Tu vois les mots, là-bas ? Tout là-bas ? « Les femmes ne pouvaient se retenir de le pincer aux joues et de l'embrasser. » ? Eh bien ce sont les premiers du roman. C'est loin, n'est-ce pas ? Et tu vois, là, ce point ? Ce point, ici. C’est le point final. Voilà, c'est fait. J'ai fini La Grande Sauvage.
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Le problème, avec la Révolution française, c'est qu'on croise des personnages de roman à chaque coin de rue (et sur les toits, sur l'eau, dans les champs, derrière le moindre bosquet). Et je n'ai qu'un roman à écrire.
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" Nos amis brouille, brouille, nos parents brouille, brouille brouille, nos bienfaicteurs brouille brouille, nos pères brouille brouille, nos conducteurs brouille brouille, nos maîtres brouille brouille, nos pontifes brouille brouille, nos juges brouille brouille"
Mme de Laveine. Convulsionnaire. 1736. (Martin fréquente de drôles de gens...)
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Quand le médecin fut parti, l'Architecte les accueillit près de son lit avec soulagement. « Mes amis, j'ai bien cru qu'il me tuerait. Quelle purge ! » Inquiets, ils furent avec lui, Marianne essayant de comprendre ce qui se passait : « Vous avez besoin de quelque chose, monsieur ? » Le bon sourire de l'Architecte était lézardé par la fatigue, mais son caractère demeurait constant : « Ma bonne Marianne, il est plus intéressé par les effets de la dissolution des Facultés, que par mon modeste cas. Laissons les prescriptions de mon fameux médecin et prépare-moi du vin chaud. » Comme Marianne sortait, l'Architecte expliqua à Martin, qu'il jugeait péremptoirement apte à comprendre : « Il paraît qu'à cause de certains décrets votés l'an dernier, toutes les Facultés de Médecine, les Collèges de Chirurgie et de Pharmacie disparaissent, ainsi que l'Académie de Chirurgie et la société Royale de Médecine, et avec elles toutes les sociétés scientifiques. Un drame, je veux bien l'admettre, je tentais de le lui dire, de l'assurer de ma sympathie, mais pas aujourd'hui, demain, une autre fois, pour l'heure je suis malade. Il ne m'a épargné aucun détail, m'a tenu ferme tandis que je sentais faiblir mon pouls, en m'assénant que désormais le public est victime d’individus érigés en maîtres par leur seule opinion, qui distribuent des remèdes au hasard, et compromettent l’existence des citoyens. Et moi, lui ai-je dit enfin, mon existence ? Vous en occuperez-vous ? Je crois que je l'ai offusqué. Il a consenti à me visiter. Il a déduit de son examen plus court que son discours, qu'il s'agissait soit d'un refroidissement, auquel cas il suffit que je me tienne au chaud et alité, ou d'une hydropisie ascite, auquel cas je ne devais m'inquiéter de rien et mourir dans deux jours. Je crois qu'il plaisantait. »
La Grande Sauvage. Extrait. En cours d'écriture.
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La dernière ligne droite sur l'écriture de La Grande Sauvage. Par dernière ligne droite, entendez encore un mois d'écriture, avant de retravailler l'ensemble du manuscrit pour veiller aux équilibres, à la dynamique de l'ensemble, au traitement de chaque aspect, le relief des personnages, etc. Enfin, je discerne la lumière, là-bas. J'approche. Je ne sais trop dans quel état d'esprit j'étais quand j'ai entrepris ce roman. Le projet s'est modifié, entre le moment où j'étais tenté de me gausser de la superficialité de l'ancien régime en racontant la vie de fermiers qui faisaient de la figuration dans le hameau de la Reine, à Versailles, et celui où se sont imposées les notions de fanatisme et de reconstruction, parce qu'une certaine actualité est venue s'immiscer dans le processus.
Avant d'en avoir fini, j'ai supprimé déjà plusieurs passages, sacrifié quelques personnages qui n'étaient là que pour ma satisfaction personnelle. L'idée est de réduire le volume final. Je voulais écrire un roman court. Ce ne sera pas le cas, hélas. Il dépasse dores et déjà L'Affaire des Vivants, et menaçait de se hisser au niveau du volume des Nefs de Pangée avant que je me décide à cette opération de chirurgie salutaire. Faisant cela, je rêvais d'une version avec bonus, comme les DVD de films en offrent la possibilité. Il y aurait, en appendice, les scènes coupées du roman. Ce n’est guère envisageable. Je me dis que Kronix pourrait avoir cette fonction.
En tout cas, en mars, quand j'en aurais fini, y compris avec un glossaire que je crois devoir écrire à la suite du roman, comme pour L'Affaire..., je profiterai de mon passage au Salon du Livre de Paris (c’est confirmé), pour livrer mon manuscrit à mon éditeur, avec deux mois d'avance sur mon propre planning et quatre d'avance sur le sien. Ne voyez pas cette annonce auto-satisfaite comme une anecdote : une telle avance signifie que je peux, avec mon éditeur, travailler le texte pour l'améliorer encore, et préparer très en amont sa sortie. L'enjeu est le suivant : ce livre doit me permettre de maintenir mon statut d'écrivain en 2018. Vous imaginez que ce projet m'importe assez pour me sentir tout le courage nécessaire.Lien permanent Catégories : actu, Ecrire, Livres, Nouvelles/textes courts, Travaux en cours 0 commentaire -
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On allait comme ça, entre deux nuits, décalotter les calotins, faire mordre la poussière aux coquins, les phrases que trouvait Huché quand il était inspiré, à marcher dans cet hiver qui nous enfonçait le chapeau dans les épaules, éparpillait nos balles dans le pays à cause de nos mains tremblantes, à reprendre les cris des loups et les cris des corbeaux, nos compagnons de mort et de froid. Je sais bien ce qu'on était, charognards semblables, animaux guère plus, enfin je crois que c'était nous, ce qui restait de nous. Il y avait bien une noble mission, à l'origine, là-bas, au premier de nos pas, il y avait une idée de grandeur et d'élévation quelque part à la source, mais les loups et les corbeaux sont de piètres ouvriers pour accomplir si noble tâche, ils font tout salement, dévorent les proies sans les occire tout à fait, se foutent des plaintes des corps qu'ils déchirent, on se voyait à distance, hardes et hardes, on se reconnaissait, les loups nous auraient jamais attaqués par exemple, je crois qu'ils avaient appris nos uniformes, notre odeur, on devait leur paraître comme des pourvoyeurs, des alliés surgis de l'enfer pour leur faire le cadeau de l'abondance, bien leur tour, après tant d'années de fuite, on leur livrait les entrailles fumantes de leurs chasseurs, on punissait ceux qui les massacraient.
La Grande Sauvage. Extrait. En cours d'écriture. A paraître chez Phébus en 2017.
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Donc, pas de publication majeure cette année. La Grande Sauvage sortira en 2017, Minotaure sera créé au Théâtre de Roanne dans un premier temps, en 2017 également, et Voir Grandir, ce récital de textes mis en chansons par Jérôme Bodon-Clair, ne sera produit qu'en 2017, lui aussi. Du coup, ce sera exagérément chargé. C'est dommage, j'aurais aimé qu'au moins un de ces axes de création trouve un aboutissement cette année, puisque de mon côté, tout est écrit. C'est ainsi ; on ne décide pas tout.
En attendant, côté publication, ce sera très calme disais-je ; il y aura tout de même un joli recueil sur l'utopie, édité par les excellents Moutons électriques. J'en reparlerai avant sa sortie.
C'est surtout grâce aux rencontres consécutives au coup de cœur Lettres-frontière pour l'Affaire des Vivants, que mon emploi du temps va se remplir. Je serai :
le 26 janvier à la Médiathèque de Genève-Minoteries,
le 4 février à la Médiathèque d'Annemasse,
le 3 mars à la Médiathèque de Saint-Cergues,
Les 12 et 13 mars pour un salon du livre à Villefranche-sur-Saône,
le 18 mars à la Médiathèque d'Allonzier-la-Caille,
(et/ou normalement : au Salon du Livre de Paris sur le stand des Indés de l'imaginaire)
le 24 mars, à la Médiathèque de La Part-Dieu (Lyon), pour évoquer avec Aurélien Delsaux notre travail sur les romans en cours. Nous sommes tous deux bénéficiaires de bourses d'écriture de la DRAC et c’est à ce titre que nous nous exprimerons. Débat organisé par l'ARALD et animé par Danielle Maurel (qu'on aime),
le 1er avril (oui) à la Médiathèque d'Arenthon,
les 7/8 et 14/15 avril, je serai à Paris par procuration, sur la scène du Théâtre du Point-du-Jour, pour une série de représentations de Pasiphaé,
le 9 avril, à la Médiathèque de Mégevette,
le 30 avril, à la Médiathèque de Thonon,
le 19 mai, à la Médiathèque de Saint-Etienne (je ne sais plus laquelle, je préciserai en temps utile),
le 27 mai, à la Médiathèque des Houches,
les 3 et 4 juin, pour la traditionnelle carte blanche organisée par la Médiathèque de Gilly-sur-Isère. J'aurai le plaisir et l'honneur de recevoir et de présenter Christian Degoutte et Emmanuel Merle, des auteurs qui, des auteurs que... pour qui il faudra que je trouve les mots, voilà,
le 11 juin, à la Médiathèque de Saint-Haon-le-Châtel, pour une petite « causerie » autour de 10 œuvres choisies dans le domaine des arts plastiques.
C'est tout pour l'instant.Lien permanent Catégories : actu, Ecrire, Livres, rencontres avec des gens biens, Travaux en cours 4 commentaires -
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Ces réflexions qui cherchaient un chemin vers le jour avaient momentanément altéré le sourire de Martin, l'avaient métamorphosé en ce rictus que Marianne n'aimait pas observer. Elle glissa la paume de sa main sur son visage : « Martin, mon Martin, dis-moi si tu es en colère. Dis-moi. » Il n'était pas en colère. Était-il en colère ? Il dit : « Je ne suis pas en colère » tout en interrogeant le sens de ce mot, et il fut effrayé – mais vraiment : il connut un instant de panique – de trouver un abîme devant ses réflexions. Ce mot avait perdu sons sens et – ce qui augmenta sa frayeur d'une façon irrationnelle – d'autres à sa suite semblaient se précipiter dans le gouffre ouvert de sa pensée, s'y précipiter avec une espèce de joie dans la perdition. Il répéta Je ne suis pas en colère avec une voix d'enfant, un grincement apeuré détaché de lui, si étrange que Marianne en eut un frisson : « Martin ? dit-elle, inquiète, dis-moi ce qui ne va pas. » Martin planta ses yeux dans les siens, prononça avec naturel : « Ça va, je vais bien. On va manger, non ? » tandis qu'une autre voix, brusque, accidentée, pleine de caillots et de glaires, de cris et de tourbe et de racines déchirées et de ciel tombé, d'odeur de poudre et de stupeur, hurlait en lui : « Si tu savais, Marianne, si tu savais... »
La Grande Sauvage. Extrait. Roman en cours d'écriture.
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Attend tranquillement l'annonce d'un nouveau massacre. Dans les urnes, cette fois. A voté, histoire de faire un pied-de-nez à tous ceux qui trouvent ça inutile tout en découvrant qu'on a mis en place pour eux des systèmes qui ne leur conviennent pas.
Chacun a ses raisons, après tout, je m'en fiche. Je crois faire ce qui doit être fait.
En tout cas, hier, à la Médiathèque de Fleury, c'était très agréable. Il y avait du monde. Des têtes nouvelles, des amis. Je crois que j'ai été un peu soporifique. J'ai lu des passages de La Grande Sauvage, qui ont suscité quelque gourmandise. Parfait. Des livres, des rencontres, un public venu remplir la salle, des discussions autour d'un pot, ensuite.En fait, je sais pourquoi je vote.
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Aujourd'hui, à partir de 15 heures, j'ai le plaisir d'être invité par la Bibliothèque de Fleury-la-Montagne, en Saône-et-Loire. J'y évoquerai Les Nefs de Pangée surtout, mais aussi L'Affaire des Vivants, puisqu'il n'était pas encore paru lors de mon dernier passage dans les lieux, il y a deux ans. Je conclurai par une lecture d'extraits de mon prochain roman, à paraître chez Phébus : La Grande Sauvage.
Entrée libre, petit pot préparé par les bénévoles, bonne ambiance et public en général assez nombreux. Je me prépare à un agréable moment. Je vais faire en sorte que ce soit réciproque.
Il ne sera fait aucune remarque aux personnes qui sont venues pour seulement écouter, et il se peut même qu'on les remercie d'être venues.Lien permanent Catégories : actu, Livres, rencontres avec des gens biens, Travaux en cours 0 commentaire -
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Bon, envoi d'un dossier de subvention à la Région aujourd'hui. Il ne se passe pas deux mois sans que nous soyons (« nous » : la compagnie NU), remis au rang des quémandeurs qui doivent solliciter leur prince. C'est un choix, assumons. Je rêve d'un moment de bascule où nous serions détachés des mannes publiques, car nous n'aimons pas dépendre des contribuables, n'allez pas croire. L'ennui est que nous ne pourrions créer sans cela. Faire travailler des professionnels coûte (très) cher, et nous avons renoncé à faire des spectacles de patins à glace avec paillettes ou des reprises de classiques ou de comédies célèbres. Pas que ce soit mal en soi, mais nous cherchons autre chose.
Pourquoi, et depuis tout temps, existe-t-il cette défiance du public pour des spectacles qui, éventuellement, lui ferait passer un bon moment et, accessoirement encore, lui laisserait des souvenirs ? Contrairement à ce que pensait le plumitif de l'hebdo local, nous ne cherchons pas à être élitistes, nous aimons que nos créations soient partagées par le plus grand nombre. D'ailleurs, nos pièces ne sont pas ce qu'on peut appeler confidentielles, les salles sont pratiquement pleines à chaque représentation, alors que nous ne bénéficions d'aucune autre communication que celle des programmes des structures qui nous accueillent et un travail de réseau, mais le rapport coût/recettes est tel que nous ne pouvons rien faire sans les subsides publiques. Subsides publiques qui, nous a-t-on fait comprendre hier, fondent drastiquement. Il faut donc que je précise que, si nous ne pourrions pas créer sans elles, nous faisons à l'économie malgré elles. A l'économie, c'est-à-dire que la faiblesse des budgets contraint les comédiens et les auteurs à travailler de façon militante, bien en deçà des véritables émoluments auxquels ils pourraient prétendre. Les seuls à être payés correctement étant les techniciens. Voilà, c'était pour ceux qui considèrent que le théâtre contemporain nage sur un océan d'argent facile et que les « intellos » sont privilégiés. -
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Je suis surpris de la bonne volonté de ceux qui, pendant la Terreur, grimpaient sans faire d'histoires sur l'échafaud. Hors Mme du Barry qui renâcla, tous les autres, et vas-y, pousse-toi, tu montreras ma tête, moi d'abord, après vous, Hop, Tchac, suivant, c'est mon tour, dans l'ordre et la discipline, on n'est pas là pour traîner, etc. Je me demande si, vu le nombre quotidien d'exécutions, il ne se créait pas une sorte d'esprit d'équipe parmi les condamnés et que les charretées ne finissaient pas par ressembler à des départs de collège en bus.
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2712
L'Architecte dodelinait, à l'écoute de ses propres réflexions. Elles lui devinrent assez lisibles pour qu'il entreprenne de les énoncer à haute voix, mais d'un air abstrait, comme si Martin n'était pas là. « Ils ont fait de l'Homme le réceptacle de l'idéal dont ils avaient dépouillé le ciel. Je n'ai rien contre cela. Il fallait en découdre avec l'idée d'un Dieu monnayé par son clergé. Mais il n'y a d'idéal ni dans le ciel, ni dans l'Homme. Il n'y en a pas plus dans la nature rêvée par monsieur Rousseau, et encore moins dans les objets dont l'Homme fait commerce, qui l'enrichissent parfois au point qu'il les vénère. Il n'y a d'idéal nulle part. Nous avons cru qu'en œuvrant ensemble, l'Humanité dépasserait l'entreprise des hommes. Nous avons cru en un homme plus grand que l'Homme. C'est maintenant que je comprends pourquoi le seul monument élevé à cet idéal, et dont la postérité est assurée, n'est ni une grande tour, ni une puissante sphère de pierres, mais un creuset d'espérance, un vaste appareil de possibilités, l'espace vide du Champ-de-Mars. »
La Grande Sauvage. Extrait. Écriture en cours. A paraître en 2017 chez Phébus.
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Sur leur gauche, quand la brume s'effilochait, que la lumière perçait nette jusqu'au sol, il voyait les hommes de Kellermann, guère mieux accoutrés qu'eux-mêmes, prolonger leurs rangées disparates sur un léger relief. Le tertre où patientaient les bataillons était dominé par un moulin à vent, monolithe aux parois sombres et mouillées, qui faisait un signal nu, isolé dans le paysage.
La Grande Sauvage. Extrait. Roman en cours d'écriture.
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La Grande Sauvage ne sortira finalement qu'en 2017, chez Phébus. Non pas que mon manuscrit ne soit pas prêt en temps et heure, soit début 2016 comme prévu, mais mon éditeur (venu me soutenir à Genève, les contrats sous le bras, je suis tout embarrassé par sa vraie gentillesse), ne veut pas gâcher la sortie du roman par une campagne précipitée. Je suis bien d'accord. Comme j'aborde la dernière partie de ce roman, je réfléchis avec plus de sérieux aux chantiers suivants. J'avais d'abord pensé tenir ma promesse à mon autre éditeur, Mnémos, en écrivant la préquelle (ou antépisode pour nos amis canadiens francophones) de Mausolées. Sauf que les événements qui conduisent à l'état de la société telle que décrite dans ce livre, nous sommes en train de les vivre. Relater le plein chaos dont nous vivons les prémices, m'ôte le plaisir essentiel d'un peu d'exotisme. Je suis donc partagé. J'imagine alors, plutôt, travailler sur l'après-Mausolées. Aller voir plus loin, explorer ce qui résultera de tout ça dans 200 ans, retrouver Set-Zubaï et le fantôme de Léo Kargo.
Mon « actualité » de 2016 sera donc théâtrale, essentiellement, avec la reprise de Pasiphaé à Paris, et la création de Minotaure, à Roanne. Il faut bien continuer de se projeter. C'est la nature humaine, je suppose. -
2693
Qui a inventé ce jeu insolent ? À qui devons-nous cela ? Tout cela. Est-ce que nous sommes obligés de jouer notre partie, jusqu'au bout ? Nous finissons par concevoir un tel dégoût pour les règles du jeu. Un jeu collectif. C'est bien ça le problème. Un jeu collectif où chacun joue sa partie. Comment voulez-vous que ça fonctionne ? On fait avec. Plutôt, on fait contre. Contre les autres. Contre les règles des autres. De tous les autres. Dès que nous nous sommes vus confier le rôle d'individu, il a fallu jouer ce nouveau combat. Et nous n'étions pas prêts. Nous nous sommes construits des cellules. Nous les avons baptisées. Nous avons fermé la porte sur nos petits rituels maussades. Nous nous sommes cramponnés à l'idée que les murs seraient assez solides. Les murs se fendent, les portes craquent. Le minotaure va passer la frontière.
Dédale, "Minotaure". Extrait.
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2689
Tu n'es pas dans ma maison, tu n'es pas dans ma rue, tu n'es pas dans mes champs, tu n'es pas dans mon atelier, tu n'es pas dans mon livre, tu n'es pas sur les berges de mon fleuve, tu n'es pas dans mon ciel, tu n'es pas dans mon jour ni dans ma nuit. Ma vie est trouée de ton absence. Je t'ai laissé derrière le mur. Je refuse de t'entendre gémir, je refuse d'entendre parler de toi, je refuse de trouver le goût de ta plainte dans le fruit que je mange, je refuse de voir ton visage dans mon miroir, je refuse de connaître ta souffrance et ta mort. Je sais qu'un jour tu rempliras ma rue, mon ciel et les berges de mon fleuve. Je sais qu'un jour ton visage effacera le mien dans le miroir. Mais en attendant, je mange le fruit creusé de ton absence.
Extrait de Minotaure. Pièce en cours d'écriture.
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2684
Martin adore le vertige que lui procure ce dessin. C'est un prodige qu'il ne parvient pas à s'expliquer. Comment, sur cette feuille de papier, sur cette surface plane qui tient entre ces bras ouverts, l'Architecte a-t-il pu rendre la sensation de l'immensité ? Et chaque dessin de l'Architecte procure le même effet. Depuis trois mois qu'il vit ici avec Marianne, et surtout depuis les deux dernières semaines, depuis que l'Architecte est parti en leur laissant la jouissance et la surveillance de son logis, Martin profite de ses longues heures d'oisiveté, pour entrer dans le bureau aussi discrètement que si le maître était présent, sortir délicatement un dessin du meuble de classement, et le contempler longuement, avec concentration, à s'y perdre.
Extrait de "La Grande Sauvage". Ecriture en cours.
Image : projet pour la bibliothèque royale, rue de Richelieu. E-L Boullée, 1785.
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2683
À son grand étonnement, le dessin immobile se met à raconter l'histoire de ces visiteurs, la majesté du monument amorce une fable, quelque chose d'aussi vaste que les légendes du Christ qu'on lui enseignait naguère. Quelque chose qui le dépasse, comme le dépassent les dimensions de la sphère, son globe qui se dresse comme une lune descendue sur la terre, immense, qui développe ses courbes loin au dessus des minuscules créatures à ses pieds. Comment ces fourmis pourraient-elles faire plus que rêver pareil délire ?
Extrait de "La Grande Sauvage". Roman en cours d'écriture.
Image : Le cénotaphe de Newton, par Etienne-Louis Boullée (1728-1799).
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Après le retrait des missiles nucléaires à Cuba, l'écrivain Pol Mathil échange avec Che Guevara.
Le Che : En acceptant le démontage des bases et des fusées, les Russes ont commis une erreur historique.
Pol Mathil : Et toi, qu'aurais-tu fait à leur place ?
Le Che : Si les fusées avaient été entre mes mains, elles auraient été tirées et auraient atteint la cible vers laquelle elles ont été orientées. C'est pour cela qu'elles ont été installées ici.
Pol Mathil : Pourtant, si vous les aviez tirées, la riposte américaine aurait été immédiate et terrible. Cuba aurait été engloutie sous l'océan.
Le Che : Peut-être. Tel aurait pu être le cours des événements. Mais le but aurait été atteint et l'impérialisme yankee nous aurait accompagnés au fond de l'océan.
(Extrait traduit de L'intrus. 2007. Pol Mathil)