Il fait chaud ou il fait froid, ou il fait lourd. Quel besoin avons-nous de consulter le thermomètre ou le baromètre ou un outil de cette nature pour connaître la température ou la pression atmosphérique, c'est-à-dire combien il fait chaud, combien il fait lourd ? C’est humain, sans doute.
Comme cette histoire de température ressentie : comment s'y prend-on ? On fait un sondage ? Monsieur Machin, pour vous, là, il fait combien ? Madame Truc, à votre avis ? Y a-t-il un outil scientifique de mesure du ressenti ?
Matières à penser - Page 16
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Questions de temps
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Polysémie
Le travail sur Pasiphaé est lancé, concrètement cette fois. Décors et costumes sont en cours de conception, le choix des comédiens sera confirmé en septembre et les répétitions pourront commencer à la fin de l'année pour les premières représentations en janvier 2015.
C'est un étrange destin pour cette pièce, déjà vieille de quatre ans, dont l'écriture était alors imprégnée de l'écho du ou des printemps arabes, avec cet enthousiasme iréniste que fait naître toute aspiration populaire à plus de liberté, à plus de jeunesse, à plus d'oxygène. Puis sont survenues, plus proches, les manifestations « pour tous », le fourre-tout des bonnets rouges, etc. Un questionnement sur la légitimité des populations à réclamer tout et n'importe quoi, a peu à peu corrompu les teintes de mon tableau. Une autre lecture s'impose. Et je m'aperçois avec satisfaction que la pièce autorise de telles nuances, que le propos est entre les mains du metteur en scène qui pourra, selon le moment, la synthèse qu'il aura faite de l'histoire récente, traduire un sentiment actuel sur les revendications populaires. Aucune raison que ce ne soit plus le cas dans dix, ou vingt ans. Ce qui signifie, en ce qui me concerne, qu'au moins un des aspects de la pièce est réussi. -
Le temps trouvé
Quand j'ai quitté mon emploi, je pensais que j'aurai enfin du temps pour écrire. Je me trompais : j'ai enfin du temps pour ne pas écrire. C'est-à-dire du temps où rêver l'écriture.
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Panique
Et d'ailleurs, comment on commence un roman, comment ça s'écrit, qu'est-ce qu'il faut faire ? C'est la première fois que je ne suis plus dans l'évidence de l'écriture, de la première phrase qui entraîne toutes les autres. C'est la première fois que je connais l'impuissance. C'est très désagréable.
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Son battement noir
Son battement noir circule dans la maison. Son battement noir réveille des échos de chagrin. Elle plane encore, patiente, se mêle de nos vies. Attend son heure. Fait lâcher prise, lentement. Sûrement.
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Amnesty local
De quoi ne me suis-je pas indigné aujourd'hui ? Mes ancêtres s'indignaient-ils pareillement ? Le fait d'ignorer les souffrances lointaines rend-il insensible aux drames impalpables ou exagère-t-il les contrariétés proches et tangibles ? Les souffrances anonymes relayées par des voix vigilantes sont-elles des abstractions et alors, pourquoi ajouter ma propre voix au concert des protestations ? Et si je fatigue, si je ne m'indigne pas aujourd'hui, si je ne pétitionne pas pour telle cause, quelle est la raison de cette paresse, de cette démobilisation ? En quoi la souffrance de ce condamné m'est-elle plus intolérable que celle de cette journaliste ? Quel est mon droit, où se situe mon devoir ? Il faut parfois s'appliquer à soi-même un moment d'amnistie.
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Battre des mains
Je vais vous dire ce qui ne va plus : qu'on perde ou qu'on gagne, les gens ont cette détestable manie d'applaudir. Comme si les oppositions n'étaient que de parade. Certes, on applaudit la victoire dans un cas, et le combat livré malgré tout dans l'autre, mais au fond, on applaudit quoi ?
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Languide du routard
D'aussi loin qu'il parte, aussi loin qu'il aille, le voyageur ne rencontre jamais que deux catégories d'individus : d'autres voyageurs, qui ne lui apprennent rien, et des gens immobiles, restés fixés à leur terre, et qui lui disent ce que son voisin aurait pu lui confier.
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Avant, après
Petit à petit, par cercles concentriques allant du plus large (la majorité de la population) au plus étroit (les fameux 0,001 % de possédants), la paupérisation gagnera avec l'accentuation de la pénurie des ressources. Le travail ne sera plus un droit, mais un luxe, exercé par des familles patriciennes. Le reste de la population sera une masse grandissante de survivants, en général désespérés, violents et suicidaires. Les États seront anémiés et relayés par des pouvoirs de baronnies. Après un pic démographique dans les années 2050 où la concentration urbaine aura connu son maximum, la baisse drastique de la natalité pour des raisons économiques et la stérilité humaine feront sentir leurs effets de façon de plus en plus patente. Les élites auront, un temps encore, la capacité de recourir à des procédés artificiels, mais cela concernera si peu de gens que la tendance générale ne s'en trouvera évidemment pas inversée. Tout sera pollué, l'air, les mers, les rivières, les plantes, absolument tout. Il ne sera plus possible de trouver de la nourriture saine, même pour les plus riches. Les grandes épidémies réapparaîtront et la majorité de la population sera atteinte d'une variété inédite de cancers. Les malades sans moyens, les handicapés, les vieux et les attardés seront rendus coupables de coûter cher et on les encouragera à l'euthanasie, dans un premier temps. Les crises économiques à répétition, les mafias, les grands mouvements migratoires et les guerres civiles auront eu raison des démocraties. Le totalitarisme sera la règle et l'on vivra dans une guerre permanente. Le post-humanisme triomphant donnera les clés théoriques pour autoriser de nouveaux génocides, des massacres préventifs, répercutés de cercle en cercle dans le même mouvement que la paupérisation, avec un léger décalage cependant. On tuera à l'arme blanche ou à la main, la pénurie rendant coûteux un armement plus efficace. Les espoirs qu'on avait placé dans les nanotechnologies, l'espace, l'intelligence artificielle, les énergies renouvelables, seront réduits à néant par les effets de la pénurie de ressources citée plus haut et dont l'ampleur n'aura été prise en compte par personne, par aveuglement ou peur peut-être, mais surtout parce qu'elle est inconcevable pour des esprits construits sur l'idée d'une flèche du progrès, aucun recyclage n'aura permis d'inverser la tendance.
Ce qui nous fera un joli cadre pour planter l'action de la préquelle de Mausolées.
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Des mots pour l'avenir
"La démocratie, c'est bien, mais sans élections, c'est plus sûr". Korjakov à Boris Eltsine, cité par Emmanuel Carrère dans "Limonov". Excellent bouquin.
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L'insécurité, c'est maintenant.
Dans ma ville, la peur règne. Des types se promènent impunément dans les rues avec des armes mortelles. Que ces types soient des policiers municipaux ne me rassure absolument pas.
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Fond de tiroir
Extrait non retouché d'un très vieux roman (probablement années 85-90) heureusement inédit, mais il y avait quelques petits éclats, comme ça :
"Me revient un très beau moment de ma vie ; la seule fois où j'ai vu l'amour littéralement illuminer le visage de quelqu'un. J'étais dans le métro, à Paris ; j'attendais debout dans une voiture bondée. Arrive une station, filant à toute allure vers les flancs de la voiture. La première chose que j'ai vue, ce n'est pas le quai, la foule, les affiches, l'éclairage, non… C'était le sourire d'un garçon de vingt ans. Il était radieux, vraiment, c'est-à-dire qu'il éclairait tout ce qui se trouvait autour de lui, autour de son seul sourire. En une fraction de seconde j'ai pensé : celle qui est aimée de ce type doit être exceptionnelle. De celles pour qui les hommes sont capables de devenir meilleurs. C'était un sourire magnifique qui enflait le cœur, qui me rendit immédiatement heureux. Et puis un autre garçon descendit de la rame et vint embrasser son ami, voluptueusement. J'avais vu un véritable amour, comme les hétéros n'en connaissent peut-être pas. En tous cas, je ne pense pas qu'aucun de mes sourires, adressé à la femme que j'aime, aie pu faire un effet semblable sur le chaland moyen. Etre hétéro, je crois que cela vous coûte une certaine paresse des sentiments. Dans nos sociétés, les homos ont peut-être encore une urgence à vivre leur amour, qui le rend entier."
D'une certaine manière, en y repensant, il s'agissait d'une tentative d'écriture mêlant les réflexions intimes et la déambulation qui se cristalliserait 20 ans plus tard dans "J'habitais Roanne". On marche toujours sur les pas de ses rares obsessions.
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Se dé-fouler
La foule se pense comme pensant à l'unisson, et puis elle se disperse et les individus reprennent forme et caractère. Comme ils étaient bien, fondus dans le groupe, cohérents, en place ! et les voici rendus à leur solitude, leur amertume, leur vraie dimension dont ils n'ont que faire. Leur revient comme un rêve le désir de se réduire, de se tapir au milieu des autres, s'agglomérer aux flancs et aux pensées des autres. Disparaître à force d'être nombreux.
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Dans la gare
Regarder avec une même fascination la foule dans un hall de gare ou la promenade des poissons dans leur aquarium. S'abîmer dans le spectacle de ces croisements, déambulations muettes et erratiques. Foule et poissons bercés d'une même illusion, contraints par des parois tout aussi transparentes, tout aussi infranchissables.
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Universel
D’après l'idée d'un pote de toujours mais que je ne vois plus beaucoup, je réfléchis sérieusement à la création officielle (statuts, bureau et tout le bazar) d’une amicale des cons. L’Amicale des Cons rassemblerait tous ceux qui, sentant au fond de leur âme bouillir des élans de connerie irrépressible, se sentent sporadiquement frères des plus cons d’entre nous mais qui ignorent l’être. Le programme des activités irait de l’envoi de lettres de félicitations à nos édiles les plus méritants, à l’occasion de l’une ou l’autre connerie proférée en public, à une demande auprès de l’ONU, de reconnaître Monaco comme notre capitale. Capitale qui pourrait d’ailleurs varier en fonction de l’actualité. L’Amicale des Cons pourrait aussi distinguer, à titre honorifique bien entendu, certains acteurs de la vie publique, dans tous les domaines, car la connerie n’a pas de limites.
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Pareil, bien au contraire
La superbe chanson de Delpech, J'étais un ange, me touche, je ne l'écoute jamais sans émotion. Cette idée que nous étions ces innocents, gamins, et que l'âge nous a faits mesquins, lâches et égoïstes, est terrible et juste. Et puis, à la réflexion, je me dis : « pas du tout » si je considère le chemin parcouru. Ce demi-siècle d'expérience (on commence à se faire une idée à cet âge-là, je vous assure) me conduit à dire qu'au contraire, j'étais un petit merdeux égoïste et vindicatif, en guerre contre tout et tout le monde et que, maintenant, je suis en paix avec les autres, je suis plus généreux, je me suis amélioré. Et je suis sûr que, comme pour la chanson, tout le monde va se reconnaître dans ce portrait. Ou bien sommes-nous restés les mêmes, et tout est affaire de nuance et de moment.
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Des vivants
Sur les murs de ce musée, la photo du personnel d'une usine des années 20. Curieusement, le groupe s'est figé sous les consignes du photographe devant un coin de fabrique anonyme, plutôt que vers la porte où la marque triomphante auréolerait les employés. Alignés, des ouvrières essentiellement et quelques jeunes gars, encadrés par des messieurs à col de cellulose qui font des balises éclatantes dans le camaïeu sépia. Les cadres ont la mine sévère des professionnels qui se déjugeraient en souriant ; les femmes ont un visage d'une tristesse affreuse. Toute joie s'évapore à les observer l'une après l'autre. Leurs visages sont étrangement asiates, mongols, leur peau cuivrée. Elles sont de contrées ou l'on cuit au soleil pour arracher à la terre de quoi ne pas mourir. Elles sont de la montagne austère, où il n'était pas déjà fréquent de rire. Mais sur la photo, les faces rangées sont plombées par une indifférence à la vie, un accablement définitif. Une humanité qui ne sait que la double malédiction du travail et de la mort, fratrie indissociable. Aucun espoir, jamais, le labeur constamment et la disparition dans les limbes au terme du trajet. Pas étonnant qu'il ait fallu lui promettre le paradis, après, pour enchaîner ce peuple à sa géhenne.
(Reprise d'un billet de 2012, avec mes excuses pour les lecteurs fidèles)
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Un tri dans la nuit
Ce n'est pas qu'on ne croit plus à l'amour, mais c’est qu'on y a collé tellement de choses et surtout tellement n'importe quoi, qu'on finit par ne plus savoir de quoi l'on parle. C'est comme une bibliothèque monstrueuse où se côtoient le pire et le meilleur sous prétexte qu'il s'agit de livres. Va trouver de la littérature dans ce fatras, toi.
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Le dernier mot
[Billet supprimé. Un effet de la solidarité que je dois à mon éditeur. Inutile d'alimenter une polémique qui, au fond, n'a pas d'intérêt]
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Changez tout
J'ai trouvé ce petit film tellement bien fait et probant que je crois qu'il mérite d'être diffusé le plus largement possible.