Pourtant » ajoute-t-il, la gamine est intelligente, hein, elle joue de la flûte traversière, c'est la plus brillante de la classe, elle lit beaucoup... Mais elle était malheureuse par rapport à ses petits camarades, elle se sentait à part. Nous sommes estomaqués : Mais justement, il fallait inverser le propos, démontrer aux autres enfants qu'on peut vivre sans la télé, que peut-être même, c'est cette foutue machine et l'abus d'émissions débiles qui leur embourbent l'intellect. Mais non, l'instit' a préféré le nivellement par le bas, il n'écoute pas nos remarques, il ne perçoit pas notre désolation. Pour lui, l'essentiel, c’est qu'un foyer soit désormais rentré dans la norme civilisée.
Une pièce à verser au dossier de Marc Lévy, par ailleurs conspué en tant qu'auteur, y compris par des gens comme moi. Bref : ma douce fut une libraire appréciée dans ma petite ville, et malgré cela, sa minuscule librairie fut un jour menacée de déposer le bilan. Elle eut la surprise de recevoir un mot de Marc Lévy, alors célèbre et bestsellerisé depuis longtemps. Prévenu de cette petite tragédie, il lui proposait de venir, à ses frais, signer dans sa boutique pour donner un coup de main. La librairie a hélas fermé entre-temps, mais enfin, l'intention était là, et je suis sûr que la promesse aurait été tenue.
Vous connaissez combien d'auteurs, gonflant le torse quand il s'agit de défendre les librairies indépendantes, capables de faire un tel geste ?
Je leur envie cette légèreté, non pas que l'écriture soit pour eux un produit de l'insouciance, qu'elle ne constitue pas un enjeu, mais elle leur est naturelle, évidente, comme leur est sûrement évident d'être aimés d'une femme. Alors que c'est pour moi un cataclysme, un bouleversement, une stupeur. L'écriture a chez moi cette puissance, elle m'oblige à la vénération, à la prudence, à la lutte et à l'effort. Elle me confronte à la peur de tout perdre.
Après cela, ce sera fait et oublié, une fois que nous nous serons dépris du sol, quand le vide nous aura aspirés et qu'un temps vaste ouvert devant nous aura conduit les pas d'autres humains vers des ailleurs tellement phénoménaux que du sol ne subsistera pas même le souvenir. Alors, ce sera oublié, oui, nos cultes et nos élans, nos inquiétudes tournées vers le premier ciel, nos peurs liées à la première terre. Ceux qui suivront seront autre chose, inconnaissables, inconcevables. Différents et neufs, enfin.
Pas fonder une œuvre maçonnée de pierres inaltérables, mais au moins architecturer brindille après brindille une forme aboutie, quelque chose qui dirait : le sens de son travail était cela, ce qu'il avait à dire c'était cela. Et puis le processus est si laborieux, encore alenti par les effets de la mélancolie et du manque de confiance, que je crains de ne laisser à la fin qu'une ébauche de nid ouvert aux vents, vite désarticulé, réduit à rien avant que de prendre sens.
La reconnaissance des autres a cet effet imprévu de faire douter de soi, et cela proportionnellement aux louanges accordées.
Au bout du compte, nous n'aurons rien produit de durable sinon nos actes de bonté.
Les gens vivaient, entre la peste, les famines, les interdits, les maladies et les guerres, l'enfer chaque jour. Malgré ça, on les rendait coupables assurément, on leur promettait après la mort, un enfer encore plus terrible. Ils n'ont certainement pu tenir que grâce à la certitude que, bon sang de bonsoir, les temps à venir seraient forcément meilleurs. Et nous voici, à saluer la mémoire de tous les cocus de l'Histoire.
Les amis que je connais ne s'enthousiasment généralement pas à la vue d'un couple de témoins de Jéhovah. Au mieux, ils remercient et déclinent toute offre, fut-elle divine ; au pire, ils les envoient se faire bénir ailleurs et claquent la porte. Je ne suis pas d'accord. Quand ces valeureux porteurs de bonne parole débarquent chez moi, c'est la fête. Je les accueille, les enveloppe, les cajole, les invite. Ils entrent, heureux et innocents, peut-être un peu décontenancés par cet enthousiasme inhabituel. Là, je pose une Bible sur la table, et j'attaque par la Genèse. Que pensez-vous du déluge, de la soumission de la femme, de l'interdiction sournoise de Dieu en son jardin, de Sodome et Gomorrhe ? Quelle est cette justice qui avorte des milliers d'enfants innocents, qui éradique une ville entière, etc. ? Je les tiens ainsi jusqu'à ce qu'ils regardent autour d'eux, perdus, cherchant une issue. Je les tiens encore, quand ils se lèvent pour me saluer, me remercier mais il va être l'heure de manger, je les tiens encore sur le seuil, dans la rue, leur propose de revenir c'est dommage on n'a pas fini. Je n'ai malheureusement effectué ce pugilat que trois fois dans ma vie et je manque donc de pratique. Cependant : trois combats, trois KO.
On peut me trouver cruel et peu charitable, et on pourrait soupçonner une intolérance envers les croyants. Ce n'est pas ça. Ce que je déteste, c'est le prosélytisme. Je ne vais pas frapper aux portes pour expliquer que je détiens la vérité ou que l'athéisme est un bienfait. Donc, quand un de ces braves enchristés vient frapper à ma porte, j'estime que la guerre est déclarée, et je lutte avec mes armes. Ite missa est.
C’est un mystère, ça, tout de même. Comment, dans un cerveau à peu près normé tel que le mien, peuvent s’échapper des formes qui me dépassent, qui m’enseignent des idées, neuves pour moi-même ? S’il y a une réponse, je serais tenté de la trouver tout simplement dans le temps de maturation extraordinaire qu’est celui d’un texte littéraire. A force de se pencher sur chaque virgule, de réfléchir à l’attitude du moindre personnage, d’entrer dans sa vie et dans ses émotions, à force de revenir et revenir sur une idée, jour et nuit (blanche), des heures et des heures sur une phrase parfois, sur une bribe, un embryon d’idée qui vient de nous traverser, il me semble que nous finissons par produire une pensée plus élaborée que celle qui, d’habitude, nous sert à communiquer avec les autres. C’est peut-être pour cela aussi, qu’un auteur n’a pas toujours les clés pour expliquer son œuvre. Parce qu’elle est issue d’un autre, meilleur que lui-même.