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Matières à penser - Page 13

  • Travail, la reprise

    Parce que je n'en ai pas fini, avec cette histoire. Je ressasse le mot dans la nuit et je réalise que nombre d'écrivains (et pas des moindres) l'utilisent. Me viennent à l'esprit Pierre Michon (mon immense et vénéré Michon) qui parle des « infimes stratégies de la table de travail », Philip Roth, Milan Kundera, Primo Lévi (« Parlons travail ») ; je réalise aussi qu'une femme qui accouche, travaille. Elle ne le fait pourtant pas sous les ordres d'un patron, n'espère aucun gain matériel et n'est sous le coup d'aucune servilité (hors cas qu'on me permettra d'écarter). Je disais l'autre jour que je travaillais comme le bois mais finalement, l'effort bénévole pour obtenir une délivrance me rapproche davantage de ce noble modèle. Décidément, il a bien des avantages, ce verbe travailler, que n'offre pas écrire.

  • Il y a quatre ans

    Tiens, j'ai retrouvé ce billet, écrit en juin 2010, après la diffusion d'un tract présentant la maire PS de ma ville, à l'époque (nous étions sous la présidence d'un agité chronique, souvenez-vous), comme une complice béate des immigrés, coupables de tous les maux. Je me permets cette redite :

    "Un tract ignoble est diffusé dans la ville, assimilant le propos social de la gestion municipale (qu'elle soit faite à tort ou à raison, et avec ou non des résultats, serait la seule question digne d'intérêt) à une bienveillance à l'égard de l'immigration. Vieille rengaine dont on pouvait espérer que l'éclatante démonstration de l'incurie nationale avait eu raison. En effet, la chasse implacable aux immigrés, les expulsions nombreuses et impitoyables, la préférence « française » théoriquement niée mais appliquée dans les faits, les rodomontades diverses, n'empêchent pas la dégringolade de tous les curseurs, année après année. Le maintien des institutions sociales, seul contrepoids à la violence de la paupérisation et du chômage, est le dernier rempart à un libéralisme dévastateur.
    La vulgarité du torchon roannais (jeux de mots moisis, raccourcis à visée parodique, détournements de visuels) illustre donc -non pas l'aboutissement, mais- la suite logique d'une sape menée depuis des années par les tenants d'une société toujours plus brutale, toujours plus répressive et anxiogène, une société qui méprise la lenteur des intelligences scrupuleuses. Les mêmes espèrent un nivellement de la pensée par le bas, une recherche aux ordres, un enseignement fabriquant des prolétaires soumis, une légalisation des enrichissements les plus immoraux, une prescription réduite des affaires de délinquance en col blanc, des médias décérébrants et des humoristes inoffensifs, une santé publique à l'agonie, des employés précaires et des Valjean chenus trimant jusqu'à la mort. J'en passe, mais vous saurez compléter.
    L'histoire locale n'échappe pas à ce désir morbide d'aviver les souffrances en désignant, comme toujours, des coupables. Ils portent deux noms emblématiques depuis toujours : « Femme » et « Etranger ».
    Tous deux partagent le poids d'un péché immémorial : A la maison, ils coûtent ; sinon, ils prennent le travail des autres. S'il leur arrive d'accéder à un pouvoir quelconque, ils sont suspects de laxisme, de faiblesse d'esprit et de caractère. Enfin, la majorité de l'opinion silencieuse ne les défendra pas ; on peut donc les insulter impunément. C'est fort de ces principes, répétés à l'envi dans les dîners choisis, que les auteurs du tract ont frappé, certains d'être soutenus par les premiers produits de la société qu'on nous prépare depuis une dizaine d'années. Il s'agit d'une violence, une de plus, inspirée par les aboiements venus du sommet.
    Que ceux qui y voient l'aboutissement des excès d'une frange extrême ouvrent les yeux et les oreilles : ce n'est que le signe avant-coureur de luttes plus féroces, plus inégales, et meurtrières. Je ne cesse de le dire depuis les dernières présidentielles, et voilà pourquoi ce tract a selon moi valeur d'exemple hors frontières communales : le mépris des plus pauvres, la gabegie et l'aveuglement des élites conduiront la démocratie à l'effondrement. Ceux qui se réjouissent à présent de cette farce odieuse, ceux qui ricanent en y voyant un coup supplémentaire porté contre un adversaire politique, devraient y réfléchir : dans le cœur des plus désespérés, ils ne sont pas si loin de l'étranger et de la femme. Et si, au delà des organismes les plus prompts (et malheureusement habitués) à protester contre la moindre atteinte au respect humain, les politiques et les citoyens, sans idée partisane, ne disent pas haut et fort leur écœurement, ne se décident pas à prôner le temps nécessaire au travail de l'intelligence à l'école et dans les médias, le mouvement n'en sera que plus puissant, et les emportera tous."

  • Travail

    Parce que, quand j'écris, je travaille, non ? Non, parce qu'il y a cette notion de servilité, de force mise au service d'un autre, pour l'enrichissement d'un autre. Donc, j'écris. D'accord, j'écris, je ne travaille pas. Mais quand je fouille et refouille de la doc, de vieux manuscrits, pour alimenter mon prochain roman, je n'écris pas, qu'est-ce que je fais, alors ? Bon, je vais quand même affirmer que tout ça, c'est du travail. Je travaille. Mais pas dans le sens commun.

    Je travaille, mais comme le bois.

  • L'envie de savoir

    Je marchais avec un bon copain à moi, une vieille connaissance. On se baladait comme ça. Et puis, sur le trottoir, on voit devant nous une énorme crotte de chien. Un truc ignoble. Et j'entends mon pote dire : « Tiens, quel goût ça a ? » Je crois qu'il rigole, je le regarde, mais il a un air sérieux et buté qui me fait soudain douter de son équilibre mental. Je lui dis : « Tu déconnes ? » Mais il ne répond pas, il avance comme fasciné, et répète : « Il faut que je sache. » Il se penche vers la matière ignoble répandue par terre, il va le faire, ce con ! je tente de le retenir, je l'engueule, rien n'y fait, je le vois avec horreur plonger ses doigts dans les fèces qui cèdent avec un bruit qui me révulse, il porte ce qu'il vient de cueillir aux lèvres. Je voudrais détourner le regard mais j'assiste au spectacle hallucinant de mon pote qui enfourne un morceau de merde et se met à le mâcher. Là, soudain, il écarquille les yeux comme s'il venait de comprendre son geste. Il me regarde comme cherchant de l'aide. Impuissant, je le vois alors, plié en deux, vomir sur ses chaussures. Je ne sais pas ce qui lui a pris. Il n'est ni plus bête ni moins instruit qu'un autre.
    Ah oui : il s'apprête à voter FN.

  • Le jour d'après

    Elle fait le ménage, les courses, la cuisine. On pourrait croire, à observer notre vie de couple, que je suis un horrible macho. En fait, je suis féministe. Mais j'ai horreur de l'ostentation.

  • L'un des malentendus

    La construction des ponts ne s'est pas imposée à l'Homme comme la nécessité de relier deux rives, deux mondes, mais comme la réponse à l'agacement devant un obstacle illégitime. Alors qu'il n'était question pour la nature que d'offrir un beau panorama, la clarté d'une rivière, l'âpreté sonore d'une gorge.

  • Pottier pris aux mots

    Cet acharnement qui va jusqu'à la démolition des ruines, et tout ça sans connaître le couplet « Du passé faisons table rase »... ça force le respect, cette internationale de la colère.

  • Salut Patrick !

    Et bien oui, il faut se faire à cette idée : le contrepet n'est pas exclusif au génie Français. En même temps, je vois dans cette découverte un heureux signe d'accord universel toujours possible. Ah, si tous les contrepétistes voulaient de donner la main !

    La contrepèterie english s'appelle un spoonerism et j'en ai trouvé des preuves sur ce forum.

    Par exemple : The nun has got hope in her soul.
    Il y a aussi une chanson dénommée "The Pheasant plucker" (celui qui plume les faisans).

    Nous voici rassurés. Et vous pouvez me remercier de passer du temps à me renseigner sur des questions qui, a priori, ne vous empêchaient pas de dormir.

  • L'infatigable maillet contre l'infatigable burin

    D'autres religions ont abattu les idoles des précédentes. Que reste-t-il des dieux gaulois, des sites aztèques, des statues de Médine ? Les générations d'iconoclastes sont spontanées et sans cesse renouvelées. Ne change que l'ampleur de leur tâche, car leurs efforts font face à une spiritualité infatigable, créative, prolifique, accumulée par les siècles et pareillement régénérée que leur haine. 

    Mais enfin, il serait prudent d'enterrer Lascaux.

  • Plairil l'iconoclaste

    Le vent qui naguère berçait ses rêves ambitieux, l'entourait à présent d'une moqueuse sarabande. Plairil se plaignait d'avoir tout perdu et le vent vint ricaner à son oreille Perdu ? Perdu quoi ? Qu'as-tu fait ? Qu'as-tu construit que tu aurais perdu ? Il proférait, indigné, des réponses plus hésitantes à chaque souffle : « Un monde, j'avais construit un monde », mais le vent poursuivait ses moqueries, Où est ton monde ? Nous ne l'avons pas vu. Et pourtant, pourtant... il arrachait ses vêtements : « Aveugles ! Voilà pourquoi ! Il était entre mes mains. Je le tenais. À quel tribunal me plaindre de l'injustice qui m'est faite ? » mais des rafales emportaient ses lamentations, il s'exaltait, vociférait pour traverser le chahut hostile de l'air : « Tout s'était plié sous la puissance de ma réflexion, ma voix avait remplacé la voix des autres, leurs bouches délivraient mes paroles, leurs gestes étaient ceux que j'avais enseignés, leurs pensées étaient celles que je leur dictais. Comment peut-on dire que ce monde n'a pas existé, que je n'ai rien créé, et qu'il ne m'a rien été enlevé ? » Où est-il, ce monde ? Répétait cruellement le vent. Et Plairil en réponse était incapable de le montrer, de prouver qu'il eût jamais été. Ses paupières clignaient, sa bouche béait, ses yeux écarquillés tentaient de retrouver au milieu du chaos, les bribes de ce qu'il avait construit. S'il ne reste rien, c'est qu'il n'y avait rien, se gaussaient les tourbillons autour de lui. « Là ! » Il désigna les trous où avaient été plantées autrefois les dents d'Odalim qui ornaient l'esplanade. « Je les ai fait supprimer ! » Et bien, dit le vent, c'est cela, ta preuve ? Plairil considéra les trous. « Ce manque... » les mots affaiblis lui furent arrachés des lèvres par une bourrasque et jetés, inertes, loin dans la tempête qui se levait.

     

    "Les Nefs de Pangée" Extrait. A paraître en septembre chez Mnémos.

  • Sur la scène de la vie

    L'étau se resserre. Chez le boulanger, au supermarché, à la mutuelle, et même chez le docteur à présent. Les mêmes propos, unanimes : salauds de pauvres. Pas dits de cette manière, mais enfin, chacun, du haut de ses compétences économiques pointe le vrai problème qui plombe notre bonne société : le coût des pauvres et des étrangers. Parallèlement, notre dégoût s'épaissit, la sensation de notre impuissance, d'être cernés par une bêtise galopante. Comment ça se termine, déjà, « Rhinocéros » de Ionesco ?

  • Ouverte ou fermée

    Dans un premier temps, on peut croire en la supériorité du panneau coulissant sur les portes qui encombrent, lourds panneaux qui pivotent, opaques, grinçants. Mais combien de Vaudeville avortés sans cette trappe qui claque ?

  • Entre soi et soi

    Aujourd'hui, on tente de nous convaincre que chacun a tout intérêt à devenir lui-même. Être soi, la belle affaire ! N'est-il pas plus difficile et souhaitable de devenir celui que nous projetons d'être ? Soi, mais en mieux ? S'évertuer. Je passe ma vie à ça. Je ne veux surtout pas être le pitoyable petit moi-même, tellement contraint par ses faiblesses et ses retards, ses lacunes et ses peurs.

  • La bonne adresse

    Dans La Vache, la deuxième sourate du Coran, il est clairement expliqué que les mécréants le sont par la volonté expresse de Dieu (« Quant aux incrédules (...) Dieu a mis un sceau sur leurs cœurs et sur leurs oreilles ; un voile est sur leurs yeux »). Si on se demande bien dans quel but, on peut en tout cas se réjouir que l'athée ne soit en rien responsable de sa philosophie et puisse même exiger du croyant le respect le plus haut, ayant bénéficié, contrairement à lui, de l'attention particulière de son créateur.

  • Homme, humus et On

    L’homme s’est longtemps considéré -étant seul juge- comme l’aboutissement de la création, et les mots témoignent de cette ambition. Revenons dans le passé lointain pour dépoussiérer la racine indo-européenne Ghiom, la terre. Les Grecs y puisent le mot khtôn de même sens, qu’on retrouvera dans chtonien et autochtone. Les latins fabriquent un « homo », littéralement « né de la terre » (idem pour l’Adam hébreu, issu également du sol), dont on retrouve la facture terrienne dans l’humus et aussi, souvenons-nous en, dans l’humilité. Le genre humain, lui, est entièrement représenté, le savez-vous, quand vous dites ou écrivez « on ». Car dans « on » il y a l’ « homme ».
    Grecs et latins ont puisé dans le Ghiom indo-européen (terre), leur khtôn et homo (voir plus haut). La logique inverse est possible : le Wiro indo-européen qui désigne l’homme en tant que principe masculin, a abouti au world anglais et au welt allemand : le monde. Il reste encore un peu de l’humain wiro dans le werewolf (le loup-garou anglais), dans la virilité, la virago et même la vertu (du latin virtus, courage, force). Enfin, une autre racine : Ner, le guerrier, a donné les préfixes andro et anthro, et les prénoms André (viril) et Alexandre (qui protège les hommes).

     

    Et c'est la 2400ème note, les amis.

  • Demain

    Voyons, anticipons. Une coalition d'extrême-droite sera installée à l'exécutif. Les citoyens, libertaires, défenseurs des droits de l'Homme, etc. attachés aux libertés, devront affronter les effets de lois sur tous les fronts, on ne saura plus où donner de la tête. Assez vite, les premiers blocages apparaîtront, les premières manifestations, réprimées dans le sang. En moins d'un an, des camps pour opposants et d'autres, spécifiques, pour les musulmans, auront été construits un peu partout en France. Et là, nous saurons, nous verrons qui sont les justes d'aujourd'hui.

  • Utopique

    Dans Voir Grandir, une des chansons donne à entendre la voix d'un homme qui raconte à son bébé toutes les merveilles que le monde va lui offrir. « Je ne t'en dis pas plus, tu ne me croirais pas », dit le père, qui énumère les beautés de ce monde. La couleur de l'album est majoritairement optimiste, enfin j'ai essayé, en violant ma nature. Mais pour cette chanson, la première version a semblé un peu courte, et il m'a fallu ajouter des éblouissements à la liste de merveilles évoquées. Le mal que j'ai eu ! A chaque image survenue, je me disais : « Mais non, c'est pas vrai, ou ça ne le sera plus d'ici que tu grandisses, mon petit. » Si j'écrivais : « La barrière de corail » aussitôt, je me disais : en train de crever ; si j'écrivais « Les lucioles dans les arbres », je me mordais les lèvres : en train de disparaître. Etc. etc.
    Il s'est apparemment passé la même chose pour les auteurs de SF, sollicités il y a deux ans par une célèbre maison d'édition des littératures de l'imaginaire, quand celle-ci a proposé à des auteurs d'écrire des nouvelles sur l'Utopie. Avec l'idée que, pour une fois, il s'agirait d'une utopie « qui marche ». Résultat : Deux auteurs seulement ont réussi à se plier à l'exercice. Dont moi. Et quel mal j'ai eu, là aussi, pour imaginer des lendemains qui chantent ! Dans un premier temps, ce retour décevant a fait capoter le projet. Cette nouvelle devrait être publiée finalement (date non précisée), et vous verrez que, même en jouant le jeu de l'utopie qui fonctionne, elle n'est pas forcément optimiste. Le temps n’est plus aux utopies, le temps est au désespoir, au constat de la destruction dégueulasse de tout. Et, comme disait l'humoriste-écolo Marc Jolivet l'autre jour à la radio : « Je soutiens Nicolas Hulot parce qu'il fait le maximum, mais franchement, je n'y crois plus. C’est foutu. » Va énoncer des merveilles à tes gamins, maintenant, sans avoir l'affreux sentiment de leur raconter des conneries...

  • Questions qui tuent

    Au cours de la dernière rencontre à laquelle j'étais invité, il y eut deux « questions qui tuent » : qu'aimeriez-vous qu'on sache de vous ? Et Que voudriez-vous demander à vos lecteurs ? J'ai été embarrassé et surpris dans les deux cas. Je ne sais plus ce que j'ai répondu à la première mais je sais ce que j'aurais dû répondre à la seconde. « Lecteurs, lectrices, soyez exigeants avec nous. Demandez-nous le meilleur. Mais n'oubliez pas qu'en retour, nous serons exigeants avec vous. » Voilà ce que j'aurais dû dire. AU lieu de ça, j'ai parlé de confiance. C’est mou du genou, la confiance, c’est trop peu. On parle littérature, là, zut !

  • Les nécrophages

    Sur le catalogue de l'entreprise de Pompes Funèbres, le cercueil le moins cher est carrément baptisé « Indigent », écrit en grosses lettres à la fin de la plaquette. Indigent. Histoire de foutre la honte à celui ou celle qui, infâme crotte dégénérée, aurait caressé l'idée de ne pas se ruiner pour un parent dont le corps, aussi adoré qu'il fut naguère, va irrémédiablement fondre dans la terre. Et le cercueil « Indigent » est à... 700 euros. Indigent, 700 euros. Vous entendez bien ? In-di-gent : sept-cent euros.

  • L'affût

    Le chat observe l'oiseau dans la cage. Il rêve. C'est inatteignable, c'est une utopie. Mais il patiente, s'enferre dans sa patience, et la patience devient l'objet de son attente, lui donne sons sens. Il me semble en le regardant, après avoir dit au chat, encore une fois : « C'est pas la peine de t'exciter, tu l'auras jamais », que l'obstination du chat à croire que la cage pourrait s'ouvrir un jour, dit quelque chose de notre condition.